Contenu du sommaire : Variations France/États-Unis
Revue | Travail, genres et société |
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Numéro | no 28, 2012 |
Titre du numéro | Variations France/États-Unis |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Parcours
- Nancy Folbre, "économiste féministe" - Laura Lee Downs, Hélène Périvier p. 5-20
Dossier : Variations France / États-Unis
- Variations France / États-Unis - Laura Lee Downs, Jacqueline Laufer, Hélène Périvier p. 21-24
- L'Histoire des femmes aux États-Unis : Une histoire des droits humains - Linda K. Kerber p. 25-44 La quasi-totalité des questions traitées par des féministes depuis deux cents ans sont des questions de droits humains. La tradition juridique aux États-Unis est saturée par le concept de la « coverture », à savoir, des lois qui prétendent protéger les intérêts des femmes mais qui, en réalité, limitent l'autonomie des femmes ainsi que leur participation à la communauté politique. L'autorité des conjoints comprend des pouvoirs aussi extensifs qu'arbitraires sur les corps et les biens de leurs femmes. Par conséquent, le refus d'une gamme très large de droits humains aux femmes semble faire partie de l'ordre naturel. C'était donc aux femmes de nommer leurs griefs, d'élaborer les bases philosophiques de leurs demandes, d'entamer la lutte politique pour l'égalité. Les années 1960 et 1970 ont vu une évolution dans la manière dont le droit américain concevait les droits et les obligations des femmes. Des lois, auparavant perçues comme protectrices, sont dès lors interprétées comme discriminatoires, ce qui rend le droit américain plus conforme aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Pourtant, l'héritage de la « coverture » n'a jamais été complètement éradiqué, surtout en ce qui concerne la reproduction ainsi que les violences domestiquesVirtually all of the public issues that feminists have embraced in the last two centuries are matters of human rights. The legal tradition in the United States has been permeated by "coverture": laws that purport to protect women's interests but serve to limit their autonomy and membership in the constitutional community. Husbands' authority to exercise expansive arbitrary power over their wives' bodies and their property made the denial of a wide range of human rights to adult women seem to be part of the natural order of things. It was left to women to name the harms they experienced, to develop philosophical grounding for their claims, and to struggle politically to achieve equitable treatment and equality. The 1960s and 1970s are distinctive for a shift in the way US law views women's rights and obligations. Laws that were once viewed as protective of women are now viewed as discriminatory toward them, bringing US law more closely into conformity with the principles of the Universal Declaration of Human Rights. Nevertheless, the legacy of coverture has not been completely eradicated, especially the field of reproductive rights and domestic violence.
- Travaillez ou mariez-vous ! : La régulation sexuée de la pauvreté en France et aux États-Unis - Hélène Périvier p. 45-62 L'article présente une analyse sexuée de l'évolution des droits et devoirs qui lient les personnes percevant l'aide sociale et l'Etat en France et aux Etats-Unis. Dans les deux pays, la contrepartie exigée en retour de la solidarité nationale a longtemps reposé pour les femmes sur leur rôle de « mère », pour les hommes sur celui de « pourvoyeur de ressources de la famille ». Les réformes successives des programmes de lutte contre la pauvreté aux Etats-Unis et en France ont modifié la nature de ces obligations, renforçant dans les deux cas la logique du mérite via une exigence d'insertion dans l'emploi, ceci de façon plus marquée aux Etats-Unis qu'en France. L'injonction à l'autonomie concerne désormais femmes et hommes, mais épargne les femmes mariées, dont l'inactivité est acceptée voire encouragée dans les dispositifs sociaux ou fiscaux.The article presents a gendered analysis of the evolution of rights and duties of those who are eligible to welfare benefits in France and in the USA. In both countries, the counterpart of national solidarity has long been based on their motherly role for the women and on their role of breadwinners for the men. Successive reforms of poverty reduction programs in the USA and in France have altered the nature of these obligations, reinforcing in both cases the logic of merit through a request for insertion via work, this logic being stronger in the USA than in France. The injuction to be autonomous now applies to both men and women, but presserves married women, whose inactive status is accepted, or even encouraged in social and tax measures.
- Discrimination fondée sur le sexe aux États-Unis : une notion juridique sous tensions - Marie Mercat-Bruns p. 63-87 La lutte contre les discriminations raciales aux Etats-Unis a servi, initialement, de modèle, par analogie, à la construction d'un corpus juridique propre aux droits des femmes. Cependant cette analogie entre race et sexe a connu certaines limites, sur le plan constitutionnel notamment. À première vue, cette vision moins ambitieuse de l'égalité entre hommes et femmes paraît décevante pour la cause féministe. Pourtant elle se révèle, au bout du compte, salvatrice sur le plan de certaines avancées législatives qu'elle a permises qui ont bénéficié, à leur tour, grâce à la jurisprudence, à la cause des Noirs américains. À partir des années 1970 jusqu'à aujourd'hui, la réflexion juridique de la doctrine américaine, d'inspiration foucaldienne, fait apparaître les rapports de pouvoir inhérents à la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe et les tensions que suscite le droit entre égalité concrète et égalité formelle. Ces interrogations ne sont pas non plus une menace qui pèse sur le débat féministe. L'apparition du critère du genre en droit, à côté du sexe et l'intérêt que suscitent la parentalité et les discriminations systémiques, au-delà des discriminations individuelles fondées sur le sexe, ne sont en aucun cas un désaveu vis-à-vis des règles visant spécifiquement les femmes. C'est une chance à saisir de renouveler le débat juridique féministe sur le sexe lui-même et même de l'enrichir.The fight against racial discriminations in the USA initially served as a model, by analogy, to the construction of a legal corpus specific to women 's rights. However, this analogy between race and gender has limits, especially constitutionally-wise. At first sight, this less ambitious vision of male-female equality seems disappointing for the feminist cause. Nevertheless, it happens to have proved efficient in promoting legal advances, which were, in turn, beneficial to the cause of African Americans thanks to legal precedents. From the 1970s until now, the legal reflection of the American doctrine, of Foucaldian inspiration, reveals a power struggle inherent to the fight against gender-related discrimina-tions, as well as the tensions created by the law between concrete equality and formal equality. Neither are these interrogations a threat to the feminist debate. The creation of the gender criterium in the law, next to that of sex, and the interest for parenthood and systematic discriminations are in no way a denial of laws specific to women, beyond individual discriminations based on gender. It is a chance that must be seized to renew the legal feminist debate on gender and enrich it.
- Les conceptions juridiques du harcèlement sexuel en France et aux États-Unis : Avant et après l'affaire DSK - Abigail C. Saguy p. 89-106 Lorsque l'ancien directeur du Fonds monétaire international, Dominique Strauss Kahn (DSK), a été arrêté pour tentative de viol sur une femme de chambre d'un hôtel Sofitel à New York en mai 2011, on a beaucoup spéculé sur le rôle qu'avaient joué les différences d'attitude vis-à-vis de la sexualité en France et aux États-Unis. Cet article explique que si ce scandale avait plus de chances d'éclater à New York qu'à Paris c'est moins en raison de différences culturelles intemporelles entre les deux pays que de différences juridiques. Aux États-Unis, la responsabilité de l'employeur se trouve fortement engagée en cas de harcèlement sexuel, ce qui a incité les entreprises à instaurer des règlements internes et des codes de conduite. Complété par la loi de 1994 sur les violences faites aux femmes (Violence Against Women Act, vawa), ce dispositif a permis une plus grande prise de conscience du problème du harcèlement et de la violence sexuels. En France, en revanche, où la responsabilité de l'employeur est minime, les entreprises n'ont guère eu à prendre de mesures contre le harcèlement sexuel, retardant par là-même la prise de conscience de l'opinion. C'est à cause de cet écart qu'une plainte pour harcèlement sexuel avait plus de chances d'être déposée à New York qu'à Paris. L'article affirme toutefois qu'en attirant l'attention sur la question de la violence sexuelle, l'affaire DSK – à laquelle s'est ajoutée en mars 2012 une mise en examen pour proxénétisme en bande organisée – pourrait elle-même contribuer à faire évoluer le cadre juridique français et à renforcer la protection des victimes de violence sexuelle.When former managing director of the International Monetary Fund, Dominique Strauss Khan (DSK), was arrested for attempted rape of a room attendant in a Sofitel hotel in New York in May 2011, there was much speculation about the role played by national differences in French and US approach to sexuality. In this article, I argue that, if this scandal was more likely to begin in New York than in Paris, it was for reasons that can be explained by contemporary national legal differences, rather than by timeless differences in national character. Specifically, in the us, extensive employer liability for sexual harassment has encouraged the development of internal regulations and corporate policies. This, in turn, has – along with the 1994 Violence Against Women Act (vawa) – contributed to greater awareness of the problem of sexual harassment and sexual violence. In contrast, in France, where employer liability is underdeveloped, there has been little corporate action and, in turn, little public awareness of the problem of sexual harassment and sexual violence. This pattern makes it more likely that charges of sexual assault would be filed against DSK in New York than in Paris. I further argue, however, that, by drawing attention to the problem of sexual violence, the ongoing dsk scandal – which broadened in March 2012 to accusations of involvement in a prostitution ring – may itself be reshaping the French legal landscape so as to provide more protection for victims of sexual violence.
- Les maternités précoces aux États-Unis - Magali Barbieri p. 107-132 Avec un taux de 42 pour mille en 2005-2010, les États-Unis se positionnent en tête du classement des pays développés en matière de fécondité des adolescentes. Après avoir fourni quelques éléments quantitatifs pour situer les États-Unis par rapport aux autres pays développés, nous décrivons dans le détail le niveau et les tendances de la fécondité avant vingt ans dans ce pays à partir d'une analyse de données d'état-civil. Nous évaluons ensuite l'effet des variables intermédiaires (nuptialité, sexualité, utilisation de la contraception et recours à l'avortement) avant de discuter, dans une dernière partie, le rôle du contexte culturel, politique et socioéconomique. La France, dont la situation est représentative des pays dans lesquels la fécondité des adolescentes est particulièrement faible, est utilisée comme point de comparaison.With a 42/1000 rate in 2005-2010, the USA are rated first among developed countries as to teenage fertility. After presenting a few figures that position the USA among developed countries, we describe fertility, level and trend before age 20 in the USA in detail based on an analysis of civil data. We then evaluate the impact of intermediary variables (mariage rate, sexuality, use of contraception and recourse to abortion) before discussing the influence of culture, politics and social and economic realities. As a representative of countries in which teenage fertility is particularly weak, France is used to make comparisons.
- L'éducation des filles aux États-Unis et en France - Marie Duru-Bellat p. 133-149 Ce texte présente de manière synthétique les débats qui ont pris place aux Etats-Unis et en France à propos de deux grands volets de l'éducation des filles : l'éducation formelle telle qu'elle est organisée dans des classes mixtes ou non mixtes d'une part, d'autre part, l'éducation plus informelle qui se réalise via les medias, l'habillement, les jeux ... Concernant la mixité scolaire, la perspective américaine s'appuie sur des considérations biologisantes ou empiriques, alors qu'en France les considérations de principe dominent. Quant à la tendance à une sexualisation de plus en plus marquée et de plus en plus précoce des petites filles, elle est largement démontrée et débattue aux Etats-Unis, alors que la France reste jusqu'alors plus en retrait. Derrière ces débats, de vrais clivages existent, entre ceux et celles qui prônent la ressemblance et l'indifférenciation entre hommes et femmes et ceux et celles qui défendent au contraire l'affichage de différences à respecter voire à promouvoir via l'éducation.This text synthetically presents the debates that took place in the USA and France about two major aspects of girls ' education: formal education as organized in coed and non-coed classes, and the more informal education that media, fashion and games provide. As for coeducation, the American perspective is based on biologizing and empirical considerations, whereas in France, considerations on the grounds of principle prevail. As for the tendency to genderize little girls earlier and earlier, it s broadly demonstrated and debated in the USA, France standing back until now. Behind these debates, true differences exist between those in favor of resemblance and indifferentiation of men and women and those, on the contrary, who defend a wide display of differences that are to be respected, or even promoted via education.
- "Gender studies" et études de genre : le "gap" - Laura Lee Downs, Rebecca Rogers, Françoise Thébaud p. 151-168 Travail, genre et sociétés a demandé à trois historiennes – dont deux franco-américaines – de réfléchir ensemble à la question « pourquoi et comment les études de genre, les études sur la sexualité, sur les femmes, se sont développées de manière si différente de part et d'autre de l'Atlantique ? » Plusieurs dimensions de la question sont abordées dans l'entretien à trois voix qui résulte de cette demande : l'idée d'un retard français dans ce domaine par rapport à l'avancée américaine ; blocages et résistances institutionnelles ; rôle des revues et des réseaux d'ami-e-s ou de militant –e-s dans la circulation transatlantique des idées ; pluralité d'approches qui caractérise ces études de part et d'autre de l'Atlantique. Au travers de cette discussion riche et variée, on voit clairement le rôle pionnier qu'ont joué les études de genre dans l ‘évolution épistémologique des sciences humaines depuis les années 1970.Travail, Genre et Sociétés asked three historians, among which two Franco-Americans, to reflect on why and how gender studies, studies on sexuality and women 's studies developed so differently on either side of the Atlantic. Several dimensions are tapped in the three-voice interview that resulted from this request: the idea of a French backwardness in comparison to the American advance; institutional blocking and resistance; role of magazines, friendship and militant networks in the transatlantic circulation of ideas; plurality of approaches that is characteristic of those studies in either country. Through this rich and diverse discussion, the pioneer role played by gender studies in the epistemological evolution of human sciences since the 1970s appears clearly.
Controverse : Troubles dans la maternité
- Troubles dans la maternité - Laura Lee Downs, Jacqueline Laufer p. 169-172
- La gestation pour autrui commerciale : droit et éthique - Herjeet Marway p. 173-181
- Une gestation pour autrui « éthique » est possible - Jennifer Merchant p. 183-189
- La gestation pour autrui, un débat féministe ? - Diane Roman p. 191-197
- La globalisation internationale de la gestation pour autrui - Laurence Brunet p. 199-205
Critiques
- Michelle Perrot, "Histoire de chambres", Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », Paris, 2009, 447 pages - Beate Krais p. 207-211
- Geneviève Fraisse, "Le Privilège de Simone de Beauvoir" suivi de "Une Mort douce", Actes Sud, Arles, 2008, 123 pages - Michel Kail p. 212-214
- Nancy Folbre, "Greed, Lust and Gender, A History of Economic Ideas", Oxford University Press, Oxford, 2010, 304 pages - Hélène Périvier p. 215-217
- Christine Delphy, "Un universalisme si particulier", Éditions Syllepse, Paris, 2010, 348 pages - Joan W. Scott p. 218-220
- Laura Lee Downs, "Writing Gender History", Bloomsbury, New York, 2010, 218 p. - Pascale Barthélémy p. 221-223
- Gayatri Chakravorty Spivak, "En d'autres mondes, en d'autres mots : Essais de politique culturelle Nationalisme et imagination" - Virginie Dutoya p. 224-228
- Irène Théry, "Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don", Éditions de l'EHESS, Paris, 2010, 309 pages, par Margaux Loire - Margaux Loire p. 229-231
- Irène Théry, "Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don", Éditions de l'EHESS, Paris, 2010, 309 pages, par Alexandre Jaunait - Alexandre Jaunait p. 232-240