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Revue | Revue critique de droit international privé |
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Numéro | no 4, octobre-décembre 2020 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éclectique, résolument… - Horatia Muir Watt, Dominique Bureau, Sabine Corneloup p. 643-644
Doctrine
- Les actions civiles transnationales en réparation des « crimes du passé » : Le droit international privé mis à l'épreuve - Delphine Porcheron p. 645-668 Le contentieux civil transnational portant sur la réparation des « crimes du passé » ne cesse de se développer depuis une trentaine d'années. Plusieurs traits en soulignent la singularité : l'extraordinaire gravité des faits à l'origine des actions en justice, leur impact sur la mémoire collective, les dimensions politique et temporelle des litiges. L'étude d'actions judiciaires intentées par des personnes privées devant des juridictions européennes, américaines et asiatiques révèle une approche distincte selon les juges saisis. Cet état des lieux incite à réfléchir sur la façon dont le droit international privé est amené à prendre en considération les configurations complexes de ce contentieux. Ces litiges, à la confluence des droits internationaux public et privé, amènent à combiner ces deux branches du droit, puis à envisager le droit international privé en tant que « droit sensible » à l'environnement particulier de ces affaires.Transnational civil litigation for the reparation of “crimes of the past” has been growing for the past 30 years. Several features underline its singularity: the extraordinary seriousness of the facts at the origin of the legal actions, their impact on collective memory, the political and temporal dimensions of the disputes. The study of judicial proceedings brought by individuals before European, American and Asian tribunals reveal a distinct approach depending on the court referred to. In this context, one can come to consider how private international law deals with these complex litigations. On the one hand, both public and private international laws are to be mutually considered. On the other hand, private international law rules should be applied in order to take into account the specific environment of these cases.
- Le droit international privé confronté à la blockchain - Mathias Audit p. 669-694 La blockchain constitue l'un des développements technologiques majeurs de ces dix dernières années en matière de sécurisation des échanges. Ses applications sont très variées, allant des crypto-monnaies, en passant par les smart contracts ou les initial coin offerings (ICOs), jusqu'à la création de decentralized autonomous organizations (DAOs). L'ensemble de ces applications, de même que celles qui restent à venir, présente la particularité d'évoluer dans un environnement détaché de toute assise territoriale. Cette situation spécifique rend à l'évidence complexe la confrontation de la blockchain aux techniques du droit international privé. Pour autant, il n'est pas certain que l'on puisse s'en dispenser car à travers celles-ci, c'est la possibilité pour les droits étatiques d'encadrer les relations juridiques fondées sur cette technologie nouvelle qui est en jeu.
- Compétence juridictionnelle en matière de cyber-délits : l'incontestable déclin du critère de l'accessibilité (à propos de plusieurs arrêts récents) - Tristan Azzi p. 695-710 Consacré par la première chambre civile de la Cour de cassation puis par la CJUE à propos de différents cyber-délits spéciaux, le critère de l'accessibilité semblait initialement promis à un large rayonnement. La jurisprudence récente est cependant venue mettre un coup d'arrêt à son expansion, en l'écartant d'abord en droit des pratiques restrictives de concurrence, puis dans le contentieux des titres de propriété industrielle de l'Union européenne à caractère unitaire. Au-delà de ces hypothèses, il n'est pas exclu qu'elle en restreigne encore le champ d'application en revenant sur certaines solutions qui paraissaient pourtant acquises. Dans le même temps, le critère du centre des intérêts de la victime a gagné du terrain. En dernier lieu, il a été adopté par la Cour de cassation au sujet d'un dénigrement en ligne qualifié d'acte de concurrence déloyale. Or, par rapport au critère de l'accessibilité, le critère du centre des intérêts de la victime présente l'avantage d'offrir au juge saisi une compétence globale, celle-ci n'étant pas limitée au dommage subi sur le territoire de l'État dont il relève. En définitive, le déclin manifeste du critère de l'accessibilité qui ressort de l'étude invite à se demander si le moment n'est pas venu de repenser en profondeur l'interprétation des règles de compétence applicables en matière de cyber-délits.
- L'appréhension par le droit international privé de l'action en responsabilité d'un tiers fondée sur un manquement contractuel du défendeur - David Sindres p. 711-741 Se situant aux confins de la matière contractuelle et de la matière délictuelle, l'action en responsabilité civile exercée par un tiers contre un contractant auquel il reproche d'être, par ses manquements contractuels, à l'origine de son dommage, s'avère difficile à appréhender en droit international privé. En témoignent plusieurs arrêts récemment rendus par la Cour de cassation dans des espèces où les demandeurs, tiers à des contrats de certification, faisaient grief à un certificateur allemand d'avoir commis divers manquements contractuels ayant concouru à la survenance de leurs dommages.
- Les actions civiles transnationales en réparation des « crimes du passé » : Le droit international privé mis à l'épreuve - Delphine Porcheron p. 645-668
Jurisprudence
- Sur l'imprescriptibilité de l'action négatoire de nationalité - Paul Lagarde p. 743-746 L'action négatoire de nationalité régie par l'article 29-3 du code civil n'est soumise à aucune prescription. (1)Viole ce texte et doit être cassé l'arrêt déclarant prescrite l'action du ministère public en annulation du certificat de nationalité et en constatation d'extranéité, engagée plus de dix ans après que le ministère de la Justice eut été informé du caractère apocryphe de l'acte de naissance produit par l'intéressé à l'appui de sa demande de certificat. (2)
- Visa humanitaire et champ d'application spatial de la CEDH. Les limites de l'encadrement conventionnel en cas de gestion extraterritoriale des migrations (CEDH, gde ch., déc. d'irrec., 5 mai 2020, n° 3599/18, M.N. et autres c/ Belgique, Dalloz actualité 4 juin 2020, obs. C. Collin ; J.-Y. Carlier, L. Cools, E. Frasca, F. Gatta, S. Sarolea, Cahiers de l'EDEM, juin 2020, https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/juri/cedie/newsletters/juin-2020.html ; E. Lenain, La Revue des droits de l'homme, 15 juin 2020, http://journals.openedition.org/revdh/9913 ; AJDA 2020. 921 ; D. 2020. 1348, note C. Collin) - Sabine Corneloup p. 747-762 Ne relèvent pas de la juridiction de la Belgique, les réfugiés syriens qui avaient sollicité auprès de l'ambassade belge à Beyrouth des visas dits humanitaires et qui prétendaient que le refus des autorités belges les exposait à une situation contraire à l'interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants sans possibilité d'y remédier de manière effective. Leur recours pour violation des articles 3 et 13 de la CEDH est déclaré irrecevable ratione loci.
- Première application de l'exigence d'épuisement des voies de recours comme condition de déclenchement de l'ordre public international européen : la Cour de cassation privilégie la discrétion - Louis Perreau-Saussine, Olivera Boskovic p. 763-771 Ayant relevé que tous les héritiers avaient été mis en mesure de se défendre et que le mandataire successoral, informé par l'ordonnance le désignant de l'existence de l'instance pendante contre la banque, aurait pu intervenir volontairement, la cour d'appel en a exactement déduit qu'aucune violation manifeste de la conception française de l'ordre public international ne résultait du fait qu'une créance sur la succession ait été constatée par le jugement luxembourgeois.
- La règle des codéfendeurs et l'action paulienne : (Com. 26 févr. 2020, n° 18-21.144, D. 2020. 951, F. Jault-Seseke ; - Olivera Boskovic p. 772-779 Pour justifier la compétence du tribunal du lieu de son domicile au titre de l'article 8, § 1, du règlement 1215/2012, la personne appelée à l'instance doit avoir la qualité de défendeur. Tel n'est pas le cas, dans le cadre d'une action paulienne, du débiteur contre lequel aucune demande n'est formée.
- De l'inopposabilité à l'illicéité de la clause attributive de compétence invoquée contre l'assuré non-souscripteur - Malik Laazouzi p. 779-793 L'article 15, point 5, et l'article 16, point 5, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doivent être interprétés en ce sens que la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d'assurance couvrant un « grand risque », au sens de cette dernière disposition, conclu par le preneur d'assurance et l'assureur, ne peut être opposée à la personne assurée par ce contrat, qui n'est pas un professionnel du secteur des assurances, qui n'a pas consenti à cette clause et qui est domicilié dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d'assurance et de l'assureur.
- Affirmation du principe de perpetuatio fori et application du Règlement Bruxelles I - Hélène Gaudemet-Tallon p. 794-800 Viole les articles 1 et 3, point 2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 l'arrêt qui, pour dire le juge français compétent, fait application des articles 14 et 15 du code civil à une action tendant à remettre en cause l'acte intitulé cession de biens moyennant rente, alors que la demande principale en annulation de la procuration donnée par un auteur dont le consentement aurait été vicié pour cause d'insanité d'esprit, fixait la compétence dès l'introduction de l'instance et relevait du champ matériel du règlement n° 44/2001, applicable à la date d'introduction de la demande, et qu'une règle de compétence nationale ne pouvait être invoquée contre des personnes domiciliées dans un autre État membre de l'Union européenne.
- Du juge compétent pour statuer sur l'action en opposition à exécution d'une décision alimentaire - Laurence Usunier p. 801-813 Le règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires, doit être interprété en ce sens que relève de son champ d'application, ainsi que de la compétence internationale des juridictions de l'État membre d'exécution, une action en opposition à exécution introduite par le débiteur d'une créance d'aliments, qui est dirigée contre l'exécution d'une décision rendue par une juridiction de l'État membre d'origine et ayant constaté cette créance, qui est étroitement liée à la procédure d'exécution.En application de l'article 41, paragraphe 1, du règlement n° 4/2009 et des dispositions du droit national pertinentes, il appartient à la juridiction de renvoi, en tant que juridiction de l'État membre d'exécution, de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé des éléments de preuve rapportés par le débiteur de la créance d'aliments, visant à étayer l'allégation selon laquelle ce dernier a acquitté en grande partie sa dette.
- Concurrence déloyale : la chambre commerciale confirme la force d'attraction de la loi du marché - Valérie Pironon p. 814-820 Si le principe selon lequel la loi applicable à l'action en concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou sont susceptibles de l'être connaît une exception lorsque ce comportement affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, c'est à la condition que ces actes n'aient pas d'effet sur le marché, de sorte qu'en se déterminant par voie de simple affirmation, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les agissements litigieux n'étaient pas susceptibles d'affecter le marché japonais, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
- La réception en droit français d'un mariage par procuration contracté par une femme étrangère - Elise Ralser p. 821-839 L'article 146-1 du code civil, qui pose une condition de fond du mariage régie par la loi personnelle des époux […], requiert la présence des seuls Français lors de leur mariage contracté à l'étranger (§ 8).Il résulte de la combinaison des articles 5 et 4 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut de des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, des articles 146, 146-1 et de l'article 202-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2014 que la présence de l'épouse marocaine à son mariage, en tant qu'elle constitue une condition de fond du mariage, est régie par la loi marocaine. En l'absence de contestation touchant à l'intégrité du consentement, la disposition du droit marocain qui autorise le recueil du consentement d'une épouse par une procuration n'est pas manifestement incompatible avec l'ordre public, au sens de l'article 4 précité, dès lors que le droit français n'impose la présence de l'époux à son mariage qu'à l'égard de ses seuls ressortissants (§§ 9 à 11).
- L'action du ministre chargé de l'économie en matière de pratiques restrictives de concurrence : l'impérativité réactivée ? - Dominique Bureau p. 839-853 L'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France ; elles constituent dès lors des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable.Les victimes des pratiques alléguées étant situées sur le territoire français, est ainsi caractérisé un lien de rattachement de l'action du ministre au Regard de l'objectif de préservation de l'organisation économique poursuivi par les lois de police en cause.
- Les limites de la favor divortii européenne - Sabine Corneloup p. 853-863 Au sein de l'article 10 du règlement n° 1259/2010, les termes « [l]orsque la loi applicable en vertu des articles 5 ou 8 ne prévoit pas le divorce » visent uniquement les situations dans lesquelles la loi étrangère applicable ne prévoit le divorce sous aucune forme. Dans l'hypothèse où la loi étrangère applicable ne permet de demander un divorce qu'à la condition qu'il ait été précédé d'une séparation de corps d'une durée de trois années, tandis que la loi du for ne prévoit pas de règles de procédure en matière de séparation de corps, cette juridiction doit toutefois, à défaut de pouvoir prononcer elle-même une telle séparation, vérifier que les conditions de fond prévues par la loi étrangère applicable sont remplies et le constater dans le cadre de la procédure de divorce dont elle est saisie.
- Sur l'imprescriptibilité de l'action négatoire de nationalité - Paul Lagarde p. 743-746
Éclairages
- Sur l'accord de résiliation des traités bilatéraux d'investissement entre des États membres de l'Union européenne - Antoine d'Ornano p. 865-869
- Sur le Brexit et la coopération judiciaire civile - Antoine d'Ornano p. 870-873
- Sur la compétence internationale de la CNIL - Antoine d'Ornano p. 874-883
Bibliographie
- EU Law Beyond EU Borders. The Extraterritorial Reach of EU Law, par Marise Cremona et Joanne Scott (dir.), Oxford University Press, 2019, 234 pages - Toni Marzal, Sabine Corneloup p. 885-890
- The Law of Political Economy : Transformation in the Function of Law, par Poul F. Kjaer (dir.), Cambridge University Press, 2020, 420 pages - Horatia Muir Watt p. 890-895
- Les grandes décisions du droit de l'arbitrage commercial, par Ibrahim Fadlallah et Dominique Hascher - Christophe Seraglini p. 895-899
- Sovereign Debt Restucturing : The Role and Limits of Public International Law, par Annamaria Vitterbo, G. Giapichelli Éditore, 2020, 259 pages - Alexandre Belle p. 899-902
- Commercial Issues in Private International Law. A Common Law Perspective, par Michael Douglas, Vivienne Bath, Mary Keyes et Andrew Dickinson (dir.), Hart Publishing, 2019, 408 pages - Lilian Larribère p. 902-904
- Economic Sanctions in EU Private International Law, par Tamás Szabados, Hart Publishing, 2019, 280 pages - Vasile Rotaru p. 905-910
- Transnational Law and State Transformation. The Case of Extractive Development in Mongolia, par Jennifer Lander, Routledge, Law Development and Globalization Series, 2020, 253 pages - Gilles Lhuilier p. 910-917
- Die Anerkennung prorogationswidriger Urteile im Europäischen und US-amerikanischen Zivilprozessrecht, par Niklas Brüggemann, Studien zum ausländischen und internationalen Privatrecht 421, Mohr Siebeck, 2019, 334 pages - Fabienne Jault-Seseke p. 917-919
- NomosKommentar, Band 6 : BGB / Rom-Verordnungen | EuGüVO | EuPartVO | HUP | EuErbVO, par Rainer Hüßtege et Heinz-Peter Mansel (dir.), Nomos, 3`supbe`/supb éd., 2019, 1527 pages - Valérie Parisot p. 919-931
- Procréation assistée et filiation, AMP et GPA au prisme du droit, des sciences sociales et de la philosophie, par Marie-Xavière Catto et Kathia Martin-Chenut (dir.), Mare & Martin, 2019, 284 pages - Konstantinos Rokas p. 931-935