Contenu du sommaire : Entre État et professions : rôles et modalités de « l'expertise » en éducation
Revue | Carrefours de l'éducation |
---|---|
Numéro | no 37, juin 2014 |
Titre du numéro | Entre État et professions : rôles et modalités de « l'expertise » en éducation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Passage de témoin - Christine Berzin p. 5-7
Dossier
- Entre état et professions : rôles et modalités de « l'expertise » en éducation - Hélène Buisson-Fenet, Xavier Pons p. 9-14
- La légitimité précaire de l'expertise. Un « Centre de ressources » entre science et politique : le Centre Alain Savary (1993-2004) - Philippe Bongrand p. 15-27 À partir des années 1990, la politique française d'éducation prioritaire confie à des « centres de ressources » la mission de faciliter l'élaboration et la diffusion d'outils de travail utiles aux acteurs de terrain. Alors que de telles activités imposent d'opérer des choix politiques, le premier de ces centres, le Centre Alain Savary, est dirigé entre 1993 et 2004 par des chercheurs. L'article retrace les positionnements successifs de ce Centre entre science et politique. Il montre que, dans le champ d'action publique déconcentrée et instrumentée que constitue l'éducation prioritaire, mobiliser la science pour et par la circulation de ressources ne suscite qu'un accord de principe : en pratique, à l'échelle d'une décennie, chercheurs comme politiques ne trouvent pas d'arrangement durable pour définir les modalités souhaitables de leur collaboration. Derrière la continuité institutionnelle apparente du centre, « l'expertise », entendue comme manière d'associer des chercheurs à une action publique, revêt ainsi des formes diverses et précaires, sensibles aux contextes politico-institutionnels.
- Le décrochage scolaire en France : usage du terme et transformation du problème scolaire - Pierre-Yves Bernard p. 29-45 L'expression « décrochage scolaire » est devenue en quelques années une des principales désignations de la problématique des ruptures de scolarité à faible niveau de qualification en France. Partant de l'hypothèse que les choix sémantiques expriment une certaine forme d'interprétation du réel, il s'agit alors de considérer la diffusion de la question du décrochage scolaire comme une relecture d'un phénomène déjà problématisé dans l'espace public sous les termes de l'insertion professionnelle et de la qualification. Ce texte propose de situer dans un premier temps la question du décrochage scolaire dans le contexte plus général des problèmes éducatifs, en s'appuyant notamment sur l'exemple de la Mission générale d'insertion de l'Éducation nationale (MGI). Dans un deuxième temps, les acteurs sociaux impliqués dans la diffusion de la problématique du décrochage scolaire sont identifiés pour terminer sur l'analyse des discours des acteurs experts, à partir d'un matériau collecté sous forme d'entretiens.
- Une réforme sans expert ? L'exemple du Ministère Jospin (1988-1989) - Sylvie Aebischer p. 47-61 La loi d'orientation sur l'éducation de 1989, connue pour son mot d'ordre « Mettre l'élève au centre du système » et pour la mise en place des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, est généralement considérée comme le produit d'une expertise pédagogique. Or la fabrique de cette loi ne montre pas de recours direct à une telle expertise. Si expertise il y a, c'est sous une forme appauvrie, à l'état d'écho ou de traces qu'elle est à analysée, réappropriée en fonction des intérêts et représentations des acteurs mobilisés, pour servir des conceptions politiques préétablies – en l'occurrence, une série de croyances dans la modernisation administrative et la réforme de l'État. Étudier précisément le travail concret d'élaboration de ce texte nous conduit ainsi à repenser l'usage de l'expertise et de la circulation des savoirs dans la construction de l'action publique.
- Figures de l'expert international français : l'exemple des évaluations internationales des acquis (1958-2008) - Xavier Pons p. 63-78 Cet article analyse les conditions de l'entrée en expertise des acteurs chargés de représenter la France dans les organisations qui mettent en œuvre les principales évaluations internationales des acquis d'élèves ou d'adultes. La thèse mise à l'épreuve est que ces acteurs n'accèdent pas au statut d'expert uniquement parce qu'ils sont détenteurs d'une connaissance spécialisée valorisée au niveau international mais aussi et surtout parce qu'ils évoluent dans des configurations d'action publique plus ou moins porteuses. Leur analyse met ainsi en évidence deux figures principales de l'expert international français au cours de la période : le « chercheur isolé » et le « fonctionnaire savant ». S'inscrivant dans une sociologie des politiques éducatives, l'article repose sur différents matériaux recueillis depuis 2004 dans le cadre de deux recherches complémentaires par le biais de méthodes qualitatives (entretiens et analyses documentaires principalement).
- Enseigner les langues en Europe : expertise communautaire ou expertise d'État ? - Hélène Buisson-Fenet p. 79-94 La mise en place d'un Cadre Européen Commun de Référence en Langues (CECRL) pourrait illustrer, dans l'enseignement secondaire, l'émergence d'outils pédagogiques conçus à un niveau supranational, et susceptibles de participer à « l'européanisation » des politiques scolaires. L'article retrace la généalogie du CECRL en décrivant le rôle initial d'un groupe d'experts aux échelons-pilotes, puis il éclaire les conditions de l'intégration du Cadre dans le système éducatif national : non pas comme un point de convergence porté par le processus d'intégration européenne des politiques éducatives, mais comme un élément de solution d'un « problème » qu'il n'a pourtant pas pour vocation initiale de mettre en évidence - à savoir la faiblesse des élèves français en langues. Le CECRL s'agrège ainsi à d'autres outils déjà là, et la souplesse de ses usages facilite son adoption.
- Expertise réservée, expertise partagée : Les professionnels de la dyslexie en France et au Royaume-Uni - Marianne Woollven p. 95-109 La dyslexie a un statut de problème public en France et au Royaume-Uni. Cet article est consacré aux conditions de la constitution d'un domaine d'expertise à ce propos dans les deux pays considérés. Il s'agit de comprendre comment le traitement spécifique de ce problème s'intègre à des domaines de compétences professionnelles et de mettre en évidence ainsi des spécificités nationales S'appuyant sur des données qualitatives variées (entretiens, observations, analyse documentaire) issues d'une enquête de terrain comparative, il montre, grâce à l'étude des différentes professions impliquées, que l'expertise est partagée au Royaume-Uni au sein de l'institution scolaire, tandis qu'elle est réservée en France à des professions du secteur sanitaire. Bien que les psychologues scolaires britanniques et les orthophonistes français aient des pratiques de diagnostic assez proches, les premiers entretiennent des liens étroits avec l'école et les pratiques pédagogiques ordinaires, tandis que les seconds, en tant que professionnels de santé, s'en distinguent.
- Devenir expert international - Norberto Bottani, Xavier Pons p. 111-124
Varia
- La loi Duruy de 1867 : le département de la Seine, laboratoire pédagogique pour l'enseignement primaire - Stéphanie Dauphin p. 125-139 La loi de 1867 valorise considérablement l'école populaire, malgré l'absence de références concernant l'obligation et la gratuité intégrale. Le ministre confie à Octave Gréard, inspecteur d'académie à Paris, une mission de rénovation scolaire qui adopte en 1868 un règlement d'organisation pédagogique des écoles primaires de la Seine. Celui-ci établit une scolarité progressive en trois cycles : élémentaire, moyen, supérieur. Il assure la victoire de l'enseignement simultané et désigne un maître dans chaque classe. De nouveaux programmes, retenus suivant le cycle, aboutissent dans leur globalité à la promotion du certificat d'études primaires. Les matières enseignées, l'horaire des classes, et la distribution journalière des leçons font l'objet d'un plan qui complète l'ensemble. Appliqué dès la rentrée d'octobre 1868, ce projet unique, avant les grandes lois de Ferry, servira progressivement de modèle en France.
- Comment se positionner face à la décentralisation du système éducatif ? L'exemple de la FEN de 1968 à 1992 - Ismail Ferhat p. 141-157 La quasi-totalité des syndicats enseignants s'est mobilisée, en 2003, contre la deuxième vague de décentralisation qui affectait notamment l'Éducation nationale. Si ce processus a une signification plurielle, sa perception par la majeure partie du syndicalisme enseignant est marquée par une réticence certaine. L'étude des rapports de la Fédération de l'Éducation nationale (FEN), l'organisation dominante du monde enseignant de 1946 à 1992 à la décentralisation, apporte une lecture des racines peu étudiées de ce positionnement. De mai 1968, date à laquelle se formalisent les aspirations décentralisatrices, à la scission de la fédération, cette dernière a été traversée par de multiples lignes de clivage, à la fois idéologiques et corporatives. Prise entre sa volonté d'être un partenaire incontournable des pouvoirs publics, ses divisions internes, et l'évolution du cadre légal ainsi que politique, la FEN est un exemple révélateur. Celui-ci éclaire le progressif raidissement du syndicalisme enseignant face à la décentralisation de l'école.
- Jeunesse scolarisée et implications sportives : dissonances et paradoxes à travers l'enquête Missoffe de 1966 - Jean-Marc Lemonnier, Michaël Attali p. 159-174 Dans le contexte florissant des années 1960, la France connaît en mai 1968 des événements sociaux quasi-révolutionnaires symboliques d'une rupture générationnelle entre les jeunes, forts d'une culture spécifique s'émancipant des tutelles et des valeurs du demi-siècle précédent, et leurs aînés. Notre hypothèse, à travers l'exploitation de 2600 dossiers d'une enquête menée en 1966, défend l'idée que les responsables politiques en charge de la Jeunesse n'ont pas perçu ou n'ont pas voulu percevoir ce malaise deux années avant qu'il n'émerge. Notamment, ce travail montre qu'un certain désenchantement vis-à-vis de l'éducation physique scolaire porte les marques d'un mécontentement vis-à-vis de l'institution scolaire et par là même d'une volonté de changement sociétal plus général.
- Favoriser l'inclusion d'élèves porteurs de troubles cognitifs par le tutorat en EPS - Camille Rivière, Lucile Lafont p. 175-190 Cet article aborde la question de l'inclusion en classe ordinaire d'EPS, grâce au dispositif ULIS, d'élèves présentant un handicap cognitif. Il interroge les moyens dont dispose l'enseignant afin d'affiner son intervention pédagogique et de favoriser la réussite de l'inclusion. Le champ principal d'investigation s'inscrit dans la perspective socioconstructiviste des théories de l'apprentissage en interaction sociale. Au travers d'une étude de cas, cet article rend compte d'une mise en œuvre de tutorat entre pairs, en gymnastique, pour deux élèves provenant du dispositif ULIS. Il examine les conséquences de la structuration de la procédure de tutorat par l'enseignant et de la formation dispensée aux élèves tuteurs afin de contribuer à la réussite de l'inclusion. Les conséquences de cette mise en œuvre sont considérées dans l'atteinte de bénéfices moteurs et sociaux pour ces élèves. Les effets de la formation des élèves tuteurs sont ciblés sur leur qualité d'étayage et sur la performance, le sentiment d'efficacité personnelle (SEP) et l'acceptation sociale de leurs pairs handicapés. Le dessein est, ainsi, de contribuer à l'enrichissement de la démarche pédagogique des enseignants en charge de ces classes.
- L'apprentissage des comptines en anglais à l'école élémentaire : modélisation et enjeux épistémiques - Carole Le Hénaff p. 191-209 Cet article a pour objectif de comprendre, grâce à la modélisation de la pratique de la comptine, comment les professeurs des écoles travaillent avec leurs élèves cet objet très répandu dans l'enseignement-apprentissage des langues du premier degré. Nous nous appuyons pour cela sur deux types de données : un questionnaire écrit, administré en ligne à 108 professeurs des écoles, ainsi que l'analyse d'un épisode de classe en CM1-CM2, au cours duquel des élèves apprennent une comptine en anglais. Nous exploitons des outils théoriques développés dans le cadre de la Théorie de l'Action Conjointe en Didactique, en particulier les notions de jeu d'apprentissage et de jeu épistémique source. Nous modélisons la pratique sociale de la comptine, et nous la comparons avec les pratiques didactiques analysées, en cherchant à comprendre ce qui « nourrit » et ce qui fait fonctionner ces pratiques. Nous discutons à la fin de notre article des enjeux épistémiques pour l'enseignement-apprentissage des comptines en anglais que cette comparaison nous a permis de faire ressortir.
- Représentation sociale d'un ENT dans l'enseignement secondaire : une étude pour comprendre et analyser les usages - Manuel Schneewele p. 211-226 Dans le cadre d'un travail de recherche qui portait sur l'analyse et la modélisation des usages d'un espace numérique de travail (ENT) dans l'enseignement secondaire, l'étude de sa représentation sociale constitue une étape majeure. Cette variable apporte un ensemble d'indicateurs capables d'expliquer et d'influencer les comportements d'utilisation de l'outil par les membres de la communauté éducative. Les résultats s'appuient sur la déclaration de 1 483 nouveaux utilisateurs et procèdent à une distinction entre enseignants, élèves et parents. La représentation de l'ENT est exposée par la mise en évidence d'une structure hiérarchique parmi les différents éléments qui la composent. Un ensemble d'hypothèses explicitant les motivations et les résistances à l'usage de ces outils est dégagé. Il apparaît ainsi que les élèves et les parents sont particulièrement favorables au déploiement des ENT, néanmoins, les enseignants sont plus réservés. Ces derniers perçoivent ces outils comme particulièrement « lents » et leur utilisation comme susceptible de présenter du « travail » supplémentaire.
- Effet d'anamorphose d'une prescription ministérielle en formation professionnelle au Québec - Christophe Roiné, Sophie Grossmann p. 227-244 Au sein d'un cadre théorique de sociologie de l'action publique, les auteurs analysent l'implantation d'un instrument de politique éducative auprès de 17 directeurs de centre de formation professionnelle (CFP) montréalais, interrogés lors d'entretiens semi-directifs. Le Ministère de l'éducation du Québec demande que le nombre des jeunes de moins de 20 ans augmente en FP : cette prescription se déploie dans un contexte de nouvelle gouvernance où les responsables locaux sont redevables de leurs actions en termes d'amélioration d'indicateurs statistiques. L'analyse se concentre sur la manière dont la prescription perturbe les représentations collectives. La focalisation statistique sur la question des jeunes tend à bouleverser l'image positive qui s'était progressivement construite dans le milieu. Le déplacement de regard produit un effet d'anamorphose contribuant à montrer ce qui se cachait et à rendre flou le tableau d'ensemble d'un secteur de formation luttant depuis longtemps pour une reconnaissance de sa valeur et de sa fonction.
- Notes de lecture - Bruno Poucet p. 245-270
- Notes de présentation - p. 271-277
- La loi Duruy de 1867 : le département de la Seine, laboratoire pédagogique pour l'enseignement primaire - Stéphanie Dauphin p. 125-139