Contenu du sommaire : Le corps guerrier
Revue | Inflexions |
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Numéro | no 12, 2009/3 |
Titre du numéro | Le corps guerrier |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Jean-Philippe Margueron p. 7-9
Dossier
- Plus qu'un corps - Jean-Claude Quentel p. 11-21 Pour le sens commun, le corps est de la compétence exclusive de la physiologie. Il se révèle pourtant profondément humain, au sens où il se trouve commandé par des processus dont seul l'homme est au principe. Le corps est ainsi socialisé : il est approprié et éduqué, relevant d'usages très divers dont l'ethnologie et la sociologie ne cessent de rendre compte. Le corps est également travaillé par l'éthique : soumis à la problématique spécifiquement humaine de la quête de satisfaction, dont traite particulièrement la psychanalyse, il est marqué par les exigences particulières que cette quête implique. Il est par ailleurs parlé, ou pensé, et produit, c'est-à-dire mis en forme techniquement. Autrement dit, le corps, en tant qu'il se distingue de l'organisme, relève de l'ensemble des sciences humaines qui ont pour fonction de rendre compte des déterminismes spécifiquement en œuvre chez l'homme. Pour saisir la véritable portée des analyses que ces sciences développent, il faut toutefois rompre avec la fameuse vision dichotomique du corps et de l'esprit, et lui substituer une conception dialectique de leur rapport, telle celle que propose la théorie de la médiation de Jean Gagnepain.To the mere mortal, the body is solely in the domain of physiology. And yet it is profoundly human, in the sense that it is controlled by processes where man alone determines the principle. This way the body becomes integrated into society: it is taken over and educated, coming under highly diverse usages, that ethnology and sociology never stop reporting. The body is also faced with ethics: subject to a specifically human problem in seeking satisfaction, an area specifically covered by psychoanalysis, it is marked by the special demands that this quest implies. It is also spoken, or thought out, and produced, i.e. technically put into shape. In other words, the body, insomuch as it is distinct from the organism, is covered by all of the human sciences that serve to report the specific determinisms at work in man. To understand the true scope of the analyses that these sciences set out, it is however necessary to break with the well known dichotomy in vision, of body and mind, and to substitute for this a dialectical conception of their relationship as put forward in the mediation theory expounded by Jean Gagnepain.
- Le guerrier et la danseuse étoile - Patrick Godart p. 23-37 Le corps est une figure chargée de significations dans de nombreux domaines, scientifiques et culturels. Face à ces multitudes d'expressions et d'interprétations, qu'est-ce qui rend le corps « guerrier » ? Quel processus fabrique le corps du soldat, corps unique dans sa construction, son expression sociale, son interférence avec les fonctions opérationnelles ? Le corps guerrier est un corps mesuré, normé, étalonné. Il est l'aboutissement d'un apprentissage plutôt que d'une structure innée. Il est instrument et machine de guerre, arme et outil de travail. Son façonnage par la société militaire débouche sur une praxis et un habitus qui le rapprochent d'autres professionnels des techniques corporelles comme l'ouvrier manuel, le sportif ou la danseuse étoile.Porteur de pouvoirs, le corps guerrier est l'objet d'attentes constantes. L'enjeu contemporain est le paradoxe créé par la coexistence entre une surpuissance sensorielle donnée à ce corps, son insertion, dématérialisée, dans un espace opérationnel numérisé, et les nouvelles conflictualités qui imposent un corps physique fort, robuste et rustique prêt à affronter la souffrance et la blessure.The body like a face is laden with meanings from a whole host of scientific and cultural areas. Faced with a multitude of expressions and interpretations, what makes the body into a “warrior”? Which is the process that makes the soldier's body, a unique one in the way it is built, in its social expression, its interference with operational functions? A warrior's body is a measured, standardized, calibrated one. It comes as a result of learning rather than from an inborn structure. It is both an instrument and a war machine, a weapon and a working tool. The way it is shaped by military society results in praxis and habitus that bring warriors closer to other professionals in bodily expression techniques like manual workers, sportsmen and star dancers. As a carrier of power, the warrior's body is subject to constant attacks. The contemporary challenge is the paradox created by coexistence between excessive sensorial power given this body, its dematerialized insertion, into a digital operational area and the new forms of conflicts that impose a body that is physically strong, robust and rustic, ready to face up to suffering and injury.
- « Dresser » les corps - Pierre-Joseph Givre p. 39-45 Alors que la guerre se réinstalle durablement sous des formes nouvelles, « dresser » le corps s'impose de nouveau comme une absolue nécessité guerrière. Loin de marquer une régression, cette approche originale, propre à l'institution militaire, favorise en fait l'émancipation individuelle et collective à laquelle la société civile en crise de sens aspire sans que n'émerge en son sein de véritable projet mobilisateur. Souvent critiquée pour sa marginalité et son conservatisme, l'institution militaire apparaît « paradoxalement » au début d'une « révolution dans les affaires humaines » d'une singulière modernité.As war durably settles into new forms, “training” the body once again becomes an absolute warrior necessity. Far from marking any form of regression, this original approach, that is specific to military institutions, actually encourages individual and collective emancipation that civilian society “in crisis” aspire to without any truly mobilizing project every immerging from its midst. Often criticized for its marginality and its conservatism, military institutions “paradoxically” appear to be on the leading edge of a “revolution in human affairs”, one that is singularly modern.
- En uniforme : être et paraître - Jean-Michel Mantin p. 47-57 L'uniforme est tellement consubstantiel à l'état militaire – « endosser l'uniforme » et « quitter l'uniforme » ne bornent-ils pas la carrière de tout soldat ? –, qu'on en oublierait presque que cette association étroite ne remonte guère au-delà du XVIIe siècle finissant. Depuis le XXe siècle, avec la différenciation des tenues selon l'usage, la polysémie du vocable, pourtant dès l'origine éminemment trompeur, s'est enrichie. Au-delà des évolutions contemporaines, induites par les bouleversements tactiques et le progrès technique, la « signalétique » du militaire est écartelée entre des conceptions concurrentes. Aujourd'hui, si l'uniforme distingue encore le soldat des civils et, le cas échéant de ses pairs, il doit également dissimuler et protéger efficacement le combattant. À ces exigences contradictoires, les habitudes et la tradition viennent ajouter une touche originale pour tous ceux qui, aujourd'hui coupés de la conscription, méconnaissent les tropismes de l'esprit militaire.A uniform is such an essential part of the military condition—“going into uniform” and “hanging up the uniform”. Don't these two expressions alone define the entire career of every soldier? So much so that one is almost tempted to forget that this close association only dates back to the twilight years of the seventeenth century. Since the twentieth century and its dress differentiations in line with use, the multiple meanings of the term that even from the outset where especially misleading have been enriched still further. Beyond contemporary evolutions induced by tactical upheavals and technical progress, the serviceman's “signposting” is torn between concurrent concepts. Today, although a uniform still distinguishes between soldiers and civilians, and where necessary between peers, it also needs to efficiently hide and protect the combatant. To these contradictory demands, habits and tradition too come to add an original touch for everyone who, today cutoff from conscription, are unaware of the tropisms of the military spirit.
- Propos de tranchées - François Lagrange p. 59-68
- Faire avec… - André Thiéblemont p. 69-78 Aucune logistique militaire, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut satisfaire en tout lieu et en tout temps les besoins du corps combattant. Aujourd'hui encore, de petites unités en position avancée peuvent se trouver dans un grand dénuement. Là où de petits chefs ont de l'expérience, on sait qu'il faut savoir « faire avec ». La « démerde » ! Comme la figure imposée d'une petite économie combattante qui, même dans la rareté, parvient à procurer au soldat un relatif confort et, surtout, du réconfort. Cette capacité de débrouille du corps combattant n'a pas qu'une fonction utilitaire. Elle le solidarise parce que, d'une manière ou d'une autre, chacun participe à l'ouvrage. Elle est source de fierté collective et de mobilisation.No military logistics organization, no matter how sophisticated, can satisfy the combatant's body's every need everywhere and at any time. Even today, small units in advanced positions may find themselves truly devoid of everything. This is where NCOs have experience, know that they have to know how to “make do”. “Sort it”! A forced need where a small combatant economy is able, despite scarcity, to bring soldiers relative comfort and, especially, to comfort them. This ability of the military corps to make do is not just a utility function. It is one that binds together for, in one way or another, everyone plays a part. This is a source of collective pride and mobilization.
- Entre ascèse et licence : le rôle du chef - Pierre Gillet p. 79-86 Les opérations extérieures soumettent le corps du soldat à rude épreuve. Le danger, des tentations nouvelles, parfois l'inaction placent alors le maintien en condition physique du soldat au rang des principales préoccupations du chef. Celui-ci doit en effet fixer des règles claires, réalistes et partagées en dépit du relativisme moral ambiant. L'entraînement physique et opérationnel consiste essentiellement à adapter les modalités pratiques aux caractéristiques de la mission. En revanche, lorsque la tentation et les risques de dérives (femmes, alcool, drogue…) entrent en ligne de compte, le chef doit jouer à la fois sur la corde de la contrainte et sur celle de l'intelligence et du cœur. Le comportement des soldats a une influence directe sur la réussite de la mission. Ils l'acceptent d'autant mieux que les règles de vie correspondent à des choix moraux objectifs, exigeants et que les conditions de vie allient respect de l'intimité et un bon sens commun qui passe par la volonté d'améliorer dès le plus bas niveau les conditions de vie de l'unité.Overseas operations subject the soldier's body to tough challenges. Danger, new temptations, sometimes idleness will place the need to keep soldiers in top physical condition at the top of the Commander's mind. The latter must of course set out clear, realistic and shared rules despite the relative nature of the ambient moral climate. Physical and operational training primarily comprises adapting practical aspects to assignment characteristics. On the other hand, when there is temptation and a risk of excess (women, alcohol, drugs…) that comes into play, the Commander will need to pull on the strings of constraint and intelligence and of the heart. Soldier's behavior has a direct influence on the assignment's success. They will accept this all the better if the rules of daily life correspond to objective, demanding moral choices and if living conditions combine respect for self and plenty of common sense that passes through a desire to improve the lowest levels of the unit's living conditions.
- Vers la guerre désincarnée ? - Thierry Cambournac p. 87-93 La guerre est un affrontement des volontés qui s'exerce au travers de souffrances que les protagonistes endurent et infligent. Dans un monde préoccupé de bien-être et de développement, l'homme est-il en passe de « désincarner » la guerre ? Mais cette mutation, si elle ne s'accompagne pas d'une paix universelle et durable, risque de susciter de nouvelles formes d'affrontement, plus violentes encore. Pour le soldat, le combat s'incarne dans la peur, la souffrance et la mise en danger de sa vie. Si, pour le protéger, le recours aux technologies les plus avancées s'impose, ne doit-on pas craindre qu'en résultent des affrontements déshumanisés et d'une violence hors de toute mesure ?Une armée contemporaine tire moins son efficacité des performances physiques de ses soldats que de l'esprit de corps qui les soude, lequel ne peut pourtant guère se construire sans épreuves surmontées et souffrances endurées collectivement. La conduite des conflits peut-elle épargner les peuples et les moyens économiques de leur subsistance ? Finalement, le corps du soldat ne traduit-il pas mieux que tout discours la nature du dialogue qu'un belligérant tente d'instaurer avec son adversaire ? En d'autres termes, n'y a-t-il pas une fatalité de la souffrance du soldat sans laquelle son action ne serait pas crédible ?War is a clash of wills that is acted out through the suffering that the protagonists endure and inflict. In a world that concerned only with wellbeing and development, is mankind “disembodying” war? Nevertheless, this move, if it does not come with universal and durable peace, may well give rise to new forms of confrontation that are more violent still. For soldiers, combat is fear incarnate, suffering and putting one's life on the line. If to protect one's life, it is necessary to resort to the most advanced technologies, must we not fear that the result will be dehumanized conflicts that are violent beyond all measure ? A contemporary army derives its efficiency less from the physical performance of its soldiers than from the “esprit de corps” that bonds it together, the very spirit that cannot be built without collectively overcoming trials and enduring suffering. Can conflicts be pursued while sparing peoples and their economic means of subsistence? In the end, does not the soldier's body, more than any amount of words, express the kind of dialog that a belligerent attempts to set up with their adversary? In other words, isn't there some form of inevitability about a soldier's suffering without which their action will not be credible?
- Offert en sacrifice - Christian Benoît p. 95-101 La mort de dix soldats français tués au combat en Afghanistan en 2008 a rappelé de façon brutale que, aujourd'hui comme hier, des hommes sacrifiaient leur vie pour accomplir leur mission. La nation, dans sa grande majorité, refuse désormais d'admettre cette éventualité qui n'est plus enseignée. Depuis bientôt un siècle, la « privatisation de la mort » du soldat a progressivement fait disparaître la notion de sacrifice pour la patrie, devenue presque insupportable, au moment même où la société occidentale est menacée dans son existence par le fanatisme le plus déterminé.The death of ten French soldiers in combat in Afghanistan during 2008 brutally reminds us that even today, as before, there are men who give up their lives in doing their duty. The nation for the most part now refuses to accept this eventuality, one that is no longer taught. For close to century now, “privatizing a soldier's death” has progressively led to the concept of sacrifice for one's country to fade away, in fact it has become practically unbearable at the very time when Western society is threatened in its very existence by the most determined fanaticism.
- Métamorphoses - François-Régis Legrier, Guillaume Venard p. 103-116 Aguerrir un corps de civil pour en faire un corps de guerrier est devenu, dans les sociétés occidentales, un véritable défi. En effet, dans un contexte où la recherche systématique de la complétude est la norme, mener un aguerrissement adapté aux terribles réalités du combat relève de l'exploit.Un corps de guerrier est bien constitué d'une solide charpente prête à endurer fatigue et blessures. Cependant, cette structure de chair et d'os est vouée à l'effondrement si elle ne s'appuie pas sur une psychologie et des convictions solides. La densification propose une démarche globale et progressive pour renforcer tout à la fois le corps et l'esprit. Sans demander de dispositifs coûteux, elle vise juste à remettre en perspective la formation et l'entraînement des combattants sous le prisme de la stabilité psychologique sans laquelle il ne peut y avoir de confiance, et donc de victoire durable.Hardening a civilian's body to make it into a warrior's body has, in western societies, become a real challenge. This is because in a context where the systematic search for completeness is the norm, undertaking the degree of hardening necessary for facing the terrible realities of combat is in itself an exploit. A warrior's body is indeed built of a solid frame ready to endure fatigue and injury. However, this structure of flesh and bones is bound to collapse unless it is supported by psychology and solid beliefs. Densification proposes an overall and progressive approach for reinforcing both body and mind. Without requiring costly mechanism, it aims simply to replace in perspective, the teaching and training required by combatants, from the point of view of the psychological stability without which no confidence is possible, and therefore no durable triumph.
- Le miroir de l'âme - Patrick Clervoy p. 117-125 Le corps du guerrier est comme un livre. Certaines pages sont claires et d'autres le sont moins. Certains signes parlent de l'enfance du soldat, d'autres de son histoire militaire. Le corps est l'instrument par lequel il se réalise et communique avec les autres. Pour qui sait déchiffrer les signes qui se montrent autant que ceux qui se cachent, le corps révèle de chacun ce qu'il est et ce qu'il fait.A warrior's body is like a book. Some pages are clear, others less so. Some signs hark back to the soldier's childhood, other to his military history. The body is the instrument through which he realizes himself and communicates with others. For those who know how to decipher those signs that show as much as they hide, the body reveals who each and everyone is and what they do.
- Le corps collectif du soldat - Monique Castillo p. 127-141
- Plus qu'un corps - Jean-Claude Quentel p. 11-21
Pour nourrir le débat
- Pour une éthique de l'engagement - Damien Le Guay p. 143-155 L'engagement est aujourd'hui difficile, pour ne pas dire impossible car nous vivons dans un « individualisme de déliaison » (Marcel Gauchet), plus gazeux que solide. Autrefois, il allait de soi ; de nos jours il est devenu problématique. Il nous faut donc le réapprendre, en revisiter les fondements et les couches successives. Nous distinguerons ici deux « modèles » d'engagement : l'« engagement d'adhésion » (sur le modèle du contrat) et l'« engagement de mise en gage » (sur le modèle de l'alliance). Le premier, plus « moderne » que le second, est rétractable, il n'a qu'une durée limitée dans le temps. Quand au second, il donne un « poids éthique » à ma « parole » – celle que je donne et mets en gage. Ceci permet de mieux comprendre le sens de l'engagement des militaires et ses particularités : vocation, sens du corps que l'on intègre, valeurs communes que l'on partage.Today, commitment is difficult, if not to say impossible: we live a form of “unlinked individualism” (according to Marcel Gauchet), one that is more gaseous than solid. Once upon a time, commitment was automatic, today it has become a problem. We therefore need to relearn it, to revisit its foundation and its successive layers. Here we will distinguish between two commitment “models”: “sign-up commitment” (modeled on a contract) and “engagement commitment” (modeled on an alliance). The former, mode “modern” than the latter, can be withdrawn, it is limited in time, while the second form adds an “ethical weight” to one's “word”—one that is given and forms an engagement. This makes for a better understanding of the commitment made by service men and women and its specificities: a vocation, a feeling for the corps one joins, the shared common values.
- État-Unis : mythes fondateurs et politique étrangère - Wafa Harrar Masmoudi p. 157-167 Le célèbre chroniqueur américain William Pfaff écrivait dans l'International Herald Tribune : « La faiblesse des États-Unis réside dans le fait qu'ils sont la dernière puissance planétaire qui se croit investie d'une mission universelle », celle de défendre les droits de l'homme partout dans le monde. Partant de là, ils fondent leur politique étrangère et leur identité nationale sur une idéologie décrétant que le modèle américain est le meilleur, sinon l'unique modèle pour la société humaine de demain. Ladite idéologie se fonde sur des mythes fondateurs qui méritent que l'on s'y attarde, et ce à travers l'analyse de leurs éléments les plus percutants, notamment la notion de « guerre juste » et de « destinée manifeste ».William Pfaff, the American columnist, wrote in the International Herald Tribune: “The weakness of the United States lies in the fact that they are the last power which considers itself invested with a universal mission”, that to defend human rights all around the world. Thus, they found their foreign policy and their national identity on an ideology asserting that the American model is not only the best but also the unique model for the future of human society. The aforementioned ideology bases itself on myths which deserve to be analysed, built on forceful elements, ranging from the “fair war” to the “manifest destiny”.
- Pour une éthique de l'engagement - Damien Le Guay p. 143-155
Translation in English
- Towards a disembodied war? - Thierry Cambournac p. 169-176 La guerre est un affrontement des volontés qui s'exerce au travers de souffrances que les protagonistes endurent et infligent. Dans un monde préoccupé de bien-être et de développement, l'homme est-il en passe de « désincarner » la guerre ? Mais cette mutation, si elle ne s'accompagne pas d'une paix universelle et durable, risque de susciter de nouvelles formes d'affrontement, plus violentes encore. Pour le soldat, le combat s'incarne dans la peur, la souffrance et la mise en danger de sa vie. Si, pour le protéger, le recours aux technologies les plus avancées s'impose, ne doit-on pas craindre qu'en résultent des affrontements déshumanisés et d'une violence hors de toute mesure ?Une armée contemporaine tire moins son efficacité des performances physiques de ses soldats que de l'esprit de corps qui les soude, lequel ne peut pourtant guère se construire sans épreuves surmontées et souffrances endurées collectivement. La conduite des conflits peut-elle épargner les peuples et les moyens économiques de leur subsistance ? Finalement, le corps du soldat ne traduit-il pas mieux que tout discours la nature du dialogue qu'un belligérant tente d'instaurer avec son adversaire ? En d'autres termes, n'y a-t-il pas une fatalité de la souffrance du soldat sans laquelle son action ne serait pas crédible ?War is a clash of wills that is acted out through the suffering that the protagonists endure and inflict. In a world that concerned only with wellbeing and development, is mankind “disembodying” war? Nevertheless, this move, if it does not come with universal and durable peace, may well give rise to new forms of confrontation that are more violent still. For soldiers, combat is fear incarnate, suffering and putting one's life on the line. If to protect one's life, it is necessary to resort to the most advanced technologies, must we not fear that the result will be dehumanized conflicts that are violent beyond all measure ? A contemporary army derives its efficiency less from the physical performance of its soldiers than from the “esprit de corps” that bonds it together, the very spirit that cannot be built without collectively overcoming trials and enduring suffering. Can conflicts be pursued while sparing peoples and their economic means of subsistence? In the end, does not the soldier's body, more than any amount of words, express the kind of dialog that a belligerent attempts to set up with their adversary? In other words, isn't there some form of inevitability about a soldier's suffering without which their action will not be credible?
- The soldier's collective body - Monique Castillo p. 177-190
- Towards a disembodied war? - Thierry Cambournac p. 169-176
Comptes rendus de lecture
- Comptes rendus de lecture - p. 193-196