Contenu du sommaire : Villes mortes
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 41, 2016 |
Titre du numéro | Villes mortes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Villes mortes
- Les « villes mortes » existent-elles ? - Sébastien Le Pajolec, Bertrand Tillier p. 9-14
- Villes méduséennes, cités fantomatiques et photographiques : entre présence et absence - Valéry Rion p. 15-30 Cet article propose une lecture comparée d'Arria Marcella de Théophile Gautier et de Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. Dans ces deux textes, le lecteur se retrouve emmené dans des villes mortes. Dans les deux cas, ces cités évoquent la mort. Pour Pompéi, le lieu où se déroule la nouvelle de Gautier, c'est une ville fantôme, redécouverte après son ensevelissement sous la cendre du Vésuve. En ce qui concerne Bruges, la représentation de la ville, aussi bien aux niveaux textuels qu'iconographiques – il s'agit, en effet, du premier roman à intégrer des photographies dans l'histoire de la littérature française –, constitue une mise en scène de l'absence, du vide laissée par l'épouse défunte du héros. L'environnement urbain et en particulier celui de la ville morte favorise dans l'espace fictionnel l'apparition de fantômes et dans ces cas précis de « mortes amoureuses ». Nous nous attacherons à présenter les correspondances entre le traitement poétique de la revenante et celui de la ville morte.Medusae cities, ghostly and photographic cities: Between presence and absence
The aim of this paper is to do a comparative reading of Arria Marcella by Théophile Gautier and Bruges-la-Morte by Georges Rodenbach, the first novel that mixes texts and photographs in French literature history. In these two texts, we find cities that are linked with death: Pompeii and Bruges. Pompeii is a ghost city rediscovered after it was burried beneath the ashes of Vesuvius. As for Bruges, its textual and photographical representation shows emptiness and absence in the narrator's life after his wife's death. The urban environment, especially a deadly one, is the ideal surrounding for a ghost to appear, in these particular cases a dead-woman-in-love. As a result, we will describe the common points between the poetical treatment of the dead city and the dead woman. - Rien de nouveau sous le soleil : Pompéi, la ville morte, dans Arria Marcella (1852) - Anne Geisler-Szmulewicz p. 31-46 Théophile Gautier est fasciné par le motif de la « ville morte », qu'il développe dans ses récits de voyage, sa critique dramatique et surtout dans sa nouvelle archéologique Arria Marcella (1852). Dans cette nouvelle, qui possède un fort ancrage réaliste, l'écrivain s'appuie non seulement sur ce qu'il a vu lors de sa visite en 1850, mais aussi largement sur des sources livresques, telles que le Voyage à Pompéi de l'abbé Dominique Romanelli ou Les Ruines de Pompéi de François Mazois. Pompéi a reçu, en effet, de nombreuses visites dès les premières exhumations dont elle a fait l'objet, et la visite au Musée des Studii constitue une étape obligée pour tous ceux qui font « le voyage d'Italie ». Gautier reprend un certain nombre d'associations quasi automatiques (comme le thème de l'illusion de vie ou l'adage du roi Salomon, « Rien de nouveau sous le soleil ») pour mieux marquer ses distances vis-à-vis de ses prédécesseurs ; il confère au célèbre adage une autre signification, l'aventure d'Octavien étant moins une découverte de l'inédit qu'une rencontre avec du déjà vu, et une double portée, philosophique et poétique.Nothing new under the sun: Pompeii, the dead city, in Arria Marcella (1852)Théophile Gautier was fascinated by the theme of the ghost town which he developed in his travel books, his drama critics and especially in the archaeological novel Arria Marcella (1852). In this novel, which is firmly rooted in reality, the writer drew inspiration from what he saw during his 1850 visit but more importantly from books such as Voyage à Pompéi by the Abbot Dominic Romanelli and Les Ruines de Pompéi by François Mazois. In fact, many visitors went to Pompei from the very beginning of the archaeological excavations and the Studii Museum was a must-see for all those who traveled to Italy at the time. Gautier used several combinations of ideas (such as the theme of the illusion of life and the saying of King Solomon, “nothing new under the sun”) to differentiate himself from his predecessors. He gave another meaning to the famous saying, the adventure of Octavien being less a discovery of the unexpected than an encounter with a deja-vu, and a double dimension, philosophical and poetic.
- Paris, ville morte dans le roman français au XIXe siècle - Noémie Boeglin p. 47-62 Paris, ville décor de nombreux romans au cours du XIXe siècle, apparaît régulièrement comme étant désertée. La solitude nocturne, l'anonymat urbain sont certains des prétextes utilisés par les auteurs pour nous présenter une ville « morte ». Ponctuellement vidé de ses habitants, volontairement occultés par les romanciers ou véritablement absents des scènes urbaines, Paris est hostile, angoissant. Les décors fantomatiques des romans donnent naissance au doute, au mystère, à l'intrigue. Le paysage littéraire de Paris, d'où toute vie semble être absente, pourrait être qualifié de mort, mais aussi d'endormi, de déserté, d'abandonné, de dépeuplé... Les auteurs jouent avec les mots et leurs significations, induisant les lecteurs en erreur en faussant leurs certitudes sur la ville. Paris a toujours été multiple et le calme d'une mort factice imaginée par les auteurs s'oppose directement aux mouvements incessants de la frénésie urbaine. Mort de la ville ou ville mise à mort ?Paris, dead city in the French novel in the 19th century
The city of Paris, decor of many novels during the nineteeth century, regularly appears as being deserted. Night loneliness, urban anonymity are some of the pretexts used by the authors to describe a “dead” city. Sometimes emptied of its inhabitants, voluntarily occulted by the authors or really absent of the urban stages, Paris is unfriendly, frightening. The ghostly decors of the novels give birth to the doubt, to mystery, to the plot. Paris's literary landscape, where any life seems to be missing, could be described as death, but also as sleepy, deserted, abandoned, depopulated... The authors play with the words and their meanings, and lead readers astray about they certainty on the city. Paris has always been multiple, and the calm of a fake death imagined by the authors is directly the opposite to the constant movement of the city. Death of the town or city put to death? - L'autre mort de Venise : La ville morte de Giacinto Gallina et Gerolamo Rovetta - Marguerite Bordry p. 63-76 À une époque où de nombreux voyageurs européens dépeignent Venise et ses monuments délabrés comme une ville morte, irrémédiablement vouée à disparaître, c'est une autre mort que deux auteurs italiens de la fin du XIXe siècle, Gerolamo Rovetta (1851-1910) et Giacinto Gallina (1852-1897), aujourd'hui oubliés, décrivent. Tandis que Rovetta explore les rapports entre Vénitiens et touristes dans le roman Sott'acqua (1883), Gallina met en lumière les conflits entre différentes générations de Vénitiens dans ses pièces Teleri veci (1877) et Serenissima (1891) : tous deux décrivent des Vénitiens qui ne conçoivent leur avenir qu'en exploitant les reliques du passé révolu de leur ville. Au délabrement physique de l'espace urbain s'ajoute une décadence morale, qui révèle les contradictions du difficile XIXe siècle vénitien.The other death of Venice: The dead city from Giacinto Gallina and Gerolamo Rovetta
This article is centered on the works of two Italian authors of the end of the 19th century, Gerolamo Rovetta (1851-1910) and Giacinto Gallina (1852-1897). In a period when numerous European travelers depict Venice and its monuments ruined as a dead city, irreparably dedicated to disappear, it is another death than these two today forgotten authors describe. Whereas Rovetta explores relationships between Venetians and tourists in the novel Sott'acqua (1883), Gallina highlights the conflicts between Venetians' various generations in Teleri veci (1877) and Serenissima (1891): both describe Venetians who conceive their future only by exploiting the relics of the bygone past of their city. In the physical decay of the urban space is added a moral decline which reveals the contradictions of the difficult Venetian 19th century. - Peurs millénaristes et visions futuristes face au déclin d'un bassin industriel : Saint-Étienne à la fin du XIXe siècle - Jean Lorcin p. 77-92 Le déclin du vieux bassin houiller de Saint-Étienne, au terme d'une prodigieuse croissance, a alimenté, à la fin du XIXe siècle, un pessimisme que traduisent, sous la plume d'un poète ouvrier, Jacques Vacher, d'un journaliste, Claude Le Marguet, et d'un écrivain, Émile Zola, de sombres visions. L'effondrement de la ville, rongée par le travail souterrain de la mine, illustre l'entropie qui, pour Michelet, était le terme inéluctable du siècle de la machine. L'abîme où s'engloutit la ville minière, devenue une ville fantôme, est la traduction imagée d'une crise sociale, politique et intellectuelle qui alimente chez les trois auteurs un sentiment de déréliction très « fin de siècle ». Seule vision d'avenir à l'aube du XXe siècle, l'utopie de la ville électrique que décrit Zola, hôte de pionniers de l'électrométallurgie, reflète un certain optimisme.Millenarian fears and futuristic visions in front of decline of an old industrial area: Saint-Étienne at the end of the 19th centuryThe decline of the old coal field of Saint-Étienne, in the term of a prodigious growth, fed at the end of the 19th century a pessimism which translate, under the feather of a labor poet, Jacques Vacher, a journalist Claude Le Marguet, and a writer, Émile Zola, somber visions. The collapse of the city, eaten away by the underground working of the mine, illustrates the entropy which, for Michelet, was the inevitable term of the century of the machine. The abyss where is engulfed the mining city, become a city-ghost, is the full of imagery translation of a social, political and intellectual crisis which feeds at three author's a feeling of dereliction very “fin de siècle”. The only vision of future at the dawn of the 20th century is the utopia of the electric city which describes Zola, host of pioneers of the electrometallurgy, which reflects certain optimism.
- Matalo ! ville morte et western fantôme - Sébastien Le Pajolec p. 93-104 Réalisé par Cesare Canevari en 1970, Matalo ! propose une autre vision de l'Ouest, où la ville morte apparaît comme le personnage central. Cet article tente d'analyser comment un paysage mythologique du western américain, la ville fantôme, a été remodelé par des cinéastes italiens qui tournaient des westerns en Espagne dans les années 1960 et 1970.Matalo! Dead city and ghost western
Filmed by Cesare Canevari in 1970, Matalo! shows an other vision of the West in which the Dead City is the principal character. This text tries to analyze how a mythological landscape, the Ghost Town, of American western has been reshaped by Italian moviemakers who directed westerns located in Spain during the Sixties and Seventies. - Ruines exposées, transformées, racontées : Images de la destruction dans le « Berlin Stunde Null » - Éléonore Muhidine p. 105-118 À partir de l'exposition « Des ruines de valeur » montrée en 1947 à Berlin, cet article interroge l'inscription du motif de la ruine dans la ville d'immédiat après-guerre. Si les ruines font partie intégrante du paysage urbain d'après 1945, elles font toutefois l'objet d'interprétations différentes, parmi lesquelles celle que représente l'événement public « Des ruines de valeur ». S'appuyant sur des documents originaux principalement issus des archives régionales (Landesarchiv Berlin), l'analyse de cette exposition d'objets sortis des décombres et transformés en objets de première nécessité s'inscrit dans une perspective d'histoire culturelle de la destruction en Allemagne, ainsi que dans une étude de la réception de cette expérience par ses contemporains.Exposed, transformed, told ruins: Images of the destruction in “Berlin Stunde Null”In this contribution, the pattern of ruins in the immediate post-war Berlin will be dealt with through a fairly unknown exhibition, “The Value of Rubble” staged in 1947. This article aims at considering the relation between the destroyed city as a global fact and the different ways to look at it. Seen as only one of the many aspects of the political debate during the Reconstruction period, “The Value of Rubble” presents a very practical assessment of the post-war city. Largely based on original documents kept in the Landesarchiv Berlin, this paper undertakes to give a historical comprehension of destruction and vanishing processes in Berlin's urban culture since 1945.
- « Catachronisme » de la ville morte : la capitale du XIXe siècle et l'Anthropocène - Daryl Lee, Marie-Laure Oscarson p. 119-135 Les représentations de Paris comme ville morte du XIXe siècle font le bilan de facteurs écologiques dans sa destruction. C'est le cas pour un ensemble de romans d'anticipation qui imagine la capitale soumise à la catastrophe des milliers d'années à venir, comme s'il s'agissait d'une ruine archéologique. Moins prophétique qu'il n'y paraît, le composant écologique de ces récits se valorise pourtant aujourd'hui par le biais du débat autour de l'« Anthropocène », cette période géologique proposée pour donner sens au monde moderne dans lequel le changement climatique dû à l'activité anthropique fixe irréversiblement le destin catastrophique du système planétaire. Une relecture selon le « catachronisme » (Aravamudan) – un concept de déterminisme catastrophique façonné par le changement climatique – illumine ces récits, dans lesquels Paris devient la ville-phare l'Anthropocène.“Catachronism” of the dead city: The capital of the 19th century and the Anthropocene
Representations of 19th century Paris in ruins took into account ecological factors in the city's demise. This is the case in several futuristic novels that depict the rediscovery of the dead city thousands of years in the future as if an archeological ruin. While not prophetic, the ecological dimension of these tales becomes pertinent today through the debate surrounding the “Anthropocene”, the newly proposed geological epoch in which anthropogenic activity has determined a dangerous and irreversible course of catastrophic change for the earth. We reread these texts through “catachronism” (Aravamudan), a new concept of catastrophic determinism shaped by climate change, here applied to this moment of apocalyptic futures in which Benjamin's “capital of the 19th century” also figures centrally as the Anthropocene's capital city. - Dead Cities de Guillaume Greff, la ville morte à l'ère post-humaine - Bertrand Tillier p. 137-146 Dans son projet élaboré de 2011 à 2013, sous le titre Dead Cities, emprunté au titre de l'essai de l'urbaniste Mike Davis (2002), le photographe Guillaume Greff a entrepris de photographier une « ville morte », qui est une sorte de Pompéi à l'envers et à rebours des mégapoles contemporaines. En effet, Greff a méthodiquement photographié des vues de Jeoffrécourt, qui n'est autre qu'une fausse ville – entre ruine et chantier –, où personne ne vit vraiment et qui sert de centre d'entraînement militaire. Le photographe propose donc des sortes de cartes postales de lieux anonymes et déserts, dépourvus de qualités, enregistrés avec la froideur de l'objectivité et de la distanciation qui, dans l'histoire de la photographie, caractérisent l'esthétique du « style documentaire ». Par ces moyens, il donne à voir et à éprouver une cité-fantôme que ses images érigent en allégorie du nouveau savoir de l'ère post-humaine.Dead Cities by Guillaume Greff, the dead city in the post-human era
In his project elaborated from 2011 till 2013, under the title Dead Cities, borrowed in conformance with the essay of the town planner Mike Davis (2002), the photographer Guillaume Greff undertook to photograph a “dead city”, which is a kind of Pompeii back to front and against the contemporary megalopolises. Indeed, Greff methodically photographed views of Jeoffrécourt, who is other than a false city—between ruin and construction site—, where nobody really lives and who serves as military training center. The photographer thus proposes sorts of postcards of anonymous and deserted places, deprived of qualities, recorded with the coolness of the objectivity and the distance which, in the history of photography, characterize the esthetics of the “documentary style”. By these ways, he gives to see and to feel a city-ghost which its images set up as allegory of the new knowledge of the post-human era.
Lieux et ressources
- Visite dans un atelier singulier : autour de l'archéophone d'Henri Chamoux - Évelyne Cohen, Pascale Goetschel p. 149-159
Regards croisés
- Carmen Castillo : récits visuel et audiovisuel de l'Unité populaire et de la dictature chilienne - Carolina Amaral de Aguiar, Ignacio Del Valle Dávila p. 163-170
Trames
Retours sur...
- Cécilia, médecin de campagne... publicitaire - Myriam Tsikounas p. 189-200
Actualités
- Pour Kapoor : Exposition « Anish Kapoor Versailles » (9 juin-1er novembre 2015) - Thierry Lefebvre p. 203-211
Grand entretien
- L'envie de faire des spectateurs des lecteurs - Marie-Françoise Levy, Jérome Prieur p. 215-226
Hors cadre
- Marcel Réja : médecin, poète symboliste et historien de l'art asilaire - Lydia Couet p. 229-246 Presque totalement éclipsé par Hans Prinzhorn qui, dès les années 1920, marqua un tournant décisif dans la reconnaissance de « l'art des fous » par le surréalisme, Marcel Réja n'en demeure pas moins l'un des pionniers d'un nouveau regard artistique porté sur des créations qui n'étaient alors considérés que comme des documents d'étude diagnostique. Après un premier article paru en 1901 – « L'Art malade, dessins de fous » –, complété quelques années plus tard par la publication d'un ouvrage – L'Art chez les fous : le dessin, la prose, la poésie –, l'auteur manifesta son intérêt pour des formes d'expression (art asilaire, dessins d'enfants, art pariétal, médiéval, arts extra-européens, dessins médiumniques...) qui allaient ensuite s'imposer comme les nouvelles références des avant-gardes. Mystérieux médecin aliéniste dissimulé derrière le pseudonyme de Marcel Réja, Paul Meunier n'en fut pas moins un fervent amateur d'art, ainsi qu'un homme de lettres très actif dans les milieux symbolistes parisiens, qui s'avéra aussi l'un des principaux défenseurs d'artistes tels qu'Edvard Munch, August Strindberg ou Henri Héran.Marcel Réja: Doctor, symbolist poet and asylum art historian
Almost totally outshined by Hans Prinzhorn who, from the twenties, marked a turning point in the recognition of “the art of the insane” by surrealism, Marcel Réja is one of the pioneers of a new way of considering artistic creations made by patients, that were before only regarded as diagnostic elements. After a first article published in 1901—« L'Art malade, dessins de fous »—completed a few years later with the publication of a book—L'Art chez les fous : le dessin, la prose, la poésie—the author expressed his interest in different forms of expression (asylum art, children's drawings, prehistoric art, medieval, non-European arts, psychic drawings...) which would then emerge as the new references of the avant-garde. Mysterious alienist hidden behind the pseudonym of Marcel Reja, Paul Meunier has also been an ardent art lover, a very active man of letters in Parisian symbolist circles, and an ardent defender of controversial artists of those days, such as Edvard Munch, August Strindberg or Henri Heran.
- Marcel Réja : médecin, poète symboliste et historien de l'art asilaire - Lydia Couet p. 229-246