Contenu du sommaire : Littérature et cinéma dans l'espace germanophone contemporain : jeux intermédiaux, modes de transfert, adaptations
Revue | Germanica |
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Numéro | no 53, 2013 |
Titre du numéro | Littérature et cinéma dans l'espace germanophone contemporain : jeux intermédiaux, modes de transfert, adaptations |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - Elisabeth Kargl, Marc Lacheny p. 7-10
D'un médium à l'autre : jeux intermédiaux et modes de transfert
- Ironie im Medienwechsel - Jens Liebich p. 13-27 L'historien du cinéma James Monaco considère le roman comme le parent le plus proche du film. Selon lui, leur point commun est surtout l'ironie entre l'histoire et l'observateur, qui est souvent établie par l'intermédiaire du point de vue narratif. Nous observerons plus en détail le lien de parenté qui unit film et roman à l'aide du roman de Jens Sparschuh Der Zimmerspringbrunnen et de son adaptation cinématographique par Peter Timm. Le passage d'un style plutôt narratif à un style dramatique amène inévitablement des changements dans le traitement de l'ironie. L'article tente de répondre à la question de savoir quelles répercussions ces modifications ont sur la narration. Pour pouvoir identifier et décrire ces changements, nous nous pencherons davantage sur la représentation de l'action et moins sur son contenu.
- Funktionen ikonischer Zeichen in Romanverfilmungen Das Parfum und Der Vorleser - Brahim Moussa p. 29-43 La narration dans un film fonctionne autrement que la narration dans un texte à cause de la transformation des mots en images. Étant donné que les images correspondent à ce qu'elles présentent, les études en ce domaine ont tendance à définir les images des films comme des icônes ou des index qui peuvent être évidemment identifiés avec leurs signifiés. L'article rejette ce postulat d'identification unidimensionnelle et analyse des adaptations cinématographiques sur la base d'interactions entre les images du film. L'analyse des deux films Le Liseur et Le Parfum démontre deux fonctions narratives des images qui dépassent les signifiés primaires : 1. la fonction indexicale-métonymique : les images sont régies par des références réciproques, une image renvoie à celle qui suit, et chaque image traite le contenu de l'image précédente. Dans ce contexte, la narration « cinéastique » utilise la métonymie comme procédure, qui gère le développement de l'action filmique dans un mode économique et remplace des objets par des signes qui leur sont reliés. 2. la fonction symbolique : les images se correspondent à un niveau connotatif, qui dévoile leurs valeurs implicites. L'interaction des icônes suggère un sens secondaire et symbolique pour toute la diégèse. Ces deux fonctions dépassent les référents primaires des signes et soutiennent la formation des autres significations dans l'interaction syntagmatique des éléments de la diégèse.
- Fiktion-Gesellschaft-Differenzen am Beispiel filmischer Raumkonstruktionen in deutschsprachiger Gegenwartsliteratur der 2000er Jahre - Jan Drees p. 45-60 En se référant aux ouvrages Der Kamermörder et Die Arbeit der Nacht de Thomas Glavinic ainsi qu'à Geister de Thomas von Steinaecker, cet article propose de démontrer comment la littérature germanophone des années 2000 utilise les constructions de l'espace dans le film afin d'illustrer une différence sociale et littéraire. À l'aide des outils développés par Rayd Khouloki sur les possibilités descriptives « des espaces filmiques », nous montrons que la représentation hyperréaliste de la réalité dans les textes analysés révèle, de manière nouvelle, des stratégies de mise en scène. Nous ne cherchons pas à savoir s'il existe ou non une interdépendance ou une forme de mimésis entre littérature et société, mais plutôt à prouver, en nous référant à la définition par Niklas Luhmann de l'observation théorico-systémique, que, si, au départ, il y a bien une différence, il n'y a pas d'unité à la fin, mais plutôt une « meilleure » différence.
- Ironie im Medienwechsel - Jens Liebich p. 13-27
Adapter les classiques : enjeux, obstacles, solutions
- Un film qui vient de loin
: L'Antigone de Sophocle dans la transcription de Friedrich Hölderlin, retravaillée pour la scène par Bertolt Brecht et adaptée pour l'écran par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (1991) - André Combes p. 63-88 Autour de 1800 – 1947-48 – 1991 : trois réécritures et trois auteurs. En décembre 1947, Brecht réécrit la « transcription » de l'Antigone de Sophocle par Hölderlin (1794-1804), choisie pour ses « obscurités » et le « gestus populaire souabe » de sa langue. Choisie aussi pour une thématique « combative » – humanité + démocratie vs tyrannie – intéressante à revisiter après la fin de la guerre et du nazisme. En 1991, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub mettent d'abord en scène la version brechtienne à la Schaubühne berlinoise, puis la mettent en images quelques mois plus tard dans le vaste théâtre antique de Segesta (Sicile). Transspatialisation transmédiale d'un texte qui vient de loin mais que Brecht a recentré sur l'histoire des « temps obscurs » et leur après-coup et que les Straub vont recadrer dans le site du théâtre de plein air de Segesta : cadrages qui captent surtout la diction, mais aussi une mimique et une gestuelle parcimonieuses, sans théâtralité superflue, et qui désignent aussi avec précision les lieux et places des personnages et l'angle sous lequel ils sont filmés, rares mouvements de caméra (panoramiques), montage fluide de quelque 150 plans pleins de lumière et agités d'une légère brise font produire au film des images-sens qui rendent visibles, lisibles et audibles pour leur temps la langue et les significations d'un mythe grec fondateur.
- Transformations plus ou moins magiques. Adaptations de Der Froschkönig dans le cinéma allemand - Christin Niemeyer p. 89-105 Der Froschkönig oder der eiserne Heinrich (Le roi Grenouille ou Henri de Fer) des frères Grimm a été adapté à maintes reprises au cinéma. Cela peut paraître surprenant puisqu'il s'agit plutôt d'un conte avec une intrigue limitée et d'un texte, qui plus est, moralement douteux. Il apparaît pourtant que c'est justement cette prétendue incohérence de la morale du conte qui a suscité des réinterprétations créatives de nombreuses adaptations, et notamment des plus actuelles. Après une brève introduction, nous analysons et comparons, dans notre contribution, plusieurs adaptations : une, plus ancienne (Der Froschkönig, RFA 1954) et d'autres, plus récentes (Froschkönig, RDA 1988 ; Der Froschkönig, RFA 1990 et Der Froschkönig, Allemagne 2008). Notre analyse a pour but de montrer dans quelle mesure la transposition filmique a recours à des techniques d'extrapolation et de réécriture, et c'est ainsi qu'elle continue à écrire l'histoire du genre littéraire du conte, tout en véhiculant des valeurs pédagogiques et idéologiques.
- Freigesprochen (Peter Payer, 2007) : une réécriture contemporaine de Der jüngste Tag d'Ödön von Horváth - Irène Cagneau p. 107-120 Depuis la fin des années 1950, les œuvres d'Ödön von Horváth, en particulier ses pièces de théâtre, ont été régulièrement adaptées à la télévision allemande et autrichienne. Les transpositions cinématographiques de ses écrits sont en revanche plus rares. Parmi ces adaptations figure celle, récente, de la pièce Der jüngste Tag, réalisée en 2007 par le cinéaste autrichien Peter Payer sous le titre Freigesprochen. L'examen des choix scénaristiques opérés par le réalisateur permet, dans un premier temps, de faire ressortir le potentiel filmique de l'écriture dramatique de Horváth et de comprendre dans quelle mesure Der jüngste Tag se prête à une transposition cinématographique dans le monde contemporain. Dans un deuxième temps, cet article se focalise sur deux « instructions » fondamentales puisées par le réalisateur dans la « banque de données » (André Gardies) que constitue l'œuvre source : le « fait divers », qui correspond à la catastrophe ferroviaire provoquée par le baiser d'Anna à Hudetz, et le « drame à stations », transposé dans le film sous la forme de l'errance des deux personnages principaux sur le chemin de la culpabilité et de la rédemption.
- Literatur als „Wiederholungstäterin“ Dürrenmatts Werke zwischen Text und Film - Patricia Linden p. 121-135 En 1958, l'écrivain suisse Friedrich Dürrenmatt a écrit le scénario du thriller Es geschah am hellichten Tag (C'est arrivé en plein jour). Ce film fut un grand succès. La même année, il a édité le scénario de texte pour son roman La Promesse – Requiem du roman policier. Ici, Dürrenmatt a critiqué la banalisation du roman policier et – vu d'un peu plus près – la narrativité, naïve selon lui, telle qu'elle est appliquée à des versions cinématographiques. Le roman de Dürrenmatt comme son scénario ont été filmés à cinq reprises entre 1979 et 2001. De cette manière, donc, le roman policier, dont Dürrenmatt a écrit le Requiem en 1958 devient un récidiviste cinématographique. C'est précisément cette séquence de différentes versions et interprétations, de diverses adaptations cinématographiques et « novellisations » qui rend le « cas Dürrenmatt » aussi intéressant pour la recherche sur l'adaptation. L'article aborde les questions suivantes : qu'est-ce que Dürrenmatt ajoute à son propre scénario afin d'obtenir un roman ? Quelles formes prend l'intertextualité qui relie le script, le roman et les diverses adaptations ? Quels éléments engendrent un lien textuel entre le film et le texte, c'est-à-dire dépassent la transmission pour aboutir à la transformation de l'œuvre initiale ?
- Un film qui vient de loin
: L'Antigone de Sophocle dans la transcription de Friedrich Hölderlin, retravaillée pour la scène par Bertolt Brecht et adaptée pour l'écran par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (1991) - André Combes p. 63-88
Adaptations cinématographiques d'œuvres contemporaines
- L'adaptation cinématographique du roman Die Wand : un hommage au texte de Marlen Haushofer sur fond de thriller et de Heimatfilm - Elisabeth Kargl, Aurélie Le Née p. 139-162 En octobre 2012 est sortie l'adaptation cinématographique par Julian Roman Pölsler du roman Die Wand de Marlen Haushofer, pourtant a priori peu propice à une transposition à l'écran en raison de son « peu d'action » et de la narration qui se fonde sur le monologue intérieur. Grand admirateur de l'œuvre de Haushofer, le réalisateur a choisi de rendre hommage au texte en le citant, supprimant tout dialogue, à l'exception de quelques bribes de mots. Il ne s'agit pourtant pas d'une simple mise en images du texte original, mais bien d'une adaptation, c'est-à-dire d'une réception dynamique et personnelle. Après avoir abordé le travail de transposition, le présent article se penche sur le rapport du film de Pölsler au Heimatfilm et au thriller. En se référant à ces genres, le réalisateur signe une œuvre personnelle et actualise le message du texte paru en 1963. L'inscription du livre et du film dans des contextes différents est traitée dans une troisième partie, qui rappelle la richesse interprétative du roman de Marlen Haushofer.
- L'adaptation cinématographique du roman Die Wand : un hommage au texte de Marlen Haushofer sur fond de thriller et de Heimatfilm - Elisabeth Kargl, Aurélie Le Née p. 139-162
- „Die Bilder wollen automatisch anders geschnitten werden“ : Die Verfilmung von Daniel Kehlmanns Die Vermessung der Welt - Jan Rhein p. 181-195 Daniel Kehlmann s'est fortement impliqué dans l'adaptation cinématographique de son livre à succès Die Vermessung der Welt. Ainsi, cet article analyse le film dans le contexte de l'œuvre de l'auteur et de son monde narratif. D'une part, l'adaptation réorganise et simplifie l'action du roman. D'autre part, elle est marquée par une richesse extraordinaire sur le plan visuel. Cela peut être compris comme une stratégie d'adaptation du style indirect du roman et de sa distance narrative caractéristique. Le film s'inscrit dans l'œuvre de Daniel Kehlmann remettant en cause la relation entre vérité, histoire et narration. Contrairement au roman, la narration filmique domine ses protagonistes. Le film est à la fois une adaptation littéraire grand public et une reproduction de la mise en question des stratégies narratives présentes dans l'œuvre de Kehlmann.
- Wer hat Angst vor heißen Eisen? : Ein Vergleich von Thomas Glavinic' Roman Der Kameramörder und seiner Verfilmung durch Robert Adrian Pejo - Gábor Kerekes p. 197-210 Cette contribution compare Der Kameramörder, roman de Thomas Glavinic qui avait connu un franc succès dans les pays germanophones, et son adaptation cinématographique par le réalisateur austro-roumain-hongrois Robert Adrian Pejo. Cette adaptation se caractérise par de nombreuses modifications, notamment par le passage de la forme monologique du livre à un vaudeville psychologisant à la Qui a peur de Virginia Woolf ? Le film évite tous les aspects du livre ayant trait à la politique ou la religion et se cantonne à une dimension purement privée.
- Traces d'un effacement et effacement des traces : La Tour, du roman au film - Éric Leroy du cardonnoy p. 211-224 Le roman d'Uwe Tellkamp, La Tour, paru en 2008 a été immédiatement un grand succès de librairie. Forte de cette constatation, la première chaîne de télévision allemande a confié au réalisateur Christian Schwochow et au scénariste Thomas Kirchner le soin de l'adapter pour une diffusion à l'occasion de la fête nationale, le 3 octobre 2012. Cette situation de production et de réception a déterminé des choix bien précis dans l'adaptation réalisée : supprimer le journal tenu par Meno Rohde et qui structure le roman, un découpage chronologique précis, le recentrage sur la relation père-fils entre Richard et Christian Hoffmann. Le téléfilm, par conséquent, s'inscrit dans une démarche d'interprétation purement dénotative qui fait de La Tour un film sur les dernières années de la RDA, comme une partie de la critique a aussi voulu lire le roman éponyme.
Dossier Alexander Kluge
- Die Augen der anderen : Ein Gespräch zwischen Alexander Kluge und Vincent Pauval - p. 227-248
- Der Mann ohne Eigenschaften - Alexander Kluge p. 249-250
- Les yeux des autres : Entretien entre Alexander Kluge et Vincent Pauval - p. 251-272
- L'Homme sans qualités - Alexander Kluge p. 273-274
- Les nouvelles conjonctions d'images et de lettres chez Alexander Kluge - Herbert Holl p. 275-289 Évoquant ici l'hortus conclusus de la « littéracie », la chambre d'échos qui l'agrandit à l'infini, la materia prima à laquelle les essais télévisuels et internautiques d'Alexander Kluge reconduisent les lettres et les images, on en dégagera la cinécriture. On esquissera les nouvelles disjonctions et conjonctions, balzaciennes, eisensteiniennes, klugiennes d'une dramaturgie sphérique où se métamorphosera après 1987, après 1989, après 2001, après 2003, la « consanguinité de la littérature et du cinéma ». Après le 11 septembre 2001, quand la pesanteur des « rapports effectifs » sans nul point « abarique » incurvera l'espace littéraire, Kluge pratiquera une anti-littérature en lettres et voix, un cinéma-espace au-delà du montage et du découpage. Lettres et images ne cesseront de se métamorphoser enmétéores numériques d'une contre-sphère publique intensifiée. Les ciné-lettres, ciné-images de poèmes-commentaires et de commentaires-poèmes infiltreront ces films-espaces, les métamorphosant en Simultangedichte d'une materia prima infra-cinématographique, celle du Capital de Marx, d'une critique infra-vocale de l'économie politique de la force de travail vivante. Par une singulière conjecture et conjonction d'images et de lettres, la magie des salles obscures, Zauber der verdunkelten Säle, se métamorphosera en magie de l'âme obscurcie, Zauber der verdunkelten Seele.
Comptes rendus de lecture
- Dietmar Dath, Swantje Karich: „Lichtmächte: Kino-Museum-Galerie-Öffentlichkeit“ : diaphanes, 272 Seiten, 24,95 € - Jan Drees p. 291-296
- Pierre Gras, Good Bye Fassbinder ! Le cinéma allemand depuis la réunification : Arles, Éditions Jacqueline Chambon - Actes Sud, 2011 - Anne-Marie Corbin p. 292-294