Contenu du sommaire : Le sénat pour quoi faire ?

Le monocamérisme est-il soluble dans la Ve République ? Majoritaire dans les pays de l'Union européenne, le monocamérisme est associé en France au risque de la tyrannie de l'assemblée unique, dont procéderait seul le vote de la loi. L'histoire constitutionnelle y incline. Le biais présidentialiste de nos institutions en dissuade. Ce n'est plus la dictature d'une assemblée qu'il faudrait redouter si le Sénat venait à disparaître aujourd'hui, mais le plein épanouissement de la logique présidentialiste de nos institutions.

La question de la pertinence d'une seconde chambre dans le paysage institutionnel français est déjà ancienne, puisqu'elle remonte aux débats constituants de 1789. Dès cette époque, on relève certains traits contre le bicamérisme qui ne sont pas sans évoquer l'expression, devenue courante, d'« anomalie démocratique » que serait la chambre haute. Pourtant, force est de constater que ce sont d'autres arguments qui vont s'imposer, expliquant l'enracinement républicain de cette assemblée.

Les élus locaux forment le corps électoral sénatorial depuis la IIIe République. C'est ce qui fonde le Sénat républicain et ce qui lui vaut son statut de « représentant des collectivités territoriales ». L'histoire de la seconde chambre depuis 1875 révèle cependant toute l'ambiguïté de la formule. Les principes hérités de la Révolution interdisent en effet toute représentation d'intérêts particuliers ou catégoriels au Parlement. La désignation des sénateurs par les élus locaux a donc été par défaut maintenue en partie, faute d'alternative légitime, mais sans pour autant ériger les collectivités territoriales « représentées » au Sénat en entités politiques autonomes au sein de la nation.

Le président du Sénat est un garant de l'équilibre des institutions républicaines en période dite « normale » : défenseur du bicamérisme, il est aussi président du « Grand Conseil des communes de France », et autorité de nomination. En période de crises constitutionnelles, le président du Sénat devient un garant de la légalité républicaine ; cela vaut lorsque adviennent des changements de régime politique, des changements de nature du système politique, ou en cas de proclamation de l'état d'urgence.

Dans un régime parlementaire bicaméral, la majorité présente à la chambre basse s'identifie au gouvernement soutenant, le cas échéant, le président de la République et contribue à l'isolement institutionnel de la chambre haute. L'étude des différentes configurations caractérisant les rapports entre le Sénat et le pouvoir exécutif permet de déceler l'apparition d'une majorité sénatoriale. Néanmoins, son émergence n'implique pas un exercice uniforme de l'action législative, et la configuration majoritaire de l'hémicycle de la seconde chambre ne suffit pas à expliquer son action et son rôle institutionnel.

Au-delà des a priori sur le bicamérisme et des discours volontaristes, il apparaît, au vu des statistiques, des démarches et initiatives sénatoriales et de l'étude, même sommaire, de certains processus législatifs, que l'apport quantitatif et qualitatif du Sénat à la production législative, bien que difficile à mesurer, est réel. Le Sénat tend par différents moyens à développer une expertise législative lui permettant de justifier et de valoriser le bicamérisme à la française.

Adoptée le 13 mai 2015, la résolution visant à réformer les méthodes de travail du Sénat entre dans la catégorie des adaptations voulues et conduites par la seconde chambre qui ont pour but principal de défendre le bicamérisme face à sa mise en question généralisée. La trente-quatrième modification du règlement du Sénat contribue à une meilleure efficacité du travail sénatorial, à la suite des réformes relatives au travail législatif et à la fonction de contrôle.

L'image souvent négative du Sénat français est associée au conservatisme supposé de cette institution, mais également aux caractéristiques perçues chez les sénateurs (par exemple, leur âge élevé) et à leur comportement supposé (notamment leur absentéisme). Plusieurs réformes ont visé depuis 2008 à moderniser le Sénat et à abaisser l'âge moyen de ses membres. En étudiant de manière approfondie le profil des sénateurs français, les effets des réformes engagées et la manière dont les sénateurs perçoivent leur mandat, cette contribution tente d'éclairer les spécificités du Sénat français.

Le bicamérisme européen a pris deux formes successives : celui où la chambre haute représente l'aristocratie et celui où elle représente les territoires. La première a presque disparu, la seconde est aujourd'hui remise en cause par la montée des pouvoirs régionaux et le partage de la compétence législative entre parlement national et assemblées régionales, rendant la représentation des territoires superflue.

Sous réserve de son approbation référendaire en octobre 2016, le projet de loi constitutionnelle déposé par le gouvernement Renzi et adopté par les deux chambres marque une rupture avec le bicamérisme « parfait » instauré par la Constitution de 1948. Ce bicamérisme paritaire, partageant pouvoir législatif et pouvoir de contrôle entre les chambres élues toutes deux au suffrage universel direct, a été mis en cause à plusieurs reprises depuis le début des années 2000. Le débat parlementaire a permis de renforcer à la marge les pouvoirs du Sénat centrés sur la défense des intérêts régionaux, mais sans remettre en cause le déséquilibre institutionnel voulu par le projet.