Contenu du sommaire : Chines, l'État au musée
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 16, 2012 |
Titre du numéro | Chines, l'État au musée |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier Chines, l'État au musée
- Introduction : L'État au musée. Politiques muséales et patrimoniales dans le monde chinois contemporain - Anne-Christine Trémon p. 4-21
- L'injonction à la fête. Enjeux locaux patrimoniaux d'une fête en voie de disparition - Stéphane Gros p. 25-43 Comme les autres minorités de la République populaire de Chine, les Drung (Dulong) ont leur propre « festival », officiellement répertorié sous le nom chinois de « Kaquewa » et désormais listé dans l'inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Une double officialisation paradoxale : à ce jour ladite fête n'est plus pratiquée par les intéressés.Cet article explore le contexte particulier de la disparition de cette cérémonie et du rituel qui lui est lié, mais aussi sa brève résurgence suite à un processus de négociation entre les villageois et les représentants locaux du pouvoir, et avec l'ethnologue. Réponse éphémère à l'injonction officielle à la fête, sa réinstitution engage les acteurs impliqués dans une nécessaire reconstruction de la « culture » drung, qui questionne le rôle de la communauté de référence et son rapport à la tradition d'une part, et pose le problème de la transmission et de la disparition de l'autre.Like other minority groups in the People's Republic of China, the Drung (Dulong) have their own “festival” – officially known as Kaquewa, in Mandarin, and now part of the national inventory of intangible cultural heritage. This double institutionalisation is somewhat paradoxical in light of the fact that the people in question no longer engage in the festival. This article examines the disappearance of this ceremony and its accompanying ritual, as well as its brief resurrection following negotiations between villagers, local state officials and the resident anthropologist. Its reinstitution, qua ephemeral responseto the “obligation to party”, involves participants in a necessary reconstruction of Drung “culture” which calls into question the role of the community which it is supposed to represent, as well as its relationship to tradition, and simultaneously interrogates problems of cultural transmission and disappearance.
- L'empire de l'éternel présent. Dans les musées de la République populaire de Chine1 - Françoise Lauwaert p. 43-63 La modernisation des villes, qui s'est faite presque simultanément dans tout le pays et avec une vitesse stupéfiante depuis le début des années 1980, a entraîné en Chine la disparition des quartiers et des modes de vie « traditionnels ». Or depuis quelques années le désir de se réapproprier certaines formes de passé ressurgit. Cela se fait par la construction de musées, mais aussi par la mise en place de monuments jugés caractéristiques de la culture et de l'histoire nationale. Il s'en est suivi un brouillage des repères entre l'« authentique » et le reconstitué, entre le passé des historiens et le passé recomposé des instances étatiques, entre l'extériorité et l'intériorité. Le passé se réinscrit au présent, sur un oubli de sa part d'ombre. C'est à l'exploration de certains de ces espaces intermédiaires où se brouillent les repères chronologiques et spatiaux que cet article est consacré.Processes of urban renovation and modernisation have remodelled Chinese cities at astonishing speed since the 1980s and led to the disappearance of “traditional” districts and ways of life. The last few years, however, have witnessed the emergence of efforts to reappropriate some aspects of this heritage. This can be seen in the creation of museums, but also in the establishment of monuments deemed typical of national culture and history. The upshot has been a blurring of boundaries between the “authentic” and the recreated, between historians' history and the history of state institutions, and between exteriority and interiority. The past is reinscribed in the present by means of an act of forgetting its shadow-side. This article explores some of these intermediate spaces where spatial and chronological fixed points begin to blur.
- Le nationalisme dans les musées locaux à Taïwan : colonisation, autoritarisme et démocratie - Lee Wei-I p. 64-83 Le présent article se propose d'analyser, à travers l'examen de l'histoire du développement des musées locaux à Taïwan, le lien entre la construction culturelle et l'identité collective, né de la rencontre entre la société locale et le nationalisme. L'analyse se déploie sur deux axes principaux : d'abord, dans la perspective d'une anthropologie politique sur les États-nations, l'auteur s'efforce de repérer, à travers les trois vagues de construction des musées locaux resituées dans leur contexte social, les différentes formes d'intervention de l'État dans le local, et par là tente d'expliciter la façon dont le politique s'imbrique dans la représentation culturelle sous différents régimes politiques ; ensuite, dans la mesure où Taïwan reste aujourd'hui encore prise dans un conflit inextricable entre de multiples formes de nationalisme, l'auteur essaie, dans le cadre d'une réflexion sur le lien entre l'imaginaire culturel et la formation de l'État, d'explorer le phénomène qu'il appelle « l'absence de la société » dans la construction des musées locaux, enlisée dans un complexe identitaire au sein même du jeu démocratique.Through an exploration of the history and development of Taiwanese local museums, this article aims to analyse the relationship between cultural construction and collective identity born of the encounter between local society and nationalist ideology. The analysis follows two distinct but complementary paths. On the one hand, it engages with the political anthropology of the Nation-State, resituating the three distinct waves of museum-building in their local context and seeking to identify the different forms of state intervention in local affairs. It highlights the ways in which politics imbricates itself in cultural representation under different political regimes. And on the other, it looks at the inextricable conflict between diverse forms of Taiwanese nationalism. The author draws on and develops ideas of the cultural imaginary and state formation to explore what he terms “the disappearance of society”, a phenomenon he locates in the construction of local museums, caught up in an identity complex which is part and parcel of wider democratic processes.
- Barrage des Trois-Gorges : exposer le monde local après l'immersion. Genèse et programme du premier musée de Yunyang - Katiana Le Mentec p. 84-105 La création du barrage des Trois-Gorges a entraîné dans le district de Yunyang (Chongqing) de profondes transformations du paysage, le déplacement d'une partie de la population et la reconstruction de villes. Le gouvernement local a élaboré au fil des ans des projets muséographiques visant à exposer ces processus. Cet article met en regard deux initiatives, dont l'une est en cours de réalisation. Il présente la genèse de ces projets et compare leur programme en considérant le rôle des personnalités politiques. Le sens attribué à leur architecture est analysé comme l'élément révélateur de la manière dont les autorités locales cherchent à situer le district après les bouleversements. L'article se poursuit par l'analyse de deux nouveaux concepts développés par les autorités locales dans le but de légitimer le déplacement forcé et de commémorer l'esprit patriotique des habitants. La conclusion porte sur la présence de l'écologie régionale dans ces institutions culturelles et sur la volonté des autorités de présenter un monde local unissant le passé au présent.The building of the Three Gorges Dam produced dramatic changes in the landscape of Yunyang (Chongqing) district, China, displacing part of the population and leading to the reconstruction of whole towns. Over the years, local government developed a number of museographic exhibitions devoted to these processes. This article explores two such projects, one of which is still ongoing. It explores the inception of the two projects, considers their respective programmes and looks at the role of local politicians. The attribution of meaning to their architectural structure is read as revelatory of attempts by local authorities to re-imagine their district after these profound changes. The article proceeds to analyse two new concepts developed by local authorities, intended to justify the forced displacement of the population and commemorate the inhabitants' patriotic spirit. It concludes by examining the place of regional ecology in these cultural institutions and efforts by local authorities to present a local world in which past and present form a seamless whole.
- La genèse de « Songzhuang » : ethnographie de la formation d'un village d'artistes - Nan Nan p. 106-129 L'article étudie un village agricole en banlieue de Pékin abritant une communauté d'artistes illégaux et illégitimes qui s'est transformée en l'espace d'une décennie en une marque, « Songzhuang, China », mondialement reconnue. En examinant le processus de la formation du village d'artistes et de la fabrication de la marque, l'article vise à mettre au jour, à travers l'analyse ethnographique des trois groupes sociaux et de leurs représentants (porte-parole des artistes mangliu, cadre local chez les villageois autochtones, élite morale pour les artistes indépendants), comment une communauté locale se constitue à travers la marchandisation du territoire local. Étudier la formation de cet espace local permet donc de réfléchir sur la question du rapport entre l'État et la société chinoise d'aujourd'hui.This article takes as its object an agricultural village in the suburbs of Beijing, home to a community of artists who were, until recently, seen as both illegal and illegitimate by the powers that be. In the last ten years, however, their work has become a globally recognised brand – that of “Songzhuang, China”. Through analysis of the creation of the artists village and the process of brand development, the article shows how a local community is produced through the commodification of local space. It focuses on three social groups and their tutelary authorities : the entrepreneur for native inhabitants ; the moral elite for the artists ; and the state official for local authorities. Studying the creation and development of this local space allows us to interrogate the question of the relationship between state and society in contemporary China.
- Yingti/ruanti (hardware/software). La création d'un hall culturel hakka à Taïwan - Anne-Christine Trémon p. 130-155 Dans le cadre de la politique multiculturelle de protection des minorités menée par le gouvernement taïwanais, le Comité ministériel aux affaires hakkas (Keweihui) a planifié dix-huit « halls culturels hakkas » dans chaque comté et municipalité. L'article retrace le processus de création d'un de ces halls dans le nord de l'île de Taïwan au cours de la décennie 2000. L'aménagement du hall procède à l'incorporation d'artistes locaux dans une tradition nationale hakka réinventée. Il est montré comment sa genèse s'est produite à l'intersection d'une politique impulsée par le haut et d'un projet émanant d'acteurs locaux. L'article met en évidence comment les catégories yingti (hardware) et ruanti (software) président à sa fabrication, et impliquent une opposition et une complémentarité entre « contenant » et « contenu », « État » et « société », qui agissent à toutes les étapes de sa mise en œuvre.As part of the Taiwanese government's multicultural minority protection policy, the Ministerial Committee for Hakka Affairs (Keweihui) is planning to build eighteen “Hakka Culture Halls”, one in each county and municipality. This article charts the creation and implantation of one of these halls, located in the northern part of the island, over the course of the last ten years. The hall involves local artists in the reinvention of a national Hakka tradition. The article shows how the hall's inception was situated at the intersection of top-down policy and a grass-roots project. It demonstrates the importance of notions of yingti (hardware) and ruanti (software) in the hall's creation, and suggests that they produce both opposition and complementarity between “content” and “receptacle”, “state” and “society”, and this at every step of the process.
- La channeling zone : religion populaire, État local et rites de légitimation en Chine rurale à l'ère de la réforme - Adam Yuet Chau p. 156-177 La politique officielle chinoise en matière de religion considère les activités populaires autour des temples religieux, telles les fêtes de temple, comme des superstitions devant être éliminées. Cependant, durant les trente dernières années – l'époque des réformes –, les leaders de temple se sont localement, dans de nombreuses zones rurales, lancés dans une politique de légitimation afin de protéger, voire d'élargir, leur sphère d'activité. En même temps, la décentralisation du pouvoir politique en Chine a provoqué le développement de pratiques rentières de la part des autorités locales. Ensemble, ces deux processus ont produit une channeling zone d'avantages opposés autour d'une vaste gamme d'activités (la protection du patrimoine, le commerce, l'éducation, la gestion des forêts, le tourisme, etc.) aboutissant à un renforcement de la légitimité des activités religieuses populaires. Cet article présente le cas d'un temple rural, le temple du Roi Dragon Noir au Shaanbei (dans le nord de la province du Shaanxi), qui met en lumière les rouages d'une telle politique de légitimation. Le processus a atteint son apogée lors d'une « cérémonie de pose d'une plaque » qui eut lieu pendant la fête annuelle du temple et marqua le changement de statut de ce dernier, autrefois lieu de superstition et désormais sanctuaire d'une religion officiellement reconnue.According to official religious policies in China, the activities surrounding popular religious temples such as temple festivals are considered superstitions to be eradicated. However, during the reform period in the past thirty years, local temple leaders in many rural areas have been engaging in the politics of legitimation to protect and expand their communities' temples and related activities. At the same time, the de-centralisation of political power in China has resulted in wide-spread rent-seeking practices among local state agencies. The convergence of these two interests, from the rural communities on the one hand and from the local state agencies on the other, has produced a “channeling zone” of benefits flowing in opposite directions and that cover a wide range of sectors (e.g. heritage protection, commerce, education, forestry, tourism, etc.), resulting in the consolidation of legitimacy for popular religious activities. This article presents the case study of a rural temple, the Black Dragon King Temple, in Shaanbei (northern Shaanxi Province), which exemplifies the intricate processes and mechanisms of such a politics of legitimation. The ethnographic highlight is a “plaque-hanging ceremony” that took place during the annual temple festival that marked the transition in status of the temple from superstition to officially-recognised religion.
- Épilogue - Brigitte Baptandier p. 178-191
Études et essais
- Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Institution et épistémologie dans l'histoire de l'ethnomusicologie en France - Brice Gérard p. 192-215 Gilbert Rouget, ethnomusicologue né en 1916 et assistant d'André Schaeffner au musée de l'Homme depuis 1942, a participé à la mission Ogooué-Congo en 1946. L'analyse de plusieurs documents inédits, en particulier ses notes de terrain, et le contenu de différents entretiens permettent de décrire les contours épistémologiques d'une articulation spécifique entre ethnographie et utilisation des techniques d'enregistrement sonore, de manière à situer plus globalement la mission Ogooué-Congo dans l'histoire de l'ethnomusicologie, domaine de savoir alors en cours d'institutionnalisation en France.Born in 1916, Gilbert Rouget was an ethnomusicologist and assistant to André Schaeffner at the musée de l'Homme. In 1946, he took part in the Ogooué-Congo expedition. This article draws on the analysis of several previously unexamined documents, notably Rouget's fieldnotes, as well as a number of interviews, to describe the epistemological contours of the encounter between ethnography and the use of sound-recording techniques. This allows the author to situate the Ogooué-Congo expedition in the wider history of ethnomusicology, which was, at the time, still in the process of acquiring official institutional status.
- Le visage des Bébés des eaux et des Gens du ciel. Nouvelles perspectives sur le masque swaihwé - Baptiste Gille p. 216-239 Le masque sx̌wó:yx̌wey (swaihwé) des peuples de l'île de Vancouver et de la vallée du Fraser a fait l'objet d'analyses virtuoses de la part d'anthropologues de renom (Claude Lévi-Strauss et Wayne Suttles). Pourtant, dans les deux cas, la structure plastique du masque est appréhendée comme un agencement ne représentant rien en soi. Nous cherchons, au contraire, à montrer que la morphologie du masque représente des non-humains surnaturels des origines, dont la nature est profondément hybride et soumise à un schème ontologique de transformation. À partir de ce changement de paradigme, nous montrons que le masque sx̌wó:yx̌wey des Salish côtiers cherche à figurer – quoique d'une manière différente de leurs voisins septentrionaux – les transformations incessantes des êtres surnaturels à partir de représentations plastiques de saillances et de constructions chimériques. Ces saillances visuelles et leur agencement particulier placent l'observateur du masque dans un état d'incertitude ontologique quand à la nature de l'existant représenté. Cet état de dissonance cognitive est le propre de l'état visionnaire chez les Salish côtiers.The masks of the Kwakiutl of Vancouver island and Fraser valley have been brilliantly analysed by Claude Lévi-Strauss and Wayne Suttles. In both cases, however, the mask's plastic qualities have been regarded as mere form, representing nothing in particular. This article, in contrast, aims to demonstrate that the mask's morphology represents the original superhuman beings, whose profoundly hybrid nature partakes of a transformative ontological schema. It then moves on to show that the Coastal Salish's mask seeks, albeit in a quite different way to that of their more northerly neighbours, to represent the ceaseless transformations of supernatural beings in its physical protuberances and chimeric constructions. The precise arrangement of these visible protuberances places the observer in a situation of ontological uncertainty regarding the nature of the being in question. This state of cognitive dissonance is also proper to visionary states among the Coastal Salish.
- Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Institution et épistémologie dans l'histoire de l'ethnomusicologie en France - Brice Gérard p. 192-215
Note de lecture
- Le phénomène humain : l'avènement du réalisme - Gérard Lenclud p. 240-253
Comptes rendus
- Nicolas Puig. Farah. Musiciens de noces et scènes urbaines au Caire - Jean-Charles Depaule p. 254-255
- Odile Vincent (dir.). Collectionner ? Territoires, objets, destins - Jean-Charles Depaule p. 256-257