Contenu du sommaire : Propriété intellectuelle : notions cadres et mécanismes essentiels
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Légipresse. Hors-séries Titre à cette date : Légicom : revue du droit de la communication des entreprises et de la communication publique |
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Numéro | no 53, 2014/2 |
Titre du numéro | Propriété intellectuelle : notions cadres et mécanismes essentiels |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
I - La validité des droits de propriété intellectuelle
- Originalité ? Vous avez dit originalités ? - Valérie-Laure Benabou p. 5-15 La notion d'originalité est un élément de protection et de singularisation de la propriété littéraire et artistique. Pour autant, l'originalité se dérobe aussi vite qu'elle se révèle, et sa définition a connu ces dernières années des évolutions de nature à remettre en cause son apparente stabilité. Les bouleversements majeurs en ce début de XXIe siècle sur fond d'européanisation de la législation sont autant de facteurs qui perturbent la création. Or, l'œuvre doit être originale pour prétendre jouir d'une protection par le droit quand le droit lui-même répugne à dire ce qui est original. La doctrine a dénoncé à maintes reprises la mollesse du concept et la dureté des sanctions qui accompagnent sa mise en œuvre, mais les positions divergent quant à sa définition, et l'analyse de la jurisprudence n'est en rien départitrice. Depuis l'arrêt Infopac, la Cour de justice a dégagé à la faveur de l'originalité une notion de droit autonome de droit de l'Union dont elle a, peu à peu, affiné les contours, précisant s'il fallait admettre plusieurs degrés d'originalité. À la lecture des décisions successives, il semblerait que les juges européens laissent la possibilité aux États membres de piocher dans les différents critères dégagés conférant une utilité à l'originalité. Ainsi, il n'y aurait plus une originalité, mais des originalités. ?
- L'application de la règle de l'unité de l'art - Jean-Pierre Gasnier p. 17-26 Sous l'empire de la législation française, la règle de l'unité de l'art a longtemps été interprétée comme autorisant le cumul total de protection du créateur au titre du droit d'auteur et du droit des dessins et modèles. La directive du 13 octobre 1998 relative à la protection juridique des dessins ou modèles est venue troubler cet édifice en instaurant un cumul partiel, chaque droit en concours sur un même objet devant répondre à ses critères propres : originalité pour le droit d'auteur, nouveauté et caractère individuel pour le droit spécifique, sans confusion. Cette règle ne concerne plus réellement les produits de l'art « appliqué », mais des produits très industrialisés qui combinent esthétique, ergonomie et technique. La confrontation des droits nationaux au droit communautaire, et particulièrement le droit d'auteur, soulève des questions pratiques car la disparité des critères de validité de chacun des droits au sein des États de l'Union n'est pas sans effets. Par-delà, l'accès à la protection s'en trouve modifié ainsi que l'exercice des droits, ce qui invite à la réflexion sur le devenir de cette règle. ?
- La distinctivité de la marque, un standard en devenir - Adrien Bouvel p. 27-36 En matière de marque, le contentieux portant sur la distinctivité est abondant. Il s'agit certes d'une notion clé du droit des marques qui a peu ou prou été définie par le législateur et le juge qu'ils soient national ou communautaire. En effet, une marque ne peut être valable qu'à condition d'être intrinsèquement et extrinsèquement distinctive. L'appréciation de la distinctivité intrinsèque est stabilisée à la lecture des décisions des juges communautaires et de l'OHMI, en la forme d'un indicateur d'origine, en l'absence de précision sur son contenu dans la Directive de 2008 et le RMC. En revanche, la distinctivité extrinsèque est désignée assez précisément dans les textes sous le nom d'exigence de caractère arbitraire. Or, c'est cette exigence qui fait l'objet d'interprétations et d'applications pratiques hasardeuses. En réalité, cette notion reste insondable pour les spécialistes du droit des marques, signe de son dysfonctionnement et d'un rejet ancien et persistant de cette condition de validité par les titulaires de marques qui, mettant en cause sa légitimité, ont contraint le juge national et communautaire à en adopter une lecture déformante voire contra legem en l'absence de régulation. Le projet de réforme communautaire ne vient pas améliorer l'état du droit en la matière. ?
- L'évolution du concept juridique d'invention dans la jurisprudence européenne - Matthieu Dhenne p. 37-44 En droit des brevets, le standard d'invention a été utilisé pour introduire de nouvelles exigences de brevetabilité. Les origines de la condition d'invention dévoilent de la sorte les liens étroits l'unissant à la notion de caractère technique. A contrario, il en a été déduit l'exclusion de la brevetabilité des choses naturelles et des choses abstraites. Ce raisonnement résulte pourtant de la confusion faite entre l'invention et une chose inventée provenant de sa mise en œuvre. L'évolution de la jurisprudence européenne oblige à constater que l'invention constituerait plutôt, en réalité, l'objet du droit et non une condition de brevetabilité. Il conviendrait, dès lors, de distinguer l'invention, objet du droit, et une chose inventée en résultant. La jurisprudence européenne tend ainsi, désormais, à étendre le domaine de l'appropriable en y intégrant les choses naturelles et les choses abstraites. Parallèlement, l'exigence de caractère technique semble vouée à devenir une condition de brevetabilité en tant que telle. ?
- L'ordre public, la dignité humaine et les bonnes mœurs dans le droit de la propriété intellectuelle - Frédéric Pollaud-Dulian p. 45-55 La référence à l'ordre public et aux bonnes mœurs, désuète en apparence, est pourtant toujours présente dans le CPI et s'évertue paradoxalement à régir les domaines les plus techniques. En effet, cette référence est présente en droit des brevets, des marques et des dessins et modèles même si elle y est formulée différemment. C'est dans ce cadre qu'il convient d'étudier la signification et l'utilité qui sont réservées à cette exigence enrichie d'un troisième pilier, le respect de la dignité de la personne humaine. En revanche, le droit d'auteur ne fait aucune référence à une exigence quelconque de conformité à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, que ce soit comme condition d'accès à la protection ou pour en mesurer l'étendue. Déterminer la raison de cette exclusion permet de présenter la méthode d'appréciation de la contrariété à ces principes, ce qui suppose de concilier les intérêts en présence. La contrariété à ces principes s'évalue nécessairement par rapport à un objet particulier et par rapport au public visé. Dès lors, cette contrariété est indifférente au droit d'auteur puisqu'il s'agit de préserver la liberté d'expression. En revanche, elle se comprend pour les autres droits de propriété intellectuelle car il s'agit de préserver un équilibre de manière à écarter l'inacceptable. ?
- Originalité ? Vous avez dit originalités ? - Valérie-Laure Benabou p. 5-15
II - L'exploitation des droits de propriété intellectuelle
- Cession et licence en droit d'auteur - Alexis Boisson p. 59-68 Les débats relatifs à la nature des contrats de la propriété intellectuelle ne sont pas clos. Autant la distinction entre cession et licence semble globalement établie en matière de propriété industrielle, autant la question reste discutée en droit d'auteur en raison de la prééminence du contrat de cession nommé à plusieurs reprises par le CPI. Le droit d'auteur laisse apparaître des formules contractuelles des plus variées qu'une grande partie de la doctrine, respectant la lettre de la loi, ramène à la cession en raison du monopole de l'auteur. Sans plus de distinctions, les juges recourent au terme de cession, celui de licence étant repris lors de l'application du droit européen de la concurrence. Dès lors, la cession qui n'est plus tout à fait une vente recouvrerait ce qui est cessible si l'on s'en tient à la seule intention du législateur. Néanmoins, la lecture combinée du CPI et du Code civil donne un sens à ces notions qui expriment la vente ou la location. Il est alors possible, en respectant la logique du droit d'auteur, de distinguer au regard de quelques éléments la cession de la licence. La présence ou l'absence d'un « effet de retour » est le principal élément de distinction, quand d'autres éléments n'ont une influence que sur la seule qualification de la cession. ?
- L'évaluation de l'indemnisation de la victime d'une contrefaçon, entre incohérences et approximations - Charles de Haas p. 69-82 La question de l'évaluation de la sanction pécuniaire du responsable d'une contrefaçon au plan civil répond à trois logiques cumulatives : une logique de réparation qui domine, une logique de restitution des profits illicites qui arrive (enfin !) et une logique punitive, par principe exclue et pourtant bien souvent présente. Mais la question se complique lorsqu'il s'agit d'évaluer les pertes subies et les gains manqués directement causés par la contrefaçon, car « il y a contrefaçon et contrefaçon »... Au vu des règles posées, résultant notamment de la loi du 11 mars 2014 et des méthodes d'évaluation, le juge est mal à l'aise, conscient des approximations résultant de l'exercice. En effet, le cadre posé sort enfin du carcan de la réparation intégrale pour appliquer un principe de restitution des profits illicites, malheureusement sans permettre en pratique de calculer le montant de cette restitution. En pratique, des indemnités punitives sont accordées grâce à un dommage moral exorbitant. De façon à y remédier, l'auteur de cet article propose de se replacer dans une logique de réparation en considérant l'atteinte au monopole. Il propose également une modulation des sanctions à l'aune de la gravité des faits et ce, pour alléger la sanction quand la faute est plus légère ou excusable. Enfin, des règles de calcul simples sont nécessaires en pratique. ?
- La recherche de l'intérêt du public à la lecture du Code de la propriété intellectuelle... - Karine Favro p. 83-99 En droit de la propriété intellectuelle, l'intérêt du public figure au rang des intérêts à préserver. Mais pour le préserver, encore faut-il le définir. Or, l'intérêt du public échappe à toute définition. En la forme d'un standard, il se comprend et se ressent sans que les autorités qui l'érigent prennent la peine de le définir, et vient combler les insuffisances ou imperfections de la loi. Cet intérêt ferait peser des obligations sur le titulaire de droits exclusifs de nature à préserver le public. Il participerait également et plus activement à la reconnaissance d'un droit exercé par le public, pris dans sa dimension individuelle ou collective. Le standard de l'intérêt du public, si louable soit-il, admet la coexistence de plusieurs langages dont il convient de dégager la cohérence. Il n'en demeure pas moins évolutif et propre à intégrer la logique consumériste qui traverse le CPI. Mais sans se voir reconnaître de droits précis, le public exerce une fonction régulatrice. La référence faite à l'intérêt du public, ou à l'intérêt public est une forme « d'effet cliquet » qui pose des garanties au fond et procédurales, dans le double objectif de faire circuler les objets et créations protégés par le droit de propriété, et de ne pas abandonner les droits de propriété intellectuelle à la seule logique du marché. ?
- La notion d'usage « à titre de marque » - Thibault Lancrenon p. 101-107 L'usage ne constitue plus, depuis cinquante ans, la condition nécessaire à la naissance du droit de marque, mais conserve une influence directe dans l'hypothèse où le signe n'a pas, ab initio, de caractère distinctif. Dans ce cas, seul l'usage effectué « à titre de marque », a le pouvoir de façonner une distinctivité par sédimentation. Plus positivement, l'usage permet d'apprécier les conditions de maintien du droit de marque car l'absence d'usage est une cause suffisante pour détruire judiciairement ce droit. L'usage permet également d'apprécier la portée du droit de marque. L'obligation progressive de caractériser une atteinte à la fonction de garantie d'origine de la marque permet d'éliminer, au côté de la nécessité de caractériser l'existence d'un usage dans la vie des affaires, toute notion de contrefaçon dans des situations qui ne semblent pas entrer naturellement dans son emprise. Dans certains cas, le droit des marques est brusquement évacué et se trouve appréhendé sous l'angle des pratiques commerciales trompeuses pour caractériser l'avantage que la marque procure sur la concurrence. Enfin, depuis que les autres fonctions de la marque ont été révélées par la Cour de justice de l'Union européenne, on peut se demander si une atteinte à l'une de ces nouvelles fonctions de la marque ne présuppose pas nécessairement un usage contrefaisant « à titre de marque » ? ?
- Le risque de confusion en droit des marques : entre extension et évolution - Yann Basire p. 109-119 Contrairement aux autres droits de propriété intellectuelle, le droit des marques a fait l'objet d'une harmonisation particulièrement poussée qui permet de mettre en lumière le rôle majeur de la CJUE dans la consistance des notions clés du droit des marques. Il en va tout particulièrement du risque de confusion. Définir le risque de confusion ne soulève pas de difficultés particulières. Plus délicates sont les questions de son domaine et son appréciation. Le texte de la directive semble restreindre la démonstration d'un risque de confusion aux hypothèses où une similitude existe entre les signes en conflit et/ou les produits et services désignés. Cependant, la Cour de justice a « brouillé les pistes » avec sa jurisprudence relative aux fonctions de la marque. S'agissant de l'appréciation du risque de confusion, la tâche de la Cour de justice était plus ardue, les dispositions communautaires étant plus laconiques. Il appartenait donc à la Cour de dégager une méthode d'appréciation du risque de confusion, garantissant un juste équilibre entre les intérêts des titulaires, des concurrents et des consommateurs, susceptible de s'imposer sans disparité d'application à tous les États membres. Malheureusement, une démarche pragmatique n'est pas toujours synonyme de cohérence. ?
- L'observateur averti en droit des dessins et modèles - Pierre Greffe p. 121-129 L'« observateur averti » en droit des dessins et modèles est une personne dotée d'une vigilance particulière, à mi-chemin entre le consommateur moyen et l'homme de l'art. Il appartient au demandeur à l'action en contrefaçon de déterminer, au regard du dossier, cette personne de référence qui dispose d'un certain degré de connaissance quant aux éléments composant ces dessins et modèles. C'est son impression d'ensemble, même synthétique, qui emportera la conviction du juge lors de l'appréciation de la condition de caractère propre. À l'analyse de la jurisprudence, la législation assure une protection efficace des dessins et modèles par le recours à ce critère, en l'excluant seulement pour les dessins et modèles très proches. L'absence de toute création n'est pas un motif d'exclusion de la protection alors qu'il est fait à plusieurs reprises référence au créateur dans le CPI. En grande majorité, ce qui est protégé par le droit d'auteur l'est presque toujours par la loi sur les dessins et modèles et réciproquement. Il semblerait donc que la jurisprudence s'achemine vers un cumul partiel des protections par le droit d'auteur et le droit des dessins et modèles, l'observateur averti n'appréciant pas l'existence de la création. ?
- Cession et licence en droit d'auteur - Alexis Boisson p. 59-68