Contenu du sommaire : Tous les musées du monde
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 34, 2022 |
Titre du numéro | Tous les musées du monde |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Jean Jamin, anthropologue, libre penseur, cofondateur avec Michel Leiris de Gradhiva, nous a quittés le 21 janvier dernier à l'âge de 76 ans - p. 3
Introduction
- Utopies, continuités et discontinuités muséales à l'ère des décolonisations - Julien Bondaz, Sarah Frioux-Salgas p. 12-39
Dossier
- L'ex-République démocratique allemande et les musées en Afrique : entre expansion idéologique et décolonisation culturelle ? - Romuald Tchibozo p. 40-55 Le règlement de la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences, dont la bipolarisation idéologique du monde, se confondent avec les aspirations des peuples africains, autrefois colonisés, à prendre en main leur destin, notamment culturel. Ceci a ouvert la voie à plusieurs expériences, dont celles développées par l'ex-RDA dans certains de ces pays indépendants ou en voie de l'être, suite aux relations qu'elle a réussi à y établir. Le paradigme d'organisation et de gestion des cultures matérielles va changer, car l'art et la culture sont devenus des armes de lutte contre l'impérialisme ou de libération nationale. Des missions de muséographes vont se succéder dans certains de ces territoires pour contribuer à réorganiser l'ensemble et à former différents acteurs aux nouvelles méthodologies. Cet article ambitionne d'interroger, d'une part, le processus de légitimation des cultures nationales concernées et, d'autre part, les limites de ce nouveau paradigme.The rules of the Second World War and its consequences, one of which is the ideological bipolarization of the world, are intertwined with the aspirations of African peoples, once colonized, to take charge of their destiny, especially from a cultural viewpoint. This paved the way to several experiences, some of which developed in certain independent or soon to be independent countries from the former GDR, following the relations that they managed to establish. The paradigm of organization and management of material cultures will change, because art and culture have become weapons against imperialism and of national liberation. Missions from museographers will follow in certain territories to contribute to their reorganization and to train different actors to new methodologies. This article questions, on the one hand, the process of legitimization of the national cultures involved and, on the other hand, the limits of this new paradigm.
- Jean Gabus, Kaboul et la « croisade des musées » - Bernard Knodel, Serge Reubi p. 56-73 Cet article explore l'une des premières missions d'expertise muséale mise en œuvre par l'Unesco dans l'après-guerre, dans le cadre de sa « croisade des musées ». Se donnant pour objectif la réorganisation du musée national de Kaboul, cette mission est confiée entre 1957 et 1960 à Jean Gabus (1908-1992), conservateur du musée d'Ethnographie de Neuchâtel de 1945 à 1978. à partir de ce cas d'étude, ce texte montre comment des experts sont mobilisés pour former les personnels locaux, dessiner et aménager des bâtiments, restructurer des institutions et gérer leurs collections. à ce titre, Jean Gabus participe activement à l'établissement de régimes de pensée et d'action qui assurent l'introduction et la perpétuation de conceptions occidentales du patrimoine, de la culture, de la science et de l'état présentées comme universelles.This article explores one of the first missions of museum expertise carried out by UNESCO in the postwar period in the context of its “museum crusade.” With the purpose of reorganizing the National Museum of Kabul, this mission was entrusted from 1957 to 1960 to Jean Gabus (1908-1992), curator of the Ethnographic Museum of Neuchâtel from 1945 to 1978. Starting with this example, this text shows how experts came together to train the local staff, draw and arrange the buildings, restructure the institutes, and manage their collections. To this end, Jean Gabus actively took part in establishing systems of thought and action that guarantee the introduction and perpetuation of Western ideas of heritage, culture, science and State, presented as universal.
- De l'ethnologie coloniale à la diplomatie muséale. La nationalisation du musée d'Abidjan (Côte d'Ivoire, 1942-1978) - Julien Bondaz, Francis Gnoleba Tagro p. 74-93 Le musée des Civilisations de Côte d'Ivoire, d'origine coloniale, est historiquement lié au programme muséal développé par l'Institut français d'Afrique noire (Ifan) à partir des années 1940. La figure de Bohumil Holas, ethnologue tchèque naturalisé français, qui dirige le musée d'Abidjan de 1948 à 1978, se révèle centrale. Mêlant stratégies personnelles et programme scientifique ou muséographique, il parvient en effet à composer avec les valeurs scientifiques, esthétiques et politiques des collections pour servir les enjeux de politique intérieure et extérieure : mettre en scène l'inventaire des ethnies qui composent la nouvelle nation indépendante et développer une forme de diplomatie muséale utile pour le pouvoir ivoirien. Sans oublier les réseaux dans lesquels l'ethnologue s'inscrit, qui dessinent une autre géopolitique des musées africains à l'ère des décolonisations.The Ivory Coast Musée des Civilisations, of colonial origin, is historically linked to the program developed by the French Institute of Black Africa (IFAN) starting from the 1940s. The main figure was Bohumil Holas, a French ethnologist of Czech origin, who managed the Museum of Abidjan from 1948 to 1978. Mixing personal strategies and scientific or museumlike programs, he managed to arrange collections with scientific, esthetic, and political values to be used for internal and external political issues: organizing the inventory of ethnicities that form the new independent nation and developing a useful system of museum diplomacy for the Ivorian power. And we should not forget the networks the ethnologist belonged to, which outline other geopolitics of African museums in the age of decolonization.
- Ethnonationalisme et musées ethnographiques en contexte postcolonial : représenter la culture du Sindh au Pakistan - Julien Levesque p. 94-111 Cet article entend questionner la pertinence du musée ethnographique en tant que forme muséale, non pas dans son contexte européen, mais en contexte postcolonial – une dimension étrangement absente des réflexions sur la décolonisation des musées ethnographiques – à partir du cas de la province du Sindh au Pakistan. Il s'agit ici de comprendre comment les musées ethnographiques participent d'un processus de folklorisation de la culture du Sindh, via notamment les recherches folkloristes menées au sein des institutions culturelles provinciales et dans le cadre d'une politique visant à établir une nouvelle discipline, la « sindhologie », ou l'étude du Sindh. Dans les musées ethnographiques, les représentations folklorisées à travers les dioramas reproduisent la vision essentialiste de l'ethnographie coloniale sans se départir des hiérarchies de valeurs entre culture nationale et « sous-cultures », que celles-ci soient régionales ou propres à certains groupes sociaux. Ainsi, si le musée ethnographique postcolonial permet dans le cas du Sindh de résister à la domination de l'État du Pakistan, il reproduit aussi les rapports de pouvoir existants.This article questions the relevance of the ethnographic museums as museum form, not in their European context, but in a postcolonial context—a dimension that is surprisingly absent from reflections on the decolonization of ethnographic museums— starting with the case of the province of Sindh in Pakistan. It is about understanding how ethnographic museums take part in a process of folklorization of the culture of Sindh, particularly through folkloric research carried out in provincial cultural institutions and within a policy aiming to establish a new field, the “sindhology”—the study of Sindh. In ethnographic museums, representations folklorized through dioramas recreate the essentialist view of colonial ethnography without straying from the hierarchy of values between national culture and “subculture”, whether they are regional or specific to certain social groups. Thus, in the case of Sindh, if the postcolonial ethnographic museum allows to stand against the domination of the State of Pakistan, it also recreates the existing power relations.
- Émanciper les récits, ériger un musée d'art moderne en postcolonie ? Ancrages du musée d'art moderne d'Alger - Émilie Goudal p. 112-129 Le projet de musée d'art moderne d'Alger (Mama), né au lendemain de l'indépendance, dans le sillage du premier Festival culturel panafricain d'Alger et du don solidaire de plusieurs artistes internationaux d'une collection d'œuvres d'art moderne, n'a abouti à sa construction qu'en 2007. Premier musée algérien comme maghrébin dédié à l'art moderne et fondé hors gouvernance coloniale, le Mama semble, par la référence explicite au MoMA de New York, vouloir inscrire la capitale algérienne dans une cartographie internationale plus inclusive des lieux d'exposition institutionnels de la création artistique contemporaine. Vitrine de la création locale, régionale, continentale tout autant qu'internationale, le Mama incarne-t-il un musée de rupture, ou bien de négociation, avec une certaine définition hégémonique de la modernité artistique ? Alors qu'il est aujourd'hui en activité depuis plus de dix ans et qu'il a enrichi ses collections à travers de nouveaux dons, l'analyse des expositions et publications produites par le Mama nous permet d'interroger, depuis la postcolonie, une possible émancipation des récits artistiques, voire la modernité négociée au musée.The project of the Museum of Modern Art of Algiers (Mama), born the day after the independence, in the wake of the first Pan-African Cultural Festival of Algiers and through the donation of a collection of modern art works from several international artists, was only established in 2007. The first Algerian and North-African museum that was dedicated to modern art and that was founded outside of colonial governance, Mama, through its explicit reference to MoMA in New York, seems to put the Algerian capital on an international map that is more inclusive of institutional exhibitions of contemporary artistic creation. As a display of local, regional, continental, as well as international designs, does Mama represent the breaking of ties or, on the contrary, the compromise with a certain hegemonic definition of artistic modernity? Active for more than ten years and having expanded its collections through new donations, the analysis of exhibitions and publications made by Mama allows us to question, since the post-colonial era, a possible emancipation of artistic accounts, even the idea of modernity at the museum.
- Les musées syriens au xxe siècle, perpétuels processus de colonisations et de décolonisations ? - Mathilde Ayoub p. 130-145 The history of Syrian museums is like an ouroborus, a snake that endlessly eats its own tail. These institutions, some of which are a hundred years old, have never ceased to oscillate between their liberation from an Ottoman occupying force, freedom, independence, the establishment of a new French occupying force, independence again, and, later, the arrival of a totalitarian regime still in power today despite the Syrian revolution and civil war. We will study Syrian museums in the history of the 20th century, world order, and the context of colonial practices represented by archaeology and museology. How can we analyze the mechanisms that were used through the history of Syrian museums a century ago?
- L'ex-République démocratique allemande et les musées en Afrique : entre expansion idéologique et décolonisation culturelle ? - Romuald Tchibozo p. 40-55
Entretien
- Entretien avec Miriama Bono. Le musée de Tahiti et des îles – Te Fare Manaha - Miriama Bono, Stéphanie Leclerc-Caffarel p. 147-161
Varia
- Poto-Poto, 1946-1960s. Frictions narratives, assignations esthétiques - Aline Pighin p. 164-182 L'histoire de l'« Atelier d'art africain » de Poto-Poto débute en 1946, mais son officialisation en 1951 en tant que « Centre d'art africain » semble avoir éclipsé ses premières années d'existence. Son nom depuis le début des années 1960, « École de peinture de Poto-Poto », tend à se substituer aux précédents sur l'ensemble de la période, et produit une continuité discursive et esthétique artificielle entre les deux premières générations d'artistes qui ont fréquenté ou gravité autour du centre d'art jusqu'à la fin de la décennie 1960 et les suivantes, dont la scène actuelle qui occupe toujours les lieux — continuité qui entretient un flou narratif aux airs de récit national positiviste. Cet article propose de réfléchir aux matériaux disponibles pour réordonner le flou. Il interroge en creux la possibilité de réécrire une histoire des arts parcellaire dont les acteurs — leurs œuvres, leurs voix — sont absents.The history of the African Art Studio of Poto-Poto started in 1946, but was only made official in 1951 when it was named African Art Center, which seems to have outshone its first years of existence. Its name since the start of the 1960s, école de peinture de Poto-Poto, tends to replace the previous ones through that period and provides a discursive continuity and artificial esthetics between the first two generations of artists who have frequented or have gravitated around the art center until the end of the 1960s, and the next decades, up to the current stage–a continuity that maintains a narrative blur that looks like a positive national account. This article reflects on the material available to reorganize that blur. It implicitly questions the possibility of rewriting a fragmented history of arts whose actors—their works, their voices—would be absent.
- « Nous avons de nouveau un énorme besoin du monde ». Vers un régime artistique de vérité : la quête d'un peintre, Édouard Pignon - Odile Vincent p. 184-200 Soient deux tableaux d'Edouard Pignon, l'un, Solidarité, peint en 1936, l'autre, L'Ouvrier mort, après guerre, en 1952. D'une image à l'autre, une rupture affirmée dans la manière de peindre, conjuguée à la permanence du thème, confère à cette œuvre en deux volets une fonction de manifeste aux yeux de l'artiste, à la recherche de « la vérité en peinture » souhaitée par Cézanne. Des premières esquisses à la construction du tableau, le processus créatif mis en œuvre et les explications apportées par le peintre lui-même témoignent d'un double engagement : une fidélité à son milieu d'origine (celui des mineurs du Nord) et à ses premières prises de position politiques d'une part, et d'autre part, la recherche d'un nouveau langage pictural, en rupture avec le réalisme socialiste et traduisant la réalité d'une société en mouvement. Le cas d'Édouard Pignon présente ainsi quelques éléments d'un régime artistique de vérité, en en faisant ressortir sa dimension performative.We have two paintings by édouard Pignon, the first one, called Solidarité, painted in 1936, and the second one, called L'Ouvrier mort, painted after the war, in 1952. From one image to another, a clear break in the way of painting, combined with the permanence of the theme, gives this work in two parts the function of a manifesto in the eyes of the artist, in search of what Cézanne called “the truth in painting.” From the first sketches to the construction of the painting, the creative process implemented and the explanations provided by the painter himself testify to a double commitment: on the one hand, fidelity to his native environment (that of the miners of the North) and to his first political positions and, on the other hand, the search for a new pictorial language, which breaks from socialist realism and translates the reality of a society in movement.By highlighting its performative dimension, édouard Pignon's case thus brings some elements of presentation to an artistic regime of truth.
- Poto-Poto, 1946-1960s. Frictions narratives, assignations esthétiques - Aline Pighin p. 164-182
Chroniques scientifiques
Comptes rendus
- Noémie Étienne, Les Autres et les ancêtres : les dioramas de Franz Boas et d'Arthur C. Parker à New York, 1900 - Julien Bondaz p. 202-203
- Gaëlle Beaujean, L'Art de cour d'Abomey : le sens des objets - Julien Bondaz p. 203-205
- Baptiste Brun, Jean Dubuffet et la besogne de l'art brut : critique du primitivisme - Giordana Charuty p. 205-206
- Efram Sera-Shriar, The Making of British Anthropology (1813-1871) - Nicolas Cambon p. 206-207
- Anne Augereau, « Où sont les femmes ? », Femmes néolithiques : le genre dans les premières sociétés agricoles - Laurent Olivier p. 208-209
- Nibras Chehayed et Guillaume de Vaulx d'Arcy, La Destructivité en œuvre : essai sur l'art syrien contemporain - Guillaume Morano p. 209-210
- Les Sciences de l'Homme au risque de la Préhistoire - Laurent Olivier p. 211-212
- Emmanuel Grimaud, Dieu point zéro : une anthropologie expérimentale, préf. de Patrice Maniglier - Cyril Crignon p. 212-213
- Mathilde Ayoub (dir.), Michel al-Maqdissi (préface), Salam Kawakibi (chroniques), Préfaces à un livre pour un musée syrien : publié à l'occasion de son centenaire (1919-2019), édition trilingue (trad. arabe par Nina Lugal, trad. anglaise par Juliet Powys) - Michel Cegarra p. 214-215