Contenu du sommaire : L'idéal du musicien et l'âpreté du monde

Revue Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie Mir@bel
Numéro no 31, 2020
Titre du numéro L'idéal du musicien et l'âpreté du monde
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction

  • Dossier

    • Musique et pacification sociale, missions fondatrices de l'éducation musicale (1795-1860) - Michael Werner p. 24-39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le début du XIXe siècle, l'activité musicale a été considérée par beaucoup comme un moyen d'élévation morale des classes populaires. Censée permettre la pacification des relations sociales et le dépassement du traumatisme de la Révolution, la musique est également entrée dans les projets de formation du mouvement ouvrier naissant. La tension entre une fonction de démocratisation de la culture et une tendance à conforter les distinctions sociales a, pendant deux siècles, dominé les pratiques musicales des sociétés européennes.
      Since the early 19th century, musical practice has been considered by many as a means to morally uplift the working classes. It was believed it could pacify social relations and help overcome the trauma of the French Revolution. As such, music was included in the training initiatives of the young labour movement. For two hundred years, musical practice in Western societies has been dominated by a tension between its role in the democratization of culture and its tendency to consolidate social distinctions.
    • « It's not an easy country », parcours de musiciens palestiniens du Liban vers l'Europe - Nicolas Puig p. 40-55 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte revient sur le parcours d'un groupe de rap palestinien au Liban, Katibeh Khamseh (Bataillon 5), dont quatre membres ont émigré en Angleterre et un autre en France. Il détaille les appropriations de la musique rap par ces musiciens qui ont cherché à en créer une version arabe et palestinienne, en publiant deux albums et en se produisant à de nombreuses reprises au Liban durant les années 2000. La dimension corporelle de la pratique musicale est mise en relation avec la virtuosité vocale et la gestuelle qui accompagne et supporte l'écriture. Cette pratique est également rapprochée de la façon dont ces jeunes Palestiniens incarnent les codes et valeurs d'un rap résistant. Enfin, il s'agit de saisir l'influence de l'exil sur la création musicale. Le moment clé du voyage entre Beyrouth et Londres filmé par l'un des musiciens au moyen d'une caméra de poing, suggère que ces derniers inscrivent pleinement leur parcours dans l'histoire plus générale des réfugiés qui s'écrit en ce début de XXIe siècle.
      This text deals with the life story of members of a Palestinian rap group in Lebanon, Katibeh Khamseh (Battalion 5), of which four members emigrated to England and one to France. It details the appropriation of rap music by these musicians who released two albums and performed many times in Lebanon during the 2000s. The practice of rap is linked to the way Palestinian youth embody the codes and values of Arab, Palestinian and resistant rap. The bodily dimension of the musical practice is related with vocal virtuosity and gestures that accompany and support the creation. Then, following a problematic of creation in migration, the text analyzes the transformation of musical activities and inspiration after the arrival in England and France. The key moment of the journey between Beirut and London, as captured by one of the musicians using a handheld camera, shows how these musicians fully insert their journey into the more general history of refugees as it is written at the beginning of the 21st century.
    • E pluribus unum. Querelles d'hymnes dans l'Empire ottoman, 1908-1918 - John M. O'Connell p. 56-73 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine la production musicale turque d'inspiration martiale au commencement de la première guerre mondiale. Je me concentre sur deux marches militaires, l'une arménienne, l'autre turque, qui sont chantées sur la même mélodie. La première fédère un consensus hétérogène et impérialiste, la seconde sert à promouvoir un nationalisme dissident. Le projet de cet article est de souligner l'ambivalence de la musique, puisqu'une même musique peut être utilisée aussi bien pour anticiper le pluralisme que pour promouvoir un chauvinisme durant ce moment critique de l'histoire de la Turquie.
      This essay deals with Turkish martial-type music in the early days of World War I. I focus on two military marches, one Armenian, the other Turkish, which are both sung with the same melody. The former achieved a heterogeneous and imperialist consensus, while the latter served to promote a dissident nationalism. This essay aims at highlighting the very ambivalent nature of music: the same melody was used to promote either pluralism or chauvinism during a critical moment in the history of Turkey.
    • Yehudi Menuhin à l'Unesco, la musique pour ambassade - Anaïs Fléchet p. 74-91 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      « N'oubliez jamais que nous ne sommes pas des délégués représentant des États politiques, mais des musiciens représentant les cultures de l'humanité. […] Nous sommes des hommes libres, nous sommes musiciens. » En 1975, dans son dernier discours en tant que président du Conseil international de la musique, une organisation non gouvernementale affiliée à l'Unesco, Yehudi Menuhin appelait à résister aux « effets diviseurs de la compétition des nationalismes ». Quatre ans plus tôt, il combattait pour les mêmes idéaux à Moscou, en dénonçant le sort des artistes dissidents. À partir des archives privées du musicien, des fonds du CIM, de l'Unesco, des sources diplomatiques américaines et des Archives russes d'État de la littérature et des arts, cet article retrace l'action de Menuhin à l'Unesco et interroge l'invention d'une diplomatie musicienne au tournant des années 1960 et 1970.
      “We should never forget that we are not officials representing political states, but musicians representing the cultures of the world. […] We are free human beings, we are musicians.” In 1975, in his last speech as president of the International Music Council, a non-governmental body of the UNESCO, Yehudi Menuhin called on musicians to stand up against “the dividing effects of competing nationalisms”. Four years earlier, he was fighting for the same ideals in Moscow by speaking out against the fate of dissident artists. Based on the musician's papers, IMC and UNESCO archives, American diplomatic sources and Russian State archives of literature and art, this essay provides an outline of Menuhin's actions at UNESCO and examines the invention of a musical diplomacy in the years 1960-1970.
    • Vivre ensemble en Colombie ? Le Plan Nacional de Música para la Convivencia (2002) - Jaime A. Salazar p. 92-111 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours des dernières décennies, le ministère colombien de la Culture a élaboré une série de plans visant à faire de la musique l'instrument d'une paix sociale qui reste largement à construire, et l'outil avec lequel se forge l'image d'une Colombie riche de sa diversité culturelle. Ces politiques visaient à compenser la violence des affrontements militaires de longue date. Nous analysons ici trois de ces plans produits entre 2000 et 2006, après avoir conduit une enquête auprès du ministère de la Culture pour analyser la façon dont la musique a été inscrite à l'agenda politique. Le Plan Nacional de Música para la Convivencia de 2002 est au cœur de cette analyse.
      Over the last decades, the Colombian Ministry of Culture has developed a series of projects in which music is to play a key role in achieving social peace – still to be established – and in building the image of a country with a rich cultural diversity. Such policies aim at compensating the military conflicts that have plagued the country for a long time. In this essay, I analyse three projects which were produced between 2000 and 2006 by investigating the way music came to be placed on Colombia's political agenda. I focus especially on the 2002 Plan Nacional de Música para la Convivencia.
  • Entretien

  • Traductions inédites

    • Combien coûte une chanson ? La culture du prix et le prix de la culture - Carlos Fausto p. 130-142 accès libre avec résumé
      Le texte présenté ici traite d'une question – à qui appartient la culture, et de quelle nature est cette « propriété » ? – que Gradhiva a déjà abordée à plusieurs reprises, notamment dans le dossier de son numéro 12 intitulé La Musique n'a pas d'auteur paru en 2010 et coordonné par Christine Guillebaud, Julien Mallet et Victor A. Stoichita.À partir des données collectées chez les Kuikuro dans le sud de l'Amazonie brésilienne, Carlos Fausto, professeur à l'Université Fédérale de Rio de Janeiro et directeur de recherche au CNPq, dresse dans l'article traduit ici un tableau des formes de commerce pratiquées dans cette aire indigène. Les Kuikuro – un groupe de langue carib formant l'une des composantes de l'ensemble pluriethnique du Xingu – se distinguent par une pratique intensive de l'échange inter et intra-tribal, toujours assortie de paiement immédiat, soit en biens de prestige tels que des ceintures de perles ou de coquillages, soit en monnaie nationale. Chez eux, tout, ou presque tout, se « vend » et se rétribue. Voilà qui sonne familier. Dans ce régime de valeurs cependant, le prix d'un objet – tangible ou intangible – se calcule en fonction de la valeur des relations qu'il permet de créer ou dont il est l'expression : ici, on désire du lien, non des biens. Chez les Kuikuro, la maîtrise des chants rituels est source de grand prestige, et leur transmission a un prix. Celle-ci impliquait jadis un contrat bien étrange entre maître et apprenti : chacun devait promettre de « tromper » l'autre. C'était une manière de conjurer par antiphrase le risque d'une interprétation erronée et de contraindre l'apprenti à « rentabiliser » son investissement en le transmettant à son tour. Cette « vente » d'un chant suppose une grande confiance entre partenaires. Pour cette raison, la transmission se fait entre proches parents et l'expertise reste l'apanage de certaines familles.Mais avec l'avènement des cassettes audio, les jeunes apprennent par eux-mêmes, sans avoir à rémunérer un maître. Cette banalisation entraîne aussitôt une forte dépréciation du répertoire et des maîtres qui le portent. Pour conjurer la disparition progressive des chanteurs de tradition, capables de mémoriser des centaines de pièces à la lettre et à la note près, le chef kuikuro et l'anthropologue Carlos Fausto lancent un projet d'archivage digital du corpus rituel. Cela crée deux difficultés. La première est de trouver un standard de paiement par chant qui soit accepté par tous les maîtres. La seconde est de savoir à qui appartient ce corpus enregistré. À tout le groupe, disait le chef, ce qui voulait dire, à lui-même. Et qui pourrait alors y avoir accès, sinon lui ? Les copies seraient confiées au musée de l'Indien à Rio et au centre kuikuro de documentation. Mais en « muséifiant » la tradition on signait sa mort. Il fallait donc la rendre accessible, dans les termes de la tradition : à chaque écoute de ces enregistrements, un paiement serait attribué au possesseur de ces chants.Cette gestion du copyright est le prix que les Kuikuro continuent d'accorder à la relation instaurée entre maître et apprenti comme à la capacité à la créer, un signe que la tradition et le régime de valeur dans lequel elle s'inscrivait résistent à leur dissolution promise dans un marché monétarisé.
  • Varia

    • Quand l'art fait loi : histoires juridiques de Piotr Pavlenskiy en Russie et en France - Nataliya Tchermalykh p. 145-165 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la signification socio-juridique des performances transgressives réalisées par Piotr Pavlenskiy en Russie (2012-2015) et à Paris (2017), où il a obtenu l'asile politique en 2016. Si elles ont eu des retombées légales en France comme en Russie, l'ensemble de ces actions n'y ont pas cependant donné lieu au même type de débat. Pourquoi cet art a-t-il été accueilli différemment en Russie et en France ? La première partie de l'article se penche sur les ressorts de la popularité de Pavlenskiy en Russie, et propose de considérer ses performances non pas uniquement comme étant iconoclastes, mais aussi comme des formes anti-hégémoniques d'énonciation de la loi. La seconde partie analyse la trajectoire parisienne de l'artiste, et avance des hypothèses pour expliquer les raisons du relatif « échec » de sa stratégie artistique dans le contexte socio-politique et juridique français.
      This article examines the socio-legal meaning of transgressive performances realized by Piotr Pavlenskiy (b.1984) in Russia (2012-2015) and in Paris (2017), where he received political asylum in 2016. All of them had direct legal consequences in Russia and in France, yet had stimulated debates of different kind. Why was his art treated differently in Russia and in France ? The first part of the article dwells on the mechanisms of Pavlenskiy's popularity in Russia, which results of the contextual triangulation of the artistic, juridical and public spheres. Subsequently, the author proposes to enlarge the available scope of analysis of artistic performances and to consider Pavlenskiy's not only as transgressive works of art, but as forms of counter-hegemonic legal narration. The second part of the article analyzes the reasons of the eventual « failure » of such an artistic strategy in the French socio-political and legal context and draws conclusions about the reasons of such a differentiation.
  • Chroniques scientifiques