Contenu du sommaire : Dix ans de traitement des délits (2000-2010)
Revue | Les cahiers de la justice |
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Numéro | no 2013/4 |
Titre du numéro | Dix ans de traitement des délits (2000-2010) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Édito
Tribune
- Les juges et la prison : les raisons et les conséquences de leur intervention - Roger Errera p. 7-16
Dossier. Dix ans de traitement des délits (2000-2010)
- Présentation - p. 17-19 L'aventure collective de la recherche à l'origine de ce dossier a commencé fin 2008 après que l'Agence nationale de la recherche (ANR) eut décidé de la financer dans le cadre de l'appel à projets « Gouverner, administrer ». Programmée pour trois ans, avec une prolongation possible d'une année, elle a mobilisé de 2009 à 2012 une équipe de onze chercheurs et deux doctorantes, à laquelle se sont adjoints, sur certaines phases de la recherche, douze élèves avocats. L'année 2013 fut consacrée à un colloque de restitution 1 (février) et à la mise au point d'un ouvrage « La réponse pénale 2 » ainsi que de trois dossiers destinés aux revues Droit et société, Les cahiers de la Justice et AJ pénal.Cette recherche avait l'ambition de répondre à la question suivante : comment la justice pénale en charge des délits, la justice du quotidien, a-t-elle évolué le temps d'une décennie ? Elle se proposait de privilégier une approche empirique et pluridisciplinaire. Le projet rassemblait des juristes pénalistes, des sociologues, un psycho-sociologue, une juriste publiciste, spécialiste des finances publiques, auxquels s'est ajoutée, au fil de la recherche, une politiste, spécialiste du budget de la justice.Ensemble, nous avons établi des grilles de saisie statistique très complètes (plus de cent données enregistrées sur chaque dossier), constitué des échantillons raisonnés et dépouillé plus de sept mille cinq cents dossiers. Parallèlement, nous avons mené, selon des protocoles précis, plusieurs dizaines d'entretiens avec tous les acteurs du système pénal, depuis l'administration centrale jusqu'aux magistrats (ceux de nos juridictions et d'autres encore), greffiers et personnel d'exécution, sans oublier les élus, les policiers et tous ceux qui composent l'environnement des juridictions. Nous avons notamment présenté à tous les magistrats des cas concrets. Nous leur avons demandé quelle était selon eux les orientations processuelles qui seraient données à ces dossiers dans leur juridiction, dans les juridictions par lesquelles ils étaient passés et celles qui avaient pour chaque cas leur préférence. Les mêmes questions sur les mêmes cas ont été posées à propos des sanctions. Pour compléter cette étude à la fois quantitative et qualitative, nous avons procédé à des observations de terrain tant sur la phase d'enquête que sur l'exécution de nouvelles peines. Enfin, nous avons intégré à notre réflexion le fruit de nos recherches individuelles sur les textes législatifs et les contentieux concernés par notre étude.Nous avons travaillé sur cinq juridictions 3 de l'ouest de la France de tailles différentes et situées dans trois cours d'appel distinctes. Avant le début de nos recherches, nous avons pris soin de passer avec les juridictions des protocoles qui définissaient nos engagements réciproques. À ceux qui craindraient qu'il ne s'agisse là que d'une série de monographies, nous devons préciser que nous avons aussi travaillé avec les statistiques nationales issues des « cadres statistiques des parquets » mis à notre disposition par l'administration centrale. Nous avons pris soin d'aller entendre des magistrats passés ou actuellement en poste en région parisienne ou dans d'autres régions et grandes métropoles et nous avons, bien entendu, relevé les quelques effets tenant au caractère régionaliste de nos échantillons. Ensuite, et comme l'a parfaitement énoncé Jacques Commaille, dans les propos conclusifs de notre colloque, nous avons investi le « local comme un laboratoire », « révélateur lui-même de processus sociaux généraux qui sont à l'oeuvre dans l'ensemble de la société et en l'occurrence sur le traitement des délits ». Nous n'avons donc pas fait « de l'ethnologie régionale ». Les questions que nous abordons, la question des contraintes, la combinaison entre célérité, productivité et qualité, etc. sont autant de questions qui se posent au niveau national. Partir du local, et de plusieurs juridictions situées dans trois cours d'appel distinctes, était en revanche la seule manière d'appréhender les articulations du local et du national en termes de politique criminelle, d'utilisation des procédures, de construction des pratiques. Tout au long des deux dernières années de la recherche, nous avons par ailleurs soumis à divers publics, responsables de l'ANR, chercheurs et praticiens, juristes et sociologues, magistrats et services de la chancellerie nos méthodes et nos premiers résultats.Le travail a donc pris plusieurs formes : un ouvrage qui éclaire notre objet d'études dans des cadres différents (et sous trois parties : « Le dossier et le justiciable », « Le juge et son temps », « La juridiction et son environnement ») ; mais aussi, sous plusieurs angles et par des savoirs distincts, en treize chapitres. « La réponse pénale » pour être un ouvrage collectif n'est pourtant pas la simple juxtaposition de textes écrits chacun de leur côté. Nous avons choisi d'écrire sous le regard des uns et des autres. Le présent dossier donne à voir la synthèse de deux de ces éclairages repris et modifiés des interventions au colloque de restitution, le premier sur les partenariats (Virginie Gautron), le second sur le rituel judiciaire (Jean Danet). Trois papiers originaux s'y ajoutent : l'un sur la pédagogie de la décision (Reynald Brizais), le deuxième prospectif est relatif aux travaux qui pourraient être menés sur « la vocation » et les itinéraires des magistrats (Jean-Noël Retière), le troisième explore le devenir de la notion de « schémas d'orientation » par lesquels les parquets définissent l'usage qu'ils font des procédures de traitements des délits souvent « concurrentes » (Jean Danet).En introduction à ce dossier, il est exclu d'évoquer en quelques phrases nos conclusions. Le tableau que nous avons dressé ressort à la fois riche par la diversité des approches conjuguées et nuancé tant en ce qui concerne le fonctionnement de la justice pénale que son administration. À dire vrai, nous avons d'ailleurs préféré proposer des conclusions placées à la fin de chaque chapitre de l'ouvrage, de chaque éclairage plutôt qu'une conclusion unique qui risquait de privilégier une approche à une autre au détriment de la complexité de notre objet d'étude.Il nous paraît en revanche plus important de souligner ici un constat. Cette recherche n'a pu être menée à bien que grâce à l'accueil réservé à l'équipe de chercheurs dans les juridictions et notamment par les magistrats. Nous avions pris soin de définir, en amont de nos investigations, les conditions très concrètes de celles-ci parce que nous avions conscience de ce qu'elles allaient ajouter des contraintes au quotidien de nos interlocuteurs. L'accès au dossier nécessitait aussi de définir les règles éthiques et déontologiques de la recherche. Enfin, les magistrats ont accepté de nous accorder de leur temps mais surtout ils ont accepté d'évoquer avec nous très librement toutes les questions que nous souhaitions aborder.Cette remarque qui n'a rien de convenu est essentielle pour le monde de la recherche comme pour celui de la justice. Le premier ne saurait s'absoudre de ses manques en invoquant une quelconque frilosité des praticiens. La justice dans son ensemble attend de la recherche universitaire qu'elle l'aide à s'analyser, voire à s'évaluer. Il est révolu le temps où des praticiens, un peu inquiets de l'intérêt que les chercheurs portaient à l'institution, se rassuraient en disant que ces observateurs extérieurs « n'y connaissent rien ». À ceux qui auraient encore de tels réflexes de défense, nous accordons bien volontiers qu'il n'existe pas de position privilégiée pour observer et il peut arriver même que les sciences sociales ne livrent pas une observation plus pertinente qu'une observation interne 4. Il était donc important pour nous, de multiplier les angles et les méthodes d'approche du traitement des délits. La construction de l'ouvrage comme celle des dossiers des trois revues qui nous font l'honneur de nous accueillir sont le résultat de ce choix. Leur forme aussi : le parti pris de citer parfois longuement dans certains des chapitres de l'ouvrage nos interlocuteurs relève aussi du souci de donner à lire les observations marquantes des praticiens. Et les temps de débats ménagés lors du colloque de restitution faisaient écho aux mêmes considérations.C'est donc un dialogue que cette recherche nous a permis de mener, dialogue interdisciplinaire sur la méthode comme sur le fond, dialogue entre chercheurs et praticiens concernés par la justice pénale ou acteurs de celle-ci. Ni l'ouvrage ni les articles publiés aux revues n'ont prétention à le clore. S'ils pouvaient aider à poursuivre la réflexion, ils auraient rempli leur fonction.JD
- La notion de schéma d'orientation - Jean Danet p. 21-30 Les schémas d'orientation mis en oeuvre par les parquets traduisent un changement de sens de l'opportunité des poursuites. Il ne s'agit plus seulement d'orienter un dossier dans le sens du classement ou de la poursuite mais de choisir la voie procédurale la plus adaptée. Ne faudrait-il pas, s'interroge l'auteur, formaliser davantage ces schémas devenus essentiels dans l'exercice des politiques pénales afin de les rendre plus lisibles et d'éviter la suspicion des décisions prises dans ce cadre ?The strategic frameworks implemented by public prosecutors reflect a change in the way we look at the chances of successful prosecution. This is no longer a question of deciding whether to drop or pursue a case, but rather of selecting the procedural option which is best suited to the circumstances. Would it not be wise, the author asks, to make these frameworks more official ? Such frameworks have become essential factors in the execution of penal policy, and by further formalising them we could make them easier to understand and dispel any lingering mistrust about decisions taken in this context.
- L'institution judiciaire à l'épreuve de la coproduction de la sécurité - Virginie Gautron p. 31-41 Cet article s'interroge sur l'implication variable et limitée des magistrats du siège et du parquet dans les dispositifs locaux de sécurité. Il en résulte souvent une incompréhension du mode de fonctionnement de l'institution judiciaire qui invoque pour se justifier son éthique professionnelle ainsi que les spécificités de son action et de son statut par rapport à celui des administrations.This article investigates the varying and limited degrees of involvement of judging and prosecuting magistrates with local law enforcement networks. This variability can often lead to a lack of understanding of the way the judicial system works, with representatives of the judiciary justifying their approach by invoking the ethical code of their profession, the specificities of their duties and their status in relation to other administrative bodies.
- Magistrat : un métier « choisi et passionnant »... au risque du désenchantement ? - Jean-Noël Retière p. 43-54 À partir d'une série de rencontres avec les magistrats réalisées au cours de la recherche sur les nouveaux traitements des délits, l'auteur s'interroge sur le sens de leur vocation. Leurs motivations semblent liées à des rencontres singulières ou à une époque particulière. Au début de la carrière, l'idéal de justice sociale est très présent dans le choix du métier mais, par la suite, le fait de devenir et rester magistrat est mis à l'épreuve des réalités quotidiennes.In a series of interviews conducted with magistrates as part of a research project focusing on new approaches to misdemeanours, the author examines their relationship with their vocation. Their motivations are often linked with specific meaningful encounters or with a specific period of time. When embarking on a career in the judiciary the ideal of social justice is a very important factor in this choice of profession, but as time goes by the decision to become and remain a magistrate is put to the test by the pressure of day-to-day realities.
- La pédagogie de la sanction. Une illusion jugeante ? - Reynald Rrizais p. 55-66 Cet article cherche à comprendre, du point de vue de la psychologie sociale, la finalité du jugement pénal des magistrats et le sens de leur décision de sanctionner un délit. Peut-on dire qu'ils attendent une prise de conscience de la faute commise ou que la sanction soit l'occasion de l'apprentissage de cette prise de conscience ?This article is an attempt to understand the intention behind penal sentences handed down by magistrates and the meaning of their decision to punish misdemeanours, approaching the question from a social psychology perspective. Is it the case that magistrates are expecting a recognition of the crime committed, or is the punishment itself seen as a pedagogical tool capable of inciting this recognition ?
- Quel rituel judiciaire ? - Jean Danet p. 67-74 L'auteur ne partage pas l'idée selon laquelle les nouveaux modes de traitements des délits se traduisent par un déclin du rituel judiciaire. Il observe, au contraire, une rupture de l'unité de ce rituel. À côté du maintien de l'audience collégiale correctionnelle apparaissent de nouveaux rituels au sens de « moments » procéduraux plus ou moins formels où les acteurs prennent leurs décisions et rendent compte de leur action.The author is not convinced by the argument that new forms of dealing with misdemeanours are resulting in the decline of traditional judicial rituals. However he has observed a decline in the consistency of these rituals. In parallel to the perpetuation of the collegial correctional hearing, new rituals have emerged to shape the variety of procedural « moments », of varying levels of formality, wherein the participants take decisions and account for their actions.
- Présentation - p. 17-19
Chroniques
- Vers un modèle européen d'organisation judiciaire ? - Alain Lacabarats p. 75-86 Le Conseil de l'Europe tente, depuis plusieurs années, de sensibiliser les organes décisionnels des États membres et les acteurs du monde judiciaire au bénéfice d'un examen comparatif des systèmes en place. Son objectif n'est pas de gommer les particularismes nationaux liés aux traditions historiques, politiques et juridiques de chacun, mais d'instaurer un dialogue fécond et de permettre à des initiatives innovantes d'assurer la modernisation de la justice en Europe. Les quelques principes fondamentaux communs posés par ses recommandations ou résolutions invitent à la poursuite des efforts de rapprochement nécessaires au renforcement de la confiance du public dans les juges qui incarnent la justice et en assurent l'administration.For several years now the Council of Europe has been working to involve member states and their judiciaries in a comparative study of the various systems in place. The goal of this study is not to do away with unique national practices derived from our different historical, political and legal traditions, but rather to open a productive dialogue and pave the way for innovative initiatives aimed at modernising the European justice system. The recommendations or resolutions established by this study represent fundamental principles upon which to base our future efforts to bring our respective legal systems closer together, and boost public confidence in the judges who represent and administer justice throughout Europe.
- Changer de prénom : un usage narratif de l'état civil - Baptiste Coulmont p. 87-96 Les demandes de changement de prénom révèlent au sociologue que l'état civil est utilisé comme ressource stratégique : pour devenir « soi-même », pour faire famille, pour sceller des alliances ou marquer des séparations. Ces usages non juridiques de l'état civil ne sont pas ignorés par les juges.Seen from a sociological perspective, requests to change a given name indicate that the civil register is liable to be used as a strategic resource : to « become oneself », to reinforce a family, to seal alliances or to mark a separation. These non-legal uses of the civil register have not gone unnoticed by judges.
- La justice dans la démocratie : être ou ne pas être ? - Jean-Louis Gillet p. 97-101 La perception de la place des juges et d'une justice dans le débat démocratique évolue et même s'inverse : La question ne semble plus de savoir si le juge peut prendre parti, mais de dire si celui qui prend parti n'est pas immanquablement appelé à le faire en qualité de juge. Réflexions à propos notamment d'une décision du Conseil constitutionnel.Perceptions of the place of judges and of the justice system more broadly in democratic debate are changing and even being overturned : the question no longer seems to be so much whether the judge can take sides, but rather whether he who does choose to take sides is not inevitably required to do so in his capacity as a judge. Here are some thoughts on a ruling of the Conseil Constitutionnel.
- L'indivisibilité du parquet aujourd'hui - Camille Miansoni p. 103-116 Pilier du fonctionnement du « ministère public à la française », le principe d'indivisibilité du parquet ne suscite aucune controverse sur sa réalité ni sur sa consistance. Pourtant, à l'examen, ce principe qui ne se trouve énoncé de façon explicite par aucune disposition légale s'avère être la résultante d'une construction jurisprudentielle de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il révèle aussi la conception d'un parquet unifié et hiérarchisé. Placé dans une position de coexistence avec le principe hiérarchique, sa pratique traduit une tension entre, d'un côté, autonomie et responsabilité de chaque membre du ministère public et, de l'autre, une soumission à l'autorité hiérarchique du chef de parquet. L'équilibre entre ces deux versants constitue l'une des spécificités du ministère public français.As one of the key foundations of the « French tradition » of legal authority (ministère public), the existence and importance of the indivisibility of the public prosecutor as a principle is beyond dispute. However, closer examination reveals that this principle is not explicitly defined by any legislative text, and is in fact the result of precedent jurisprudence based on decisions issued by the criminal chamber of the court of appeal. Coexisting as it does with the principle of hierarchy, in practice this indivisibility creates a certain tension between the independence and responsibilities of individual public authorities and their subordination to the hierarchical authority of the senior prosecutor. The balance between these two forces is one of the unique characteristics of the French System of legal authority.
- Vers un modèle européen d'organisation judiciaire ? - Alain Lacabarats p. 75-86
Lire | voir | entendre
- Mort d'un collabo, Gilles Antonowicz, 13 mai 1943 - Vincent Bernaudeau p. 117-124
- Justice militaire (1915-1916). André Bach - Guillaume Royer p. 125-128
- « Michael Kohlhaas » de Heinrich von Kleist - Denis Salas p. 129-135
- Quatrième de couverture - p. 138