Contenu du sommaire : L'éducation et la figure de l'enfant chez Wittgenstein et Cavell
Revue | A contrario |
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Numéro | no 25, 2017/2 |
Titre du numéro | L'éducation et la figure de l'enfant chez Wittgenstein et Cavell |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- L'enfant, l'adulte et les mots qui passent - Yves Érard, Pierre Fasula, Marco Motta, Joséphine Stebler p. 3-12
Articles
- Les procès et l'enseignement de Wittgenstein, et la « figure de l'enfant » romantique chez Cavell - Michael A. Peters, Yves Érard, Christian Indermuhle p. 13-37 Dans « Time and place for Philosophy », Cavell (2008) discute de la « lecture politique » de Wittgenstein (attribuée à Kripke) et illustrée par ce qu'il appelle la « scène d'instruction » des Recherches philosophiques (Wittgenstein 2005 : §217) et par « des épisodes dans la vie de Wittgenstein qui semblent accréditer une telle lecture ». Cavell fait référence à « l'histoire bien connue de Wittgenstein qui frappe un élève », dans laquelle le pouvoir est exclusivement du côté de l'enseignant. Wittgenstein a suivi une formation d'enseignant à Vienne en 1919 et a enseigné dans une école d'un village rural en Autriche jusqu'en 1926. Il a démissionné brusquement après l'incident qui l'a impliqué dans un cas de maltraitance sur un enfant et qui a débouché sur un procès qui s'est tenu à Gloggnitz dès le 17 mai 1926, et qui a duré plusieurs mois. Le juge a demandé une expertise psychiatrique de Wittgenstein dont le rapport a disparu. « L'incident Haibauer », comme on a fini par l'appeler, constitue un épisode central et toujours brûlant dans la propre constitution psychologique de Wittgenstein et son évolution éthique — un incident sur lequel il est revenu des années plus tard comme un des fondements pour sa « confession ». En me distinguant aussi bien de la lecture romantique de la figure de l'enfant par Cavell, que de la philosophie de l'enfant de Matthews (2006), j'adopte une lecture historique de Wittgenstein sur la figure de l'enfant. Ma ligne argumentative tente d'éviter une essentialisation de l'enfant et une forme d'adultocentrisme, en historicisant la subjectivité de l'enfant. Le développement de l'argumentation entend se centrer sur et explorer l'incident biographique auquel Cavell réfère de manière plus détaillée du fait de la lumière qu'il jette sur la sensibilité didactique de Wittgenstein et son état d'esprit (en particulier ses pensées suicidaires) durant la période où il a été instituteur et durant laquelle il a été en relation avec les enfants autrichiens à qui il enseignait. Cette approche historique a pour effet de mettre en relation autant la didactique que « la discipline » de son enseignement avec le contexte culturel de son époque, c'est-à-dire l'Autriche des années 20 en prise avec la réforme éducative de Glöckel qui introduisait une pédagogie inspirée de principes socio-démocrates. Cet article aimerait aussi imaginer ce que pouvait bien contenir de pertinent le rapport psychiatrique suggérant le diagnostique d'un Wittgenstein souffrant, durant son enfance, d'autisme et du syndrome d'Asperger, pour comprendre ses difficultés à apprendre à parler durant sa phase « solipsiste », son combat pour soutenir une vie sociale satisfaisante, et son intérêt philosophique pour l'acquisition du langage.In « Time And Place For Philosophy » Cavell (2008) discusses the « political reading » of Wittgenstein (attributed to Kripke) illustrated by the so-called « scene of instruction » in the Investigations, at § 217 and « moments in Wittgenstein's biography that can seem to substantiate such a reading ». Cavell refers to « a well-known story of his striking a pupil » where power resides purely on the side of the teacher. Wittgenstein attended teacher training in Vienna in 1919 and taught in Austrian rural village schools until 1926 when he abruptly resigned after an incident involving hitting a pupil that led to a court trial held in Gloggnitz beginning on 17 May 1926 and lasted several over several months. The court judge called for a psychiatric examination of Wittgenstein, a report that has gone missing. The so called « Haibauer incident » constitutes a central and smouldering episode in Wittgenstein's own psychological make-up and ethical self-development – one that he returns to many years later as the basis for his « confession ». In contra distinction to Cavell's romantic reading of the figure of the child and Matthews' (2006) philosophy of the child, I embrace an historicist reading of Wittgenstein on the figure of the child arguing for a position that attempts to avoid both essentialising the child and forms of « adultism » by historicizing child subjectivity (Peters & Johansson, 2012). This argument is advanced by focusing on and exploring the biographical incident to which Cavell refers in more detail for the light it casts on Wittgenstein's teaching sensibilities and his state of mind (especially his suicide ideation) in the period he was a teacher, including his relationships with the Austrian children he taught. The effect of this historicist approach is to relativise Wittgenstein's teaching and his « discipline » to the cultural context of his time – 1920s Austria dominated by the Glöckel educational reforms that introduced pedagogy based on social democratic principles. The paper also imagines what the psychiatric report contained entertaining the diagnosis of Wittgenstein's childhood autism and adult Aspersers as a means to understand Wittgenstein's early language difficulties during his « solipsistic » phase, his lifelong struggle in sustaining reciprocal social interactions and his philosophical interests in language learning.
- L'immédiateté passionnée : Wittgenstein et Cavell sur le désir et la philosophie incarnée dans la petite enfance - Viktor Johansson, Joséphine Stebler p. 39-62 Cet article explore la philosophie des jeunes enfants. Peut-on concevoir l'émergence d'une philosophie dans la petite enfance ? Qu'est-ce que cela signifie d'entendre les expressions des enfants comme philosophiques ? Quel genre d'écoute est-ce que cela requiert ? Afin de répondre à ces questions, un détour par la philosophie du langage ordinaire de J. L. Austin, de L. Wittgenstein et de S. Cavell sera nécessaire. Je me réfèrerai en particulier à la réélaboration de la notion austinienne d'« énoncés performatifs » par Cavell. En effet, ce dernier suggère de s'intéresser à la dimension « passionnée » de l'acte de philosopher qui n'implique pas seulement « la responsabilité de l'implication », mais aussi « les droits du désir ». Afin de voir les aspects philosophiques des questions et des expressions des enfants, nous devons écouter la manière dont les enfants font usage d'expressions particulières, un usage qui présuppose notamment une certaine compréhension du contexte, du lieu, et du corps dans lesquels ces expressions se manifestent. Avec Cavell, nous arriverons à la conclusion qu'il existe une dimension passionnée des expressions philosophiques des enfants qui demandent des réponses improvisées, autrement dit une pédagogie de l'immédiateté.This paper explores the philosophy of young children. How can philosophy happen in early childhood? What does it mean to hear philosophy in young children's expressions? What kind of listening does it require? To explore such questions the paper turns to the ordinary language philosophy of John Austin, Ludwig Wittgenstein, and Stanley Cavell, and particularly Cavell's discussion of Austin's elaboration on the notion of performative utterances. Cavell draws out a passionate dimension of philosophizing that involves not just « the responsibility of implication », as Cavell puts it, but also « the rights of desire ». The paper suggests that in order to see the philosophical aspects of children's questions and expressions, we need to listen to how children use particular expressions, which involves understanding the context, the place, and the body. Going on from Cavell, the paper concludes that there are passionate dimensions of children's philosophical expressions that call for improvisatory responses – a pedagogy of immediacy.
- Se souvenir (des images) de l'école - Joséphine Stebler p. 63-92 Cet article propose d'interroger le rapport d'une anthropologue à son expérience de terrain dans une classe de maternelle. En s'inspirant des propositions de la philosophie du langage ordinaire de Cavell et de Wittgenstein, l'ethnographe questionne ainsi sa relation à ses « données » vidéo de terrain. En s'appuyant sur un exemple tiré de l'une de ces vidéos – qui montre deux enfants en train de rejouer une scène de film devant leurs camarades de classe – l'auteure invite à reconsidérer le rôle que joue le souvenir et notre sens de ce qui importe dans une enquête anthropologique. De là émerge la possibilité que ce soient parfois aussi les petits qui éduquent les grands, en leur apprenant, par exemple, à mieux comprendre ce que c'est de quitter sa famille pour aller à l'école quand on a 5 ou 6 ans, ou à re-connaître la joie d'autrui.This paper investigates the relation of an anthropologist to her experience of fieldwork in an elementary class. Drawing from Cavell's and Wittgenstein's ordinary language philosophy, the ethnographer wonders how to relate to her video « data » collected at school. Faced with an example taken from one of these video – which shows two children acting a movie scene in front of their classmates – the reader is invited to think about the role played by our memories and our sense of what matters in an anthropological research. From all this, we start to see the possibility that the children educate the grownups, by showing them, for instance, what it is to leave one's family to go to school everyday when one is only 5 or 6, or what it is to recognize someone else's elation.
- Sous les mots, l'enfance. Sarraute et la philosophie du langage ordinaire - Layla Raïd p. 93-116 Nous proposons une lecture d'Enfance de Nathalie Sarraute dans la perspective de l'Ordinary Language Criticism héritée de Ludwig Wittgenstein et Stanley Cavell. Nous montrons comment l'écrivain enracine dans les scènes d'instruction de son enfance le double rapport aux mots qui caractérise son œuvre : résistance, d'un côté, contre la force de recouvrement des mots utilisés comme des vignettes, et recherche, de l'autre, d'une langue qui puisse révéler les dimensions ordinairement recouvertes de l'expérience. Nous montrons comment cette double relation aux mots s'appuie sur la manière dont le père de l'enfant Sarraute assume la transmission de la culture. Nous comparons alors les différentes scènes d'instruction de Sarraute, avec celles de Wittgenstein et Cavell, en montrant qu'elles constituent autant de manières différentes de percevoir la fragilité de la culture.We propose a reading of Nathalie Sarraute's Childhood in the Ordinary Language Criticism perspective, derived from the works of Ludwig Wittgenstein and Stanley Cavell. We show how Sarraute finds in scenes of instruction from her childhood the source of her relations to words as a writer : one the one hand, her resistance against words used as all too easy vignettes, and on the other hand, her pursuit of a prose able to reveal dimensions of experience covered by ordinary conversation. We show how this double relation to words finds a foundation in the role Sarraute's father played in the transmission of culture to his daughter. We then compare scenes of instruction in Sarraute, Wittgenstein, and Cavell's works, as so many different perceptions of the fragility of culture.
- « C'est du sujet qu'on entend » : visite d'atelier - Jérôme Meizoz p. 117-125 Non pas une conférence, mais une visite d'atelier : à partir d'un récit d'enfance, Séismes (2013), engager une conversation, nourrie d'extraits du livre, sur la façon de représenter le rapport de l'enfant au langage. Je prendrai appui sur une réflexion d'Annie Ernaux : « Rien de ce qui se passe dans l'enfance n'a de nom. » Comment rendre compte littérairement de la pluralité des « voix » ? Comment organiser l'usage des pronoms (je-on-nous) ? Comment, enfin, représenter l'émergence d'un sujet dans le discours social ambiant (Meschonnic) ?Not a lecture, but an art studio visit : starting from a story about childhood, Séismes [Earthquakes] (2013), I will initiate a conversation about the way to represent a child's relationship to language, while enriching it with extracts of the book. I will rely on a thought by Annie Ernaux : « Nothing that happens during childhood has a name. » How could one give a literary account of the plurality of the « voices » ? How does one organise the use of pronouns (I-one-we) ? Finally, how does one represent the emergence of a subject in the common social discourse (Meschonnic) ?
- Dans les pas de l'enfant : la voix philosophique de Cavell - Veena Das, Marco Motta, Yves Érard p. 127-144 Cet essai a pour objectif d'interroger la manière dont le livre Little Did I Know (2010), que Stanley Cavell décrit comme une autobiographie philosophique, est imprégné de la voix de l'enfant, une voix constitutive de la découverte que fait Cavell des enjeux de la pratique de la philosophie. En effet, la question de savoir si quelqu'un comme lui a le droit de faire de la philosophie est liée à celle de savoir comment l'existence peut être revendiquée. Parce que l'apprentissage d'une « menace mortelle » qu'une telle proximité avec la mort constitue le point de départ de son écriture : se donnant à lui-même la permission de s'en aller, il se donnerait ainsi les moyens de trouver les mots qui seront, d'une certaine façon, les mots justes. Au travers de la voix de l'enfant, la question relative au fait de devoir apprendre à absorber un savoir démesuré, qui est aussi celle de savoir comment les blessures et les injustices accumulées dans l'enfance peuvent être reconnues à l'âge adulte, se pose avec acuité. Quelles sont les tragédies des enfants ? Et peut-on faire de la philosophie depuis la région féminine de soi-même ? Cet essai a pour ambition de lire le texte de Cavell comme un texte qui révèle comment la mémoire et l'oubli peuvent être équilibrés dans un texte qui revendique de faire de la philosophie en faisant une autobiographie.This paper asks how the book, Little Did I Know (2010), which Stanley Cavell describes as a philosophical autobiography, is suffused by the voice of a child, a voice that constitutes the conditions for discovering what Cavell's stakes are in doing philosophy. Indeed, the question of whether or not someone like him has a right to do philosophy touches on the question of how existence is to be reclaimed. Because his apprenticeship of a « mortal threat » to what such nearness to death might reveal, constitutes a departure in his writing: giving himself the permission to leave is somehow tied to the ability to find words that will somehow be the right words. Through the voice of the child, there is an interesting matter that concerns the learning to absorb inordinate knowledge, which is as well a matter of how the hurts and injustices accumulated in childhood are to be acknowledged in one's adulthood. What are children's tragedies ? And can one do philosophy from the female region of the self ? This paper aims at reading Cavell's text as a text disclosing how is remembering and forgetting to be balanced in an autobiography that is making claims of doing philosophy through autobiography.
- L'éducation morale des enfants et des adultes - Pierre Fasula p. 145-158 Cet article aborde la question de l'éducation morale des enfants et des adultes, et discute la perspective de Cavell. Ses analyses nous invitent en effet à considérer non seulement l'éducation morale des enfants par les adultes, mais aussi l'éducation morale et des enfants et des adultes, voire l'éducation morale des adultes, peut-être pas par les enfants, mais en tout cas au contact des enfants. L'angle particulier qui sera le nôtre est celui de la communauté ou de l'ordre moral. D'un côté, dans quelle mesure l'éducation morale fait-elle entrer l'enfant dans une communauté morale ? Et de l'autre, dans quelle mesure l'éducation morale des adultes les fait-elle sortir de cette communauté morale ?This paper is about the question of children's and adults' moral education, and discusses Cavell's position. His analyses invite us to consider not only children's moral education by adults, but also children's and adults' moral education, and even perhaps adults' moral education in their contact with children. More precisely, we will focus on the concept of moral community. On one side, to which extent do moral education introduce children into a moral community? On the other side, to which extent do adults' moral education liberate them from their moral community?
- L'acquisition du langage chez Stanley Cavell : confusion scolastique et réflexivité critique - Yves Érard p. 159-189 La figure de l'enfant traverse la dernière philosophie de Wittgenstein et imprègne toute celle de Cavell. Les grands yeux que l'enfant pose sur son nouveau monde viennent interroger notre usage adulte des mots et du monde. Cavell pense que les réponses que donne la philosophie doivent être très attentives aux questions que nous adressent l'acquisition du langage. L'enfant n'apprend pas à parler en accumulant du vocabulaire. Cavell, comme Wittgenstein, nous met en garde contre cette fausse image que nous nous faisons de la transmission de nos mots et à laquelle nous succombons trop facilement, mais de manière plus intime puisque la figure de l'enfant s'incarne dans ses propres enfants. Cet article traite de cette confusion scolastique et de la réflexivité critique qu'impose toute réflexion sur le langage ordinaire pour montrer combien nous n'échappons pas aux pièges qu'il nous tend et que ce « nous » n'a rien de personnel. Les doutes que nous entretenons à l'égard de nos mots de tous les jours sont des doutes sérieux. Pas un doute méthodique, mais un scepticisme vécu dont l'aspect apparaît dans la figure de l'enfant pour peu qu'on apprenne à le voir.The figure of the child runs throughout the last philosophy of Wittgenstein and irrigates Cavell's entire work. The way children look at their brand new world with wide opened eyes, questions our adult way of using the words and the world. Cavell thinks that philosophy should pay deep attention to the kind of answers our acquisition of language requires. The child does not learn to speak by accumulating new words. As Wittgenstein does – but in a more intimate manner, as the figure of the child has the face of his own children – Cavell warns us against this wrong picture of our inheritance of words. This paper deals with this kind of scholastic confusion and with the sort of critical reflexivity that the reflection on ordinary language demands. It tries to demonstrate that we don't get easily away from the traps that ordinary language sets to us (this « we » is nothing personal). The doubts we have about our everyday words have to be taken seriously. They are not methodological doubts, but an experienced skepticism that can appear on the face of a child if one learns to see it.
- La formation de l'autorité de la première personne - Steinar Bøyum, Marco Motta p. 191-202 Le sujet de cet article concerne le perspective de Wittgenstein sur l'apprentissage des concepts émotionnels. Parce que le concept d'apprentissage recouvre des processus hétéroclites, nous devrions résister à l'impulsion qui nous incite à les forcer dans un moule ou un autre. Par conséquent, le but de cet article est modeste : nous explorerons seulement quelques manières caractéristiques que nous avons d'apprendre les émotions. Sans prétendre à l'exhaustivité, ce texte n'est pas non plus pour ambition d'approfondir cette question ou de fournir des détails précis. Il se veut plutôt une introduction à certains éléments d'une approche clairvoyante de la grammaire logique de l'apprentissage des émotions. Un accent particulier sera mis sur la formation de l'autorité à la première personne chez l'enfant et son développement chez l'adulte. La proposition sera la suivante : l'éducation de soi est constitué par l'interaction entre une perspective à la première et à la troisième personne sur soi-même.The topic of this paper is Wittgenstein's view of the learning of emotional concepts. The concept of learning, however, covers a motley of processes and we should resist the impulse to force them all into a single mold or two. Hence, the modest aim here is to explore only some of the characteristic ways in which we learn emotions. It is not meant to be complete, nor to provide much depth or detail, but seeks to introduce at least some of the elements in a perspicuous representation of the logical grammar of emotion learning. Particular emphasis is put on the formation of first person authority in children, and its continued development in adult life. Here, the leading idea will be that the education of the self is constituted by an interplay between taking a first-person and a third-person perspective on oneself.
- Les procès et l'enseignement de Wittgenstein, et la « figure de l'enfant » romantique chez Cavell - Michael A. Peters, Yves Érard, Christian Indermuhle p. 13-37