Contenu du sommaire : I. Articles
Revue | Travaux de linguistique |
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Numéro | no 50, 2005 |
Titre du numéro | I. Articles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Liliane Tasmowski, Svetlana Vogeleer p. 7-11
- L'argument davidsonien : un critère de distinction entre les prédicats « stage level » et les prédicats « individual level » ? - Anne Carlier p. 13-35 En vue de rendre compte de la corrélation entre l'interprétation référentielle du sujet indéfini et la nature du prédicat, Carlson (1978) a établi une distinction entre prédicats épisodiques et prédicats d'individus. Cette distinction a été redéfinie par Kratzer (1995) au moyen de l'argument davidsonien, lequel introduit de façon symétrique la localisation spatiale et la localisation temporelle. Afin de préciser le rôle respectif de la localisation spatiale et de la localisation temporelle, l'étude ici présentée distingue entre deux types d'énoncés à prédication épisodique, ceux qui mettent au centre une entité référentielle dont ils posent l'existence et ceux qui sont centrés autour d'un événement. L'analyse proposée rend compte des différences suivantes entre les deux types d'énoncés à prédication épisodique : (i) le complément de localisation spatiale, tout en n'étant pas argument du verbe, est parfois obligatoire dans les énoncés du premier type, alors que ni le complément temporel ni le complément de localisation spatiale n'ont un caractère obligatoire dans les énoncés du second type ; (ii) les deux types d'énoncés se distinguent du point de vue de l'aspect ; (iii) la notion de clôture existentielle est moins pertinente dans le cas des énoncés du premier type.In order to account for the correlation between the referential interpretation of the indefinite subject and the nature of the predicate, Carlson (1978) established a distinction between stage-level and individual-level predicates. Kratzer (1995) argues that this distinction stems from a difference in argument structure. According to Kratzer, stage-level predicates have an extra argument position for spatiotemporal location, whereas individual arguments lack such a position. The present study claims that time and space do not always function symmetrically and that their role can be defined more precisely if we distinguish between two types of sentences containing a stage-level predicate: those that state the existence of a referential entity and those that state the existence of an event. The advantage of this analysis is that it allows us to explain three differences between these two types of episodic sentences : (i) locative PPs, although not arguments, are sometimes obligatory in episodic sentences of the first type, whereas neither locative nor temporal expressions have an obligatory status in the episodic sentences of the second type ; (ii) the two types of episodic sentences have different aspectual properties ; (iii) the notion of existential closure is less relevant in the case of the first type of episodic sentences.
- Les interprétations partitive et existentielle des indéfinis dans les phrases existentielles locatives - Danièle Van de Velde p. 37-52 La thèse présentée ici repose sur le contraste entre certaines paires d'énoncés telles que [a]-[b] et [b]-[c] :[a] Il y a des cygnes noirs.[b] Il y a des cygnes sur le lac.[c] Il y a des cygnes qui sont sur le lac.Je tente d'expliquer ces contrastes en m'appuyant sur la littérature concernant les relations entre existence et localisation, et en proposant une hypothèse unitaire pour rendre compte de l'interprétation des trois types d'énoncés. Selon cette hypothèse, les objets qu'ils introduisent dans le discours voient leur existence garantie par leur localisation dans un ensemble, la localisation spatiale ne jouant, même dans le cas de [b], qu'un rôle de second plan. Si l'ensemble de départ contient des objets de même nature que celui dont l'existence est assertée (les cygnes en général pour [a], les cygnes de l'univers du discours pour [c]), alors l'interprétation est partitive. S'il contient des objets de nature quelconque, réunis par la relation spatiale qu'ils entretiennent avec un même objet (le lac en [b]), alors on a une interprétation faible.This paper focuses on the contrast between the following pairs of sentences ([a]-[b]) and ([b]-[c]):[a] Il y a des cygnes noirs. (“There are black swans.”)[b] Il y a des cygnes sur le lac. (“There are swans on the lake.”)[c] Il y a des cygnes qui sont sur le lac. (“There are swans who are on the lake.”) Relying on the literature on existence and localization, I propose to account for the interpretative differences between these sentences on the basis of a unitary analysis of their logical structure. My hypothesis is that objects introduced into the discourse by sentences like [a]-[c] exist by virtue of being located in a set, and that spatial localization plays only a secondary role, even in the case of [b]. If the “initial” set contains objects of the same kind as the object whose existence is being asserted (les cygnes ‘the swans' on a generic [a] or specific [c] reading), we have a strong, partitive interpretation. If it contains a collection of objects of different kinds which share the property of being in the same place – i.e., which stand in the same relationship to a certain object (le lac ‘the lake' in [b]) – we have a weak, existential interpretation.
- Les N, un N et des N en lecture générique - Svetlana Vogeleer, Liliane Tasmowski p. 53-78 Cette analyse tend à mettre en évidence la différence entre le quantificateur générique non exprimé lexicalement et les quantificateurs explicites, par exemple des adverbes de quantification. Nous nous attachons à montrer que le quantificateur générique a une nature modale, qui se manifeste sous des formes différentes pour le défini et l'indéfini, tandis que la quantification adverbiale est intrinsèquement existentielle. Le deuxième aspect de la généricité examiné ici est la relation entre la structuration catégorique ou thétique du jugement et la forme que prend la modalité générique. Nous proposons que la distinction entre les jugements thétiques et catégoriques qui s'applique aux phrases existentielles, caractérise également les phrases génériques avec un sujet indéfini et que, selon la structuration, catégorique ou thétique, de l'énoncé, la modalité générique prend des formes différentes.This paper aims to account for the difference between the silent generic quantifier and explicit quantifiers, e.g. quantificational adverbials. The analysis shows that the generic quantifier is intrinsically modal and the generic modality takes different forms for plural definites and singular indefinites. As to the adverbial quantification, it is intrinsically existential. Another issue examined is the relationship between thetic and categorical judgements and the type of generic modality. Our proposal is that the distinction between thetic and categorical judgements, which is normally applied to existential sentences, is also applicable to generic sentences with a singular indefinite subject. The analysis tends to show that the generic modality takes different forms according to whether the sentence is structured as categorical or thetic.
- Les syntagmes nominaux français de la forme de-N' - Anne Abeillé, Olivier Bonami, Danièle Godard, Jesse Tseng p. 79-95 Les syntagmes nominaux en de N'apparaissent soit comme un constituant d'un SN complet [Deg de N'], soit comme syntagmes autonomes, mais déficients, et distributionnellement contraints. Nous en proposons une analyse unifiée, dans laquelle de est une « tête faible », qui hérite de la catégorie syntaxique de son complément N', et attend un spécifieur. Dans un cas, de N'se combine localement avec un spécifieur, dans les autres, le spécifieur est extrait, mettant en jeu une relation à longue distance, arrêtée par un élément antéposé (combien, plus) ou par un item lexical dont c'est l'une des propriétés (un adverbe de quantité modifiant un V non fini, un verbe négatif). Sémantiquement, la tête de est associée à une relation qui lie la variable d'individu introduite par le N, en même temps qu'elle introduit une variable de quantité. Nous expliquons ainsi la corrélation des déficiences syntaxique et sémantique, et le fait que seules des expressions de quantité peuvent lier cette variable.De N'phrases are either a constituent of a fully fledged phrase ([Deg de N']) or syntactically autonomous but deficient and distributionally constrained. We offer a unified analysis of de N'phrases, where de is taken to be a “weak head”, which inherits the part of speech of its complement N', and requires a specifier. Either the specifier combines locally with de N', or it is extracted. In the latter case, the specifier is the bottom of a long distance dependency stopped by a filler (combien, plus) or by a lexical item (degree-quantity adverb, negative verb). Semantically, de is associated with a relation binding the individual variable introduced by the N, while also introducing a quantity variable. The quantity variable is itself bound by the local specifier relation or by an appropriate relation associated with the syntactic binder of the long distance dependency. This accounts for the correlation between the syntactic and the semantic deficiencies of autonomous de N', and for the restriction of semantic binders to quantity expressions.
- D'un torrent de larmes à un Himalaya de bêtise. Sur certains déterminants nominaux métaphoriques en français - Sarah Leroy p. 97-112 On présente dans cette étude une construction déterminative indéfinie du français, Dét-Npr-de-Nc (par exemple, Un Everest de malheurs), qui constitue une construction métaphorique du nom propre tout à fait exceptionnelle. Dans un premier temps on montre, à l'aide de plusieurs tests, que la séquence Dét-Npr-de-Nc constitue bien un déterminant nominal, et un déterminant nominal métaphorique. À la lumière de cet emploi, on est amené à revenir sur la dimension métaphorique de plusieurs déterminants nominaux, et à mettre en relation quantification et partition d'une part, qualification et métaphore d'autre part. On reconsidère en particulier les déterminants construits sur des noms de forme ou de petite quantité. L'originalité des données de départ permet de proposer un classement des déterminants nominaux fondés sur des noms communs non spécifiquement quantifieurs, et de mieux situer les déterminants proprement métaphoriques et antonomasiques au sein de ce groupe.This study looks into an indefinite determinative structure in French, Det-Nproper-de-Ncommon (e.g. un Everest de malheurs, “an Everest of hardships”), a quite remarkable metaphorical application of proper names. Using several tests, I show that the Det-Npr-de-Nc sequence is to be classified as a nominal determiner, more specifically a metaphorical one. This finding prompts a reconsideration of the metaphorical dimension of several nominal determiners and a re-examination of the relationships between quantification and partition on the one hand, qualification and metaphor on the other. In particular, I re-evaluate determiners built on nouns for shapes or small quantities. The originality of the initial data suggests a classification for nominal determiners based on common nouns that are not specifically quantifiers and allows me to better locate the genuinely metaphorical and antonomastic determiners within this group.
- Dans les + numéral : un déterminant de quantification faible ? - Céline Vaguer p. 113-129 Dans cet article, nous avons mis au jour l'existence d'un nouveau déterminant dans les + numéral dont les propriétés formelles nous amènent à l'identifier comme un « déterminant complexe » qui relève de la classe des indéfinis au sens large (dans les + numéral est alors à rapprocher de presque et quelque), mais plus encore de celle des cardinaux à ranger sous les indéfinis au sens étroit (TQG) et de celle des quantificateurs cardinaux (TRD). Sémantiquement, si dans les + numéral, à l'image de presque ou quelque, peut dénoter une « quantité faible » – Cette opération vous coûtera dans les 500 € se paraphrase en effet facilement par Cette opération vous coûtera (presque / quelque) 500 € – il désigne plus spécifiquement une « quantification non extensive » (Wilmet, 2003) : dans les ne fait en fait que limiter l'extensité variable (ibid.) – d'un niveau faible (synonyme alors de plus ou moins) – de la référence donnée par le numéral, ce que révèlent les propriétés du déterminant mais aussi le cotexte et la mise en discours.In this paper, we bring to light the existence of a new determiner, viz. dans les + numeral, whose formal properties allow us to define it as a “complex determiner” which falls into the category of indefinites in the broad sense (dans les + numeral then is similar to presque and quelque). More precisely, it is part of the category of cardinals, which are to be classified as indefinites in the narrow sense (TQG), and of that of cardinal quantifiers (DRT). Semantically, dans les + numeral, just like presque and quelque, can denote a “small quantity”. Indeed, Cette opération vous coûtera dans les 500 € (“This operation will cost you about € 500”) can be correctly paraphrased as Cette opération vous coûtera (presque / quelque) 500 € (“This operation will cost you (almost / some) € 500”). More specifically, however, it performs “non extensive quantification” (Wilmet 2003) : dans les + numeral simply limits the variation in “extensity” (ibid.), – set at a low level (in which case it is a synonym of plus ou moins (“more or less”)), – of the reference given by the numeral, something that is revealed not only by the properties of this determiner but also by the co-text and the discursive point of view.
- Certain et ses avatars (certain N/un certain N ; certains N/de certains N ; certains) : approche diachronique - Catherine Schnedecker p. 131-150 Cet article retrace les changements qu'a subis la forme certain entre le 16e et le 20e siècle. On montre notamment que le pluriel a achevé dès le 16e siècle les transformations catégorielles que le singulier entame à cette même époque, que si certainsg a progressivement réduit ses contextes d'emploi en se spécialisant dans l'expression de l'intensité des référents de certaines catégories nominales, certainpl a, au contraire, multiplié les siens, ainsi que ses catégories et ses valeurs sémantiques. Cette évolution est doublement originale car, à la différence de bon nombre d'indéfinis au départ déterminants et pronoms, certain(s), initialement adjectif, s'est spécialisé dans le rôle de déterminant sans abandonner celui d'adjectif, pour s'ouvrir, très longtemps après, aux emplois pronominaux (partitifs d'abord puis absolus). Il commence cette évolution là où bon nombre d'autres indéfinis finissent la leur : à savoir à l'expression de la spécificité.This article accounts for the changes undergone by the form certain between the 16th and the 20th century. It is shown in particular that while the plural form completed its categorial transformations in the 16th century, the singular form only began its own evolution at that time. Moreover, whereas the contexts of use of certainsg were gradually reduced to the expression of intensity, the uses of certainpl, and accordingly its semantic values, underwent extension. The originality of this evolution is twofold. First, in contrast to many other indefinites which started off as determiners and pronouns, certain(s), initially an adjective, specialised as a determiner without giving up its adjectival potential, and eventually acquired pronominal uses (first partitive, then absolute). Second, this evolution starts at the point where that of many other indefinites ends: namely with the expression of specificity.
- Les indéfinis spécifiques un certain N et un N bien précis - Fabienne Martin p. 151-168 Cet article est consacré aux différences entre un N, un certain N et un N bien précis. L'analyse proposée rend compte, entre autres, de ce que seul un N peut entrer sans problème dans les phrases averbales. On montre d'abord que un certain N se distingue de un N sous la lecture spécifique par trois propriétés : (i) un certain N indique que le référent a donné lieu à deux identifications indépendantes (Jayez & Tovena, 2006), (ii) il signale que le locuteur connaît mal le référent, mais sait qu'un autre agent le connaît bien, (iii) un certain N est B tend à instaurer une relation explicative entre le fait que le référent a certaines propriétés qui le distinguent de tous les autres et le fait qu'il vérifie la propriété B. Ensuite, on montre que contrairement à un (certain) N, un N bien précis présuppose un surensemble contextuel de N (de cardinalité ≥2) et suggère que le référent est choisi pour vérifier la propriété B parmi un surensemble de N (de là l'appellation d'indéfinis sélectifs).This paper addresses the differences between un N (“an N”), un certain N (“a certain N”) and un N bien précis (“a particular/a certain N”). One of the objectives pursued is to explain why un N bien précis and un certain N are unacceptable in averbal sentences. First, it is shown that un certain N differs from un N in its specific reading by three properties: (i) un certain N indicates that the referent has been identified twice independently (Jayez & Tovena, 2005), (ii) it indicates that the speaker does not know the referent well, but knows that somebody else knows it better, and (iii) un certain N is B suggests that the fact that the referent has some distinguishing properties explains the fact that it satisfies the property B. After that, we show that, contrary to un (certain) N, un N bien précis presupposes a contextual set of N (of cardinality ≥2), and suggests that the referent is selected to satisfy the property B among this set of N (hence the name selective specific indefinite).
- Les forces et les faiblesses de l'indéfini n'importe qui - Pierre Larrivée p. 169-180 Cet article présente une analyse sémantique de n'importe qui en français. Sa sémantique est structurée par une organisation ternaire. La valeur abstraite caractérisant le signe agit comme principe de production et de compréhension des emplois conventionnels et créatifs. La mise en œuvre de ce principe s'opère à partir d'indicateurs contextuels discrets. Résultent de cette interaction les interprétations contextuelles. De sorte que la lecture « existentielle » de n'importe qui dérive de ce qu'une valeur de véridicité s'applique à la sélection arbitraire d'une occurrence qualitativement marquée de l'ensemble des animés humains. La production des lectures à partir de l'enrichissement contextuel de sens sous-spécifiés semble pouvoir prétendre constituer une approche explicative des polysèmes grammaticaux. C'est non point n'importe qui même qui a valeur forte, mais son interprétation existentielle qualitative. Ce qu'entend illustrer cet article est l'intérêt de parcourir les chemins de traverse entre approches logicistes et approches aformelles.This paper proposes a semantic analysis of the French free-choice indefinite n'importe qui. The semantics of the indefinite is organised as a ternary structure. The (1) abstract meaning underlies all uses of the item and acts as a principle of creative interpretation generation and comprehension. This principle is actualised via (2) discrete contextual features through to (3) contextual interpretations. Thus, the “existential” reading of n'importe qui is derived by a veridical reading of the arbitrary selection of a qualitatively-marked occurrence from the set of human animates. The derivation of contextual readings from the enrichment by contextual cues of an underspecified meaning has a claim to an explanatory model of the semantics of grammatical polysemous items, and is certainly relevant to model-theoretic approaches in as much as formal semantic notions are intricately linked to the contextual interpretation of items. It is not n'importe qui itself, but its contextual interpretations which may be weak or strong, and an homonymous treatment is not possible given the continuity of the quality and free-choice dimensions from one observed reading of n'importe qui to the next.
- Quelque chose : syntaxe, lexique et référence. Un essai de mise en relation - Dominique Willems p. 181-198 A partir d'une étude détaillée des propriétés syntaxiques, référentielles et discursives de quelque chose dans un corpus de presse contemporain, nous poursuivons un double objectif : 1) une mise en rapport systématique des caractéristiques syntaxiques et référentielles ; 2) une réflexion sur deux paradoxes apparents : la position fréquente de l'indéfini quelque chose comme sujet préverbal (Quelque chose se passait. Un phénomène nouveau que je n'avais jamais eu à affronter), position réservée habituellement aux éléments topiques ; la possibilité pour cet élément « lexicalement vide » de fonctionner lui-même comme complément déterminatif (On l'a nommé ministre de quelque chose), dont la fonction essentielle est généralement décrite comme une réduction de l'extension de la tête nominale.In analysing in detail the syntactic, referential and discourse properties of quelque chose (“something”) in a contemporary press corpus, we aim at two objectives: 1) to systematically link the syntactic and referential properties; 2) to reflect upon two apparent paradoxes: the frequent occurrence of the indefinite quelque chose as preverbal subject (Quelque chose se passait. Un phénomène nouveau que je n'avais jamais eu à affronter. “Something was happening. A novel phenomenon I had never had to face before”), a position usually occupied by topic elements; and the possibility for this “lexically empty” element to function as a postmodifier (On l'a nommé ministre de quelque chose. “He's been appointed Minister of something”), the function of which is generally described as reducing the extension of the head.