Contenu du sommaire : Démobiliser les classes populaires

Revue Espaces et Sociétés Mir@bel
Numéro no 183, 2021/2
Titre du numéro Démobiliser les classes populaires
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • I - Démobiliser les classes populaires

    • Éditorial. Démobiliser les classes populaires - Virginie Baby-Collin, Anne Clerval, Julien Talpin p. 9-15 accès libre
    • La précarité résidentielle comme entrave aux mobilisations collectives - Gaspard Lion p. 17-33 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de l'ethnographie du délogement d'habitant-e-s d'un camping municipal de la région parisienne, cet article souligne le rôle central de la précarité résidentielle et statutaire – et plus largement des déterminants sociospatiaux – dans les difficultés que peuvent avoir les mobilisations de précaires à aboutir. Dans un premier temps, il montre comment l'imprévisibilité, associée au statut juridique de cet habitat, devient une arme politique au profit du maire qui parvient à diviser la contestation naissante face aux rumeurs de fermeture du camping ; dans un second temps, il révèle les instruments de la violence symbolique qui achèvent de mettre à mal les tentatives de résistance, assurant ainsi la réussite du projet de délogement du camping.
      Drawing on an ethnographic study of the eviction of inhabitants of a municipal campsite in the Paris region, this article underlines the central role of residential and status insecurity – and more broadly of sociospatial determinants – in hidering successful collective action by vulnerable people. First, it shows how the unpredictability associated with the legal status of this accommodation becomes a political weapon for the mayor, who manages to divide nascent opposition to rumours of the closure of the campsite; second, it reveals the instruments of symbolic violence that ultimately undermine attempts at resistance, thus ensuring the success of the plan to evict the campsite.
    • Isoler les classes populaires. Sur la variabilité sociospatiale des formes de démobilisation et ses limites - Lorenzo Barrault-Stella p. 35-49 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La mise en relation de deux enquêtes ethnographiques, menées dans un quartier d'habitat social ségrégué et dans un village rural isolé, permet d'aborder la variabilité sociospatiale des stratégies de démobilisation populaire dans la France contemporaine. La comparaison des conditions et du devenir de deux mobilisations donne à voir deux formes très polarisées d'encadrement des classes populaires, en lien avec l'inégale distance des institutions publiques : d'une part, une domination institutionnelle rapprochée, induisant des divisions du travail de démobilisation entre les différents agents publics ; d'autre part, un encadrement politique délégué à des intermédiaires, relativement autonomes, situés dans la petite bourgeoisie locale. La conclusion suggère qu'au-delà de la variabilité, la connaissance des rapports sociaux localisés constitue un savoir de gouvernement accentuant les chances de succès de la démobilisation, en favorisant l'isolement des classes populaires.
      Two ethnographic surveys, one in a highly segregated social housing district, the other in an isolated rural village, are linked in order to explore the sociospatial variability of working class demobilisation strategies in contemporary France. A comparison of the conditions and outcome of two movements reveals two highly polarised ways of controlling working-class populations, linked with different degrees of remoteness from public institutions: on the one hand, close institutional domination, where the demobilisation work is divided between various public agents; on the other hand, political support given to relatively autonomous intermediaries located in the local bourgeoisie. The conclusion suggests that, beyond variability, the knowledge of government arising from familiarity with localised social relations increases the chances of successfully neutralising activism, by isolating the working classes.
    • Démobiliser les soignant-e-s ? Logiques spatiales, organisationnelles et institutionnelles à l'hôpital - Déborah Ridel, Ivan Sainsaulieu p. 51-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À l'hôpital, la mobilisation soignante fait partie intégrante d'un travail salarié et subalterne. Dans cet espace pluridimensionnel, le travail coopératif est un ressort de l'activité au quotidien, en lien avec des configurations spatiales locales dans lesquelles s'inscrit également une mobilisation soignante au sens contestataire du terme. En nous focalisant sur le travail collectif et sur la grève aux urgences, nous montrons que la démobilisation des soignant-e-s au travail et en grève résulte d'une double contradiction entre travail abstrait et travail concret : d'une part, un travail administratif hors les murs et hors d'atteinte (à l'Agence régionale de santé) et, d'autre part, un travail syndical de représentation déconnecté du terrain découragent à la fois l'action collective des soignant-e-s au quotidien et la possibilité d'une contestation au niveau national.
      In hospitals, the mobilisation of care is an integral part of white and blue collar work in a typically multi-dimensional space. Cooperative work is a springboard for day-to-day activity, linked to local spatial configurations, but the mobilisation of careworkers also includes a protest component. Focusing on collective work and on the strike in A&E, we show that careworker activism is neutralised as a result of a twofold contradiction between abstract and practical work: administrative work performed outside the walls and out of reach (at the Regional Health Agency) and union representation work disconnected from the field, together discourage day-to-day collective action by careworkers or the rise of national protest.
    • Penser les (non-)mobilisations syndicales à l'aune de l'ancrage local : des femmes de ménage à Marseille et à Lyon - Saphia Doumenc p. 67-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis 2015, des grèves de durées variables s'organisent de manière régulière à Marseille dans le secteur du nettoyage hôtelier. Occuper les parvis des hôtels plus ou moins luxueux du centre-ville est devenu, pour certaines de ces salariées ainsi que pour le syndicat qui les accompagne (la cnt - Solidarité ouvrière), une pratique récurrente. En s'appropriant ainsi l'espace public – au moins le temps de la grève –, ces femmes de l'ombre se manifestent au grand jour. À Lyon, les femmes de ménage représentées par ce même syndicat peinent à se mobiliser. Pour éclairer ces variations d'intensité des mobilisations, cet article s'appuie sur plusieurs terrains. L'espace, ou plus précisément l'ancrage local, se révèle être un précieux analyseur. Notre hypothèse est que le partage de lieux de sociabilité et de vie, le maintien d'un entre-soi populaire et la construction d'une mémoire des luttes à Marseille semblent constituer autant d'éléments favorisant l'engagement syndical.
      Since 2015, regular and recurring strikes of varying duration have been organised in Marseille in the hotel cleaning sector. Occupying the forecourts of the fairly upmarket hotels in Marseille city centre has become a common practice for some of these employees as well as for the trade union that supports them (cnt - Solidarité ouvrière). By appropriating public space in this way – at least during the strike – these almost unseen women become visible. In contrast, in Lyon, cleaning women represented by the same union are struggling to mobilise. To shed light on these variations in the intensity of activism, this article draws on several field-works. Space, or more precisely local embeddedness, proves to be a significant explanatory factor. Our argument is that the sharing of social and living spaces, the maintenance of working-class togetherness, and the construction of a memory of the struggles in Marseille, foster trade union involvement.
    • Les limites de la participation ou la mise à l'écart des groupes ethniques minorisés. Une enquête à Marseille - Marion Lang p. 83-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse les pratiques de démobilisation de certains publics de la participation et leurs effets quant au rapport à l'espace dans les quartiers populaires. Il montre qu'au-delà des ressources détenues par les groupes résidant dans ces espaces, des acteurs et actrices intermédiaires jouent un rôle central dans la mobilisation ou non de certains publics. Ici, les hommes des groupes ethniques minorisés sont exclus des dispositifs participatifs, car les causes qu'ils portent ne sont pas mises à l'agenda par les animatrices de la participation. En conséquence, on assiste à leur repli communautaire sur l'espace de la mosquée et à la construction d'un rapport contraint au quartier. Leur mise à l'écart est renforcée par leur « remise de soi » à un représentant associatif qui ne défend pas réellement leurs intérêts. Leur rapport à l'espace public apparaît durablement contraint, car il est légitimé par les institutions locales.
      This article analyses how certain groups are excluded from participation and the effects of this on the relationship to space in working-class neighbourhoods. It shows that beyond the resources held by the groups living in these areas, intermediate actors play a central role in the participation or otherwise of certain groups. In this case, men from minority ethnic groups are excluded from participatory mechanisms because the issues they bring to the table are not placed on the agenda by the facilitators. This results in community withdrawal into the neighbourhood space of the mosque and in the construction of a restricted relationship with the neighbourhood. The marginalisation of these populations is reinforced by their “surrender” to a voluntary sector representative who does not really defend their interests. Their relationship to the public sphere appears to be permanently restricted because restriction is legitimised by local institutions.
    • Inscription conflictuelle dans l'espace public : Toulouse, les Gilets jaunes et la bataille du centre - Américo Mariani p. 99-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers des observations, des entretiens et un travail d'archives, cet article questionne les ressources spatiales des mobilisations en s'appuyant sur le cas des manifestations des Gilets jaunes à Toulouse. Ces ressources sont à entendre à la fois sur le plan des pratiques spatiales protestataires et sur le plan symbolique. L'hypothèse travaillée est que les mobilisations dans le centre toulousain mettent en lumière une contradiction spatiale, entre le manque de lieux concrets et symboliques permettant la rencontre, le dialogue et l'élaboration politique des secteurs populaires et l'hégémonie des commerçants sur cet espace central. Cela démontre la mise en place d'un continuum de pratiques policières qui accentue la dispersion des classes populaires et les empêche de s'inscrire, politiquement, dans la cité comme sujets pensants et agissants.
      Drawing on observations, interviews and archival research, this article explores the spatial resources of protest movements based on the case of the Yellow Vests (Gilets jaunes) demonstrations in Toulouse. These resources are understood both in terms of the spatial practices of protest but also in symbolic terms. The argument advanced is that the protests in the centre of Toulouse reflect a spatial contradiction between the lack of physical and symbolic places where working-class meetings, dialogue and political development can take place, and commercial hegemony over this central area. This demonstrates the establishment of a continuum of police practice which increases working-class dispersal and prevents working-class people engaging politically with the city as thinking and acting subjects.
    • Le rond-point comme espace des luttes : prendre place et faire face à la répression - Loïc Bonin, Pauline Liochon p. 115-130 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans la ville de Camon, le mouvement des Gilets jaunes permet l'entrée en militantisme de fractions spécifiques des classes populaires. Alors que ces populations issues du périurbain sont faiblement dotées en capitaux économique, culturel et militant, leur engagement est notamment rendu possible par les ressources que fournit le contrôle d'un espace propre, le rond-point. Ce lieu se trouve alors au centre des conflits et fait l'objet de luttes entre les manifestants et les forces de l'ordre pour délimiter l'espace occupé. Si les premiers temps de l'occupation sont marqués par des formes de cooptation, la répression s'intensifie au cours du mouvement. Contraventions, contrôles d'identité, destructions de la cabane installée sur l'îlot central du rond-point, tout est mis en œuvre pour priver les Gilets jaunes de ce nouveau lieu de vie et de militantisme.
      In the town of Camon (France), the Yellow Vests (Gilets jaunes) movement made it possible for specific working-class elements to become engaged in political activism. While these suburban populations are poorly endowed in economic, cultural and activist capital, their participation was notably made possible by the resources acquired through control of a specific place, the roundabout. This place became the focus of conflict and its occupation the object of struggles between the demonstrators and police. While there was co-optation in the initial stages of the occupation, repression intensified during the movement. Fines, identity checks, destruction of the shelter in the centre of the roundabout, everything was done to deprive the Yellow Vests of their new living space.
  • II - Varia

    • Naples, ville ordinaire ? Espaces urbains et parcours d'émancipation dans `ibL'Amie prodigieuse`/ib - Thomas Pfirsch p. 133-149 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse l'image de Naples dans la série littéraire L'Amie prodigieuse et le rôle joué par l'espace urbain dans les parcours de mobilité sociale de ses personnages. La tétralogie d'Elena Ferrante tranche avec les stéréotypes dualistes sur la ville. Naples y est décrite comme une ville pauvre mais « ordinaire », traversée par les grandes mutations des métropoles européennes contemporaines. Des années 1950 à nos jours, le livre décrit des espaces que l'on retrouve dans d'autres grandes villes méditerranéennes et qui ont joué un grand rôle dans la mobilité sociale de la génération de l'Italie d'après-guerre : les quartiers d'habitat social, les stations balnéaires, les bastions ouvriers de banlieue, les beaux quartiers postunitaires… Dans le livre, l'espace urbain n'est pas un simple cadre de l'action, mais une véritable « dimension » des rapports sociaux. Les actions des personnages sont systématiquement situées dans la ville. L'article repose ainsi la question du rapport entre espace urbain et émancipation.
      This paper studies the image of Naples in Elena Ferrante's book My Brilliant Friend, and focuses on the key role played by urban space in shaping the social mobility of its main characters. Ferrante's Naples is significantly different from the traditional dualistic and culturalist stereotypes associated with the city. It is described as a poor but “ordinary” city, facing the same urban reorganisations as other major European metropolises. From the 1950s to the present, My Brilliant Friend describes changes to Neapolitan spaces that can be found in other Mediterranean cities and played a key role in the social mobility of Italy's post-war generations: social housing estates, working class communities, seaside resorts, upmarket post-Risorgimento neighbourhoods… In Ferrante's book, urban space is not a mere context or setting, it is a “dimension” of social relations, which are constantly situated and produced in the city. The paper thus explores the relationship between urban space and emancipation.
  • III - Rétrospective

  • IV - Traduction

  • Notes de lectures