Contenu du sommaire : Tunisie : arrêt sur la transition

Revue Confluences Méditerranée Mir@bel
Numéro no 125, été 2023
Titre du numéro Tunisie : arrêt sur la transition
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Dossier. Tunisie : arrêt sur la transition

    • Tunisie : arrêt sur la transition - Jean-François Coustillière, Manon Moulin p. 9-13 accès réservé
    • La transition tunisienne : de Charybde en Sylla. D'une expression de la révolution conservatrice à l'autre - Mohamed-Chérif Ferjani p. 15-26 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À l'origine du « printemps arabe », la révolution tunisienne de 2010-2011 s'est enlisée dans une longue transition qui l'a éloignée des aspirations démocratiques et des revendications sociales de départ. Après une phase dominée par l'islam politique (première expression de la révolution conservatrice en Tunisie), le rejet de l'islamisme a favorisé l'émergence d'une autre expression de la révolution conservatrice incarnée par le projet national-conservateur dont se revendiquent le président Kaïs Saïed et ses soutiens. L'article analyse la dynamique à l'origine de cette évolution en montrant les différences et les liens entre les deux expressions tunisiennes de la révolution conservatrice.
      At the origin of the “Arab Spring”, the Tunisian revolution of 2010- 2011 became bogged down in a long transition that distanced it from the democratic aspirations and social demands of the beginning. After a phase dominated by political Islam (the first expression of the conservative revolution in Tunisia), the rejection of Islamism favoured the emergence of another expression of the conservative revolution embodied by the national-conservative project claimed by President Kais Saied and his supporters. The article analyses the dynamics behind this evolution by showing the differences and links between the two Tunisian expressions of the conservative revolution.
    • Le système de Kaïs Saïed : un projet populiste autoritaire porté avec le concours des élites - Hatem Nafti p. 27-40 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le coup d'État du 25 juillet 2021, la transition démocratique, intervenue en 2011 après la chute de Ben Ali, a connu un coup d'arrêt. Au nom de l'état d'exception, le président Kaïs Saïed a systématiquement détricoté tout l'édifice imaginé pendant la décennie postrévolutionnaire pour parer au retour de la dictature. Profitant des errements de la classe politique et du mécontentement populaire, il a progressivement installé un régime hyper-présidentiel hostile aux corps intermédiaires. Alors que les différentes consultations populaires ont mis en lumière le peu d'enthousiasme des Tunisiens pour cette entreprise, il a pu compter sur une partie importante des élites qui a paradoxalement accompagné un régime antiélitiste.
      Since the coup of July 25th, 2021, the democratic transition that took place in 2011 after the fall of Ben Ali, has come to a standstill. In the name of the state of emergency, President Kaïs Saïed has systematically unravelled the whole edifice imagined during the post-revolutionary decade to prevent the return of dictatorship. Taking advantage of the errors of the political class and popular discontent, he gradually installed a hyper-presidential regime hostile to intermediary bodies. While the various popular consultations have highlighted the lack of enthusiasm of Tunisians for this undertaking, he was able to count on a large part of the elites who paradoxically supported an anti-elitist regime.
    • Les désillusions du « constitutionnalisme » post-coup d'État - Hatem M'rad p. 41-53 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'idée de constitutionnalisme est philosophiquement, comme elle l'a été historiquement, essentiellement une idée de liberté et de garantie de droits et libertés. Une Constitution « octroyée », irrespectueuse des droits et libertés des individus et des groupes, de type autoritaire, contre-révolutionnaire et conservatrice illustrent bien les désillusions du constitutionnalisme post-coup d'État du 25 juillet en Tunisie. L'abstentionnisme exceptionnel à l'opération référendaire d'adoption de ladite Constitution en est un indice, et interpelle l'observateur quant à la signification de cet acte de « refondation » désiré par Kaïs Saïed.
      The idea of constitutionalism is philosophically, as it has been historically, essentially an idea of freedom and the guarantee of rights and freedoms. A Constitution that is “granted”, disrespectful of the rights and freedoms of individuals and groups, authoritarian, counter-revolutionary and conservative is a good illustration of the disillusionment with constitutionalism following the coup d'état of 25 July in Tunisia. The exceptionally low turnout for the referendum to adopt the Constitution is an indication of this and raises questions for observers as to the significance of this act of “refoundation” desired by Kaïs Saïed.
    • Le paysage politique post-25 juillet : acteurs et dynamiques - Farah Hached p. 55-74 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le 25 juillet 2021, la transformation institutionnelle et politique de la Tunisie, commencée une décennie plus tôt, a pris un nouveau tour. Le paysage politique, qui était déjà en perpétuelle mutation, en a été bouleversé. Cet article tente de décortiquer les dynamiques politiques et de décoder les interactions entre les différents acteurs en analysant le paysage politique post-25 juillet à l'aune des tendances lourdes à l'œuvre depuis plus d'une décennie.
      Since July 25th, 2021, Tunisia's institutional and political transformation, which began a decade earlier, has taken a new turn. The political landscape, which was already a state of flux, has been turned upside down. This article attempts to unravel the political dynamics and decode the interactions between the various players by analysing the post-July 25th political landscape in the light of the major trends that have been at work for more than a decade.
    • Le nouveau souverainisme tunisien face au grand jeu des puissances en Méditerranée - Elyès Ghanmi p. 75-90 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'avènement d'un nouveau régime autoritaire en Tunisie entraîne des conséquences sur la politique étrangère. L'arrimage de la Tunisie à son environnement occidental est remis en question au nom d'une politique de non-alignement que promeut désormais Kaïs Saïed. L'analyse de la politique étrangère et la théorie des pratiques en relations internationales permettent d'examiner les ressorts de la nouvelle doctrine souverainiste tunisienne dont les orientations idéologiques sont marquées. Il en ressort un souverainisme à la carte et un antagonisme envers l'Occident qui n'est pas sans rappeler le contexte idéologique des années 1970. Toutefois, les velléités de changement qu'exprime de façon récurrente le président Kaïs Saïed risquent d'être contraintes par le contexte de crise socio-économique que traverse la Tunisie.
      The rise of a new authoritarian regime in Tunisia has had repercussions on its foreign policy. Tunisia's ties to the West are being called into question in the name of the policy of non-alignment now promoted by Kaïs Saïed. Foreign Policy Analysis and the Practice Theory of International Relations make it possible to examine the driving forces behind Tunisia's new sovereignist doctrine, whose ideological orientations are striking. This reveals an à la carte sovereignism and an antagonism towards the West that is reminiscent of the ideological context of the 1970s. However, the desire for change expressed repeatedly by President Kaïs Saïed is likely to be constrained by the socio-economic crisis facing Tunisia.
    • Discours sur l'immigration subsaharienne en Tunisie : le grand malentendu ! - Riadh Ben Khalifa, Mehdi Mabrouk p. 91-106 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le 21 février 2023, lors d'une réunion du Conseil de Sécurité Nationale, le président Kaïs Saïed a tenu un discours contre « la horde des migrants clandestins ». Ces propos ne se détachent pas, d'une part, du populisme du président tunisien qui conçoit la migration irrégulière comme le résultat « d'une entreprise criminelle » et, d'autre part, d'une conception sécuritaire de la gouvernance de la migration en Tunisie. Les réactions officielles et celles de la société civile ont poussé le pouvoir tunisien à multiplier les gestes d'apaisement. Toutefois, les mesures prises ne remettent pas en cause l'esprit sécuritaire de l'administration de la migration. Le contexte géopolitique et l'accentuation de la crise économique en Tunisie ne vont pas faciliter l'adoption d'une approche fondée sur les droits humains.
      On February 21st, 2023, at a meeting of the National Security Council, President Kais Saied delivered a speech against the “horde of illegal migrants”. These comments do not stand out, on the one hand, from the populism of the Tunisian president, who considers irregular migration as the result of a “criminal enterprise” and, on the other hand, from a security conception of the governance of migration in Tunisia. Official reactions and those of civil society have prompted the Tunisian authorities to multiply gestures of pacification. However, the measures taken do not undermine the security spirit of the migration administration. The geopolitical environment and the deepening of the Tunisian economic crisis will not facilitate a human rights-based approach.
    • Externalisation des frontières européennes et politiques migratoires tunisiennes : une psychologie des impacts socio-politiques - Wael Garnaoui p. 107-122 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'externalisation des frontières de l'UE pour la gestion et la prévention de la migration irrégulière ne va pas sans provoquer d'importants dégâts collatéraux au sein des pays qui l'ont acceptée sans rechigner. C'est exemplairement le cas de la Tunisie. En créant des zones de refoulement et de confinement des populations en provenance du sud de la Méditerranée, cette politique contraint les populations des États tiers à endosser une politique de contrôle des mouvements migratoires alors qu'elles sont elles-mêmes sujettes à des restrictions de se déplacer, et bien souvent éprouvées par la disparition ou la mort, parfois sans sépulture, d'un enfant contraint à émigrer clandestinement. Le discours récemment tenu par le président Kaïs Saïed, stigmatisant l'immigration subsaharienne en des termes teintés de nationalisme, de xénophobie et d'intégrisme religieux, a réactivé la logique du bouc émissaire, de triste mémoire. Pour prendre la mesure de la montée de l'hostilité des Tunisiens envers les migrants subsahariens et celle de l'impact dans le pays des mesures renforcées de contrôle des étrangers, le présent article s'appuie sur trois enquêtes menées au cours de l'année 2023 en Tunisie.
      The externalisation of the EU's borders to manage and prevent irregular migration is not without significant collateral damage in the countries that have readily accepted it. Tunisia is a case in point. By creating areas where people from the southern Mediterranean are turned back and confined, this policy forces the populations of third countries to endorse a policy of controlling migratory movements at a time when they themselves are subject to restrictions on movement, and very often suffer the loss or death, sometimes without burial, of a child forced to emigrate illegally. The recent speech by President Kais Saied, stigmatising sub-Saharan immigration in terms tinged with nationalism, xenophobia, and religious fundamentalism, has reactivated the scapegoat logic of sad memory. To gauge the extent of Tunisians' growing hostility towards sub-Saharan migrants and the impact in the country of tighter controls on foreigners, this article is based on three surveys conducted in Tunisia in 2023.
    • Racisme, blanchité et État-nation : la construction de l'altérité des Noirs tunisiens - Yasmine Akrimi p. 123-135 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les déclarations polémiques récentes du président de la République tunisienne concernant les migrants subsahariens dans le pays ont ravivé les discussions autour du passé esclavagiste de l'Afrique du Nord, et sa négrophobie présente. Cet article argue qu'au-delà d'une « dérive raciste », les propos du chef de l'État sont l'expression d'un malaise quant à l'africanité et la « blanchité » de la Tunisie, et plus largement du Maghreb. À travers le cas des Noires tunisiennes, ici prises comme exemple, la survivance d'une cartographie coloniale racialisée de l'Afrique ainsi que l'historiographie problématique d'un passé esclavagiste tabou sont ici appréhendés comme les causes profondes d'une construction identitaire nationale postindépendance qui a intégré les nationaux noirs dans la tunisianité dite « moderne » par leur maintien à la marge.
      The recent controversial statement by Tunisia's head of State regarding sub-Saharan migrants in the country has rekindled discussions about North Africa's legacy of slavery, and its present-day antiblack racism. Beyond a “racist drift”, this article argues that the president's remarks are the expression of a malaise regarding the Africanity and “whiteness” of Tunisia, and more broadly of the Maghreb. Through the case of black Tunisians, taken here as an example, the survival of a racialised colonial cartography of Africa and the problematic historiography of a taboo slavery past are apprehended here as the root causes of a post-independence national identity construction that integrated black nationals into so-called “modern” tunisianity by keeping them on the margins.
    • Le système de santé en Tunisie : une crise qui perdure - Moncef BelHaj Yahia p. 137-152 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Malgré des progrès significatifs réalisés pour l'essentiel au cours des vingt années qui ont suivi l'indépendance en 1956, le système de santé en Tunisie est en crise et il n'est pas en mesure d'assurer un accès équitable aux soins et de répondre aux défis de la transition démographique et épidémiologique. La crise est multidimensionnelle. L'offre de soins publique fonctionnelle s'est dégradée, entraînant un taux d'insatisfaction élevé des usagers. L'offre de soins privée est concentrée dans les grandes villes et n'est accessible qu'aux couches aisées de la population. La crise engendrée par la pandémie de Covid-19 a montré les conséquences dramatiques, tant sur le plan sanitaire que sur le plan social et économique, de la gestion déficiente du système de santé et a ainsi souligné la nécessité d'une réforme.
      Despite the significant progress made mainly during the twenty years following the independence in 1956, Tunisia's health system is currently facing a crisis, and it is far from being able to guarantee its citizens fair access to healthcare or to face the challenges of the incoming demographic and epidemiologic transition. This crisis is multidimensional. The public healthcare supply has deteriorated, thus leading to a high dissatisfaction rate of the service users. The private healthcare offer is gathered essentially in the biggest cities and is only reachable to a well-off part of the population. The crisis created by the Covid-19 pandemic has shown the disastrous consequences, both on the healthcare level and on the social and economic aspects, of the defective management of health system and has therefore brought to light a need for reform.
    • Société civile et droits des femmes : du féminisme d'État au féminisme autonome - Hafidha Chekir p. 153-168 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Il s'agit ici de documenter les associations féministes tunisiennes ayant développé un féminisme qui se veut autonome et différent du féminisme d'État, porté par les dirigeants depuis l'indépendance avec l'adoption du Code du Statut Personnel qui a reconnu des droits importants aux femmes tout en maintenant des discriminations fondées sur des normes patriarcales empreintes de sacralité. En s'attelant à mettre en lumière les différentes campagnes menées par ces associations pour la reconnaissance des droits des femmes sur la base de l'égalité entre les sexes et l'amélioration de leur condition dans un contexte marqué par la consécration des référents religieux, une remise en cause des acquis de l'État civil fondé sur la citoyenneté et la primauté de la loi, une restriction de l'exercice des droits et libertés publiques et individuelles, le pouvoir absolu du chef de l'État et la fragilisation des droits et libertés, ce texte revient sur l'importance du mouvement féministe tunisien autonome dans le dynamisme démocratique du pays. À l'heure où ce dernier est fortement remis en cause, il s'agit de souligner la nécessité d'existence de cette société civile féministe en Tunisie ainsi que l'intérêt particulier que revêt son indépendance dans un contexte politique instable et menaçant.
      The aim here is to document the Tunisian feminist associations that have developed a feminism that aims to be autonomous and different from the State feminism promoted by the government since independence with the adoption of the Personal Status Code, which recognised important rights for women while maintaining discrimination based on patriarchal norms imbued with sacredness. By highlighting the various campaigns led by these associations for the recognition of women's rights on the basis of gender equality and the improvement of their condition in a context marked by the consecration of religious references, In a context marked by the consecration of religious references, a challenge to the achievements of the civil state based on citizenship and the primacy of the law, restrictions on the exercise of public and individual rights and freedoms, the absolute power of the Head of State and the undermining of rights and freedoms, this text reviews the importance of the autonomous Tunisian feminist movement in the country's democratic dynamism. At a time when the latter is being strongly challenged, the aim is to emphasise the need for this feminist civil society to exist in Tunisia, and the particular importance of its independence in an unstable and threatening political context.
  • Variations

    • Un « croissant chiite » en miettes ? L'évolution de l'influence régionale de l'Iran depuis 1979 - Héloïse Fayet p. 171-182 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis son apparition en 2004, l'expression « croissant chiite » a rapidement gagné en popularité pour décrire l'influence iranienne au Moyen-Orient au travers des populations chiites. S'il permet certes de mieux comprendre l'importance du chiisme, autant comme religion que comme idéologie politique, en Irak ou au Liban, le terme ignore la diversité de cette influence, et sa fragilité grandissante. En effet, sur le plan stratégique, les milices chiites comme le Hezbollah ou l'organisation Badr apparaissent comme les principaux ciments de ce « croissant chiite », notamment pour constituer un corridor logistique de l'Iran à la Méditerranée. Cependant, les guerres successives contre Israël, les États-Unis ou Daech ont permis à ces milices de gagner en indépendance vis-à-vis de Téhéran, et remettent donc en question la pertinence du « croissant chiite ».
      Since its appearance in 2004, the term “Shiite crescent” has rapidly gained popularity to describe Iranian influence in the Middle East through the Shia populations. While it certainly allows for a better understanding of the importance of Shiism, both as a religion and as a political ideology, in Iraq and Lebanon, the term ignores the diversity of this influence and its growing fragility. Indeed, on a strategic level, Shiite militias such as Hezbollah or the Badr organisation appear to be the main building blocks of this “Shiite crescent”, notably in order to constitute a logistical corridor from Iran to the Mediterranean. However, the successive wars against Israel, the United States, or Daesh have allowed these militias to gain independence from Tehran, and therefore call into question the relevance of the “Shiite crescent”.
    • Billet d'humeur - Robert Bistolfi p. 183-185 accès réservé