Contenu du sommaire : « Femmes fatales », « hommes en crise » ? Réexaminer les modèles genrés du film noir
Revue | Genre en séries : cinéma, télévision, médias |
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Numéro | no 16, 2024 |
Titre du numéro | « Femmes fatales », « hommes en crise » ? Réexaminer les modèles genrés du film noir |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Thomas Pillard, Jules Sandeau
Dossier
- Melodramatic Noir: Advertising the Generic Duality of The File on Thelma Jordan and No Man of Her Own - Steven Cohan Cette étude de deux films de Barbara Stanwyck sortis en 1950, The File on Thelma Jordan et No Man of Her Own, montre à quel point le film noir et le woman's film peuvent facilement s'articuler dans des productions construites autour d'une star féminine de premier plan. Ces deux films témoignent, narrativement et stylistiquement, de la porosité et de l'instabilité génériques du film noir, et leur promotion s'appuie sur, et exploite, cette ambiguïté générique. L'image de Stanwyck, fortement associée à la fois au woman's film et au film noir, se trouve au cœur des nombreuses publicités pour ces films, qui étaient alors publiées dans les journaux. Cette étude de cas illustre ainsi le fait que le mode mélodramatique est à la base du film noir.A case study of two Barbara Stanwyck films released in 1950, The File on Thelma Jordan and No Man of Her Own illustrate the ease with which film noir and the woman's picture could be mated in vehicles built for a major female star. These two films narratively and stylistically register the generic instability and porousness of film noir. The promotion of these films in newspaper ads, moreover, built upon and exploited their generic ambiguity. Centering the numerous newspaper ads was Stanwyck's star text through her already strong identification with both woman's pictures and film noir. As a case study, then, the two films show the basis of noir as a melodramatic mode.
- Stanwyck, Crawford et Hayward : femmes puissantes du gothique féminin tardif (1948-1962) - Francesco Schiariti Cet article se propose d'examiner de quelle manière la persona et le jeu de certaines actrices modifient les attendus du film gothique féminin à travers quatre exemples significatifs : Barbara Stanwyck dans Sorry Wrong Number (Anatol Litvak, 1948), Joan Crawford dans Sudden Fear (David Miller, 1952) et Female on the Beach (Joseph Pevney, 1955) et Susan Hayward dans I Thank a Fool (Robert Stevens, 1962). Même si ces films présentent des intrigues qui convoquent les grands succès du début des années 1940 dans ce registre, Stanwyck, Crawford et Hayward ont l'assurance et la séduction des « femmes fatales » du film noir, alors que leurs personnages exercent souvent une autorité financière, juridique et sentimentale sur des époux ou amants subjugués. Elles ne sont absolument plus des ingénues, mais se rapprochent des « superwomen » définies par Haskell, capables de s'approprier certaines caractéristiques traditionnellement considérées comme masculines, et altèrent donc les modèles genrés habituellement à l'œuvre dans le film gothique féminin.This article aims to examine how the persona and performance of some actresses modify the the female gothic through four significant examples : Barbara Stanwyck in Sorry Wrong Number (Anatol Litvak, 1948), Joan Crawford in Sudden Fear ( David Miller, 1952) and Female on the Beach (Joseph Pevney, 1955) and Susan Hayward in I Thank a Fool (Robert Stevens, 1962). Even if these films present plots that recall the great successes of the early 1940s in this register, Stanwyck, Crawford and Hayward have the assurance and seduction of the “femmes fatales” of film noir, while their characters often exercise financial, legal and sentimental authority on subjugated husbands or lovers. They are absolutely no longer ingénues, but are closer to the “superwomen” defined by Haskell, capable of appropriating certain characteristics traditionally considered as masculine and therefore alter the gendered models usually at work in the female gothic.
- Remaking the Crisis of Masculinity in Hollywood Neo-Noir: The Postman Always Rings Twice and Body Heat - Cristelle Maury Cet article s'appuie sur la récente remise en question du consensus critique sur le film noir en tant que lieu de la représentation des « hommes en crise » pour examiner comment la notion d'« anti-héros » issue des théories sur le film noir classique a façonné le contenu de Body Heat (Lawrence Kasdan) et de The Postman Always Rings Twice (Bob Rafelson), les remakes de 1981 de Double Indemnity (Billy Wilder 1944) et The Postman Always Rings Twice (Tay Garnett, 1946). Influencés par le contexte intellectuel et esthétique des années 1980 caractérisé par l'« allusionisme » (Carroll, 1982) et la « conscience cinématographique » (Thompson and Bordwell, 2003 [1994]: 517) qui ont favorisé l'enrichissement mutuel entre théorie et pratique cinématographiques, les réalisateurs de films néo-noirs ont produit des films qui sont en fait plus fidèles aux conclusions de la critique que les films noirs classiques ne le sont eux-mêmes. Pour le démontrer, l'article se penche sur les transformations que les deux films noirs originaux ont subies, ainsi que leurs effets, et montre comment les études critiques sur le film noir classique sont mises en pratique dans les remakes néo-noirs.This article builds on the recent questioning of the critical consensus on film noir as the locus of the representation of “men in crisis” to examine how the notion of “anti-hero” of classical film noir scholarship has shaped the content of Body Heat (Lawrence Kasdan) and The Postman Always Rings Twice (Bob Rafelson), the 1981 remakes of Double Indemnity (Billy Wilder 1944) and The Postman Always Rings Twice (Tay Garnett, 1946). Influenced by the intellectual and aesthetic context of the 1980s characterized by “allusionism” (Carroll 1982) and “movie-consciousness” (Thompson and Bordwell, 2003 [1994]: 517) that fostered the cross-fertilization between film theory and film practice, neo-noir filmmakers have produced films that are actually more faithful to the critical findings than the classical film noirs themselves. To illustrate this, the article looks at the transformations that the two original films noirs have undergone along with their effects and shows how critical scholarship on classical film noir is put into practice in the neo-noir remakes.
- Else, The foreign femme fatale in Jean Renoir's La Nuit du carrefour (1932) - Sylvie Blum-Reid Cet essai aborde le visage de la femme fatale, personnage ancré dans les films noirs. Je considère ici le personnage d'Else dans le film incomplet et méconnu de Jean Renoir La Nuit du carrefour (1932), la première adaptation du roman éponyme de Georges Simenon. J'interprète ce film comme étant une vision poétique, voire surréaliste de la femme fatale qui est ici plutôt une femme-enfant dans le cinéma français. C'est aussi une étrangère, ce qui ajoute au charme et au mystère par rapport à l'inspecteur Maigret apportant un discours trouble au film, de par les traits xénophobes qui ressortent des dialogues.This essay considers the face of the femme fatale, a character at the core of films noirs. I consider the character of Else in the incomplete and lesser known Jean Renoir film La Nuit du carrefour (1932), the first filmic adaptation of Georges Simenon's eponymous novel. I interpret the film as a poetic and surrealist vision of the femme fatale who is rather a child-woman in French cinema. She is also a foreigner, which adds to the charm and mystery in relation to Inspector Maigret, ushering a troubling discourse to the film, through the xenophobic traits that come out of the dialogues.
- The urban male protagonist in Indian film noir: A reading of Bees Saal Baad, Woh Kaun Thi? and Kuheli - Debadrita Saha, Ramyani Banerjee Cet article analyse la caractérisation du protagoniste masculin dans trois films noirs indiens : Bees Saal Baad (Biren Naug, 1962), Woh Kaun Thi ? (Raj Khosla, 1964) et Kuheli (Tarun Majumdar, 1971). Les films noirs indiens des années 1960 et 1970 se distinguent des films noirs hollywoodiens classiques par leurs dénouements heureux, et par leur recherche d'un équilibre entre les valeurs traditionnelles indiennes – notamment l'austérité – et le glamour occidental. Dans sa volonté de véhiculer un message optimiste susceptible attirer les masses, le film noir indien glorifie le protagoniste masculin, qui perd ainsi son ambiguïté pour se transformer en un patriarche « Adarsh » (idéal) capable de rétablir la paix et l'harmonie au sein de la famille indienne, et de sauver le patriarcat indien de la femme fatale occidentalisée et décadente – une figure suspecte aux yeux du patriarcat brahmanique de classe supérieure dans le contexte de libération sexuelle et socio-économique inaugurée par les deux guerres mondiales. Situés au cœur de ce conflit entre modernité et tradition, les héros – Shankar Roy de Kuheli, Kumar Vijay Singh de Bees Saal Baad et Dr. Anand de Woh Kaun Thi ? – retournent dans leur pays natal avec une mission, tels des hérauts des Lumières venus éclairer la communauté « ignorante » pétrie d'illusions et de superstitions. Si leur masculinité est alors mise à l'épreuve par des phénomènes irrationnels, ils résolvent finalement le mystère qui les tourmente, eux et les communautés, renforçant ainsi le trope du réformateur culturel bienveillant qui sauve du « cœur des ténèbres » kurzien les indigènes sauvages et ignorants.The paper seeks to analyse the characterisation of the “hero” or the male protagonist in three Indian film noirs: Bees Saal Baad (Biren Naug, 1962), Woh Kaun Thi? (Raj Khosla, 1964), and Kuheli (Tarun Majumdar, 1971). The Indian film noir of the 1960s and 1970s is distinct from the classical Hollywood film noir in the sense it emphasises on a happy resolution of the events that culminate in the climax, and an emphasis on the balance between traditional Indian values of austerity and Western glamour. In its quest to establish an optimistic message to attract the masses, Indian film noir glorified the male protagonist, transforming him from a character with multiple shades of grey to the “Adarsh” (ideal) male patriarch who would restore peace and harmony within the Indian family, and save the core of Indian patriarchy from the Westernised, decadent femme fatale—a figure that the upper-class Brahmanical patriarchy had been suspicious after the two World Wars ushered in a new era of sexual and socio-economic liberation. Situated between this ever-present tussle of modernity and tradition, the heroes—Shankar Roy from Kuheli, Kumar Vijay Singh from Bees Saal Baad, and Dr Anand from Woh Kaun Thi?, return to their ancestral homes with a mission, thus acting as the fuel the subtext of being the harbingers of Enlightenment to the “ignorant” community shrouded in delusions and superstitions, and experience anxiety regarding their fragile masculinity upon encountering phenomena that are beyond the limits of rationality. Ultimately, they do solve the mystery that plagues them and the communities, thereby reinforcing the trope of the benevolent cultural reformer who rescues the savage and ignorant natives from the Kurzian “heart of darkness.”
- Transgressive Bodies in Dark Worlds: Female Gangsters and Film Noir in Indian Popular Cinema - Sony Jalarajan Raj, Adith K. Suresh L'influence du film noir se reflète dans le cinéma populaire indien au sein histoires se déroulant dans des univers urbains infestés de criminels, moralement dérangés et extrêmement violents, où les personnages font face des angoisses liées à la modernité. La représentation des femmes dans ces récits prend le contrepied de la façon dont les personnages féminins sont stéréotypés dans les films indiens traditionnels. Cet article contribue à l'étude de la construction sociale, culturelle et historique de l'identité féminine dans le cinéma indien en se penchant sur le cas des personnages de femmes gangsters de films noirs. Les films noirs bollywoodiens sont traditionnellement dominés par des personnages de méchants/anti-héros hypermasculins, cyniques et moralement insaisissables. En tant que gangsters évoluant au sein de cet univers générique dominé par le crime et l'action, ces personnages féminins violent les normes de genre et sapent les représentations traditionnelles de la féminité. Cet article analyse ainsi ces personnages féminins comme une nouvelle catégorie de figures transgressives qui subvertissent et fragilisent les identités de genre conventionnelles en usurpant des positions subjectives masculines.The influence of film noir is reflected in Indian popular cinema through narratives that portray the aesthetics of crime-infested, morally deranged and extremely violent urban cityscapes where characters deal with the anxieties of a modern world. The representation of women in such narratives presents a context that challenges the way female characters are imagined and stereotyped in traditional Indian film narratives. This paper examines the social, cultural and historical construction of female identity in Indian cinema through the lens of female gangsters and film noir. The noir space in Bollywood cinematic narratives is dominated by hypermasculine, morally elusive, and existentially indifferent villains/anti-hero personas. However, by portraying the role of gangsters and criminals, women also occupy the underworlds of crime and action. They violate the norms of culturally assigned gender performance by fundamentally disrupting the entertainment value associated with the traditional picturization of the female identity. This article argues that the noir female portrayals that disrupt the symbiotic relationships between conventional gender politics and cultural norms emerge as a new category of transgressive figures that walk the thin line of moral dichotomies. They subvert their existing identities to create a state of gendered unpredictability by replacing male subjective positions.
- Melodramatic Noir: Advertising the Generic Duality of The File on Thelma Jordan and No Man of Her Own - Steven Cohan
Traductions
Note de lecture
- Julie Grossman, The Femme Fatale - Cristelle Maury