Contenu du sommaire : Dynamiques sociales et classifications juridiques dans l'Empire russe
Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 51, no 2-3, avril-septembre 2010 |
Titre du numéro | Dynamiques sociales et classifications juridiques dans l'Empire russe |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Michael Confino (1926-2010) - Wladimir Berelowitch p. 188-193
- Implicit Questions in Michael Confino's Essay : Corporate state and vertical relationships - David L. Ransel p. 195-210 Le présent essai appuie les critiques stimulantes formulées par Michael Confino pendant de nombreuses années sur les conceptualisations communément utilisées par les historiens de la Russie. L'auteur admet les critiques de la notion de soslovie avancées par Confino dans son dernier article (CMR, 49 (4), 2008). Il laisse entendre qu'en adoptant le modèle selon lequel la modernisation de la Russie se serait opérée par le passage d'une société de soslovija à une société de classes, les historiens ont pu passer à côté d'une autre conceptualisation plus fructueuse et édifiante, associée d'ordinaire aux régimes latino-américains et ibériens plutôt qu'à la Russie, à savoir, le développement de la Russie par le passage d'un État patrimonial à un État et une société corporatistes. L'auteur pointe également les obstacles que soulève la notion de soslovie dans la compréhension de la microdynamique de l'histoire russe. La notion de soslovie tend à masquer un aspect de la vie russe que Confino lui-même avait commenté il y a longtemps déjà : les Russes de tous statuts sociaux vivaient en proximité étroite et étaient en contact quotidiennement. L'auteur propose des exemples extraits de différents travaux, dont les siens, et invite à utiliser davantage l'approche microdynamique de l'histoire russe.The essay commends Michael Confino's challenging criticisms over many years of the conceptualizations commonly used by historians of Russia. David L. Ransel agrees with the criticisms of the soslovie paradigm advanced by Confino in his recent essay. Ransel suggests that by adapting the soslovie to class conceptualization of Russia's modernization, historians may have missed seeing a more fruitful and instructive conceptualization, one usually associated with Ibero-Latin regimes rather than Russia, namely, the development of Russia from a patrimonial state to a corporate state and society. Ransel also points out the obstacles presented by the soslovie paradigm for understanding of the micro-dynamics of Russian history. The soslovie paradigm tends to blind scholars to a feature of Russian life that Confino himself had commented on many years ago: Russians of all social statuses lived in close proximity and interacted daily. Ransel gives examples from his own work and the work of others and calls for more study of the micro-dynamics of Russian history.
- Stol´niki kak čin gosudareva dvora v carstvovanie Mihaila Fedoroviča Romanova - Andrej P. Pavlov p. 211-240 Comme le montrent les travaux les plus récents, en particulier ceux de Robert Crummey, l'autorité des bojare n'a pas décliné au XVIIe siècle. En effet, l'entrée au Conseil de membres des familles de rang moyen signifia moins la substitution de l'élite bojar par la noblesse, que l'intégration de personnes nouvelles attachées à l'ancienne élite par des liens de famille et de clientèle. L'auteur poursuit la recherche dans cette direction et tente de répondre à la question suivante : dans quelle mesure les conclusions des historiens concernant l'élite du Conseil sont-elles valables pour les autres grades de la cour du souverain, notamment les grades dits de Moscou ? La composition et le processus de recrutement du grade de panetier sous le règne de Mihail Romanov constituent le cœur de cette étude.L'auteur note qu'en dépit de l'intégration importante de membres de familles nouvelles de la noblesse dans le grade des panetiers traditionnellement réservé aux bojare, ceux-ci y conservaient une position solide car ils bénéficiaient du privilège d'accéder à ce grade de façon préférentielle, en vertu de leurs origines et de la tradition.En même temps, comme le montre l'auteur, les membres des familles de la noblesse moyenne n'intégraient pas ce grade de façon aléatoire. Le plus souvent, ils étaient étroitement liés à la famille du tsar par « le service dans la Chambre », ou bien jouissaient de liens familiaux ou personnels avec des membres de l'élite bojar et de celle de la cour.À propos des panetiers, l'auteur conclut que le processus relève moins de la supplantation de l'aristocratie par la noblesse, que de l'accroissement de l'élite par l'apport des familles nouvelles qui s'intégraient avec succès au milieu de la cour, comme ce fut le cas pour les grades du Conseil. Les grades du Conseil et de Moscou constituaient la couche dirigeante de l'État de Moscou et le tsar ne pouvait ignorer leurs intérêts. La position éminente de cette élite dirigeante et privilégiée de la cour au-dessus de l'ensemble de la noblesse et son isolement de la noblesse provinciale furent un obstacle substantiel à l'émergence de l'ordre de la noblesse en Russie au XVIIe siècle.Historians (Robert Crummey, among others) have recently shown that the boyars' influence did not decline in the seventeenth century. Appointments to the Duma of members of non-boyar families amounted less to the substitution of the boyar elite with the gentry (dvorianstvo) than to the integration of new figures connected to the old elite through kinship or patronage. The author conducts his analysis along these lines and tries to answer the following question: To what extent do historians' conclusions on the Duma's elite apply to the other court ranks, particularly the so-called Moscow ranks? His study of the composition of the rank of steward (stol´nik) and its recruitment process under the reign of Mikhail Romanov constitutes the focus of this article. As the author points out, despite the significant number of appointments of members of new noble families to a rank that was traditionally reserved to boyars, the latter nonetheless continued to enjoy a stable position because they were given preferment in these appointments by virtue of tradition and their origins At the same time, these appointments were not fortuitous. Most of the promoted servitors had access to the tsar's family through service as “gentlemen of the bedchamber” or had kinship or personal ties with members of the boyar and court elites. The author concludes that appointments to the rank of steward were less intended to replace boyars with the gentry than to expand the elite with the influx of new families who successfully integrated the court. Moscow and Duma ranks constituted the unique ruling layer of the Muscovite state and the tsar could not ignore their interests. The eminent position of this privileged ruling elite above the bulk of the nobility and its isolation from the provincial gentry turned out to be an obstacle to the consolidation of the nobility as an estate in the seventeenth century.
- « Polonjaniki » kak social´naja gruppa - Aleksandr Lavrov p. 241-257 L'article porte sur le statut des anciens captifs (polonjaniki) en Moscovie aux XVIe et XVIIe siècles. Bien que la notion de postliminium fît défaut dans le droit vieux-russe, certaines normes, qui se référaient à cette notion, vinrent dans le droit russe par l'intermédiaire du droit byzantin (un exemple d'une telle influence, celui de la norme d'Ecloga sur le Justicier de 1497, est analysé dans l'article). Cependant, le droit moscovite développe progressivement sa propre vision de la situation des rescapés revenant de captivité. Cette vision ne supposait pas seulement la restitution du statut social et de la propriété dont l'individu jouissait avant sa capture, mais aussi son amélioration (par exemple, l'émancipation des anciens esclaves, qui, revenant de captivité, devenaient libres). Plusieurs exemples, provenant des actes du XVIIe siècle, permettent de suivre comment ces normes furent appliquées et quels conflits elles engendraient.The article deals with the status of former captives (polonianiki) in sixteenth- and seventeenth-century Muscovy. Although the concept of postliminium did not exist in old Russian law, many norms referring to it became integrated to Russian law through the mediation of Byzantine law (the impact of Ecloga on the law code [Sudebnik] of 1497 is analyzed in the article). However, Muscovite law gradually developed its own vision of the situation of repatriated captives. This vision included not only restitution of social status and lost property, but, in many cases, improvement of social status (for example, former slaves captured by the enemy were enfranchised when they returned from captivity). Many seventeenth-century court cases allow us to observe how these norms were applied and what conflicts they generated.
- Sostav i ocobennosti social´nogo statusa svetskoj pravjaščej ėlity Rossii pervoj četverti XVIII veka - Sergej V. Černikov p. 259-280 Le règne de Pierre le Grand apparaît comme une période de transformations actives des vieilles structures sociales et la formation d'une nouvelle hiérarchie. Après avoir analysé la composition nominale de l'élite dirigeante de la Russie du premier quart du XVIIIe siècle et les principes de son recrutement, l'auteur conclut que la formation de l'élite pétrovienne s'inscrivait dans la continuité de la période antérieure, alors que les réformes présentaient quant à elles un caractère novateur. Des stratégies, vérifiées par le temps, d'intégration de l'élite et des valeurs traditionnelles de la société moscovite (lignée, famille, naissance, service) se trouvaient déjà à la base de la politique de Pierre, côtoyant les principes « rationnels » fixés par la Table des rangs.Peter the Great's reign is notable for active changes in old social structures and for the formation of a new hierarchy. The author analyzes the composition of the ruling elite of the first quarter of the eighteenth century and the principles underlying its recruitment, then concludes that Peter's formation of the elite continued the practices of the preceding period while his reforms, however, had an innovative character. Time-tested strategies for integrating the Muscovite elite and the traditional values of Muscovite society (lineage, family, birth, service) were from the start at the root of Peter's policy and coexisted with the “rational” principles of the Table of Ranks.
- Integracija činovničestva v provincial´nye gorodskie ėlity - Dmitrij Redin p. 281-301 Cette étude porte sur la catégorie la plus nombreuse de la bureaucratie provinciale, en tant que composante de l'élite locale. La périodisation choisie découle du fait que les réformes de Pierre ont fortement marqué l'évolution de la société russe, notamment celle des élites. L'historiographie n'a pas suffisamment mis l'accent sur les liens établis par cette bureaucratie avec l'élite locale dans les provinces. La plupart des travaux d'histoire sociale analyse le rôle et l'importance de cette bureaucratie à partir d'un cadre d'interprétation qui oppose pouvoir et société. Dans un tel schéma, la bureaucratie est comprise comme une expression de l'autorité extérieure à la société locale, et même étrangère à ses élites. Une telle position ne nie pas l'existence des liens mutuels entre pouvoir local et les miry. Elle reconnaît, en effet, la possibilité d'une certaine participation de la société dans l'organisation du pouvoir (en premier à travers les organes d'auto-gouvernement local). Toutefois, elle ne voit pas l'interpénétration étroite et complexe de ces systèmes.Cette étude montre qu'au tournant du XVIIIe siècle, dans le mouvement des réformes de Pierre, la Russie voit naître des bureaucraties à l'échelle locale, au sein des sociétés de chaque district. En raison de leurs fonctions et de leur enracinement local, ces bureaucraties deviennent un élément stable des sociétés provinciales, concentrant en elle les caractères du pouvoir et de la société. L'étude de ces phénomènes requiert une approche fondée sur des enquêtes capables de rendre compte des spécificités régionales.Deux centres administratifs de l'est de la Russie, fortement contrastés, font l'objet de cette étude. Vjatka (Hlynov) et Tjumen´ se distinguent par leurs traditions de gouvernement et leurs structures sociales. Des archives inédites sont mobilisées à l'appui de ce dossier, construit sur une approche d'anthropologie historique.This study deals with a category of provincial bureaucracy – the largest, in fact – which was part of the local elite. The choice of the period under study is due to the fact that Peter's reforms strongly marked the evolution of Russian society, and particularly that of the elites. Historiography has not sufficiently emphasized the ties that this bureaucracy established with the local elite in the provinces. Most studies in social history analyze the role and importance of that bureaucracy within a theoretical framework opposing the state and society and presenting bureaucracy as an external expression of authority, and even foreign to its elites. Such a position does not ignore the mutual ties between local powers and miry. In fact, it acknowledges a possible participation of society in the organization of power (mainly through local self-government bodies). However, it fails to see the narrow and complex interpenetration of these systems. This study shows that at the time of Peter's reforms at the turn of the eighteenth century, Russia witnessed the birth of bureaucracies at the local level within each district's society. Due to their functions and local implanting, these bureaucracies became a stable element of provincial societies and acquired characteristics pertaining both to government and society. The study of these phenomena requires an approach based on investigation procedures taking regional specificities into account. The present study deals with two highly contrasting administrative centers of Eastern Russia, Viatka (Khlynov) and Tiumen´, differing by their government traditions and social structures. This study, based on unpublished archives, is conducted within the framework of historical anthropology.
- « Na raznye činy razdeljaja svoj narod… » - Sergej V. Pol´skoj p. 303-328 Cet article étudie la construction des catégories sociales par les membres de la Commission législative (1754-1766) à travers l'exemple des projets de droits et privilèges de la noblesse russe. Les réformateurs nobles ont tâché de créer un État bien policé avec la primauté de la noblesse dans leurs projets. Dans les années 1750, la noblesse russe éclairée a utilisé le concept de monarchie tempérée de Montesquieu pour réfuter l'assertion de la nature despotique du système politique russe et pour justifier l'autorisation législative du statut privilégié de la noblesse. Une description détaillée des droits et libertés de la noblesse et des marchands est apparue dans les projets de la Commission législative élisabéthaine pour la première fois dans l'histoire russe. Cela a pour cause le développement des idées politiques de l'élite aristocratique au milieu du XVIIIe siècle, et indique une familiarité parmi la noblesse avec les théories politiques européennes ainsi bien qu'une prise de conscience profonde de ses intérêts sociaux exprimés en termes et concepts occidentalisés.The article examines how the Legislative Commission members (1754-1766) went about constructing social categories, taking the example of the projects on the nobility's rights and privileges. In these projects, noble reformers of the era strived to create a well-ordered state (un État bien policé) ensuring the nobility's primacy. In the 1750s, Russian enlightened nobles used Montesquieu's concept of “moderate monarchy” (monarchie tempérée) to disprove assertions that the Russian political system was despotic by nature, and justify legislative authorization of the nobility's privileged status. In what was a new precedent in Russian history, the Elizabethan Legislative Commission gave detailed descriptions of the nobility's and merchant's rights and liberties. This stemmed from the development of the aristocratic elite's political ideas in the mid-eighteenth century, and demonstrated that the nobility was familiar with European political theories and was deeply aware of its social interests as expressed in westernized terms and concepts.
- Urban encounters : The estate system in everyday life in 1820s Moscow - Alexander M. Martin p. 329-351 Cet article traite de la corrélation entre l'identité d'un ordre (soslovie) et les réalités sociales quotidiennes à Moscou à l'époque de Nicolas Ier. Fondé sur une base de données de 3 555 noms inscrits dans les registres paroissiaux moscovites en 1829 et étayé par des textes littéraires et des Mémoires ayant valeur de preuves complémentaires, l'article pose notamment les questions de la répartition des ordres selon les quartiers de la ville, de la fréquence avec laquelle les membres de différents ordres vivaient sous un même toit, des similitudes ou des différenciations entre les structures des ménages et des familles, ou encore du choix des prénoms pour les enfants selon l'appartenance à tel ou tel de ces ordres. Dans l'ensemble, l'article pointe sur une polarisation binaire des différents ordres dans une classe moyenne et une classe inférieure, mais aussi sur un processus d'assimilation par lequel la culture des élites se diffusait vers le bas dans les autres couches de la société.This article examines the correlation between estate (soslovie) identity and everyday social realities in Moscow under Nicholas I. Based on a database of 3,555 names from confessional records of Moscow parish churches for 1829, and using literary and memoir texts as additional evidence, the article asks: how were the different estates distributed across the neighborhoods of the city? How commonly did members of different estates live in the same house? How similar or different were the household and family structures of different estates? And, what names did different estates choose for their children? Overall, the article finds a binary polarization of the various estates into a middle and a lower class, but also a process of assimilation by which the culture of the elites spread downward through society.
- The shifting place of women in Imperial Russia's social order - Alison K. Smith p. 353-367 Cet article met en avant des lois publiées et d'importants dossiers des archives centrales et provinciales russes et examine la façon dont les femmes négociaient leur propre statut en adressant des requêtes pour être intégrées à de nouveaux ordres. L'article montre que non seulement la relation des femmes aux ordres était différente de celle des hommes, mais qu'en plus elle témoigne du rôle changeant des ordres dans la société russe. La participation active des femmes au système montre à la fois la persistance, dans la société russe, d'une hiérarchie basée sur les ordres et aussi la nature évolutive de la responsabilité communale au cours du XIXe siècle, qui est passée d'une responsabilité basée sur les devoirs de l'individu vis-à-vis de la communauté ou de l'État à une responsabilité de la communauté envers l'individu.This paper draws on published laws and extensive files from central and provincial Russian archives to examine the ways in which women negotiated their own soslovie status by actively petitioning to enter new sosloviia societies, and finds that not only did women have a different relationship to soslovie than men, but also the way in which women related to soslovie demonstrates the changing role of sosloviia in Russian society. Their active participation in the system shows both the persistence of soslovie-based hierarchies in Russian society, and also the evolving nature of communal responsibility during the nineteenth century, from one based on the duties of individuals to the commune or the state, to one based more on the responsibilities of the commune to the individual.
- From soslovie to voluntary associations : New patterns of collective identities in late Imperial Russia - Vera Kaplan p. 369-396 Selon les recherches historiques et sociologiques, l'apparition des associations volontaires a joué un rôle important dans le remodelage de l'ordre social basé sur des divisions sociales et légales rigides. En introduisant de nouveaux aménagements sociaux, les associations volontaires ont ébranlé l'idée même de mondes corporatifs fermés, basés sur le rang ou l'ordre. Alors que de récentes études ont démontré la dimension significative de l'activité associative à la fin de la Russie impériale, le rôle des associations volontaires dans la formation de nouvelles identités collectives n'a pas encore été abordé. Cet article tente de considérer cet aspect en examinant les pratiques d'adhésion volontaire de ces associations, les normes de communication interpersonnelle et les mécanismes mis en œuvre pour discipliner ceux qui ne répondaient pas aux critères moraux et idéologiques imposés aux membres. Cet article pointe sur l'activité de la Société des zélateurs de l'éducation historique russe (Obščestvo revnitelej russkogo istoričeskogo prosveščenija, 1895-1918) dont les archives uniques n'ont pas encore été exploitées par les chercheurs. D'un point de vue méthodologique, l'article démontre que l'application du concept de sociabilité permet de discerner les nouvelles tensions et conflits qui naquirent de la coexistence de l'ancien cadre de groupement social hérité du passé avec le nouveau, de type volontaire.According to both historical and sociological research, the appearance of voluntary associations played an important role in refashioning the social order based on rigid social-legal divisions. By introducing new social arrangements, voluntary associations undermined the very idea of closed corporative worlds organized around rank or estate. While recent studies have demonstrated the significant dimension of associational activity in late Imperial Russia, the role of voluntary associations in shaping new collective identities has not yet been addressed. This article seeks to consider this issue by examining these associations' practices of voluntary membership, norms of interpersonal communication, and mechanisms for disciplining those who did not meet the ideological or moral standards imposed on their members. The article focuses on the activity of the Society of Zealots of Russian Historical Education (Obshchestvo revnitelei russkogo istoricheskogo prosveshcheniia, 1895–1918), whose unique archive has not yet been utilized in historical research. From the methodological point of view, the article demonstrates that applying the concept of sociability makes it possible to discern the new tensions and conflicts that arose from the coexistence of old hereditary and new voluntary frameworks of social grouping.
- Rethinking elite integration : The Crimean Murzas and the evolution of Russian nobility - Kelly O'Neill p. 397-417 Dans la Russie tsariste, l'intégration des élites était une composante cruciale de l'édification de l'empire. Alors que les statuts auxquels prétendaient les élites non russes, ou qui leur étaient attribués, aidaient à déterminer la relation entre le centre et la périphérie, l'intégration des élites revêtait une dimension latitudinale non moins importante. Une étude attentive des nuances de ce processus dans la province de Tauride (l'ex-khanat de Crimée) suggère que l'anoblissement des personnages importants des régions limitrophes engendrait une reconceptualisation des implications et de l'accessibilité au statut de noble dans tout l'Empire. Le cas étudié dans cet article, celui des mourzas de Crimée, propose de repenser la géographie des catégories sociales et les dynamiques du processus par lequel les officiels et les élites organisaient la société noble à la fin du XVIIIe et au tout début du XIXe siècle. Les mourzas formaient un groupe de population très peu nombreux – jamais plus de cinq cents individus à une époque donnée – mais ils étaient musulmans dans une période de tolérance religieuse, anciens vassaux du sultan à l'époque de la rivalité russo-ottomane et héritiers des traditions de la steppe alors que la Russie tentait de se réinventer comme un État européen. De ce fait, déterminer si et comment un mourza pouvait être anobli avait des implications idéologiques et logistiques très diverses pour la société impériale.In tsarist Russia, elite integration was a crucial component of empire building. While the status claimed by, or ascribed to, non-Russian elites helped determine the relationship between core and periphery, elite integration had an equally important latitudinal dimension. Careful study of the nuances of this process in Tavrida province (the former Crimean khanate) suggests that the ennoblement of borderland figures engendered a reconceptualization of the implications and accessibility of noble status throughout the empire. The case of the Crimean murzas, explored in this article, suggests that we rethink the geography of social categories and the dynamics of the process through which officials and elites curated noble society in the late eighteenth and early nineteenth centuries. The murzas were a diminutive population – never more than 500 at a given time – but they were Muslims in an era of religious toleration, former vassals of the sultan in the age of Russian-Ottoman rivalry, and heirs to steppe traditions in the midst of Russia's attempt to reinvent herself as a European state. Determining whether and how a murza might become a nobleman therefore had wide-ranging logistical and ideological implications for imperial society.
- Soslovie and the Foreign Clergies of Imperial Russia : Estate rights or service rights? - Paul W. Werth p. 419-440 Par son analyse du statut social des serviteurs religieux des confessions non-orthodoxes de Russie (« les confessions étrangères »), cet essai aborde une dimension impériale significative de la question des ordres (sosloviia). Le but est d'établir dans quelle mesure on peut mettre en évidence l'existence d'un ordre clérical pour les confessions étrangères, distinguer les critères selon lesquels les individus étaient reconnus comme relevant de clergés non-orthodoxes et pointer les droits et privilèges auxquels ces serviteurs religieux pouvaient prétendre. En reprenant la distinction, avancée par Vasilij Ključevskij, entre « droits inhérents à un ordre (soslovnye prava) » et « droits inhérents à une fonction (dolžnostnye prava) », l'auteur démontre que les serviteurs chrétiens, à commencer par le clergé orthodoxe, avaient progressivement acquis des droits inhérents à leur ordre, tandis que les serviteurs non-chrétiens n'avaient généralement pu acquérir que les seuls droits propres à leur fonction. Cet état de fait résulterait de la combinaison d'intérêts pratiques et idéologiques, associés à la connaissance limitée de l'État sur les serviteurs non-orthodoxes, aux engagements de celui-ci à privilégier la chrétienté (orthodoxe) dans l'ordre social de la Russie, et aux modifications de sa politique visant les soslovija.This essay addresses a significant imperial dimension of the soslovie question by analyzing the estate status of the religious servitors of Russia's non-Orthodox faiths (the “foreign confessions”). Its goal is to ascertain the extent to which one may discern a clerical estate (dukhovnoe sostoianie) for the foreign confessions, the standards by which individuals were recognized as belonging to non-Orthodox clergies, and the rights and privileges to which these religious servitors were entitled. Drawing on a distinction offered by Vasilii Kliuchevskii between “estate rights” (soslovnye prava) and “service rights” (dolzhnostnye prava), the author argues that Christian servitors, beginning with the Orthodox clergy, gradually acquired estate rights, while non-Christian servitors were generally able to acquire only service rights. The reasons for this outcome should be sought in a combination of practical and ideological concerns having to do with the state's limited knowledge about non-Orthodox servitors, its commitments to the privileging of (Orthodox) Christianity in Russia's social order, and broader shifts in the state's soslovie policies.
- Creating a Creole Estate in early nineteenth-century Russian America - Susan Smith-Peter p. 441-459 En Amérique russe, les créoles étaient le fruit de l'union d'hommes russes et de femmes autochtones. L'article débat sur le fait que la création, au début du XIXe siècle, d'un ordre créole par la Compagnie russe d'Amérique (CRA) et le gouvernement russe répondait à deux buts principaux : créer un ordre non imposable qui servirait la CRA plutôt que l'État et étendre le mode de vie russe. Plutôt que d'imaginer les ouvriers russes de la CRA comme des porteurs de culture, la CRA et l'État comptaient sur les créoles pour associer leur expérience des conditions de vie locales à la connaissance des traditions, culture et langue russes, ce qui était favorisé par la perspective que la compagnie se chargerait de l'éducation de tous les créoles. Faisant appel à un très large éventail de sources d'archives des années 1810-1820, l'article étudie l'origine de l'ordre créole comme une tentative de créer dans le Nouveau Monde une nouvelle civilisation russe, ordonnée, monogame et productive.In Russian America, creoles were the offspring of Russian men and Native women. This article argues that the creation of a creole estate in the early nineteenth century by the Russian-American Company (RAC) and the Russian government had two main goals: to create a non-taxable estate that would serve the RAC rather than the state and to spread the Russian way of life. Rather than envisioning Russian workers for the RAC as culture bearers, the RAC and the state expected creoles to bring together experience of local conditions with knowledge of Russian traditions, culture and language, which was fostered by the expectation that all creoles would be educated by the company. Using a wide variety of archival sources from the 1810s and 1820s, the article examines the origin of the creole estate as an attempt to create a new orderly, monogamous, and productive Russian civilization in the New World.
- Paradigms, categories, or fuzzy algorithms? : Making Sense of Soslovie and Class in Russia - Robert E. Johnson p. 461-466 Tout en se reportant aux récents commentaires de Michael Confino et Elise Kimerling Wirtschafter sur les soslovija et les classes sociales en Russie impériale, l'auteur laisse entendre que l'un et l'autre ont surévalué les difficultés liées à ces concepts. Certes on ne saurait nier ce que ces deux termes véhiculent d'imprécision et d'incohérence, cependant ceux-ci renvoient à des catégories tangibles de la société russe, catégories qui ont affecté les identités, les perceptions et les comportements. Bien que les notions de classe et de soslovie ne délimitent pas de façon probante les catégories de la société russe, elles les mettent en lumière et attirent l'attention des chercheurs sur des questions empiriques significatives.Addressing the recent commentaries of Michael Confino and Elise Kimerling Wirtschafter on soslovie and class in Imperial Russia, the author suggests that both have overstated the difficulties associated with these concepts. Admittedly, problems of imprecision and inconsistency are associated with both terms, yet both refer to tangible divisions in Russian society – divisions that affected identities, perceptions and behavior. Although ideas of class and soslovie do not conclusively define the divisions in Russian society, they do illuminate those divisions and direct researchers' attention toward significant empirical questions.
- Livres reçus - p. 481-482