Contenu du sommaire : Mémoires et responsabilités de guerre. Les procès de Tôkyô et de La Haye

Revue Droit et cultures Mir@bel
Numéro no 58, octobre 2009
Titre du numéro Mémoires et responsabilités de guerre. Les procès de Tôkyô et de La Haye
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Mémoires et responsabilités de guerre. Les procès de Tôkyô et de La Haye

    • Introduction - Paul Jobin, Keisuke Kikuchi, Sara Liwerant accès libre
    • Le Procès de Tôkyô, l'empereur et la question du Yasukuni - Tetsuya Takahashi p. 21-28 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au Japon, toute une partie de la classe politique conservatrice persiste à refuser les conclusions du procès de Tôkyô, considérant celui-ci comme une justice « orchestrée par les vainqueurs ». Ce faisant, les partisans de cette thèse se trouvent dans une contradiction puisque l'empereur Hirohito lui-même, qui avait exprimé sa gratitude auprès des forces d'occupation américaines pour l'avoir épargné, en avait de facto admis les conclusions. Ce paradoxe pour le camp conservateur est aggravé par le fait que l'empereur a cessé de se rendre au sanctuaire Yasukuni à partir du moment où les mânes de quatorze haut responsables condamnés comme criminels de guerre lors du procès de Tôkyô y furent transférés sans son accord. Ces contradictions internes à la droite irrédentiste japonaise invite ainsi à envisager le procès de Tôkyô sous un autre jour. Loin d'être une simple « justice de vainqueur », la stratégie américaine fut éminemment bénéfique pour la droite conservatrice : Hirohito n'étant pas traduit en justice, il devenait possible de lui conférer une fonction symbolique par l'article I de la nouvelle Constitution de 1946, ce qui permit à la droite conservatrice de sauver le système impérial et d'assurer une continuité entre l'avant et l'après-guerre.
      In Japan, a part of the conservative political class continues to deny the conclusions of the Tokyo trial, as a justice “of the victors”. But the proponents of this theory face a contradiction since the Emperor Hirohito himself expressed his gratitude to the American occupation authority (SCAP) for not condemning him. Hirohito therefore admitted the conclusions of the trial. The paradox goes even further as the conservative leaders publicize their visit to Yasukuni shrine although the Emperor himself ceased to visit the shrine after top leaders convicted as war criminals at the Tokyo Trial were transferred to the shrine without his consent. These internal contradictions among Japanese rightists help to consider the Tokyo Trial under a different light. Far from being a simple “victor's justice”, the U.S. strategy was highly beneficial to Japanese rightists: as Hirohito was not indicted, it was possible to establish him as a symbol of the nation by Article I of the new Constitution of 1946. This enabled the conservative camp to save the imperial system and ensure continuity between prewar and postwar Japan.
    • L'opinion dissidente de Pal et le révisionnisme historique dans le Japon d'après-guerre - Takeshi Nakajima p. 29-42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans son opinion dissidente au procès de Tôkyô (le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient), le juge indien Radhabinhod Pal avait contesté le bien-fondé des notions de « crime contre la paix » et de « crimes contre l'humanité » élaborées par la Charte du tribunal qui furent utilisées pour condamner les hauts responsables japonais comme « criminels de guerre de classe A ». Considérant que ces notions relèvent d'une législation ex post facto, il estima qu'il eût été préférable de s'en tenir à la notion existante de « crimes de guerre ». Faute de quoi, au lieu de servir la justice, le procès de Tokyo cautionna selon lui l'idée qu'il suffirait de sortir vainqueur d'un conflit armé pour pouvoir imposer la loi de manière arbitraire. Au Japon, cette opinion se vit peu à peu durcie, puis détournée de sa visée initiale, par un courant de plus en plus outrageusement révisionniste. Cet article réexamine les points essentiels de l'argumentation de Pal avant d'analyser la façon dont les révisionnistes japonais s'en sont emparée.
      In his dissenting judgment in the Tokyo trial (the International Military Tribunal for the Far East), the Indian judge Radhabinhod Pal had challenged the validity of the concepts of "crime against peace" and "crime against humanity" developed by the Charter of the court and which were used to condemn the Japanese officials as "war criminals category A". Whereas these concepts are subject to ex post facto legislation, he felt it was better to stick to the existing concept of "war crimes". Failing that, instead of justice, the trial of Tokyo according to endorse the idea that it was enough to win an armed conflict to impose the law in an arbitrary manner. In Japan, this opinion is gradually tightened, then diverted from its original purpose, by a stream of more and more outrageously revisionist. This article reviews the essential points of the argument of Pal before analyzing how the Japanese attacked revisionists seized.
    • Le procès de Tôkyô et le débat sur l'Histoire de Shôwa - Tristan Brunet p. 43-58 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Paru en 1955, l'Histoire de Shôwa représente l'exemple le plus représentatif du projet des historiens japonais pour élaborer, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle histoire nationale. Le but avoué des auteurs est de dépasser les limites du procès de Tôkyô, et la menace que celles-ci font peser à leurs yeux sur la démocratie au Japon. L'ouvrage fait l'objet d'une polémique qui permet de mesurer les résistances qui se développent au sein de la société japonaise contre un tel projet. Cet article cherche à souligner les enjeux politiques et mémoriels qui entourent le débat, particulièrement en ce qui concerne la question centrale des responsabilités de guerre, et par conséquent du traitement réservé dans cette histoire au procès de Tôkyô.
      Published in 1955, the History of Shôwa is the most prominent example of the project by Japanese academic historians to elaborate a new national history, in the aftermath of the Second World War. Their intended goal was to exceed the limits of the Tokyo trial, and the threat those limits put, according to the authors, on the Japanese democracy. A polemic took place after the publication of the book, which allows us to acknowledge the growing resistance within Japanese society against such a project. This paper will try to underline the political and memorial stakes behind this debate, especially in relation to the responsibilities of war, and consequently the depiction of the Tokyo trial in such an history.
    • Les procès contre le sanctuaire Yasukuni - Nobumasa Tanaka p. 59-74 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le sanctuaire Yasukuni a été fondé à Tôkyô en 1869 par l'empereur Meiji pour célébrer la mémoire des guerriers japonais tombés au combat pour l'empereur et la patrie. Etablissement religieux chargé d'honorer les hauts faits de ces « âmes héroïques », il fut longtemps le symbole du militarisme japonais. Or, parmi les familles qui ont perdu l'un des leurs au cours de la guerre d'agression menée par le Japon en Asie, certaines ont engagé des poursuites contre l'administration du Yasukuni, afin d'obtenir que les noms de leurs proches soient radiés des listes du sanctuaire. Cet article retrace l'historique des procès engagés par ces familles, en examinant au passage les plaintes déposées contre le caractère anticonstitutionnel des visites répétées du Premier ministre Koizumi au Yasukuni.
      The Yasukuni shrine was founded in Tokyo in 1868 by the Emperor Meiji to celebrate the memory of Japanese warriors fallen during battles for the Emperor and the country. As religious institution devoted to honor these “brave souls”, it became the symbol of Japanese militarism. However, among the families who lost relatives during the war, some have sued the administration of Yasukuni to get the names of their relatives deleted from the lists of the shrine. This article describes the genesis of those trials and exams also the anti-constitutional nature of the repeated visits of Prime Minister Koizumi to Yasukuni.
    • Le tribunal d'opinion de Tôkyô pour les « femmes de réconfort » - Rumiko Nishino p. 75-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dès les années 1930, le Japon a organisé l'enlèvement et la déportation massive de jeunes femmes asiatiques dans les bordels militaires de campagne des territoires occupés. Or, bien que les faits aient été connus au moment du procès de Tôkyô (Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient), l'affaire fut largement passée sous silence, ces violences sexuelles envers les femmes n'étant pas reconnues comme des crimes de guerre à part entière. Suite à la mobilisation engagée par les survivantes coréennes et celles d'autres pays d'Asie au cours des années 1990, un tribunal d'opinion s'est tenu à Tôkyô en décembre 2000, à l'initiative de VAWW-NET (Violence Against Women in War Network), pour juger les responsables et envisager des mesures de réparation. L'article revient sur le sens de ce tribunal et dresse les perspectives à venir.
      Since the 1930s, Japan had organized the kidnapping and mass deportation of young Asian women into military brothels campaign in the occupied territories. Although the facts were known at the time of the Tokyo trial (the International Military Tribunal for the Far East), and trials of BC war criminals, sexual violence against women were not recognized as full war crimes, and the whole story remained was largely ignored until the coming out of Korean victims in the 1990s. Following the mobilization by those women from Korea and other Asian countries, an opinion court was held in Tokyo in December 2000, at the initiative of VAWW-NET (Violence against Women in War Network). The goal was to indict those responsible and to consider remedial measures. The article presents the meaning of the court and examines further perspectives.
    • Le Japon et la Cour pénale internationale : enjeux politiques et mémoriels - Eric Seizelet p. 85-108 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En juillet 2007, le Japon a officiellement adhéré au Statut de Rome de 1998 établissant la Cour pénale internationale (CP1). En rejoignant la CPI, le cabinet Abe Shinzô a confirmé la détermination sans faille du gouvernement japonais à soutenir la mise en place d'un tribunal criminel permanent, à collaborer à la poursuite des individus suspectés de génocides, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de crimes d'agression, et à renforcer ainsi le droit humanitaire international. Mais, en dépit de cet engagement ancien, le gouvernement avait remis à plus tard son adhésion effective, invoquant des raisons budgétaires et la nécessité de mettre le droit interne en accord avec les dispositions du Statut de Rome. Le but de cet article est de démontrer que ce retard fut également imputable à deux autres raisons : la crainte qu'une adhésion précoce ne vienne renforcer les actions en réparation intentées par les « femmes de réconfort » et les victimes de travail forcé durant la Seconde Guerre mondiale, et l'attitude des États-Unis qui se sont opposés avec force à la création de la CPI. Il souligne également la situation inconfortable du gouvernement japonais : en tant que membre de la CPI, il aura à connaître d'affaires d'esclavage sexuel et de travail forcé à l'égard desquelles la communauté internationale lui reproche une mémoire défaillante ou sélective. En définitive, même si la participation japonaise à la CPI est de nature à conforter la légitimité de la Cour dans son caractère universel, l'attitude ambiguë des autorités japonaises ne peut qu'affaiblir l'impact de l'adhésion au Statut de Rome sur d'autres grandes puissances asiatiques telles que la Chine, l'Inde, l'Indonésie et le Pakistan soucieuses de protéger leur souveraineté contre toute ingérence de la Cour.
      On July 2007, Japan officially adhered to the 1998 Rome Statute setting up the International Criminal Court (ICC). By joining the ICC, the Abe Shinzô Cabinet concretized the long standing determination of the Japanese government to support the creation of a permanent criminal tribunal, to collaborate to the prosecution of individuals responsible for genocides, war crimes, crimes against humanity, crimes of aggression, thus contributing actively to the implementation of humanitarian law. But in spite of this early commitment, the government until recently postponed its effective adhesion, invoking budgetary reasons and the necessity to put the Japanese legal system in accordance with the provisions of the Rome Statute. The purpose of this article is to demonstrate that this delay was also motivated by two other factors : the fear that an early adhesion might stimulate in Japan the claims for reparations from comfort women and victims of forced labor during World War Two and the attitude of the USA which strongly opposed the creation of the ICC. It also stresses the awkward situation the Japanese government had to face : as member of the ICC, it will have to deal with issues such as sexual slavery and forced labor for which the conservative elite showed in the past a quite failing and selective memory. Finally, even if the Japanese participation to the ICC has been praised as a new step fostering the legitimacy of the ICC as an universal judicial body, the ambiguous attitude of the Japanese authorities is likely to weaken the impact of Tokyo adhesion to the Rome Statute on other Asian great powers such as China, India, Indonesia and Pakistan, anxious to protect their own sovereignty against any infringement from the Court.
    • L'Affaire du génocide. Bosnie et Serbie devant la Cour internationale de Justice ou la dénonciation à l'épreuve du droit international - Pierre-Yves Condé p. 109-140 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 2006 la Cour internationale de Justice a rendu son arrêt dans l'affaire du Génocide introduite par la Bosnie-Herzégovine contre la Serbie treize ans plus tôt. Elle a qualifié de génocide les massacres de Srebrenica de juillet 1995 et jugé que la Serbie, en ne cherchant ni à empêcher, ni à punir ce crime, avait enfreint la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. L'écart entre les conclusions des juges et la cause plaidée par la Bosnie-Herzégovine, qui alléguait que la Serbie était directement responsable d'un génocide commis sur tout son territoire depuis 1992 au moins, a suscité des critiques radicales de la décision rendue. A partir des plaidoiries orales des parties à l'instance, cet article souligne les difficultés spécifiques rencontrées par la Bosnie dans sa tentative de défendre une cause judiciaire au nom de la vérité.
      In 2006 the International Court of Justice rendered its Judgment in the Genocide case brought thirteen years earlier by Bosnia and Herzegovina against Serbia. The Court held that the July 1995 Srebrenica massacres amounted to genocide and ruled that Serbia, by failing to prevent the crime and punish those responsible, was in breach of the Convention for the Prevention and Punishment of the crime of genocide. Because of the discrepancy between these judicial determinations and Bosnia's allegations that Serbia was directly responsible for a genocide committed on her whole territory since 1992 at least, sharp criticisms were leveled at the decision. Focusing on the oral pleadings in the case, the paper aims at demonstrating the specific obstacles met by Bosnia in her efforts to lawyer truth.
    • Ménager la victime ? Ménager le coupable ? Jugement, révision et histoire devant le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie - Elisabeth Claverie p. 141-159 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Vojislav Seselj, ultranationaliste serbe, accusé pour crime de guerre et crimes contre l'humanité par le Tribunal pénal international de La Haye a décidé de se défendre seul, sans avocat, devant cette Cour. Cette décision modifie le cours des audiences, et place, notamment, les témoins en grande difficulté au moment de leur contre-interrogatoire, voulu par la procédure dite à « armes égales » par cet accusé-avocat engagé dans une « défense de rupture ». Les difficultés du dispositif et les contradictions qu'il génère ont amené à une suspension d'un procès engagé depuis six ans. La Cour est en effet engagée désormais dans une procédure d'outrage contre Seselj.
      Vojislav Seselj, a Serbian ultranationalist, accused for war crimes and crimes against Humanity by the International Criminal Tribunal in The Hague has decided to defend himself. So the accused stands as a “lawyer”. This situation changes the course of hearings and puts the witnesses in great difficulty. The difficulties are such that the trial has been suspended by the Court which has engaged a plaint for outrage against Seselj.
    • Annexe 1 : Charter of the International Military Tribunal for the Far East - p. 163-168 accès libre
    • Annexe 2 - Charter of The Women's International War Crimes Tribunal On Japan's Military Sexual Slavery - p. 169-176 accès libre
  • Études