Contenu du sommaire : De la Gazette à C.N.N., les gestes d'informer
Revue | Etudes de Communication |
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Numéro | no 15, 1994 |
Titre du numéro | De la Gazette à C.N.N., les gestes d'informer |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : de la Gazette à C.N.N., les gestes d'informer
- Présentation : L'adieu à Théophraste ? - Yves Lavoinne p. 7-12
- L'information ou la part de l'ombre - Maurice Mouillaud p. 13-22 L'auteur analyse la production d'information comme travail de représentation. Si promouvoir une information c'est mettre en visibilité, il faut, du coup, analyser ce que ce travail doit à l'ombre.L'obscurité est aux deux bouts de la chaîne informative. Toute vue comporte un hors champ. L'enquête, à force d'avancer pour éclairer l'événement, l'objet d'information, finit par se perdre dans des éclaircissements partiels ou connexes, et par là même, ce qui fut l'« origine» d'une affaire traitée comme information s'obscurcit. Une fois publiée, l'information finit par se dissoudre à son tour dans l'obsolescence perpétuelle du connu.Mais c'est encore comme représentation que l'information est affaire d'ombre. En effet rendre visible suppose le plus souvent un travail de condensation qui permette au lecteur d'appréhender des formes. Du coup, on dévalue l'inconnu pour le ramener au connu. Ou encore, si un événement a retenu l'attention, n'est-ce pas parce qu'il a fait écran, obstacle d'ombre, sur lequel le flux de nos questions s'est projeté, où nos représentations préconstruites ont imprimé la forme de l'information?The author analyses the production of news as a show of pictures. If producing a piece of news is making it visible, then it becomes necessary to examine the part played by what is left in the shadow.Darkness is at both ends of the news report. Any picture is surrounded by a frame, all that is out of frame is unvisible. As the inquiry goes forward to make the event clearer, the piece of news itself finally gets lost into partial or connected explanations and thus the facts which were originally considered as news get darker and darker. Once published the news dissolves little by little into the obsolescence of the well known.It is when it pretends to mimesis that the news has to do with shadows. Actually the attempt to make something visible needs a condensation which allows the reader to grasp sights. In this way the unknown is devalued to bring forward something well-known. Or else if an event has attracted attention, isn't it because it provides a screen, a shadowy obstacle, on which the stream of our questions gets projected, where our preconceived notions have printed the appearence of the news ?
- Oedipe et les fouille-merde - Xavier Delcourt p. 25-43 De l'invention de l'enquête criminelle à l'apparition des «muck-rakers » aux Etats-Unis, l'auteur entreprend une généalogie du journalisme d'investigation. Trois étapes sont analysées. 1820-1840 : appropriation de la procédure d'enquête, liée à une mutation de la dramaturgie judiciaire et des récits qui l'accompagnent. 1840-1890 : infléchissement des procédés de description des pratiques et des individus criminels, sous l'effet de la statistique. A la figure de l'individu d'exception se substitue celle du malfaiteur probable – criminel né, antisocial -; à la faute individuelle, la responsabilité collective de milieux. 1890-1920 : les «fouille-merde », associés au mouvement réformiste, déplacent le champ de l'enquête judiciaire en l'appliquant à la vie économique. L'auteur les caractérise par leurs objectifs, leur pratiques de «mise en diagramme» des méfaits d'un gouvernement invisible et leurs techniques de récit.The author makes a research about the origines of journalistic inquiries. It first appeares in conditions similar to those of the Old Continent : it had to go through an alteration in the formal proceedings of juridical cases ans in the stories which followed (1820-1840). Criminals are no longer seen as exceptional or monstrous characters, but with development of statistics, doctors as well as policemen and journalists try to delineate the factors of those who might possibly become criminals whether from their birth or from their surroundings. Scientist, police force and journalistic inquiries had altered their field of observation.But muck-rakers only appeared in the U.S. (1890-1920). The author sets forth his specific aspects by making clear his aims, how he conducts his inquiries and the way he writes.
- Le visuel dans l'information - Gérard Leblanc, Jean Mouchon p. 45-61 Les auteurs se proposent d'analyser l'apport propre au visuel dans l'information télévisuelle. Images de reportage, images d'archives, images d'analyse ou de synthèse semblent couvrir au mieux le réel; néanmoins elle continuent de manquer et c'est le discours d'information, par sa scénarisation, qui fait lien et continuité. Il assigne une place au visuel et le commente.Les auteurs posent que le visuel n'est pourtant pas réductible au discours. Issues souvent d'autres types de programme que de l'information télévisée, plusieurs figures, analysées dans cet article, construisent, par leur effet de grille, le rapport du spectateur à ce qui est montré. Elles concentrent un rapport au monde porté à son maximum d'intensité et leur force vient de leur répétition. La première, la Roue de la Fortune en fournit un exemple, offre la charge émotionnelle d'image de personnes aux modes de vie proches du téléspectateur. La deuxième, avec le Loto, montre ce qui échappe à la programmation sous la figure du hasard, de l'imprévisible. La troisième, avec la communication publicitaire, propose un monde où le réel est sans résistance, pour peu qu'on dispose du bon produit. Enfin le visuel est parfois une adresse directe au spectateur, celle d'un visage empreint de compassion, figure qui permet de passer de l'intensité dramatique de l'événement aux émotions tout aussi intenses de la vie ordinaire.Ce visuel dont le mode de lecture est installé tout au long de la grille de programme, joue encore au moment où se donne à entendre le discours de l'information.The authors want to demonstrate the visual sequences cannot be reduced to the meaning of speech. Reports in pictures, pictures from archives, analytical or synthetic pictures are supposed to be the best way to cover the real. However they are continuaIly missing it and the informative speech provides the links and continuity. It seUles the picture a place of their own and produces a commentary.According to the authors the visible cannot be submitted to speech. they analyse several kinds of pictures appearing more frequently in other type of programmes which establish a relation of the watcher to what he is shown through the impact of their repeated patterns.The first type of those weeckly or daily programmes La Roue de la Fortune offers an example by introducing ordinary people whose way of life is quite similars to the watchers'one, which produces an emotional effect. The second type, the Bingo, shows as risky and unpredictable aIl that escares a scheduled series. As for the third type, the commercial, it gives the idea of a uni verse deprived of any resistance as long as you can use the most convenient product. Then, at last, the screen picture addresses the TV watcher straight through the feeling of compassion expressed by the announcer's face, which aIlows an immediate passage from intensely dramatic facts to the equaly intense emotions of everyday life.These visual patterns which are recurrent in TV programmes keep their impact in the watchers' mind while the announcer is developping his speech about the news.
- Les nouvelles logiques de l'information en temps de guerre : le modèle C.N.N. - Jocelyne Arquembourg p. 63-74 L'auteur analyse la couverture du conflit du Golfe comme un cas d'école, et peut-être une expérimentation d'une nouvelle forme de relations entre médias et armées.Lors de cette guerre, l'exécutif américain avait besoin des médias pour légitimer son intervention et fonder un nouvel ordre international. D'autre part, l'état des technologies de l'information rendait difficile l'exercice public d'une censure aussi, les relations entre l'armée américaine et C.N.N. ont pris une forme contractuelle. L'armée, par son agenda de communication et ses productions image a permis à la chaîne de diffuser en continu sans souffrir du manque de nouvelles réelles. L'auteur analyse encore comment la diversité des images a produit une déréalisation de la guerre.De son côté la chaîne a tenté de se libérer d'une tutelle trop lourde des sources officielles. L'implantation d'une équipe à Bagdad, ce direct, n'a fait qu'aggraver l'ambiguïté qui rend toute information en temps de guerre indissociable de la propagande. Enfin, par des ajustements énonciatifs et par une production d'émissions différées qui ont fait appel aux élites expertes, la chaîne a tenté de redevenir médiateur d'espace public.L'auteur insiste en conclusion sur le fait que le direct propre au travail en continu d'une chaîne thématique diffusant pour une audience ciblée doit s'analyser différemment de l'usage du direct chez les chaînes généralistes: le direct ne vaut pas pour sa charge émotionnelle; il est l'expression d'une conception utilitariste et stratégique de l'information.The author analyses the coverage of the Gulf conflict as a new paradigm which can be considered as the first experiment of a new relation between medias and the army.During this war the American executive power needed the medias to legitimate its intervention and the creation of a new international order. On the other hand the present technologies of information made it difficult to enforce a public censure, so the relations between the American army and C.N.N. took the form of a contract. The Army made use of their relation agenda and of their own moving pictures to help the C.N.N. channel to broadcast in continuit y even though the actual news were sometimes missing. The author also analyses how the variety of pictures could gives the war an unreal aspect.From its own viewpoint the channel tried to escape the heavy control of official news. The location of a team broadcasting live from Bagdad only made worse the ambiguity which tends to bring confusion between information and propaganda in wartime. Then, by reajusting intermediary enunciation and by producing prerecorded broadcast with the help of experts, the channel tried to recover its place as a media on a public scale.As a conclusion the author insists on the fact that live programs proper to the conti nuit y of a thematic channel broadcasting for a chosen audience should be analysed in different manner from the live production on current channels: a live transmission does not get its value from emotional contents; it only expresses a utilitarian and strategic conception of information.
- La radio, et la maîtrise du temps - Jean-François Tetu p. 75-89 L'auteur s'interroge sur la temporalité spécifique de l'information radio en dégageant trois composantes: le jeu entre le temps de l'émetteur et celui du récepteur, le récit, le direct.Ce médium cherche à accompagner le temps de l'auditeur. Deux modèles ont cours: dans l'un domine, par un jeu de tranches horaires, le temps de l'auditeur; dans l'autre domine un temps fictif, par le flux des programmes, à peine troué par les rendez-vous qui réinstallent la temporalité de l'auditeur. Dans ce cadre, l'information radio est spécifique: c'est une voix qui inscrit la temporalité d'un temps externe au studio: celle de l'irruption du monde, des flashs d'information où se succèdent les voix.Pour construire l'événement, la radio accorde un primat absolu au récit, mais sous une forme élémentaire, celle des catégories préconstruites des actions. Un récit minimal qui vise à une compréhension pratique de l'action et dont la pauvreté narrative est compensée par la variété des voix. Au lieu de construire une vision du monde par un discours d'information, on enracine acteurs et actions dans les catégories pré-narratives de l'action.Le direct radio diverge radicalement du traitement télévisuel où le «réel» peut surgir de l'image. Pour le récepteur, la passion du direct passe par un filtre: la passion du présentateur lui-même. Quand le présentateur retient son souffle, l'auditeur peut percevoir que le temps dont le récit construit la représentation est dans la voix du speaker.The author raises questions about the specific use of time on radio news by pointing out three aspects: the alternation between the programmer's and the listener's time, the reports, the live interviews.The radio news try to take into account the listener's time. Two devices are currently used: the former one is dominated by listener's time, by means of scheduled transmissions; the latter one is dominated by fictionnal time and the succession of programmes rarely interrupted by announcer's transmissions which re-insert the listener's time. In such a device, the radio news is specific: it is a voice which brings back a temporality from outside the studio: a sudden comeback from the real world, news flashes from successive voices.To give shape to an event the radio favours the report but in a rudimental way, by dealing with preconceived schemes of actions. It's a minimal account which aims at a practical understanding of an event and in which the variety of voices offers compensation to poorness. Instead of building an ideological conception, of the world with an organized news report, they fix actors and actions into the preconceived schemes of the event.The live report on radio is radically different from the TV treatment where the «real thing» may fall upon the screen. For a listener the passionnate reaction to a live event cornes through a filter : the passionnate reaction of the announcer himself. When the announcer holds his breath, the listener can perceive that the time suggested by the report appears in announcer's voice itself.
- Les métamorphoses de l'information - Yves Lavoinne p. 91-110 L'auteur analyse sur une longue durée le travail énonciatif propre aux périodiques. Il distingue trois périodes où prennent figure trois «régimes d'information»: le temps de la nouvelle, l'ère de l'information, l'entrée en communication.La nouvelle se caractérise par la centration sur l'espace-temps du rédacteur de dépêches; cette forme est tributaire du modèle épistolaire. Lecteur de lettres, dépêches, journaux, le gazetier est surtout metteur en page: la rareté de la nouvelle fait du journal une scène de sa circulation. Peu à peu l'espace du journal se développe, le travail de montage introduit un péritexte, avec ses rubriques, sa titraille.Le passage à l'ère de l'information se fait dans un contexte d'industrialisation; après le droit de dire émerge le droit de connaître. La nouvelle se factualise et, vers 1880, s'installe un nouveau régime de visibilité où le titrage supplante la suscription épistolaire. L'énonciation se centre sur le temps du lecteur.Cette centration sur le lecteur s'impose encore plus avec l'entrée en communication. Là, un journalisme du conseil pour la vie quotidienne emprunte sa rhétorique à la publicité. Dans le même temps les médias tendent à se centrer sur eux-mêmes. Cette situation nouvelle produit quelque désarroi dans la profession dont l'univers bascule; elle doit inventer de nouvelles stratégies, de nouvelles pratiques.The author analyses on a long period of history the work of enunciation proper to periodicals. He distinguishes three periods corresponding to three modes of information: news bulletins, information, communication.The news bulletin is characterized by focus on the real time of the bulletin writer. This form is inherited from correspondence writings. The editor is chiefly a reader of other papers; the news being scarse present themselves as a favourite reading for the other newspapers. Little by little the newspeaper develops a larger space, the editing works determines « a peri-text» with various headings and a series of titles and subtitles.The transition to an era of information takes place in a time of industrialization; it is the passage from the right of speech to the right of knowing and inquiring. The piece of news is reduced to a fact and towards 1880 settles a new system of visibility in which various kinds of titles supersede the way lettres are superscribed. The enunciation is focussed on the reader's time.This need of attracting the reader's interest is still more obvious with the influence of communication. Then, a journalist advising readers about daily life borrows his rhetoric from publicity. At the same time the medias tend to speak more and more of themselves. This new situation bring sorne confusion in the profession as their work gets in constant move: they must invent new strategies, new practices.
- Parole médiatique en temps de crise - Simone Bonnafous p. 113-130 L'analyse de deux corpus de presse, un journal télévisé de France 3 et une enquête du Monde, tous deux datés de 1993, permet de mettre à jour deux modalités du discours médiatique sur la crise et le chômage. L'une repose sur l'adéquation totale du discours journalistique et du discours des « élites ». L'autre utilise le témoignage des « exclus» comme une simple illustration d'un discours d'experts qui oscille entre le fatalisme et le moralisme. L'étude de la distribution et de la hiérarchisation de la parole manifeste une concordance entre ces deux modes de représentation d'un problème social: les procédures de globalisation et le jeu des formes énonciatives contribuent à un «amortissement du social» et des charges affectives qu'il pourrait susciter. Ces études de cas s'inscrivent dans une interrogation plus générale sur la structuration de la parole dans l'espace public contemporain.The author analyses two press corpuses, news bulletin on France 3 and a survey in Le Monde both in the year 1993. She brings into light two methods used in mediatic speeches about crisis and unemployment. The first one assumes that speeches from political men and experts are true and sticks to them. The second one gets the unemployed to reports about their situation but considers their statements as providing examples to the analyses given by the experts who are either complaining about fatality or suggesting a moral effort. If we consider the place and importance given to the different speeches it appears that whatever statements they make about this social problem, the result is the same. The process of generalization and the play of enunciation lead to a cover-up of social problems and the affects they might bring about. These analyses are part of a more general query about the role played by con temporary medias in the structure of speeches.
Libre opinion
- Le journaliste créateur - Alain Chanel p. 133-138 L'auteur s'interroge sur la pertinence des analyses qui estiment l'identité professionnelle des journalistes actuellement menacée par l'élargissement de l'espace de communication et le développement des nouvelles formes de communication. L'identité de la profession serait menacée, voire perdue, parce que télévision et nouvelles technologies de l'information auraient sapé les bases même de l'information. La communication institutionnelle laisserait croire, illusion propice à des manipulations dangereuses pour la démocratie, à un rapport direct entre téléspectateur et Histoire. L'image serait l'occasion d'une perte du sens.Pour l'auteur, si révolution il y a, c'est dans le statut des journalistes : ceux-ci ont voulu s'imposer comme garants de l'information légitime. Or aujourd'hui la multiplicité des gisements informatifs amènent les publics à juger de la valeur du journaliste non en regard de l'exactitude des faits, mais de la pertinence des problèmes soulevés.Dès lors le journaliste doit prendre en compte la subjectivité de celui à qui il s'adresse; il doit aussi prendre en compte la qualité énonciative que les publics attendent du média vecteur d'information. Si l'on peut admettre que les N.T.I. risquent de nous soumettre à un flux de données numériques rendant accessible à grande vitesse textes sons et images, le journaliste doit s'emparer de ces technologies pour créer la représentation d'univers particuliers. En ce sens informer, c'est avant tout produire une esthétique.The author focuses on the issue of professional identity of journalists. According to various analysts this identity would be endangered by the opening of a wider communicational sphere and by the early developments in medias.The threat would be actual that T. V. and new technologies of communication put an end to it, and destroy thus the foundations of the information system. Journalist would be involved into a corporate communication whose goal is to create the illusion of a direct relation between viewers and the process of History. That illusion would be a danger for democratic societies and would lead to the loss of the meaning of images.According to the author, the actual revolution, if there is one, is that of the professional status of journalists. They have tried to play the role of the warrantors of legitimate information. The nowadays large quantity of informational resources available leads the audience to an estimation of their value, not referred to the accuracy of facts but ta the relevance of issues they focus on.Consequently journalists must take into account the personal bias of their addresses; they must also be aware of the quality of enunciation the audience is expecting from the media carrying the news. If we admit that the N.T. 1. tend to use a large number of numerical data giving access to texts, sounds and pictures at a great speed, the journalist should make use of these technologies to create the image of specific worlds. From that point of view the information industry would chiefly be an industry of esthetic products.
- Le journaliste créateur - Alain Chanel p. 133-138