Contenu du sommaire : Les savoirs de la famille
Revue | Archives de philosophie |
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Numéro | tome 85, no 4, octobre-décembre 2022 |
Titre du numéro | Les savoirs de la famille |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 3-4
Dossier
- Les savoirs de la famille : Avant-propos - Gabrielle Radica p. 5-10
- La méthode de Viviana Zelizer : La famille réconciliée avec l'économie - Jeanne Lazarus p. 11-27 Cet article retrace l'œuvre de Viviana Zelizer, en montrant la façon dont elle a rendu compte de l'intrication entre la famille et l'économie, à travers une série d'objets : l'assurance vie, l'évaluation de la valeur des enfants, la signification sociale de l'argent et plus récemment celle de l'intimité. Les étapes des recherches de Viviana Zelizer sont exposées, en portant une attention particulière au travail relationnel que mènent les acteurs. La dernière partie de l'article décrit les prolongements du travail de Zelizer, qui trouve des échos dans le monde entier, à l'heure où les conditions économiques difficiles interrogent sur la possibilité même d'établir une famille et de créer les conditions de la reproduction.This article presents the work of Viviana Zelizer, outlining her understanding of the intertwining of family and economy through a series of objects: life insurance, the valuation of children, the social meaning of money, and more recently, intimacy. The various stages of Viviana Zelizer's research are set out, with particular attention to the relational work carried out by the actors. The last part of the paper explores the repercussions of Zelizer's work, which resonates around the world, in a time of difficult economic conditions that cast doubt on the possibility of establishing a family and creating the conditions for reproduction.
- Les arrangements de famille - Céline Bessière p. 29-49 Ancré en sociologie, ce texte vise à clarifier l'emploi du concept d'arrangements de famille dans les sciences sociales de langue française et anglaise et précise son intérêt par rapport au terme concurrent de négociation pour décrire la prise collective de décisions par des personnes apparentées. Cette conceptualisation permet de penser la production plus ou moins formalisée d'un consensus entre des personnes apparentées qui ont éventuellement des intérêts contradictoires et sont prises localement dans des rapports de pouvoir, et plus généralement dans des rapports de domination qui les dépassent. L'article insiste sur la dimension temporelle de ces arrangements qui sont tout à la fois un processus et un résultat.Rooted in sociology, this text aims to clarify the use of the concept of “family arrangements” in the French-speaking and English-speaking social sciences. It clarifies its relevance to the competing term “negotiation” to describe collective decision-making by family members. Family arrangements designate the oftentimes laborious and/or conflictual consensus-building process among relatives who may have contradictory interests, as well as the outcome of this process. The concept tackles situations with tensions that are not resolved by a unilateral imposition of one point of view (the law of the strongest) nor by a harmonious accord arising from family relations where everyone seems to agree (one common point of view). Arrangements require multiple people (they cannot be made by one person) and several points of view that need to be reconciled. From a temporal perspective, arrangements are never completely finished: making arrangements is a perpetual process that outlasts their legal and moral formalization, whose results are only temporary. This concept goes beyond the legal opposition between agreement and contention, by providing a more nuanced description of the social production of consensus, including when the latter is fragile and temporary.
- Les savoirs juridiques de la famille : Le point de vue de la philosophie sociale - Gabrielle Radica p. 51-71 La famille ne se réduit ni à un réseau d'affections ni à un contrat, c'est une institution sociale. À ce titre, elle intéresse le droit, et quiconque veut la comprendre doit solliciter les savoirs juridiques qui la concernent. La tâche n'a rien d'évident puisque ces savoirs juridiques de la famille sont multiples, et résistent à la théorisation comme à la systématisation. Elle reste cependant indispensable car le désintérêt pour ces savoirs produit toutes sortes d'abstractions et de méconnaissances. Quelle philosophie de la famille serait à même de les ressaisir et de s'y repérer néanmoins, quel point de vue respectueux de la complexité de l'objet le permettrait ? Seule peut le faire une démarche philosophique sociale, qui reconnaît dans la famille une institution, qui mobilise les savoirs juridiques, et qui les rapporte à des considérations sociales et politiques globales.The family is not merely an affective network or a contract: it is a social institution. As such, it is an object of law whose understanding requires recourse to legal thought. This is no easy task, since there are multiple legal bodies of knowledge about the family, and this knowledge resists both theorization and systematization. It remains nonetheless an indispensable task, as ignorance of this legal corpus leads to numerous abstractions and misconceptions. What sort of philosophy of the family would be able to account for these multiple forms of juridical knowledge, all the while respecting the complexity of its object? It would have to be a philosophy that was both social and institutionalist, one that draws on this legal corpus and relates it to wider social and political concerns.
- Le père dans le Code civil, un fils inavoué de la Révolution ? - Anne Verjus p. 73-88 La législation de l'an II (1793-1794) qui pendant quelques brèves années va permettre d'égaliser les droits des enfants naturels et des enfants légitimes, a des effets inattendus et durables sur notre droit. Loin de faire le lit de l'égalité entre tous les enfants, elle organise une extension des droits sans obligation nouvelle de leurs pères, au détriment des mères non mariées et de leurs enfants non désirés et non reconnus. La Révolution maintient la puissance du patriarcat jusque dans son droit le plus individualiste et prépare son institutionnalisation par le Code civil.The legislation of Year II (1793–1794) during the French Revolution, which for a very short time equalized the rights of natural and legitimate children, had unexpected and lasting effects on French law. Far from creating equality between all children, it increased the rights of their fathers without stipulating any new obligations, to the detriment of unmarried mothers and their unwanted and unrecognized children. The French Revolution maintained the power of patriarchy even in its most individualistic law and prepared the foundations for its institutionalization by the Civil Code.
- Généalogie du gouvernement de la famille : Foucault et l'histoire politique de l'autorité familiale - Mathurin Schweyer p. 89-107 À la fin de Surveiller et Punir, Foucault indique qu'il faudrait étudier les débats révolutionnaires sur le droit des parents à faire enfermer leurs enfants, pour prolonger son analyse de la discipline comme « forme de société ». Cet article se propose d'étudier ces débats, en retraçant la manière dont l'autorité familiale a été constituée comme forme de pouvoir et objet de savoir, entre la fin du xviiie siècle et le début du xixe siècle français. L'analyse des discours juridiques, pédagogiques et politiques sur l'autorité familiale permet de retracer l'émergence d'une forme inédite de gouvernementalité, dont la spécificité ne peut être appréhendée qu'à la condition de passer d'une approche généalogique à une perspective sociohistorique sur les rapports entre les groupes qui s'affrontent au sein de la société. À la lumière de ce constat, le problème du rapport entre la méthode de la « pratique historico-philosophique » et la méthode de l'enquête sociohistorique peut être réexaminé.At the end of Surveiller et Punir, Foucault indicated that it would be important to study the revolutionary debates on the right of parents to have their children locked up, in order to build on his analysis of discipline as a “form of society.” This article proposes to study these debates, by retracing the way in which family authority was constituted as a form of power and an object of knowledge, between the end of the 18th century and the beginning of the 19th century in France. The analysis of legal, pedagogical, and political discourses on family authority allows us to retrace the emergence of a new form of governmentality, whose specificity can only be apprehended if one moves from a genealogical approach to a socio-historical perspective on the relations between the groups in conflict within society. Considering this assessment, the problem of the relationship between the method of “historical-philosophical practice” and the method of socio-historical inquiry can be reexamined.
- La puissance et la grâce : La théorie proudhonienne du mariage - Frédéric Brahami p. 109-123 Les thèses que Proudhon développe sur les femmes, l'amour et le mariage n'expriment pas seulement sa misogynie personnelle, elles remplissent aussi une fonction centrale dans sa théorie de la justice. Le mariage en effet, qui suppose la supériorité de l'homme sur la femme, est l'institution originelle sans laquelle la dignité humaine aboutirait à la guerre de tous contre tous. Condition de leur complémentarité, l'inégalité foncière entre femmes et hommes sanctifiée dans le mariage rend seule possible l'émergence d'une société d'hommes libres et égaux.The arguments Proudhon develops about women, love, and wedlock are not only the expression of his misogyny, but they also fulfill a crucial function in his theory of justice: marriage, which presupposes the superiority of men over women, is the original institution without which human dignity would end in a war of everyone against everyone. The fundamental inequality between women and men, which is a condition of their complementarity and is sanctified by marriage, is the only way for a society in which men are free and equal to emerge.
- Durkheim et le débat sur le divorce par consentement mutuel : Pour une libération conjointe des hommes et des femmes - Julia Christ p. 125-146 Les raisons pour lesquelles Durkheim a pris parti contre le rétablissement du divorce par consentement mutuel ne sauraient se réduire à son désintérêt pour la cause des femmes : il y va de l'institution du statut de personnes à chacun. Si la division sexuelle du travail au sein du couple marié possède cette vertu et si l'institution du mariage protège les partenaires, tel n'est pas le cas au niveau de la division du travail social. Ceci a des effets sur la sexualité des hommes, engendrant une souffrance toute particulière tandis que les femmes n'en sont pas affectées. Leur interdire le divorce semble alors une exigence de justice sociale tant que la division du travail reste anomique et/ou n'intègre pas les femmes. Les analyses de Durkheim constituent une conceptualisation nouvelle du terme de liberté moderne qui permet encore aujourd'hui d'éclairer les demandes d'un élargissement de l'état matrimonial.Durkheim's reasons for opposing the reinstatement of mutual consent divorce cannot be dismissed as a lack of interest in the cause of women: the institution of personhood is at stake. While the sexual division of labor within the married couple has this instituting virtue and while the institution of marriage protects the partners, in Durkheim's time this is not yet the case for the division of social labor. This circumstance affects men's sexuality, causing them particular suffering, while women are not affected by it. Prohibiting them from getting divorced seems to be a requirement of social justice as long as the division of labor remains anomic and/or does not include women. Durkheim's analyses represent a new conceptualization of the term “modern freedom,” which still allows us to shed light on the demands for an extension of the marital state.
Note de lecture
- Tout Canguilhem ? : L'édition de ses « Œuvres complètes » - Pierre Macherey p. 147-165
- Bulletin de littérature hégélienne XXXII : (2022) - p. 167-203
- Bulletin de bibliographie spinoziste XLIV : Revue critique des études spinozistes pour l'année 2021 - p. 205-229