Contenu du sommaire : Philosophie et sciences sociales

Revue Tracés Mir@bel
Numéro Hors-série no 13, 2013/3
Titre du numéro Philosophie et sciences sociales
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Philosophies et sciences sociales : les enjeux de la conversion - Guillaume Calafat, Cécile Lavergne, Éric Monnet p. 7-25 accès libre
  • Articles

    • L'esthétique sociale entre philosophie et sciences sociales - Barbara Carnevali p. 29-48 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une réflexion sur le rapport entre philosophie et sciences sociales dans une perspective philosophique. Il prend pour point de départ un programme de recherche nommé « esthétique sociale », dans lequel convergent différentes disciplines telles que la sociologie, la littérature et l'histoire des arts. La validité problématique de cette recherche est illustrée par une série d'exemples de phénomènes esthético-sociaux, tels que le style de vie, le prestige, le luxe, tous situés à l'intersection des domaines de compétence des sciences sociales et de l'esthétique entendue aussi bien comme théorie de la perception (aisthesis) que comme théorie des arts. Une fois l'esthétique sociale définie comme un savoir ayant pour objet « la manifestation sensible du social », l'article s'interroge sur le modèle de connaissance particulier produit par cette collaboration entre disciplines ainsi que sur le rôle qu'y joue la philosophie. Dans le respect de la légitimité des frontières comme des compétences spécifiques des sciences sociales, sans prétendre exercer un quelconque magistère sur elles, bien au contraire, la philosophie se veut ici un « savoir de synthèse » : elle se donne pour tâche de connecter entre elles et de structurer en un tout cohérent les connaissances empiriques offertes par les sciences sociales. Cet effort de problématisation, d'homogénéisation et d'articulation, propre à la démarche philosophique, est complété par le recours à une approche historico-généalogique, illustrée par l'exemple de l'histoire de la partition disciplinaire entre esthétique et économie qui remonte au XVIIIe siècle. Dans cette analyse, la philosophie démontre son potentiel critique : elle permet de remettre en question des a priori qui organisent la conception actuelle du savoir, notamment les oppositions entre utile et inutile, nécessité et gratuité, de même qu'elle relie des sphères de réalité apparemment très distantes les unes des autres.
      This paper investigates relations between philosophy and social science in the field of social aesthetics, which brings together such disciplines as sociology, literature, and art history, from a philosophical prospective. The main problems of social aesthetics are illustrated by a series of social and aesthetic phenomena (such as lifestyle, prestige, and luxury) at the intersection of social science and aesthetics (interpreted both as theory of perception and theory of arts). Social aesthetics is defined as the study of appearance in the society. The paper investigates the knowledge model and theoretical foundations of this interdisciplinary field. Respecting legitimacy and disciplinary boundaries of social science, the papers reminds us that the domain of philosophy is synthesis, ability to bring together and to give a coherent structure to empirical knowledge derived from social science. Philosophy is concerned with problematisation, homogenisation, and articulation, and also with history and genealogy: these domains are illustrated by a history of the divide between aesthetics and economy, which dates back to the 18th century. The example demonstrates critical potential of philosophy, since it allows us to question several a priori concepts that frame our idea of knowledge (such as opposition between useful and useless, necessary and gratuitous), to connect, and to find analogies between seemingly distant spheres of reality.
    • Pour un structuralisme des passions - Frédéric Lordon p. 49-72 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dépasser vraiment l'antinomie des structures et de l'agence, c'est-à-dire sans oublier les structures ni tout accorder à l'acteur souverain, suppose de refaire la part des individus dans les structures. Le concept spinoziste de conatus s'y prête particulièrement bien puisqu'il désigne un pôle de puissance individué mais déterminé par des affections extérieures seulement à poursuivre tel objet de désir ou à adopter tel comportement. Ce sont des choses sociales – institutions, structures, rapports sociaux – qui sont les origines de ces affections et qui le plus souvent déterminent le conatus à des poursuites conformes à leurs normes. Jusqu'à ce que institutions ou structures se rendent littéralement odieuses, c'est-à-dire produisent dans les individus des affects de rejet colérique qui les déterminent cette fois à se retourner contre elles. Ainsi les passions sont-elles le tiers terme entre structures et actions individuelles. Et les structures ne sont pas éternelles, car il leur arrive d'affecter les individus trop tristement pour que ceux-ci ne se retournent pas contre elles.
      Could there be a way out of the long lasting antinomy opposing “the structures” and “agency”? If any, restoring the indivuals' place within the structures would be its first move. But where to find a proper concept of the individual which would not be oblivious of all that stands beyond the individual and determines its actions? Spinoza's concept of conatus is especially fit to this task as it is defined as an individual pole of power of acting but whose concrete strivings are determined through affections by external things – among which social things: institutions, structures. As a generic desiring energy, the conatus is shaped within the structures and finds his particular objects of desire through their affections. However structures and institutions can also affect the conatuses in a way that makes themselves loathable, and thus no longer determine the conatuses to comply with their norms but instead to rebel against them. Poles of power of acting within the structures, if most of the time normalized through the structural affections, can also be determined – by the structures themselves – to rock the structures. Passions, which are the determining middle term between structures and individuals can thus play a way or another, always leaving open the possibility of the crisis.
    • Identité et appartenance sociale - Christian Lazzeri p. 73-102 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La possession d'une propriété commune à l'individu et au groupe social entraîne-t-elle une intégration sociale du premier au second ? Définit-elle la base d'un rapport d'allégeance de l'individu au groupe social ? Facilite-t-elle les processus d'intercompréhension et de contagion émotionnelle des membres du groupe ? Réduit-elle l'incertitude en matière d'attentes croisées concernant le comportement des membres du groupe comme contrepartie du degré de confiance qu'ils partagent ? Engendre-t-elle des rapports de solidarité entre les membres du groupe ? Le concept d'identité collective semble permettre de répondre positivement à l'ensemble de ces questions et cet article tente d'en fournir la preuve en examinant les tentatives théoriques qui visent à éliminer ce concept en sciences sociales en lui substituant des concepts tels que l'identification, la solidarité et l'utilité, substitution opérée par nombre de théories du choix rationnel qui vont de la sociologie à l'économie. Leur évaluation critique établit négativement la difficulté de se défaire de ce concept pour rendre compte des relations d'appartenance.
      If a person and a social group share a common attribute, does it imply that the person is integrated in that group ? Is this common denominator the basis of a relationship of allegiance, linking the person to a social group ? Does it foster mutual understanding and emotional contagion between members of the group ? Does it reduce the uncertainty of the mutual expectations regarding the behaviors of the group members, in return for the level of trust they share ? Does it create solidarity between group members ? The concept of collective identity is a way to answer these questions affirmatively, as this paper attempts to show by examining theoretical endeavors to eliminate this concept from social sciences, and replace it with such notions as identification, solidarity or usefulness – a substitution achieved by numerous theories of rational choice, from sociology to economics. Their critical assessment shows, conversely, how hard it is to do without this concept if we are to account for relationships of belonging.
    • Michel Foucault, la philosophie et les sciences humaines : jusqu'où l'histoire peut-elle être foucaldienne ? - Florence Hulak p. 103-120 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'œuvre de Michel Foucault a pu être lue comme inaugurant une pratique révolutionnaire de l'histoire. Toutefois, les historiens qui se sont inspirés de ses travaux n'ont pas poussé jusqu'au bout la transformation de l'écriture de l'histoire qu'impliquait ce modèle. S'il revient à l'historiographie d'examiner les difficultés conjoncturelles qu'a pu connaître la réception de Foucault, cet article se propose d'analyser les obstacles proprement épistémologiques à la pleine introduction de sa pensée en histoire. Il montre que, pour devenir véritablement foucaldienne, l'histoire devrait renoncer à son appartenance aux sciences humaines, c'est-à-dire à la fois à son statut de science, à l'étude du social et à la référence au réel. Le diagnostic que porte Foucault sur les sciences humaines ne saurait en effet épargner l'histoire, même s'il n'a jamais insisté sur ce point, préférant défaire l'ancrage de l'histoire dans les sciences humaines pour mieux l'associer à l'archéologie puis à la généalogie. Mais cette nouvelle alliance prive alors l'histoire de son propre régime de vérité, en la faisant dépendre de celui d'un discours philosophique.
      According to some readings, Michel Foucault has invented a revolutionary way to write history. However, even the historians who have drawn from his work have not accomplished the full transformation of their practice that was required by the foucaldian paradigm. While historiography explores the circumstantial reasons for this limited scope, this article focuses on the epistemological obstacles to a full integration of Foucault's thought in historical works. It shows that a fully foucaldian history could not belong to the human sciences any more, which means it should give up at once its scientific status, the study of the social, and the reference to reality. The diagnosis that Foucault makes on the human sciences does not indeed spare history, even if he never laid emphasis on this point. He prefers to remove history out of the human sciences, so as to connect it better with archeology and then genealogy. Yet this new alliance deprives history of its own regime of truth, and makes it dependent on a philosophical one.
    • La politique de la sociologie : coopération et implication dans le texte sociologique - Danny Trom p. 121-140 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article caractérise la sociologie comme un savoir de la société sur elle-même. Il se demande alors ce qui fait du texte sociologique un texte jugé réussi par la communauté des sociologues. Pour ce faire, le texte sociologique est appréhendé sous l'angle du pacte de coopération qui lie le producteur et ses récepteurs, dans la lecture même du texte. À partir d'une étude de cas, il montre que se noue entre eux un pacte tacite. En explorant ce en quoi consiste ce pacte, il aboutit à la conclusion qu'il consiste en une politique sous-jacente à la production-réception du texte. Ce pacte dessine un mode d'implication du lecteur dans la lecture du texte qui organise les modalités de cette implication. Expliciter ce pacte et le mode d'implication qu'il appelle revient alors à intensifier la réflexivité de la sociologie.
      This paper characterizes sociology as a form of knowledge of society about itself. It asks what makes sociological texts successful when evaluated by the community of sociologists. In order to answer this question, sociological texts are examined through the cooperative work which connects the author and the readers in the act of reading. Based on a case study, the paper shows that an implicit pact governs their relationship. In exploring what this implicit pact consists in, it comes to the conclusion that a political frame underlies the production-reception of the text. This pact delineates a mode of implication of the reader in a text and organizes the modalities of this implication. Making this pact explicit as well as the entailed implication, means intensifying the reflexivity of sociology itself.
    • Regards croisés sur la vulnérabilité. « Anthropologie conjonctive » et épistémologie du dialogue - Marie Garrau p. 141-166 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ces vingt dernières années, la catégorie de vulnérabilité est devenue centrale, à la fois dans le champ de la sociologie et dans celui de la philosophie morale et politique, où elle est mise au service d'une critique des théories libérales de la justice. Dans cet article, nous soutenons que l'élaboration d'une conception philosophique convaincante de la vulnérabilité suppose de croiser les perspectives sur cette catégorie et de faire dialoguer philosophie et sociologie. Pour défendre cette idée, nous commençons par mettre en évidence les limites auxquelles se heurtent deux approches philosophiques de la vulnérabilité, celles de Martha Nussbaum et d'Axel Honneth, puis nous montrons en quoi les questions qu'elles laissent ouvertes peuvent trouver des éléments de réponse dans les travaux de Robert Castel et de Serge Paugam, qui utilisent cette catégorie. Sur cette base, nous indiquons quels rôles respectifs peuvent jouer la sociologie et la philosophie dans l'élaboration d'une conception convaincante de la vulnérabilité.
      In the past twenty years, the concept of vulnerability has become central in sociology and in moral and political philosophy, where it serves a critique of liberal theories of justice. In this paper, we argue that a satisfying conception of vulnerability cannot be achieved without a dialogue between philosophy and sociology. We start by introducing the philosophical conceptions of vulnerability developed by Martha Nussbaum and Axel Honneth and their limits. Then we show that the questions they leave unsolved can be answered through an examination of the sociological works of Robert Castel and Serge Paugam, who use the category of vulnerability. Finally, we highlight the respective roles that philosophy and sociology can play in the development of a satisfying conception of vulnerability.
    • Le sociologue et le prophète. Weber et le destin des modernes - Bruno Karsenti p. 167-188 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les sociétés modernes, le statut de fondement normatif qu'on peut accorder à une autorité qui soit spécifiquement intellectuelle constitue, pour la philosophie comme pour la sociologie, une question décisive. La thèse ici défendue est qu'elle est une question de sociologie avant d'être une question de philosophie. Plus exactement, comme le montre l'œuvre wébérienne, elle se détache sur fond d'une sociologie comparée des religions, et s'éclaircit tout particulièrement dans l'opposition, qui est au centre de la conférence La vocation de savant de 1917, entre une certaine figure dévoyée du prophétisme, celle du « prophète de la chaire », et le savant en possession d'une éthique professionnelle bien fondée. Sous cet angle, la lecture critique qui est faite de ce texte célèbre s'efforce de montrer que, loin d'abolir toute référence à la religion en contexte sécularisé, la réflexion de Weber culmine en une redéfinition de ce qu'elle peut signifier pour les modernes, si tant est qu'ils sont encore en mesure de se porter à la hauteur du destin singulier qui les caractérise.
      In modern societies, the fact that a specifically intellectual authority acts as a normative basis is a crucial question, in philosophy as in sociology. This paper argues that it is primarily a sociological question, before being a philosophical one. More precisely, as Max Weber's work shows, it can be approached in the context of a comparative sociology of religions, a dimension well brought to light by the opposition between a corrupted figure of the prophet – the « chair prophet » –, and that of the scientist endowed with well-established professional ethics – an opposition central to his 1917 conference Science as a Vocation. In that regard, Weber's text is viewed in a critical way, as this paper shows that, far from abandoning all reference to religion in a secularized context, Weber's thinking eventually redefines what it may mean for social scientists in the Modern era, if however they are able to measure up to its singular fate.
  • Traduction

    • La critique des indices de pauvreté par Thomas Pogge - Mathilde Unger p. 191-199 accès libre
    • Comment développer des indices moralement convaincants pour mesurer la pauvreté et l'égalité des sexes ? Un programme de recherche - Thomas Pogge p. 201-227 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      On utilise plusieurs indices pour mesurer l'évolution de la pauvreté, du développement et de l'égalité des sexes au sein d'une population. Certains d'entre eux, comme ceux du PNUD (IDH et ISDH) et ceux de la Banque mondiale associés au premier Objectif du millénaire pour le développement, sont devenus extrêmement influents. Cet article affirme que ces indices prédominants présentent de sérieux défauts et que, pour cette raison, ils biaisent nos jugements moraux et empêchent une distribution judicieuse des ressources par les gouvernements, les agences internationales et les ONG. L'examen de ces failles fournit des indications utiles pour développer de meilleurs indices, quand bien même nous aurions besoin d'une étude interdisciplinaire plus conséquente pour aboutir à des résultats significatifs et applicables.
      Various indices are used to track poverty, development, and gender equity at the population level. Some of them – the UNDP's Human and Gender-Related Development Indices and the World Bank's Poverty Index associated with the first Millennium Development Goal – have become highly influential. This paper argues that these prominent indices are deeply flawed and therefore distort our moral judgments and misguide resource allocations by governments, international agencies, and NGOs. Examination of these flaws reveals useful pointers toward developing better indices – though much interdisciplinary work will be needed before sound and practicable indices are actually available.