Contenu du sommaire : Convoquer les êtres collectifs
Revue | Tracés |
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Numéro | no 29, 2015/2 |
Titre du numéro | Convoquer les êtres collectifs |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les êtres collectifs en question - Thomas Angeletti, Aurélien Berlan p. 7-22
Articles
- Des pouvoirs impersonnels ? - Catherine Colliot-Thélene p. 25-38 Les tentatives de conceptualisation du pouvoir sont majoritairement focalisées sur le pouvoir politique, plus précisément sur sa forme étatique. Elles n'accordent en revanche que peu d'attention à l'économie. Cette dissymétrie résulte de la conviction que l'économie moderne constitue un champ d'action autonome dont la logique échappe à la prise de sujets (individuels ou collectifs) susceptibles d'en assumer la responsabilité. La mondialisation contemporaine paraît conforter cette représentation. Une analyse différenciée de la notion de pouvoir, qui distingue ses formes directes et indirectes, suggère cependant de réviser la thèse aujourd'hui répandue selon laquelle les contraintes de l'économie condamneraient la politique à l'impuissance. Cette analyse implique de rompre avec le concept national-étatique de la politique en reconnaissant que la mondialisation transforme aussi bien les structures de la politique que celles de l'économie, au point que les frontières entre l'une et l'autre tendent à disparaître.Attempts of conceptualization of power are mainly focused on political power, specifically on its state form. In contrast they give little attention to the economy. This asymmetry results from the conviction that modern economy is an autonomous field of action whose logic escapes from the grip of subjects (individual or collective) who could be made responsible for it. Contemporary globalization seems to confirm this representation. However, a differentiated analysis of the concept of power, which distinguishes between its direct and indirect forms, suggests revising the now widespread view that the constraints of the economy condemn politics to powerlessness. Such an analysis means breaking with the national-state concept of politics by recognizing that globalization transforms at once the structures of politics and of economics, to the point that the borders between them tend to disappear.
- Décider en corps. Identité, réalité et mode d'être des corps délibérants - Philippe Urfalino p. 39-64 Ce texte plaide pour une conception réaliste, non nominaliste, des corps délibérants. Ils ne sont pas réductibles à la collection changeante des individus qui les composent. Les corps délibérants sont des entités collectives réelles, dans la mesure où l'on peut en préciser les critères d'identité. Ceux-ci comprennent notamment la délimitation d'une intériorité et d'une extériorité reliées par des fonctions ou des fins. À ce titre, les entités collectives considérées sont des systèmes adaptatifs. Ces derniers sont de trois types : les systèmes techniques, les organismes et les organisations humaines. La spécificité des organisations humaines tient à la nature des relations entre parties, qui est normative, et aux modalités de détermination de leurs fins. Les corps délibérants sont des organisations d'un type particulier dont les caractéristiques propres sont précisées. Le mode d'être de ces entités collectives est adverbial. Cela veut dire que l'existence d'un corps délibérant est subordonnée à une activité spécifique de ses membres et à la manière par laquelle ils se rapportent à ses fins instituées, et néanmoins changeantes.This text is a plea for a realist, rather than nominalist, conception of deliberating bodies. A deliberating body cannot be understood as simply a changing collection of individuals. Deliberating bodies are real collective entities in that defining criteria can be specified for them, including a boundary between what is internal and external to them and the fact that those two domains are connected by functions or purposes. This in turn means that these entities are adaptive systems. There are three types of adaptive systems: technical systems, organisms and human organizations. The specificity of human organizations—of which deliberating bodies are a particular type—resides in the nature of relations between the parties composing them, which is normative, and the ways in which the organization's purposes are determined. The specificity of deliberating bodies is that they exist “adverbially,” meaning that that existence is subordinate to the specific activity of their members and the way in which those persons relate to its instituted, yet changing, purposes.
- Agir en être collectif. L'État, la communauté des Nicolotti et l'approvisionnement de Venise à l'époque moderne - Solène Rivoal p. 65-84 Cet article se propose d'étudier le caractère composite et le pouvoir d'action d'une communauté de pêcheurs de Venise à l'époque moderne, les pêcheurs de San Nicolò, communément appelés les Nicolotti. Il s'agit d'analyser la fonction de la communauté au sein des activités économiques de la ville, et de montrer en quoi la fonction peut être perçue comme un élément qui structure le groupe social. De même, les actions de la communauté font d'elle un être collectif qui interagit avec les institutions vénitiennes. Ces dernières s'affirment de plus en plus comme une entité unie capable de réguler les approvisionnements quotidiens de la ville, en l'occurrence des marchés du poisson, depuis la pêche dans la lagune, jusqu'à la distribution.This article shows the complex nature of a fishermen's community of Venice in the early modern period, called the Nicolotti, and its agency. This paper aims to analyze the role of the social group within the economic activities of the city in order to find out how this function structures the community. Besides, these fishermen seem to act like a collective being that interacts with Venetian institutions. The latter become more and more established as a close entity able to regulate the daily supplies of the city. In this particular case, it concerns the fish market, from fishing in the lagoon to retail.
- Saisir l'être collectif par ses mises en cause : la votation citoyenne de 2009 et l'entreprise publique La Poste - Nadège Vezinat p. 85-102 En changeant de statut juridique en 1991, l'entreprise publique La Poste a connu un double mouvement : une autonomisation par rapport à l'État, ce qui lui a donné la matérialité institutionnelle pour exister en dehors de lui et lui permettre d'être envisagée comme un être collectif ; mais également, un mouvement de mise en danger qui intervient du fait même de cette autonomisation puisque, tout en conférant à La Poste une reconnaissance juridique indépendante, la séparation d'avec l'État lui fait paradoxalement perdre de sa stabilité. La votation citoyenne organisée en 2009 peut non seulement être analysée comme une occasion de défense de l'être collectif face à sa mise en cause mais aussi, plus radicalement, comme une manière d'en saisir la nature. En ce sens, l'actualisation même de l'être collectif peut apparaître à travers sa mise en danger et les tentatives de sauvetage visant à la conjurer.La Poste's status has changed in 1991. It stopped being part of the state to become a public firm. Thus it has undertaken a twofold development. On the one hand, it has become autonomous from the state and gained an institutional existence of its own, which allows to consider it as a collective being. On the other hand, this autonomy has paradoxically endangered it, since at the same it has provided it its formal autonomy, it has put its stability at risk. A non-official voting (“votation citoyenne”) was held in 2009. In this article, I analyze it not only as a symptom of the various threats faced by La Poste but also as a way to capture its nature as a collective being. Thus, La Poste's collective being is highlighted through the risks it is facing as well as through the attempts to define and rescue it.
- Faire intervenir des êtres collectifs dans et par le discours. De l'usage des syntagmes nominaux à valeur collective dans les discours conservateurs allemand et britannique - Naomi Truan p. 103-122 À partir d'un corpus de discours institutionnels conservateurs allemands et britanniques prononcés par Angela Merkel et David Cameron, cet article s'attache au sens véhiculé par les syntagmes nominaux « le gouvernement », « la politique » et « l'État ». Une étude qualitative comparée de l'emploi de ces groupes nominaux montre que celui-ci ne relève pas seulement d'une dépersonnalisation ou d'une généralisation. En effet, leur usage va aussi de pair avec une volonté de démarcation, voire avec une inclusion de l'auditoire. Ces expressions peuvent ainsi donner lieu à des jeux d'adresse déguisés. Bien qu'elles relèvent, d'un point de vue linguistique, de la troisième personne exclue du couple dialogal je/tu, les expressions « le gouvernement », « la politique » et « l'État » peuvent référer à l'orateur ou à certains destinataires du discours politique (par exemple les opposant-e-s politiques). « Le gouvernement », « la politique » et « l'État » correspondent dès lors à un je, un nous ou un vous.Based on a corpus of British and German Conservative speeches from David Cameron and Angela Merkel, this article deals with the discursively constructed meaning of the words “government”, “politics” and “state”. A comparative close-reading analysis of these words shows that the use of these Nominal Phrases (NP) does not only convey depersonalisation or generalisation. These NP can also draw a demarcation line between the speaker and his/her opponents or include the audience. Therefore, these expressions can be seen as disguised forms of address. Although these forms belong, linguistically speaking, to the pole of reference (third person), the “government”, “politics” and the “state” can refer to the speaker or to some of the recipients of political discourse (e.g. the opposition). The “government”, “politics” and the “state” correspond subsequently to an I, a we or a you.
- Des pouvoirs impersonnels ? - Catherine Colliot-Thélene p. 25-38
Traductions
- Le capitalisme face aux puissances historiques : Max Weber à Saint Louis, Missouri - Aurélien Berlan p. 125-132
- Capitalisme et société rurale - Max Weber p. 133-158 Le capitalisme n'a pas les mêmes répercussions dans toutes les régions où il pénètre. Selon les contextes, il peut même avoir des effets paradoxaux, en favorisant des couches sociales de propriétaires oisifs. Voilà ce que cherche à montrer Weber, dans cette conférence de 1904, en se concentrant sur le capitalisme agricole. Dans un premier moment, il compare les campagnes anglaises et américaines à celles du continent européen, où l'héritage historique oppose une résistance à l'invasion de l'esprit capitaliste. Cette inertie s'incarne dans des forces sociales dont Weber esquisse la sociologie : la classe des fonctionnaires d'État, l'armée et la monarchie héréditaire, les Églises, etc. Dans un second temps, Weber se penche sur l'Allemagne, clivée entre ses régions occidentales traditionnellement dédiées à la petite agriculture fermière, mais en pleine industrialisation, et ses confins orientaux voués à la grande agriculture capitaliste des Junker. D'où provient cette différence frappante d'organisation rurale et de destin historique ? Du fait qu'à l'aube des temps modernes, les seigneurs de l'Ouest ont pu continuer à employer leurs serfs comme « source de rente », alors qu'à l'Est, il a fallu les exploiter comme « force de travail » dans de grands domaines.Capitalism does not have the same consequences in every region where it enters. Depending on the context, capitalism can even have paradoxical effects, by stimulating the social strata of idle owners. This is what Weber is looking to show in this 1904 conference, focusing on agricultural capitalism. Firstly, Weber compares English and American countrysides to those in Europe, where the historical heritage offers resistance to the invasion of the capitalist spirit. This inertia is embodied in social forces sociologically studied by Weber: the class of state officials, the military and hereditary monarchy, churches, etc. Secondly, Weber focuses on Germany, divided between its western regions traditionally dedicated to the small farmer agriculture, but in the process of industrialization, and its eastern edges to large-scale capitalist agriculture of the Junker. Where does this striking difference of rural organization and historical destiny come from? From the fat that at the dawn of modern times, Western lords could continue to use their serfs as “annuity sources”, while in the East, they were exploited as “work force” in large domains.
- L'opinion publique selon Niklas Luhmann - Flavien Le Bouter p. 159-164
- Complexité de la société et opinion publique - Niklas Luhmann, Aurélien Berlan p. 165-180 L'opinion publique est l'un des concepts centraux de la sémantique de la politique moderne. Pour comprendre sa véritable fonction sociale, il est nécessaire de le reconstruire à partir d'une théorie des systèmes. Dans cette perspective, l'opinion publique n'est pas un agrégat d'opinions individuelles mais une construction de la communication, réalité émergente et indépendante des systèmes psychiques. Elle est le médium auquel les médias de masse donnent une forme en focalisant l'attention sur la nouveauté, la quantité et les conflits. Loin d'être un vecteur de rationalité, l'opinion publique est pour le système politique un miroir qui lui permet de se réfléchir par l'observation de lui-même et de ses observateurs. L'opinion publique assure ainsi le couplage structurel du système politique avec son environnement en en réduisant et occultant la complexité, ce qui permet à ce système d'orienter ses opérations.Public opinion is one of the main concepts of modern politics' semantic. To understand its real social function, we need to rebuilt it from systems theory. From this perspective, public opinion is not an aggregation of individual opinions but a construction of communication, as an emergent reality independent of psychic systems. Public opinion is the medium designed by mass media, by focusing on novelty, quantity and conflicts. Far from being a vector of rationality, public opinion is a mirror for the political system, allowing it to think about its functioning, by looking both at itself and at its observers. In doing so, public opinion insure the structural interaction between the political system and its environment, by reducing and eclipsing its complexity. Finally, it allows for the political system to orient its operations.
Entretien
- Les pouvoirs de l'État : Entretien avec Michael Mann - Thomas Angeletti, Nathalie Miriam Plouchard p. 183-193