Contenu du sommaire : Pour de faux ?
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 33, 2012 |
Titre du numéro | Pour de faux ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : « Pour de faux ? Histoire et fiction dans l'art contemporain »
- Présentation - Valérie Dupont, Bertrand Tillier p. 7-10
- Sophie Calle, Douleur exquise : le récit de l'intime comme objet de la démarche artistique - Juliette Bertron p. 13-23 De travaux en travaux, l'artiste Sophie Calle ne cesse de se mettre en scène. Les traces et témoignages de son vécu deviennent la base de son œuvre qui se présente comme une mémoire de son existence. Dans Douleur exquise, que l'on peut lire comme une œuvre thérapeutique parce qu'elle vise à atténuer la souffrance d'une rupture amoureuse, Calle met en place une esthétique de l'archive, par la multiplicité d'indications de lieu et de temps, présentes dans les documents visuels aussi bien que dans les textes. Si l'artiste assure et garantit la véracité des faits exposés au spectateur, celui-ci est volontairement amené à se questionner sur la part de fiction et de séduction qui s'y loge. Cette œuvre permet aussi à Sophie Calle de faire intervenir la parole d'autres, anonymes qui répondent tour à tour à la question « Quel est le jour où j'ai le plus souffert ? », créant ainsi un récit intersubjectif et polyphonique.Sophie Calle, Exquisite Pain : intimacy as an object of artistic concept
Throughout her work, Sophie Calle has never ceased staging herself. Traces and testimonies of her life became the basis of her work that presents itself as a memoir of her existence. In Exquisite Pain, which can be read as a therapeutic work because its aim was to soothe the pain of the end of a love affair, Calle sets aesthetics of the archives, through the multiple indications of place and time, present in the visual documents as well as in written texts. The artist assures and guarantees the veracity of the facts exposed to the spectators, who are voluntarily induced to wonder about how much fiction and seduction are present. This work also allows Sophie Calle to bring in the voice of other anonymous persons who answer in turn to the question : “when was the day I suffered the most ?”, thus creating an inter-subjective and polyphonic narrative. - Bertrand Lavier, le lieu commun et l'intime - Nicolas-Xavier Ferrand p. 25-32 Le présent article se concentre sur la série de Bertrand Lavier dite des « objets soclés », groupe d'œuvres où l'artiste place des objets communs, déjà utilisés, sur des socles, par l'intermédiaire d'un artisan professionnel. Inspiré de cette pratique essentiellement utilisée par les musées ethnographiques et les collectionneurs d'art exotique, le dispositif permet à l'artiste de remettre en perspective ces objets, si courants qu'ils en étaient devenus indifférents. Ici, l'ours en peluche, le taille-haie, le skateboard, le parpaing, le cône de chantier ou encore la porte de réfrigérateur prennent une nouvelle dimension. Placés sur un piédestal, ils obligent le spectateur à réévaluer son rapport avec eux. L'étude se concentre sur Teddy l'ours, et Chuck McTruck le skate – deux symboles générationnels, deux objets marqués par leurs années d'utilisation. Convoqués à la fois pour le vécu personnel qu'ils contiennent, et pour leur caractère d'universalité, ils sont le lieu d'un détournement du procédé ethnographique, opéré par l'artiste. Ce ne sont plus des fétiches exotiques, mais nos propres totems intimes.Bertrand Lavier, The commonplace and the intimate
This article focuses on Bertrand Lavier's series called “socled objects”, a group of works in which the artist puts common objects, previously used, on pedestals, with the help of a professional craftsman. Inspired by that practice mostly used by ethnographic museums and exotic art collectors, this device allows the artist to put in perspective these objects, so common that they have become indifferent. Here, the teddy bear, the hedge trimmer, the skate-board, the cinder-block, the construction cone, or the refrigerator's door take a new dimension. Placed on a pedestal, they force the spectators to revaluate their relationships with them. The article particularly focuses on Teddy the bear and Chuck McTruck the skate —two generational symbols, two objects marked by their former years of use. Summoned both for their personal history and their universal nature, they are the place of hijacking of the ethnographic process operated by the artist. They're not exotic fetishes anymore, but our own intimate totems. - Tom Lavin et la guerre civile espagnole : l'art pour se souvenir - Ozvan Bottois p. 35-47 En Espagne, depuis les années 2000, le débat autour de la reconnaissance des victimes de la guerre civile et de la répression franquiste s'est intensifié. La reprise des excavations des corps, issus de fosses communes, des victimes du conflit ou de la dictature, et les activités menées par l'Association pour la récupération de la mémoire historique, ne sont pas étrangères à cette dynamique nouvelle. Cet article vise à analyser, dans ce contexte, les enjeux d'une pratique artistique engagée sur le terrain de la mémoire et de l'histoire. Cette réflexion s'articule autour de l'étude de deux œuvres en particulier, Fosse commune et le Musée de la défense de Madrid, réalisées par Tom Lavin (pseudonyme de l'artiste espagnol Tomás Ruiz-Rivas). Il s'agit de mettre en lumière la singularité de ces projets artistiques, mais aussi de saisir à quel pan de l'histoire l'artiste cherche à redonner une présence et une visibilité qui lui ont été longtemps déniées.Tom Lavin and the Spanish civil war : the art of remembering
In Spain, since 2000, the debate about the acknowledgement of the victims of the civil war and Franco's repression has been escalating. The resumption of the excavations, from pauper's graves, of the corpses of the victims of the conflict or of the dictatorship, as well as the activities carried out by the Association for the recovery of historical memory, have played a prominent role in this new dynamic. This article aims at analyzing, in that context, the issues at stake of an artistic approach committed to the field of memory and history. The author studies two works of art in particular, Pauper's Grave and the Museum of the Defence of Madrid, by Tom Lavin (alias for Spanish artist Tomás Ruiz-Rivas). The point is to highlight the singularity of these artistic projects, as well as to grasp what period the artist has tried to revive and give the presence and the visibility that have been denied to them for so long. - L'histoire libanaise de Walid Raad - Valérie Dupont p. 49-64 La fiction est le biais par lequel l'artiste conceptuel libanais Walid Raad conjugue les thèmes de la guerre et de l'histoire dans ses œuvres. En 1999, il fonde l'Atlas Group, un centre d'archives destiné à rassembler des documents de toutes sortes relatifs à l'histoire récente du Liban. Les dossiers conservés par cette organisation renferment des témoignages de personnes ayant eu une expérience particulière des guerres civiles qui frappèrent le pays entre 1975 et 1990. Or, la fondation elle-même, les récits ainsi que leurs auteurs sont fictifs.Que penser alors de ce qui se donne à voir et à lire dans les œuvres de Walid Raad, de ce qui se présente pour vrai, sans dissimuler toutefois les indices du subterfuge ? Utilisant les techniques de l'archive, empruntant aux méthodes scientifiques et journalistiques pour restituer les événements, se servant du modèle de la reconstitution historique, l'artiste détourne ces moyens pour déceler les aspects les plus diffus de l'impact d'une guerre sur la psychologie humaine, s'interroger sur le récit de l'histoire, réfléchir sur la construction d'une mémoire collective.The Lebanese history of Walid Raad
Fiction is the medium chosen by the Lebanese conceptual artist Walid Raad to conjugate the themes of war and history in his work. In 1999, he founded the Atlas Group, an archives centre dedicated to the collecting of all sorts of documents related to Lebanon's recent history. The files kept by this organization contain testimonies of persons who have had particular experiences of the civil wars that scourged the country between 1975 and 1990. But, the foundation itself, the stories told as well as their authors are all fictitious. What is one supposed to think when seeing or reading Walid Raad's works, of what is presented as authentic, without, however, concealing the clues of the subterfuge ? Using the techniques of archives, borrowing from scientific and journalistic methods to retrace events, following the templates of historical reconstitution, the artist hijacks these means to discern the most diffuse aspects of the impact of war on human psychology, to question the narrative of history, to reflect upon the making of a collective memory. - Les annales de la guerre : l'art contemporain en Israël - Itzhak Goldberg p. 65-76 Qu'il s'agisse de représenter le passé ou le présent, c'est la question de l'identité qui est au cœur de l'art israélien. Ou plutôt les identités, tant le conflit qui dure maintenant depuis un siècle domine l'ensemble de la création en Israël. Tout laisse à croire que les artistes israéliens prennent en charge cette réalité tragique et créent des œuvres qui obligent le public sinon à critiquer, du moins à s'interroger sur l'interminable cycle de violence. Rejetant le pathos, les artistes traitent les frontières, les ruines, les symboles culturels recyclés et leurs travaux sont souvent produits à partir de toutes sortes de documents (photos, cartes géographiques, journaux) qui servent de trame à un tissage entre l'histoire et l'art, comme reflet de la situation politique de ce pays.The annals of war : contemporary art in Israel
Whether it represents the past or the present, Israeli art is about identity. Or rather about identities, because of the conflict that has been towering artistic creation in Israel for a century. In all probability, Israeli artists take into account that tragic reality and their work compel the public, if not to criticize, at least to question the endless cycle of violence. Rejecting pathos, artists raise the subjects of frontiers, ruins, recycled cultural symbols and their works often take inspiration in miscellaneous documents (photos, geographical maps, newspapers) which weave history and art, as a mirror of the political situation in that country. - La mémoire, l'histoire et la racine de l'immédiateté : Entretien avec Pascal Convert - Bertrand Tillier p. 77-92
- Le faux comme moment du vrai dans l'art d'aujourd'hui - Louis Ucciani p. 95-103 La question du faux est celle de la distance que toute représentation entretient avec ce qui se serait son modèle, à savoir le réel. En même temps, le vrai trouve sa possibilité dans la distance assumée avec ce réel. Dans ce qui pourrait être le paradoxe de toute expression de vérité se situe l'espace des métalangages que sont et l'esthétique et, peut-être, son modèle : l'épistémologie. Là où l'art creuse la distance et trouve son expression en elle, l'esthétique, comme moment où la philosophie prend cette expression comme objet, cherche ses méthodes et ses présupposés. Dans cette démarche les visual studies élaborées autour des travaux de Mitchell apparaissent comme un moment de l'analyse esthétique contemporaine, en décalant la perspective purement artistique vers une problématique plus large autour du statut et de la pertinence de l'image.Unreal as a moment of reality
The question of unreality is the distance that any representation keeps with what would be its model, that is to say reality. At the same time, the real finds its possibility in the assumed distance with that reality. The space of metalanguages —aesthetics and its possible model : epistemology — is in what could be the paradox of any expression of truth. Where art delves the distance and finds its expression in it, aesthetics, as a moment when philosophy takes that expression as an object, looks for its methods and its presupposed. In this approach, the Visual Studies designed around Mitchell's works, appear as a moment in the contemporary aesthetic analysis, in shifting the purely artistic perspective toward a larger problematic around the status and the relevance of image. - Jeff Wall : « faux réels » ? - Julie Boisard p. 105-118 L'artiste canadien Jeff Wall est considéré comme un maître de la mise en scène du réel. Ses photographies présentent des scènes banales, aux sujets très divers, mais liées par une même impression étrange : celle d'images du réel, familières, paraissant pourtant anormales – parfois même factices. Et pour cause, ses photographies sont le fruit d'une construction mûrement pensée. Jeff Wall élabore, depuis la fin des années 1970, une œuvre photographique pétrie de références à l'histoire de l'art, qui propose un regard de peintre sur la vie moderne. Ces dernières années, l'artiste a poussé plus loin sa réflexion, parvenant au principe de « presque documentaire », qui définit aujourd'hui son travail et qui témoigne à la fois de la distance prise avec le documentaire, et de son intégration dans l'idée que Wall a développé de la réalité : une reconstruction, à partir d'une observation stricte, telle une reconstitution documentaire.Jeff Wall : real “unreals” ?
Canadian artist Jeff Wall is considered a master in staging reality. His photographs show banal scenes, in miscellaneous backgrounds, linked however by a similar strange impression : images of familiar reality seem abnormal, sometimes even artificial. With some reason : his photos are the result of a carefully thought construction. Jeff Wall has been elaborating, since the late 1970's, a photographic production, full of references to the history of art, with the eye of a painter on modern life. These last few years, the artist has developed his reflection further, reaching the principle of “almost documentary ”, that defines his work today and also testifies of the distance kept with the documentary genre, and its integration in the idea of reality Wall has developed : a reconstruction, based on a strict observation, such as a documentary reconstitution. - Karen Knorr, le faux et les variations d'une fabuliste - Bertrand Tillier p. 119-127 Dans sa série de photographies, Fables (2003-2009), Karen Knorr place sa démarche sous le signe du faux et de la fiction, par un jeu de références culturelles et de dispositifs procédant de la mise en scène, du montage et de la narration. Dans des environnements muséographiques ou des espaces patrimoniaux réputés et aisément identifiables, qui sont de somptueuses demeures d'Ancien Régime ou de froides architectures modernes, la photographe provoque l'irruption improbable d'un bestiaire sauvage suscitant l'amusement ou l'inquiétude. Dans chacune de ses compositions jouant avec la véracité prêtée à l'image photographique, Karen Knorr crée une confrontation entre culture et nature, dont l'artifice doit être interrogé.Karen Knorr, the unreal and the variations of a fabulist
In her photographic series, Fables (2003-2009), Karen Knorr places her approach under the sign of unreality and fiction, through a crossing of cultural references and systems belonging to staging, editing and narrative. In museums or patrimonial spaces, renowned and easy to identify —sumptuous old regime mansions or cold modern architectures — the photographer introduces an unlikely wild bestiary, provoking amusement or uneasiness. In each of her compositions playing with the veracity supposed by the photographic image, Karen Knorr create a confrontation between culture and nature, the artifice must be questioned. - Sherrie Levine et l'appropriation : imposture ou acte créateur ? - Bertrand Charles p. 129-142 Qualifié d'appropriationniste par la critique, l'art de Sherrie Levine repose sur la répétition et la reproduction d'œuvres originales. Sa pratique acquiert ainsi pour fonction et conséquence la remise en cause des notions d'auteur, d'originalité et d'unicité de l'œuvre d'art. Emblématique d'une post-modernité qui critique les fondements de l'art moderne, Levine développe également une posture féministe originale. Ses gestes de retournements successifs entre l'original et sa copie qui ont, à leurs débuts, posé la question de leur authenticité et ont pu être vus par le public et la critique comme une totale mystification, sont à la fois des jeux ironiques, des constats désabusés d'une dégradation du modernisme mais contiennent également une part de pur cynisme. Réflexions sur le statut de l'auteur, de l'œuvre et de la critique.Sherrie Levine and appropriation : fraud or creative act ?
Called “appropriationnist ” by critics, Sherrie Levine's art is based on the repetition and reproduction of original works. Her practice thus acquires a function and a consequence of the questioning of the notions of author, originality, uniqueness of the art work. Emblematic of a post-modernity that criticizes the fundaments of modern art, Levine also develops an original feminist position. Her successive turns between the original and its copy which had, at the beginning, raised the question of their authenticity and could be regarded by the public as a total mystification, are both ironic games, disenchanted observations of the deterioration of modernism, but also contain a part of pure cynicism. Reflections on the status of the author, on the art work and on critique. - Entre postures et impostures : Dalí ou la construction d'un mythe - Fabienne Chaullet p. 157-167 Au travers de son œuvre artistique, Dalí construisit inlassablement son mythe afin de l'ancrer dans la postérité ; pourtant, en aucun cas, celui-ci ne révélera sa véritable identité. La question suivante mérite alors d'être posée : peut-on parler d'automythification ou d'automystification ? Cet article analyse de quelles façons, par ses « postures », notamment par la création d'un panthéon de figures mythiques illustrant l'universalité des névroses et complexes, Dalí chercha à refléter dans ses œuvres picturales les préoccupations de son époque en utilisant le langage de nombreuses disciplines : psychanalyse, histoire naturelle, physique ou mathématiques. Mais aussi, de mettre en exergue « l'imposture » dalínienne qui consista par l'utilisation du mythe à instiller dans l'esprit du public que l'illustration de ces figures d'œdipe, de Narcisse ou des Dioscures, représentait une véritable expression de lui-même, étayée par ses autobiographies fortement romancées.Between postures and impostures : Dalí or the construction of a myth
Throughout his artistic production, Dalí tirelessly worked at constructing his myth to ensure his posterity ; but never did it reveal his true identity. So the following question is worth asking : can one speak of self mythification or self mystification ? This article studies how, through his “postures ”, especially the creation of a pantheon of mythical figures illustrating the universality of neurosis and complexes, Dalí sought to reflect the concerns of his time in his art, by using the language of numerous domains : psychoanalysis, natural history, physic sciences or mathematics. The point is also to highlight Dalí's “imposture ” which consisted in using the myth to instil in the public's mind that the representation of these mythical figures, such as Oedipus, Narcissus or Dioscuri, really represented a true expression of himself, supported by seriously fictionalized autobiographies.
Lieux et Ressources
- Paris documenté : Parcours dans la collection Debuisson - Évelyne Cohen, Julie Verlaine p. 183-196
Regards croisés
- Patrick Jeudy, l'iconoclaste conteur d'archives - Delphine Robic-Diaz p. 199-206
Trames
- Papillons, vignettes et autocollants politiques - Jean-Claude Vimont p. 209-218
Retours sur...
Actualités
- Les Juifs dans l'orientalisme - Sarga Moussa p. 233-237
Grand entretien
- Entretien avec Emmanuel Laurentin - Sébastien Le Pajolec p. 241-252
Hors cadre
- Les deux septennats télévisuels de Frédéric Mitterrand : de la mémoire du cinéma à l'histoire de la télévision (1981-1995) - Juliette Courtois p. 255-269