Contenu du sommaire : Autour de Quentin Skinner
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 93, février 2024 |
Titre du numéro | Autour de Quentin Skinner |
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Éditorial
- Penser les rapports entre la théorie politique et l'histoire des idées politiques - Lucille Lacroix, Ana-Maria Szilagyi p. 5-13
Dossier
- L'histoire, la philosophie politique et l'École de Cambridge - Quentin Skinner, Justine Brisson, Arnaud Miranda p. 15-30 Cet article, issu de la traduction du chapitre « Political Philosophy and the Uses of History » (paru dans Richard Bourke et Quentin Skinner (dir.), History in the Humanities and Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2022) retrace d'abord l'émergence de l'approche « historiciste » pour étudier les textes de philosophie politique. À travers l'exemple de la philosophie de Thomas Hobbes, ce texte montre ce qui fait la spécificité de la méthode historiciste. L'article s'intéresse ensuite à deux objections fréquemment adressées à cette approche. La première lui reproche d'avoir déconnecté la philosophie politique et juridique de sa dimension normative, c'est-à-dire d'avoir cédé à une forme de « tyrannie de l'histoire ». La seconde affirme que les historicistes sont incapables de saisir ce qui, dans les phénomènes politiques, est transhistorique et universel. Après avoir étudié puis réfuté chacune de ces critiques, l'article se penche sur une objection plus récente : l'histoire de la philosophie politique serait encore une chapelle, qu'il faudrait déparoissialiser grâce à une approche plus globale. L'article se termine par une évaluation de ce qui se présente comme le « tournant global » de l'histoire de la philosophie politique.The article is a translation from a revised version of the chapter “Political Philosophy and the Uses of History” (published in Richard Bourke and Quentin Skinner (eds.), History in the Humanities and Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2022). It begins by tracing the rise of the so-called “historicist” approach to the study of texts in political philosophy. The example of Thomas Hobbes's philosophy is discussed in such a way as to illustrate what is distinctive about the historicist approach. The article then turns to consider two objections frequently raised against this approach. One claims that “a tyranny of history” has been allowed to develop, which has had the effect of cutting off the study of legal and political philosophy from a usable part. The other maintains that historicists fail to appreciate that some claims about political phenomena are transhistorical and universal in scope. After considering and largely rejecting these arguments, the article ends by examining the more recent objection that the history of political philosophy as currently written is an unduly parochial discipline, which now needs to concentrate on developing a more global approach. The article concludes with an assessment of this so-called global turn.
- De l'histoire conceptuelle à la pensée critique : Quelques hypothèses sur la réception française de l'œuvre de Quentin Skinner - Frédérique Matonti p. 31-57 La réception des œuvres de Quentin Skinner a été lente et demeure partielle. Ce sont d'abord les tenants d'une « histoire conceptuelle du politique » autour de Pierre Rosanvallon et François Furet qui se sont intéressés à lui dès sa première invitation à l'EHESS à la fin des années 1980 ; puis, avec l'accueil par Pierre Bourdieu au Collège de France dix ans plus tard, ce sont plutôt les tenants d'une histoire sociale (de l'art ou des idées politiques) qui s'en sont emparés. Deux programmes de recherche qui sont alors concurrents, comme le révèlent leurs appellation (conceptuelle/sociale), mais aussi les prises de positions dans les espaces académiques et politiques de ceux qui les portent. En réalité, comme l'enquête tend à le montrer, c'est parmi les philosophes ou auprès de chercheurs passés par la philosophie que les travaux de Skinner ont été le plus discutés, y compris parfois de manière très virulente, notamment autour de sa lecture de Hobbes, et parce qu'ils fournissaient également une alternative à une définition de la République présente dans les controverses politico-intellectuelles françaises dès la fin des années 1980. C'est autour de cette triple réception, prise comme trois moments et trois usages possibles de Skinner en France que s'organise cet article étayé sur l'analyse de contenu des textes de Skinner et de ceux qui les mobilisent, sur des entretiens et des archives.The reception of Quentin Skinner's work has been slow and remains partial. Initially, it was the proponents of a “conceptual history of politics” around Pierre Rosanvallon and François Furet who took an interest in him when he was first invited to the EHESS at the end of the 1980s. Ten years later, when Pierre Bourdieu invited him to the Collège de France, it was the proponents of a social history (of art or political ideas) who took an interest in him. Two competing research programmes, as their names (conceptual/social) reveal, but also the positions taken in the academic and political arenas by those behind them. In reality, as the survey tends to show, it is among philosophers or researchers who have studied philosophy that Skinner's work has been most discussed, sometimes in a very virulent manner, particularly with regard to his reading of Hobbes, but also because it provided an alternative to a definition of the Republic that was present in French political and intellectual controversies from the end of the 1980s onwards. This article, based on a content analysis of Skinner's texts and of the works of his users, and on interviews and archives, focuses on this threefold reception, seen as three moments and three possible uses of Skinner in France.
- Quentin Skinner and the Autonomy of Ideas - Owen Phillips p. 59-82 Cet article explore deux aspects essentiels et inséparables de la méthodologie de Quentin Skinner : son contextualisme et son holisme. Ces postulats ont au moins deux conséquences inattendues. La première est que le sens (le contenu d'une proposition) est contextuel, continuellement redéfini et pas nécessairement restreint. La seconde conséquence est, malgré les apparences, qu'une défense de l'autonomie des idées n'est pas incompatible avec les fondements de l'histoire intellectuelle. Cela permet de mettre en lumière un sujet crucial pour tout historien des idées : le développement diachronique et collectif des théories (c'est-à-dire la manière dont la réception d'un auteur contribue à déterminer ce que cet auteur défend). Cet éclairage permet de mieux comprendre pourquoi la reformulation d'une théorie ne pose pas de problème d'anachronisme.This paper explores two deep and deeply connected commitments of Quentin Skinner's methodology: his contextualism and his holism. This exhibits two surprising implications. The first is that meaning (propositional content) is contextual, ongoing, and not necessarily local. The second is that, despite appearances to the contrary, a defence of the autonomy of ideas is compatible with his fundamental convictions about intellectual history. This illumines an object of inquiry for intellectual historians: the diachronic and collective development of theories (that is, how a theorist's successors participate in the determination of that theorist's claims). With all this in view, we can better appreciate when putting a theory in other words is not anachronistic.
- Accounting for Intellectual Traditions in the History of Ideas : Synchronicity, Diachronicity, and a Pragmatic Corrective - Daniele Giuseppe Palmer p. 83-98 Cet article examine la manière dont les traditions intellectuelles ont été étudiées dans le cadre de l'histoire des idées, avec un accent particulier sur le travail de David Armitage. Si l'effort de retracer les idées à travers le temps est considéré comme un objectif analytique valable, la tendance à oublier la contingence inhérente à la pensée est critiquée. Le travail d'Armitage, dont se sont inspirés de nombreux chercheurs, repose sur un appel implicite aux structures de la pensée : les idées existent au-delà de la spécificité des esprits humains individuels. En réponse à l'histoire intellectuelle à long terme d'Armitage, cet article propose une méthode pour rendre compte des idées de manière diachronique sans renoncer à la stricte historicité de la méthode contextualiste. Pour ce faire, la pragmatique en tant que théorie générale de la signification est réaffirmée. De plus, l'article, en se penchant sur les études à long terme des idées, renforce la distinction entre la théorie politique et la recherche historique : alors que la première peut supposer, et souvent requiert, l'abstraction, la seconde y est intrinsèquement opposée.This paper looks at how intellectual traditions have been studied in the history of ideas, with a particular focus on the work of David Armitage. While the effort of charting ideas across time is taken to be a valuable analytical aim, what is criticised is the tendency to forget the inherent contingency of thought. Armitage's work, which has inspired many scholars, is found to rely on an implicit appeal to structures of thought: ideas exist beyond the specificity of individual human minds. In response to Armitage's long-range intellectual history, this paper gestures at a method for accounting for ideas diachronically without prescinding from the strict historicity of the contextualist method. To do so, pragmatics as a general theory of meaning is reaffirmed. Moreover, the paper, in looking at long-range studies of ideas, strengthens the distinction between political theory and historical research; while the former may assume and often requires abstraction, the latter is inherently antithetical to it.
- La relecture skinnérienne des actes de parole : Quelle conception de l'« intentionalité » pour une pragmatique des idées ? - Benjamin Jobard p. 99-127 L'une des profondes originalités de Quentin Skinner tient à l'extension conjointe, en histoire, des conceptions wittgensteiniennes de l'« intentionalité » et de la théorie des actes de parole à laquelle John L. Austin a donné naissance. Considérant pourtant que ce dernier a échoué à définir ce en quoi consistent l'acte « illocutoire » et sa reconnaissance, Quentin Skinner reprend à son compte les conceptions dites « intentionnalistes » des actes de parole telles qu'elles ont été formulées par certains philosophes comme Paul Grice, Peter F. Strawson et John R. Searle. Mais ce recours n'est pas sans poser de problèmes : c'est ce dont cet article tente de rendre compte.One of Skinner's profound originalities lies in the joint extension, in history, of Wittgensteinian conceptions of intentionality and the theory of speech acts that John L. Austin had initiated. Considering, however, that Austin failed to define what the so-called “illocutionary” act and its “uptake” consist of, Skinner takes up the so-called “intentionalist” conceptions of speech acts as formulated by certain philosophers such as Paul Grice, Peter F. Strawson and John R. Searle. But this approach is not without its problems: this is what this article attempts to account for.
- Quentin Skinner et l'herméneutique critique : une entente possible ? : Pour une réflexion autour du rôle des traductions dans l'histoire des idées politiques - Ginevra Martina Venier p. 129-140 L'attention que l'approche herméneutique élaborée par Peter Szondi et développée par Jean Bollack accorde à l'histoire des traductions peut se révéler féconde pour le contextualisme de Quentin Skinner. En mettant en évidence les points communs que les deux méthodes partagent ainsi que certaines des divergences qui les séparent, cet article approfondit une telle hypothèse.The hermeneutical approach developed by Peter Szondi and further developed by Jean Bollack to the history of translations may prove fruitful for Quentin Skinner's contextualism. This article explores this hypothesis by highlighting the points in common between the two methods, as well as some of the differences that separate them.
- L'histoire, la philosophie politique et l'École de Cambridge - Quentin Skinner, Justine Brisson, Arnaud Miranda p. 15-30
Varia
- Autour du commun et de la communauté chez Hegel : Remarques à partir d'un débat actuel - Sabina Tortorella p. 141-161 Cette contribution aborde la notion de commun et de communauté chez Hegel au prisme du débat contemporain autour des communs afin de mettre en relief l'importance que recouvrent ces notions au sein des Principes de la philosophie du droit et d'en montrer l'actualité. Dans un premier temps, l'article se penche sur la conception hégélienne de la propriété, notamment sur les caractéristiques et les limites de la propriété privée et de la propriété commune. Ensuite, il s'intéresse à la société civile comprise comme le lieu par excellence de ce qui est commun dans la mesure où elle comprend un ensemble de pratiques sociales produites spontanément et d'institutions sociales qui ont pour tâche de prendre soin du bien collectif. Enfin, la contribution s'attache à montrer que pour Hegel le bien commun s'inscrit au sein de ce qu'il appelle le « Bien vivant », expression qu'il emploie pour définir « l'idée de liberté » qui caractérise l'éthicité.The article focuses on Hegel's notions of the commons and the community in the light of contemporary debates on the commons. Its aim is to highlight the importance of these notions in the Elements of the Philosophy of Right and to show their relevance for contemporary issues. The paper first deals with Hegel's conception of property, focusing on main aspects of private and common property as well as on their limits. It then examines civil society as concerned with the common, insofar as it comprises a set of spontaneously produced social practices and social institutions that care for the collective good. Finally, it is argued that the common good is part of what Hegel calls the “living good”, i.e. the “Idea of freedom” which defines Ethical Life.
- Autour du commun et de la communauté chez Hegel : Remarques à partir d'un débat actuel - Sabina Tortorella p. 141-161