Contenu du sommaire : De la matérialité en information-communication : formes sociales, objets, machines, mémoires
Revue |
Approches Théoriques en Information Communication ![]() |
---|---|
Numéro | no 8, 2024 |
Titre du numéro | De la matérialité en information-communication : formes sociales, objets, machines, mémoires |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- De la matérialité comme objet et concept en sciences de l'information et de la communication - Patrice de La Broise, Jean-Luc Bouillon p. 5-10
- Étudier la matérialité de l'imaginaire de l'innovation par l'analyse du processus de co-design d'une plateforme UX - Iana Antonova, Fabienne Martin-Juchat p. 11-34 Les imaginaires, fruits des discussions dans le contexte de collaborations entre les chercheurs et les professionnels, sont susceptibles de prendre des formes matérielles variées. Dans cette contribution, notre objectif est d'interroger les imaginaires autour de l'innovation technique dite « ouverte » et ses formes matérielles à travers l'étude de cas d'un collectif Labcom ANR MeetUX. Notre intention est de comprendre comment le processus de conception d'une plateforme numérique intégrative de méthodes « d'innovation par l'expérience utilisateur » envisagée dans le cadre de ce projet participe de la construction d'un commun, et comment ce processus cristallise les imaginaires du collectif sur l'innovation technique. Nous examinerons spécifiquement les trois enjeux caractérisant l'imaginaire de l'innovation au sein du collectif : l'importance de la co-conception de l'innovation avec l'ensemble des parties prenantes ; la prise compte de la place et du rôle des émotions ; le choix d'une plateforme comme finalité de la coopération pour un collectif.Imaginaries, the fruit of discussions in the context of collaboration between researchers and professionals, can manifest in various material forms. In this contribution, our aim is to examine the imaginaries surrounding so-called 'open' technical innovation and its material forms through the case study of an ANR MeetUX Labcom collective. Our intention is to understand how the process of designing an integrative digital platform for “innovation through user experience” methods, envisaged as part of this project, contributes to the construction of a common ground, and how this process crystallises the collective's imaginations of technical innovation. We will look specifically at the three issues that characterise the collective imagination of innovation: the importance of co-designing the innovation with all the stakeholders; the attention that needs to be paid to the place and role of emotions; and the choice of a platform as the goal of cooperation for a collective.
- Questionner les modes d'existence des traces numériques de nos échanges en organisation - François Lambotte, Kevin Carillon p. 35-54 Depuis plusieurs années, les outils collaboratifs tels que Slack ou MS Teams ont fait leur apparition dans le paysage des organisations. Leur usage a connu une véritable explosion avec la pandémie de covid-19 et produit une masse de données sur nos échanges. Ces traces numériques, une fois collectées et stockées, font l'objet de calculs et de mises en association par des algorithmes qui se chargent ensuite de traduire ces résultats sous forme de visualisations de données agrégées au sein de tableaux de bord. Ceux-ci sont donnés à voir comme l'aboutissement d'un processus constituant une boîte noire. Notre article propose d'entrer dans la fabrique des analyses de nos échanges médiés par ordinateur afin de questionner ce qu'il en advient à chaque étape du processus composé essentiellement de machines en interaction. Quatre modes d'existence émergents sont discutés : (1) contextualisé, (2) binaire et décontextualisé, (3) standardisé et isolé, (4) associé et graphique.
- La construction de sens de la datavisualisation au regard des usager·ères non-expert·es : prétentions communicationnelles, matérialités sémiotiques et registres appréciatifs - Fabien Labarthe, Tiffany Andry, Julia Bonaccorsi, Nathalie Deley p. 55-82 L'objet de cet article vise à mettre à jour la construction de sens de la datavisualisation, à partir de ses prétentions communicationnelles, ses matérialités sémiotiques et les registres appréciatifs qui leurs sont associés par des usager·ères non-expert·es. Pour ce faire, les auteur·es procèdent de trois manières : premièrement, par l'étude des discours d'accompagnement qui innervent les politiques de la donnée ou les groupes professionnels qui produisent des visualisations de donnée ; puis par l'analyse des principes de conception qui s'inscrivent dans les matérialités sémiotiques des visualisations de données ; enfin, en rendant compte des registres appréciatifs mobilisés par des usager·ères non-expert·es dans le cadre d'une enquête exploratoire, qualifiée de sémio-pragmatique des actes de réception. Dans cette perspective, l'article interroge le rapport entre le régime de familiarité qu'entretiennent les enquêté·es avec les visualisations de données dans leur vie quotidienne et leur niveau de littératie en datavisualisation. Il invite ainsi à réévaluer le rôle des affects et des émotions dans la compréhension et l'interprétation des visualisations de données.The aim of this article is to shed light on the construction of meaning in datavisualization, based on its communicative pretension, its semiotic materialities and the appreciative registers associated with them by non-expert users. To do so, the authors proceed in three ways : first, by studying the accompanying discourses that inform data policies or the professional groups that produce datavisualizations ; then by analyzing the design principles that are inscribed in the semiotic materialities of datavisualizations ; finally, by reporting on the appreciative registers mobilized by non-expert users as part of an exploratory survey, described as the semio-pragmatics of acts of reception. With this in mind, the article examines the relationship between the degree of familiarity users have with datavisualizations in their daily lives and their level of datavisualization literacy. It thus invites to reassess the role of affects and emotions in the understanding and interpretation of datavisualizations.
- Réinventer la ville à l'horizon 2050 avec l'animation vidéo : Entre matérialité(s) et forme - Yolande Maury p. 83-105 Cet article interroge la mise en relation matérialité(s) et forme lors d'une réinvention de leur ville par des élèves de 6e. Dans ce cadre (géographie prospective), de courtes animations vidéo sont produites, selon une approche concrète et située : balade urbaine, écriture puis réalisation de « scénarios d'avenir », dans un jeu de manipulations d'objets, matière à penser la ville. Dans la continuité de Certeau ou Lefebvre, il s'agit d'étudier comment matière, objets et pratiques sociales sont pensés ensemble pour donner forme à des agencements inédits, émergeant de cet « agir collectif », exprimant des imaginaires en actes, et mettant en mouvement quelque chose de nouveau. L'approche est compréhensive, attentive à dégager par quel processus de transformation de la matière les animations opèrent : notamment comment s'effectue la « rencontre » entre matérialité de l'espace produit, matérialité de la ville imaginée, et matérialité du média utilisé, avec ses conventions de manipulation.This paper explores the relationship between materiality and form during a reinvention of their city by 6th grade students. In this context (prospective geography), short videos are produced using a concrete, situated approach: an urban walk, the writing and the realization of "scenarios for future", in a game of manipulating objects, as material for thinking the city. Following Certeau and Lefebvre, the aim is to study how materials, objects and social practices are thought together to give shape to new arrangements, emerging from this "collective acting", expressing imaginaries in acts, and setting something new in motion. The approach is comprehensive, focusing on the process by which these animations operate: how the "encounter" between the materiality of the space produced, the materiality of the city imagined, projecting modes of action, and the materiality of the medium used, with its conventions of manipulation through which projections take shape, is carried out.
- Matérialisation d'un dispositif de suppléance communicationnelle : Un programme de recherche-conception collaborative et inclusive - Marie Bénéjean, Philippe Marrast, Florian Hémont, Marcela Patrascu, Antoine Février, Isabelle Bazet p. 107-144 FANS4ALL est un projet de recherche-conception collaboratif, initié par l'Aéroclub des Sourds de France, visant à créer un dispositif de suppléance communicationnelle pour les pilotes sourds dans l'aviation légère de loisir. Actuellement, l'aviation repose sur des échanges vocaux, ce qui exclut en partie les pilotes sourds. Le projet comprend plusieurs phases, de la conception à l'industrialisation. La « matérialité » est essentielle dans ce projet, définie comme la relation entre la matière et les sens des pilotes sourds (vue, audition, toucher). Une méthodologie de recherche multimodale est utilisée, incluant des entretiens, des observations en vol simulé ou réel, et des enregistrements audiovisuels pour comprendre les interactions des pilotes avec leur environnement. L'analyse se focalise sur les interactions entre pilotes, objets techniques et environnement, examinant les formes sociales, organisationnelles et sémiotiques qui résultent d'un processus de conception au long cours. La recherche-conception implique une collaboration avec les acteurs du terrain pour concevoir des dispositifs de suppléance communicationnelle silencieux. L'objectif ultime est de créer des matérialités communicationnelles pour que les pilotes sourds puissent communiquer sans dépendre de la voix, favorisant ainsi leur inclusion et leur sécurité dans l'aviation. Cette inclusion est constitutive de la démarche collaborative que nous menons avec les pilotes sourds.FANS4ALL is a collaborative research-conception project initiated by the Aéro-Club des Sourds de France, aimed at developing a communication assistance device for deaf or hard-of-hearing pilots in recreational light aviation. Currently, aviation heavily relies on vocal communication, excluding deaf pilots from participation. The project encompasses various phases, from conceptualization to industrialization. The concept of "materiality" plays a pivotal role in this project, defined as the dynamic relationship between matter and the sensory experiences of deaf pilots (sight, hearing, touch). A multimodal research methodology is employed, involving interviews, observations during simulated or actual flights, and audiovisual recordings to understand pilot interactions within their socio-technical environment. The analysis focuses on interactions among pilots, technical objects, and the environment, examining the social, organizational, and semiotic forms that emerge from these interactions. Research conception involves close collaboration with stakeholders to design silent communication assistance devices. The ultimate goal is to develop communication materialities that enable deaf pilots to communicate without relying on voice, promoting their inclusion and safety in aviation. This inclusion is an integral part of our collaborative approach with deaf pilots.
- « C'est le bâtiment qui dicte vers où on va ». Faire parler les lieux d'urbanisme transitoire - Amélie Tehel p. 145-161 Lieux hybrides, multi-acteurs et impliqués dans les enjeux de leur territoire (Burret, 2015), les tiers-lieux solidaires engagent leurs publics dans des formes de cohabitation multiples (Galvão et al., 2022), parfois d'autant plus sensibles qu'elles s'ancrent dans une gestion quotidienne de l'urgence sociale auprès de publics en situation de vulnérabilité. Les configurations sociales des tiers lieux s'articulent avec des configurations spatiales également atypiques, en témoigne l'engouement pour les projets d'urbanisme transitoire. Cet article explore la manière dont deux actants non-humains parlent et agissent dans le cadre de ces projets, à savoir le bâtiment et le temps. Le bâtiment y sera vu comme investi d'une mission de ventriloquie (Cooren, 2010a, 2010b) pour accueillir les visiteurs et impulser l'appropriation du lieu et de sa vie collective. Le temps, quant à lui, sera abordé par le caractère chronotopique des tiers-lieux solidaires. Caractéristique singulière des projets d'urbanisme transitoire, le croisement de temporalités multiples sera montré comme source de fragilités, mais aussi d'opportunité de création de nouveaux espaces de rencontres et de dialogue.Solidarity third places are hybrid and multi-actor places involved in the life of their territories (Burret, 2015). They engage their publics in delicate forms of cohabitation (Galvão et al., 2022), even more sensitive as they are rooted in the day-to-day management of social emergencies. The social configurations of third places are built in equally atypical spatial configurations, which we can witness through the example of transitional urbanism. This article explores the way in which two non-human actors speak and act in these projects: the building itself and the time. The building will be seen as invested with a mission of ventriloquism (Cooren, 2010a, 2010b) to welcome visitors and encourage their appropriation of the site. Time, for its part, will be addressed through the chronotopic nature of third places. The intersection of multiple temporalities seem to be an important characteristic in such projects. We therefore will be analyzing it both as a source of fragility and as an opportunity to create time and space for dialogue.
- Comment l'organisation se matérialise et se constitue dans la communication ? : Le cas d'un processus d'idéation - François Cooren p. 163-181 Les études en communication, et les sciences sociales plus généralement, souffrent encore trop souvent d'une opposition malencontreusement entretenue entre, d'un côté, le monde du discours, des idées et de la communication, et, de l'autre, le monde dit matériel, présenté comme celui des outils, de la technologie, de l'architecture, mais aussi de la nature. Autrement dit, parler du monde matériel, c'est presque toujours parler de tangibilité, alors qu'a priori, le monde du discours et de la communication a toujours aussi déjà sa part de matérialité, dans la mesure où il est toujours fait de quelque chose. Cet article vise à mettre en évidence le caractère infondé de l'opposition tranchée monde matériel vs. monde immatériel en analysant le devenir d'un être a priori on ne peut plus abstrait, à savoir une idée dont l'évolution a été suivie tout au long d'un événement créatif organisé au Musée des beaux-arts de Montréal en novembre 2014. Loin d'être complètement immatériel, cet « être idéel » est en fait toujours fait « de quelque chose » et c'est justement grâce à ces diverses matérialisations qu'on peut prétendre pouvoir suivre son devenir et dévoiler son pouvoir organisant.Communication studies, and the social sciences more generally, still suffer from a misguided opposition between, on the one hand, the world of discourse, ideas and communication, and, on the other hand, the so-called material world, presented as that of tools, technology, architecture, but also nature. In other words, to speak of the material world is almost always to speak of tangibility, whereas the world of discourse and communication also always already has its share of materiality, insofar as it is always made of something. This article aims to highlight the unfounded nature of the clear-cut opposition between material world vs. immaterial world by analysing the fate of a being that could, at first sight, not be more abstract, namely an idea whose evolution was followed throughout a creative event organised at the Montreal Museum of Fine Arts in November 2014. Far from being completely immaterial, this ‘ideal being' is in fact always made ‘of something', and it is precisely thanks to these various materialisations that we can claim to be able to follow its becoming and reveal its organising power.
- Informations, communications et matérialités des formes sociales - Christian Le Moënne p. 183-210 L'utilisation constante de la notion d'« organisation » pour décrire toutes les formes sociales organisées manifeste une certaine faiblesse des conceptualisations, notamment du fait que cette notion est utilisée à la fois pour signifier les processus de structuration organisationnelle et le résultat, temporairement plus ou moins stable, de ces processus. Or, si les différentes formes d'organisations sont des formes sociales plus ou moins « emboitées » entre elles, il est opportun de clarifier cette notion, afin de mieux comprendre comment ces formes sont structurées, comment elles se maintiennent en évoluant constamment. Il s'agira dans un premier temps revenir sur la catégorie de « forme sociale » afin de mettre en évidence que ces entités, qui ne sont pas seulement idéelles, mais articulent pratiquement trois dimensions organisationnelles, objectales et sémiotiques. Il s'agira également essayer de contribuer à faire avancer les recherches sur les processus et pratiques d'information et de communication organisationnelle dans le contexte actuel de la numérisation générale des traces et des formes et le développement d'algorithmes d'apprentissage profond permettant de traiter ces traces et ces formes pour en faire des données susceptibles d'être des informations pour décider et agir.The constant use of the notion of ‘organisation' to describe all organised social forms demonstrates a certain weakness in conceptualisation, particularly in that this notion is used to mean both the processes of organisational structuring and the result, temporarily more or less stable, of these processes. However, if the different organizational forms are social forms that are more or less ‘nested' within each other, it is appropriate to clarify this notion, in order to better understand how these forms are structured, and how they are maintained while constantly evolving. We will begin by revisiting the category of ‘social form' in order to highlight the fact that these entities, which are not merely ideal, practically articulate three dimensions: organisational, objectual and semiotic. It will also attempt to contribute to the advancement of research into the processes and practices of information and organisational communication in the current context of the general digitisation of traces and forms and the development of deep learning algorithms enabling these traces and forms to be processed into data that can be used to make decisions and take action.
- Culture matérielle scolaire et médiatisation du métier de professeur des écoles : les objets de l'école à l'écran sur la vlogosphère - Angélica Rigaudière, Pierre-Yves Connan p. 211-233 Nous explorons la manière dont la culture matérielle scolaire s'inscrit dans le processus de médiatisation et de valorisation du métier de professeur des écoles. Notre contribution prend pour objet deux chaînes YouTube consacrées au métier d'enseignant du premier degré, à la vie quotidienne du professeur et aux activités de classe. Nous abordons d'abord la corrélation qui existe entre la représentation des objets par les professeurs des écoles et les normes de la présentation de soi sur YouTube. Notre analyse porte ensuite sur les mises en scène et en récit du matériel scolaire : selon quels éclairages, au sens propre et au sens figuré, les objets sont-ils présentés ? Nous montrons enfin qu'en jouant avec les représentations d'une culture matérielle scolaire commune, avec la capacité des objets à relier et à s'inscrire dans le processus pédagogique, les youtubeuses font découvrir les coulisses du métier et témoignent du travail invisible de l'enseignant.This article explores how material culture of schooling contributes to the representation and valorization of the teaching profession in the media. Our contribution focuses on two YouTube channels devoted to the teaching profession in primary schools, teachers' daily life and classroom activities. First, we address the correlation between the way teachers represent objects and the rules of self-presentation on YouTube. Next, we look at the staging and storytelling of school materials: in what literal and figurative ways are objects presented? Finally, we show that by playing with representations of a common school material culture and with the ability of objects to connect and become part of the pedagogical process, YouTubers reveal what goes on behind the scenes, and bear witness to the invisible work of teachers.