Contenu du sommaire : Pacifier et punir (2)

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 174, septembre 2008
Titre du numéro Pacifier et punir (2)
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Médiation et droit pénal international. Le façonnage des outils de poursuite des crimes de guerre - Levi Ron, Schoenfeld Heather p. 4-23 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les vingt dernières années ont vu les tribunaux chargés de juger les crimes de guerre devenir une réponse de plus en plus acceptée aux atrocités commises. Toutefois, pour voir l'univers des tribunaux de guerre avec les yeux des juristes internationaux, il faut prêter attention aux outils juridiques internationaux qui ont été forgés pour enquêter sur les crimes de guerre et les juger. Cela d'autant plus que ces tribunaux doivent respecter deux ensembles de principes juridiques et normatifs fort différents : le champ du droit pénal international se caractérise par ce que certains appellent un « dédoublement de la personnalité », en vertu duquel l'approche coercitive du droit pénal cadre mal avec un internationalisme qui met l'accent sur la coopération volontaire entre des États souverains. Cet article examine le fonctionnement juridique interne d'un tribunal international, afin de déterminer comment il relève ce défi. En étudiant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, nous analysons la façon dont deux puissants outils juridiques – l'assignation à comparaître et l'arrestation – firent l'objet de controverses juridiques avant d'être adaptés afin de concilier les dimensions pénale et internationale de ce champ juridique clivé. Nos conclusions suggèrent qu'en intégrant ces principes concurrents dans la conception de ses outils juridiques, ce tribunal opère une médiation entre une logique pénale et un modèle internationaliste de la souveraineté d'État.
    Over the past two decades, war crimes tribunals have become an increasingly mainstream response to atrocities. Yet, in order to see the world of war crimes tribunals as international jurists see, one has to pay attention to the legal tools that have been forged for investigating and prosecuting war crimes internationally. This is especially so because these tribunals must attend to two strikingly different sets of legal and normative principles: the field of international criminal law is marked by what some call a “split personality”, in which the coercive approach of the criminal law sits uneasily with an internationalist emphasis on the voluntary cooperation of sovereign states. This paper studies the inner legal workings of a war crimes tribunal to learn how it copes with this challenge. Focusing on the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia, we investigate how two powerful legal tools – subpoenas and arrests – were the objects of legal controversy, and were adapted to accommodate both the criminal and the international dimensions of this chiastic field of law. We find that by embedding these competing principles into the design of its legal tools, this war crimes tribunal mediates a logic of criminal enforcement with an internationalist model of state sovereignty.
  • Causes de la justice internationale, causes judiciaires internationales. Note de recherche sur la remise en question de la Cour internationale de justice - Condé Pierre-Yves p. 24-33 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que les juridictions pénales internationales sont de mieux en mieux connues, l'absence de toute étude de sciences sociales sur la Cour internationale de justice, « organe judiciaire principal des Nations Unies », a laissé dans l'ombre le centre historique de la justice internationale ; cette note analyse leurs relations dans le jugement des « crimes qui choquent la conscience de l'humanité ». Après avoir analysé la faiblesse de la Cour, on montre comment deux rapports au droit et à la justice internationale se sont différenciés, l'un à travers certains recours à la CIJ puis dans les mobilisations pour la justice pénale internationale, l'autre dans la doctrine et dans la diplomatie juridique des grands États ; on explique enfin la part des conflits sur la centralité de la Cour dans la construction de son arrêt du 26 février 2007, dans lequel elle a jugé notamment que la Bosnie-Herzégovine n'avait pas prouvé que la Serbie était juridiquement responsable du génocide de Srebrenica.
    While our knowledge of international criminal jurisdictions is constantly improving, the lack of a social scientific analysis of the International Court of Justice – the “main judiciary body of the United Nations” – has left the historical core of international justice unexplored. This brief report looks at how they relate to each other in the prosecution of “crimes that upset the conscience of humanity”. After pointing out the weaknesses of the Court, I show how two ways of relating to law and international justice have developed, relying respectively on a certain use of the ICJ and then on mobilizations in favor of international criminal justice, and on the legal doctrine and legal diplomacy of great powers. I then turn to explaining the role of conflicts over the central position of the Court in the design of its February 26, 2007 sentence, in which it stated in particular that Bosnia-Herzegovina did not prove that Serbia was legally responsible for the genocide in Srebrenica.
  • La sanction de la torture en Irak. Une étude de cas sur l'imposition de la démocratie et de l'État de droit - Hagan John, Ferrales Gabrielle, Jasso Guillermina p. 34-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette étude de sociologie publique est fondée sur une enquête expérimentale conduite auprès de juges irakiens lors du début de l'occupation militaire de l'Irak. Les efforts américains pour imposer la démocratie par la réforme du système judiciaire irakien ont en fait produit des effets imprévus et erratiques sur les jugements normatifs des magistrats irakiens. La torture fait figure à la fois d'instrument et de symbole d'une démocratie imposée par la force, ce qui posait la question de savoir si les juges irakiens allaient ou non punir ce crime de façon systématique. Les résultats montrent que les juges réagissent de façon disparate et polarisée face à l'indétermination de la loi sur la torture et à la position hiérarchique des gardes de la coalition accusés de torturer des membres présumés d'Al-Qaida. Cette analyse de la démocratie et de l'État de droit imposés en Irak illustre à grands traits l'importance et la pertinence potentielle de la théorie comme de la pratique de la sociologie publique.
    This public sociology case study is based on an experimental survey conducted with Iraqi judges during the early military occupation of Iraq. The US effort to force democracy by reforming the Iraqi judiciary produced unintended and inconsistent results in the normative judgments of Iraqi judges. Torture was both an instrument and symbol for forced democracy in Iraq, and the question was whether Iraqi judges would punish this offense consistently. We found that these judges responded in a disparate and polarized way to the indeterminacy of torture law and the hierarchical power of Coalition guards torturing Al Qaeda suspects. Our analysis of forced democracy and rule of law in Iraq broadly illustrates the potential relevance and importance of the theory and practice of public sociology.
  • Document

    • Du droit à la paix. La circulation des techniques internationales de pacification par le bas - Lefranc Sandrine p. 48-67 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'intervention internationale en faveur de la pacification des sociétés ayant enduré une guerre civile ou une répression a connu un renouvellement depuis les années 1990. Alors que le droit pénal international se renforce, d'autres dispositifs recherchent la réconciliation du grand nombre. Des programmes de « pacification par le bas » promeuvent notamment le dialogue entre « gens ordinaires » ou leur formation à la résolution des conflits. En empruntant une démarche de sociologie des activités internationales, cet article tente de cerner les raisons d'agir des pacificateurs et la circulation des techniques qu'ils emploient. Il met au jour l'importance de logiques d'action professionnelles, qui relient les programmes mis en œuvre dans des pays du Sud à différents secteurs professionnels du Nord. La fabrique de la paix emprunte ainsi directement à des outils forgés aux marges du droit, dans la continuité des modalités de résolution dites alternatives des litiges. Mais les dispositifs internationaux de pacification par le bas ne se laissent pas entièrement ramener à leurs origines nationales : ils sont forgés par l'articulation, dans le cours de leur transposition à l'échelle internationale, de techniques de résolution des conflits, de rituels religieux et de dispositifs thérapeutiques.
      International peace-building interventions in societies that have experience civil war or repression have multiplied since the 1990s. While international criminal law is being strengthened, other technologies aim at fostering reconciliation on the largest possible scale. Programs of “bottom-up peace building” aim in particular at promoting dialogue among “ordinary people” or at training them in conflict resolution. This article borrows from the sociology of international practices and tries to specify the motivations of the peace-builders and the circulation of the technologies they use. It stresses the importance of professional practices that link up programs implemented in the South to different professional fields in the North. Peace is thus manufactured by borrowing tools that are honed on the margins of law, in line with so-called “alternative” modes of conflict resolution. But international tools for bottom-up peace-building cannot be entirely traced to their national origins: they are forged as they are transposed to the international level, through the articulation of conflict-resolution techniques, religious rituals, and therapeutic mechanisms.
    • Des droits de l'homme au marché du développement. Note de recherche sur le champ faible de la gestion de conflits armés - Dezalay Sara p. 68-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'espace des pratiques internationales d'intervention dans des conflits armés « internes » à un pays est caractérisé par un foisonnement d'initiatives et d'institutions, une diversité que l'on retrouve dans les usages du droit, allant de la sanction pénale à des pratiques de médiation. Le constat de cette extrême variété autoriserait à poser l'hypothèse d'un champ « faible » (selon l'expression de Christian Topalov). C'est en effet dans des champs plus institutionnalisés qu'est produit l'essentiel des ressources mobilisées dans la gestion des crises – capital symbolique des droits de l'homme, capital savant ou ressources diplomatiques et économiques. La « force » d'un tel champ « faible » réside dans la fluidité de ses structures internes, qui contribue en retour à en renforcer l'hétérogénéité. Elle permet en effet à des entrepreneurs de combiner ces ressources multiples pour lancer de nouveaux modes d'intervention. Pour illustrer ces stratégies de recomposition, cette note de recherche analyse en parallèle deux organisations non gouvernementales qui sont des intervenants majeurs sur ce marché international de la pacification qu'elles ont largement contribué à structurer, International Alert et l'International Center for Transitional Justice.
      The field of international practices organized around interventions in domestic armed conflicts is characterized by a variety of initiatives and institutions. The same diversity can be observed in the way law is mobilized within this field – from legal sanctions to mediation practices. Such an extreme variety suggests that this is a “weak” field (to use Christian Topalov's expression). Most of the resources mobilized in crisis management – symbolic capital centered on human rights, academic credentials as well as economic or diplomatic resources – are indeed generated in more institutionalized fields. The “power” of such a “weak” field resides in the fluidity of its internal structures, which contributes to reinforcing further its heterogeneity. Indeed, it allows entrepreneurs to combine these multiple resources in order to implement new modes of intervention. This research report illustrates these combinatory strategies by focusing on two major nongovernmental players in the international market for pacification techniques that they have contributed to creating: International Alert and the International Center for Transitional Justice.
    • Urgences et normalités de gestionnaires face aux violences « des autres », l'ONU et le Soudan - Ambrosetti David p. 80-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article, les infractions au droit international humanitaire sont envisagées du point de vue de l'environnement normatif des responsables de ces violations en contexte de conflits armés, à travers le cas des conflits au Sud-Soudan et au Darfour. L'accent est porté sur les facteurs de dissuasion ou au contraire de « permission », voire d'incitation, à de telles infractions présentes dans cet environnement. L'hypothèse est que, comme tous les « gestionnaires » internationaux des conflits, les responsables des opérations de l'ONU au Soudan font partie intégrante de cet environnement, en ce qu'ils introduisent de nouvelles ressources dans le conflit et que celles-ci ne manquent pas d'être captées par les belligérants pour assurer leur survie politique. D'où la nécessité de cartographier les routines, les « normalités », mais aussi les risques et urgences perçus par les protagonistes, au croisement des logiques bureaucratiques de leurs organisations et des enjeux politico-médiatiques dans les États les plus influents sur la question, ici les États-Unis.
      This article looks at the breach of humanitarian law from the point of view of the normative environment of those responsible for such violations, in the context of the armed conflicts in South Sudan and Darfur. It emphasizes the dissuasive or “permissive” factors (in some cases, the incentives) that determine these violations in such an environment. The hypothesis is that, as any other international conflict “managers” the officers in charge of UN operation in Sudan are part of this environment, to the extent that they introduce new resources in the conflict, which the belligerents do not fail to capture in order to secure their political survival. It is therefore necessary to map the routines, the “business as usual”, but also the risks and the emergencies as they are perceived by the protagonists, at the intersection of the bureaucratic logics of their organizations and the political stakes involved in the most influential states (in this case the United States).