Contenu du sommaire : L'Université face au désastre écologique

Revue Ecologie & politique Mir@bel
Numéro no 67, 2023/2
Titre du numéro L'Université face au désastre écologique
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Premières leçons d'un conflit essentiel - Jean-Paul Deléage p. 5-6 accès réservé
  • Dossier. L'Université face au désastre écologique

    • Des scientifiques sur une ligne de crête : la réponse des Atécopols à la catastrophe socioécologique - Guillaume Carbou p. 9-14 accès réservé
    • Qui sont et que font les membres des Atécopols ? : De quelques trajectoires singulières, entre continuités et bifurcations - Sébastien Rozeaux, Laurent Gabail p. 15-30 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'un questionnaire et d'entretiens menés auprès des membres d'Ateliers d'écologie politique en France, l'article propose de dresser un portrait collectif de ces scientifiques venus d'horizons divers, dont l'adhésion à un Atécopol affecte de manière différenciée les trajectoires professionnelles et l'engagement dans la cité. En fonction du temps disponible de chacun, de nouvelles façons de faire se déploient, depuis l'enseignement jusqu'à la recherche en passant par la diffusion et la mise en débat des savoirs, imposant les enjeux écologiques comme un préalable à toute pratique scientifique.
      Based on a questionnaire and interviews with members of various “ Ateliers d'écologie politique” (political ecology research groups) in France, this article aims to paint a group portrait of these scientists who all come from different professional backgrounds. Becoming an Atecopol member has had a direct impact upon their career paths and involvement in the public arena in various ways. Within the limits of each individual's available time, new ways of doing research and of being a researcher have emerged, from one's teaching practices and research subjects or methods, to the dissemination of knowledge and forms of publicly-conducted scientific questioning. All these new paths posit the ecological stakes as a preamble to any scientific work.
    • Ce que la pluralité ontologique fait aux scientifiques : Le rôle de l'expérience sensible dans l'activité de recherche - Sören Frappart, Laure Laffont, Alex Ayet p. 31-50 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les travaux d'anthropologie de Philippe Descola mettent en avant que le partage entre nature et culture et plus généralement la manière d'appréhender les non-humains sont divers, institués par les sociétés dans lesquelles nous évoluons. La science occidentale est dès lors insérée dans l'une de ces ontologies, appelée le naturalisme. Dans cet écrit nous explorons, au travers d'une série d'entretiens, ce que la prise en compte de l'existence d'une pluralité d'ontologies fait aux scientifiques. Les entretiens, menés au sein de l'Atelier d'écologie politique (Atécopol) de Toulouse, révèlent que l'appropriation de cette pluralité passe par une expérience sensible de l'altérité, que ce soit à travers des rencontres avec d'autres sociétés ou avec d'autres disciplines. Cette appropriation a des conséquences à la fois sur l'activité d'enseignement et de médiation des chercheurs enquêtés mais également sur leur pratique de recherche, en modifiant le cadre théorique et méthodologique de leurs travaux. Elle dessine les contours d'une manière différente de concevoir et de mettre en œuvre la science, qui passe notamment par une hybridation de méthodes issues de différentes disciplines, afin d'explorer d'autres manières d'être au monde.
      The work of the anthropologist Philippe Descola highlights that the division between nature and culture, and more generally the way humans relate to non-humans are diverse and socially constructed. Western science is embedded in one of these ontologies, called naturalism. In this paper we explore, through a series of interviews, what taking into account the existence of a plurality of ontologies does to scientists. The interviews, conducted within the “ Atelier d'écologie politique” (Atecopol) of Toulouse, reveal that the appropriation of this plurality requires a sensible experience of alterity, be it through encounters with other societies or with other scientific disciplines. This appropriation has consequences both on teaching, outreach and research, in that it modifies the theoretical and methodological framework of the interviewees' work. It sketches the contours of a different approach to conceiving and implementing science, which involves a hybridization of methods from different disciplines, in order to explore other ways of being in the world.
    • La physique face à sa puissance : L'exemple du mythe technosolutionniste quantique - Guillaume Roux p. 51-69 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Nous discutons la construction en cours d'un mythe sociotechnique autour des technologies quantiques. Cet exemple de greenwashing illustre les mécanismes récurrents du régime des promesses pour la sélection et la publicité de projets technosolutionnistes. Nous soulignons la responsabilité du monde académique, les attentes du complexe militaro-industriel et le processus de marchandisation qui préside à son instauration. Cela questionne la gouvernance, les pratiques et les finalités de la recherche en physique, une science pourvoyeuse de puissance technique.
      We discuss the current establishment of a socio-technological myth around quantum technologies. This example of greenwashing highlights regular mechanisms behind the promising system for selecting and advertizing technosolutionist projects. We underline the responsibility of the academic world, the expectations of the military-industrial complex, and the marketization process governing its implementation. This questions the governance, practices and goals of the physics research, a science purveyor of technical power.
    • Les discours d'inaction climatique dans la communauté scientifique - Guillaume Carbou, Léa Sébastien p. 71-91 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les scientifiques sont vus dans la société et présentés dans les médias comme des lanceurs d'alerte à propos des crises environnementales. Malgré cela, de nombreux indices suggèrent que l'institution scientifique dans son ensemble peine à s'engager dans une transition écologique à la hauteur des enjeux. Nous explorons ici cette ambiguïté en étudiant les discours de résistance à l'action climatique au sein de la communauté scientifique, en faisant appel à la typologie des « discours d'inaction climatique » de William Lamb et ses collègues. Les discours de membres du personnel scientifique ont été recueillis dans plusieurs laboratoires et instances universitaires de Toulouse et Bordeaux. Nous montrons dans un premier temps que tous les arguments classiquement associés à l'inaction climatique se retrouvent dans les discours des scientifiques. Les mêmes logiques culturelles de verrouillage apparaissent donc à l'œuvre au sein de la communauté scientifique et dans le reste de la société. Dans un second temps, nous relevons l'existence de plusieurs arguments spécifiques au monde scientifique. Ceux-ci se fondent sur une épistémologie de sens commun (neutralité, liberté académique, valeur intrinsèque de « la science », etc.) qui semble jouer un rôle majeur dans la résistance des scientifiques à envisager la modification de leurs pratiques.
      Scientists are often seen as whistleblowers on environmental crises. Despite this, there are many indications that the scientific community as a whole fails to commit to a successful ecological transition. In this paper, we explore this ambiguity by studying the discourses of resistance to climate action within the scientific community. We use a typology of the “discourses of climate delay” developed by William Lamb and its colleagues to analyze a corpus of scientists discourses collected from several laboratories and university meetings in Toulouse and Bordeaux. We first show that all the arguments traditionally associated with climate inaction can be found in the scientists' discourses. The same cultural logics appear to be at work within the scientific community as in the rest of the society. Secondly, we note the existence of several arguments specific to the scientific community. These are based on a common sense epistemology (neutrality, academic freedom, the intrinsic value of “science”, etc.) which seems to be a major factor in the scientists resistance to change their practices.
    • L'aménagement du plateau de Saclay : un cargo cult échoué ? - Emmanuel Ferrand, Steve Hagimont p. 93-112 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le concept de cargo cult a d'abord servi à désigner des pratiques mélanésiennes, jugées irrationnelles, d'incantation à la prospérité par la reproduction formelle d'artéfacts supposés amener des bienfaits matériels, tels des avions cargos. La production d'artéfacts et d'aménagements pour faire advenir le progrès matériel et économique est en fait un trait largement partagé dans les sociétés occidentales elles-mêmes, reproduisant chacune à leur tour des éléments apparus ailleurs — l'un des archétypes de ces entités à reproduire étant la Silicon Valley. Il s'agit ainsi de résoudre les difficultés sociales et désormais écologiques en créant des espaces dédiés à la science et à l'innovation qui, bien que reposant sur des présupposés non vérifiés, doivent rendre compétitif et produire de la croissance, verte aujourd'hui. L'aménagement du « cluster » scientifico-technologique du plateau de Paris-Saclay est sans doute le principal lieu de ce cargo cult en France. Cet article propose d'en retracer l'origine et d'en suivre les justifications et développements actuels, mis en tension avec leur emprise sur les sols, leur contestation et les effets en cascade qu'ils risquent de provoquer pour le futur — si rien ne les fait dérailler. Cet aménagement, hérité d'un passé qui ne cesse d'agir à présent, fait figure d'« actif échoué » au regard des enjeux climatiques et de biodiversité. Il continue à vivre, à l'abri de palissades et d'un régime juridique spécial, et à renfort d'argent public, de béton, de greenwashing et de promesses.
      The concept of cargo cult was first used to designate Melanesian practices, deemed irrational, of incantation to prosperity through the formal reproduction of artifacts supposed to bring material benefits, such as cargo planes. The production of artifacts and amenities to bring about material and economic progress is in fact a trait widely shared by Western societies themselves, each in turn reproducing elements that have appeared elsewhere—one of the archetypes of these entities to be reproduced being Silicon Valley. The aim is to solve social and now ecological problems by creating spaces dedicated to science and innovation, which, although based on unverified presuppositions, should make them competitive and produce growth—green growth today. The development of the scientific-technological “cluster” on the plateau de Saclay is undoubtedly the main site of this cargo cult in France. This article traces the origins of this development and follows its current justifications and developments, in tension with their impact on the land, their contestation and the cascading effects they are likely to have in the future—if nothing is done to derail them. This development, inherited from a past that continues to act today, is a “stranded asset” when it comes to climate and biodiversity issues. It lives on, sheltered by fences and a special legal regime, and backed by public money, concrete, greenwashing and promises.
    • Enseigner au temps de l'Anthropocène : quelques pistes de redirection - p. 113-130 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'année 2022 aura été marquée par les déclarations de « désertion » de certains étudiants des grandes écoles (AgroParisTech, Polytechnique), refusant de servir un système amenant à une catastrophe écologique et sociale. Cet engagement courageux interpelle l'enseignement supérieur dans son ensemble et amène à interroger nos missions de transmissions des savoirs et des compétences. S'il semble clair que l'enseignement doit se transformer à l'ère de l'Anthropocène, il reste à en préciser la manière : quels contenus aborder ? quelles modalités pédagogiques suivre ? faut-il s'appuyer sur un cadrage national, au risque de dépolitiser certains enjeux essentiels de la transition/redirection écologique ? L'article aborde ces questions, au travers d'une critique du développement durable, d'une introspection de certaines disciplines scientifiques et de propositions autour d'expérimentations pédagogiques.
      The year 2022 will have been marked by declarations of “desertion” by some students of the Grandes Écoles (AgroParisTech, Polytechnique), refusing to serve a system leading to ecological and social disaster. This courageous commitment calls into question higher education as a whole, and our mission of transmitting knowledge and skills. While it seems clear that teaching must be transformed in the era of the Anthropocene, we still need to specify how: What content should be addressed? What teaching methods should be used? Should we rely on a national framework, at the risk of depoliticizing certain key issues in the ecological transition/redirection? This article addresses these questions, through a critique of sustainable development, an introspection of certain scientific disciplines, and proposals for pedagogical experimentation.
    • Comment l'idée de neutralité scientifique nous aveugle - Aurélien Berlan p. 131-146 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'idée ou l'idéal de neutralité scientifique, qui semble aller de soi, est en réalité problématique sur les plans épistémologique, sociologique, politique et écologique. Revenir sur la manière dont elle a été initialement théorisée par Max Weber, de manière à la fois exigeante et nuancée, permet de comprendre pourquoi elle n'aide plus, dans sa version communément admise aujourd'hui, les scientifiques à comprendre le rôle qu'ils et elles jouent, ou peuvent jouer, dans le débat public. Et rappeler la critique à laquelle elle a été soumise par Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, anticipant sur ce point l'écologie politique, permet de saisir comment elle aboutit à aveugler les scientifiques sur les tenants et aboutissants de leurs travaux, en les dédouanant de toute responsabilité envers leurs implications. Dans le contexte actuel, ce n'est pas une neutralité scientifique aussi hypothétique qu'idéologique qu'il faut promouvoir, mais plutôt la lucidité.
      The idea or ideal of scientific neutrality appears self evident, but raises many epistemological, sociological, political and ecological difficulties. Revisiting Max Weber's initial rigorous and subtle theorization explains why its present commonly accepted meaning has little relevance to a scientists' understanding of their actual or possible role in public debates. Recalling how Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, somewhat anticipating political ecology, criticized it, highlights how it ended up blinding scientists on what they actually do, thus exonerating them of any accountability about consequences. In the present context, lucidity should be promoted, rather than a doubtful and ideological scientific neutrality.
  • Variations

    • Les apports et les enjeux de l'écosocialisme hispanophone - Luis Martínez Andrade p. 149-160 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à mettre en lumière les apports et les enjeux de l'écosocialisme hispanophone. D'abord, nous montrons les principales idées de l'écosocialisme, ensuite, nous abordons certaines figures de l'écosocialisme hispanophone et, finalement, nous soulignons le lien entre l'écologie politique et le marxisme en Amérique latine.
      This article aims to highlight the contributions and challenges of Spanish-speaking ecosocialism. First, we show the main ideas of ecosocialism, then we discuss some of the figures of Spanish-speaking ecosocialism and, finally, we highlight the link between political ecology and Marxism in Latin America.
    • Et si on sautait le mur théorique des forces de production ? : Quelques commentaires critiques sur le livre Le mur énergétique du capital, de Sandrine Aumercier - José Ardillo, Jacques Luzi p. 161-175 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le texte propose une lecture critique du livre de Sandrine Aumercier, Le mur énergétique du capital. Contribution au problème des critères de dépassement du capitalisme du point de vue de la critique des technologies (2021). Dans un premier temps sont données des clés de lecture permettant de comprendre les présupposés théoriques du livre : la critique de la valeur d'auteurs tels que Robert Kurz. Quelle est la nouveauté et quelle est la pertinence de ceux-ci vis-à-vis d'une analyse de la question énergétique dans la société capitaliste ? Dans un deuxième temps est abordé le débat sur les limites du matérialisme marxiste face à l'écologie politique. La discussion sur la controverse entre la théorie de Marx et Engels et les éléments critiques apportés par Sergeï Podolinsky constitue un exemple concret des limites de la théorie marxiste permettant de saisir la relation entre travail, agriculture et énergie. Cet article se conclut par quelques citations de Simone Weil ajoutant certains éléments à la critique de la théorie marxiste relative à son incapacité à ébaucher une théorie socioéconomique qui puisse intégrer la culture matérielle et les flux d'énergie.
      The text offers a critical reading of Sandrine Aumercier's book, Le mur énergétique du capital (2021). First, we provide keys to understanding its theoretical presuppositions: the value criticism of authors such as Robert Kurz. What is their novelty and relevance to an analysis of the energy issue in capitalist society? Secondly, we consider the debate on the limits of Marxist materialism in the face of political ecology. The discussion of the controversy between the theory of Marx and Engels and the critical elements put forward by Sergeï Podolinsky provides a concrete example of the limits of Marxist theory for grasping the relationship between labor, agriculture and energy. The article concludes with a few quotations from Simone Weil, adding further elements to the critique of Marxist theory concerning its inability to outline a socio-economic theory that could integrate material culture and energy flows.
  • Sources et fondements

    • Murray Bookchin ou l'écologiste qui voulait tenir les deux bouts de la chaîne - Patrick Troude-Chastenet p. 179-190 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Murray Bookchin (1921-2006), le plus anarchiste des écologistes et le plus écologiste des anarchistes, ouvrier fondeur et théoricien autodidacte, s'efforça dans sa vie et son œuvre de concilier justice sociale et protection de la nature. Son Our Synthetic Environment (1962), qui replaçait les questions environnementales dans leur contexte économique et politique, fut totalement éclipsé par la parution six mois plus tard du livre de Rachel Carson, Silent Spring. Son écologie sociale et son projet communaliste ouvrent des perspectives pour le mouvement écologiste. Bookchin ancre l'écologie politique au sein du socialisme libertaire tout en rappelant qu'aucune société ne peut vivre sans un minimum de règles. Refusant tout dogmatisme, il justifie, sous conditions, la participation des anarchistes à des conseils municipaux. Sur la question animale, il renvoie dos à dos le biocentrisme, qui rend toutes les formes de vie interchangeables, et l'anthropocentrisme, qui place l'humanité au sommet d'une pyramide stratifiée.
      Murray Bookchin (1921-2006), the most anarchist of environmentalists and the most environmentalist of anarchists, a foundry worker and self-taught theorist, endeavored in his life and work to reconcile social justice with the protection of nature. His book Our Synthetic Environment (1962), which placed environmental issues in their economic and political context, was totally overshadowed by the publication six months later of Rachel Carson's Silent Spring. His social ecology and communalist project opened up new perspectives for the environmental movement. Bookchin anchored political ecology within libertarian socialism, while reminding us that no society can live without a minimum of rules. Rejecting all dogmatism, he justifies the participation of anarchists in municipal councils, subject to certain conditions. On the animal question, he dismisses biocentrism, which makes all forms of life interchangeable, and anthropocentrism, which places humanity at the top of a stratified pyramid.
  • Notes de lecture