Contenu du sommaire : Relations sociales, relations ethno-raciales dans les trois Guyanes

Revue Cahiers des Amériques Latines Mir@bel
Numéro no 93, 2020
Titre du numéro Relations sociales, relations ethno-raciales dans les trois Guyanes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Chronique

  • Dossier. Relations sociales, relations ethno-raciales dans les trois Guyanes (Guyana, Suriname, Guyane française)

    • Penser les relations ethno-raciales dans les trois Guyanes : fluidité et performativité des catégories - Gérard Collomb, Stéphanie Guyon, Marie-Hélène Sa Vilas Boas p. 13-28 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Formée dans le temps colonial, complexifiée par des apports migratoires importants au XIXe siècle, la population de Guyane française, du Suriname et du Guyana a connu une histoire durant laquelle la construction des hiérarchies socioraciales est allée de pair avec des processus permanents de catégorisation, qui continuent de caractériser les interactions. Dans les trois Guyanes, le politique est ainsi souvent racialisé ou ethnicisé et les rapports ethno-raciaux sous-tendent nombre d'interactions sociales, professionnelles et administratives. Mais ces rapports présentent aussi une grande fluidité. Les groupes ethno-raciaux caractérisés se révèlent hétérogènes et leurs frontières ne sont pas figées, elles fluctuent ; il faut questionner leur actualisation, leur recomposition et leurs usages, dans une diversité de scènes politiques, administratives et sociales.
      Formed during colonial times and made more complex by significant migratory contributions in the 19 th century, the population of French Guiana, Surinam and Guyana has experienced a history in which the construction of socioracial hierarchies has gone together with ongoing processes of categorization, which continue today to characterize the social interactions. In all three Guyanas, politics is thus often racialized or ethnicized, and ethno-racial relations underlie many social, professional and administrative interactions. However, these relationships are also very fluid, the ethno-racial groups are heterogeneous and their boundaries are not fixed ; they fluctuate and their actualization, recomposition and uses must be questioned in a diversity of political, administrative and social scenes.
    • Fuites frontalières entre le Guyana et le Venezuela : migrations et contrebande dans un village amérindien - Olivier Allard p. 29-48 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête de terrain menée dans un village amérindien du Guyana, à proximité du Venezuela, cet article explore les modalités d'existence de la frontière pour les populations locales. Celles-ci sont très conscientes que la frontière, épaisse et poreuse, crée un différentiel entre les deux pays, ce qui donne leur raison d'être aux circulations et aux transactions, notamment à la migration de réfugiés venus du Venezuela, à la contrebande de carburant ou au commerce de marchandises et de nourriture. Ces activités suscitent aussi de la rivalité et de la compétition entre des acteurs très variés. La population de la région est caractérisée par de multiples formes de différenciation, et les personnes qui migrent entre le Venezuela et le Guyana circulent aussi entre deux régimes d'identité : être amérindien ou non, être vénézuélien ou guyanien, par exemple, n'a pas la même signification dans tous les contextes. Enfin, l'article s'attache à nuancer l'affirmation courante suivant laquelle les populations frontalières résisteraient à l'imposition de la frontière par les États. Les personnes qui résident au Guyana, y compris les migrants, souhaitent aussi que celle-ci joue son rôle de barrière protectrice face à la violence qui touche aujourd'hui le Venezuela.
      Based on fieldwork conducted in an Amerindian village in Guyana, located close to Venezuela, this article investigates how the border exists for local residents. Everyone is aware that the border, thick and porous, creates a differential between the two countries that motivates circulations and transactions, especially the migration of refugees from Venezuela, the smuggling of fuel, or the trade of food and other commodities. Such activities trigger rivalry and competition between the different actors involved. The local population is characterized by multiple forms of differentiation, and people who migrate between Venezuela and Guyana also move between two identity regimes: being Amerindian or not, being Venezuelan or Guyanese, do not hold the same meaning in all contexts. Finally, this article attempts to nuance a common argument : that people living in borderlands resist the imposition of borders by states. Those who reside in Guyana, including migrants, also want the border to act as a barrier, protecting them from the violence that currently affects Venezuela.
    • Une école malgré tout dans le Territoire de l'Inini (1930-1960) - Edenz Maurice p. 49-71 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse à la collaboration entre les autorités politiques françaises et boni, de la fin des années 1930 à la fin des années 1960, autour de la question de la scolarisation de ce peuple marron dans le système français, en dépit des assignations raciales extrêmes qui s'expriment dans le Territoire de l'Inini, situé au sud de la colonie de la Guyane française érigée en département à compter de 1946. Il restitue le contexte qui voit le gouvernement colonial français approuver unanimement la revendication boni d'établir une école dans leur « pays ». Puis examine ce projet du point de vue des Boni et analyse comment le Suriname, en tant qu'ennemi commun, permet de nouer cette collaboration inattendue. En effet, celle-ci s'inscrit dans un espace frontalier convoité, le bassin du Maroni. Si Français et Boni espèrent les uns et les autres tirer profit de ce projet scolaire, l'alliance qui se noue entre eux montre finalement que la fixation de la frontière de la Guyane est le produit d'une nécessaire coopération, qui dépasse les dynamiques de racialisation.
      This article focuses on the collaboration between the french and the boni political autorities from the late 1930s to the late 1960s on the issue of the schooling of the maroon population in the French system, in spite of the inordinate racial assignments discernible in the Territory of the Inini. This territory was located in the south of the colony of French Guiana, which became a department in 1946. This article establishes the context in which the French colonial government unanimously approved the boni demand to build a school in their “country”. Then it examines this project from the Boni's point of view. It allows us to gauge how Surinam's position as a common enemy enabled this unexpected collaboration. Indeed, this collaboration was inscribed in the Maroni basin, a coveted border area. Finally, even though both French and Boni hoped to capitalize on this school project, their alliance shows that the establishment of the border of French Guiana was the product of a necessary cooperation, one which transcends the dynamics of racialization.
    • Dire la blancheur chez les Businenge en Guyane. Pratiques de catégorisation et racialisation des rapports sociaux - Isabelle Léglise, Clémence Léobal, Bettina Migge p. 73-92 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à analyser des catégorisations de la majorité raciale dans une langue minoritaire, afin de saisir ces dynamiques de racialisation depuis la perspective de personnes minorisées. Il s'agit de catégories utilisées en Guyane par des personnes businenge – des Marrons –, locuteurs des variétés de nenge.Nous étudions ainsi les désignations renvoyant à la blancheur, comme bakaa, weti et poyte, dans une perspective historique, à partir de dictionnaires anciens, puis contemporaine, en nous appuyant sur des données collectées ethnographiquement. Puis nous analysons des interactions à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, en combinant la sociologie des rapports sociaux et des approches sociales du langage ancrées dans l'ethnographie.La distinction entre bakaa et weti permet de penser la race comme rapport de pouvoir, où disparaît l'évidence du marqueur biologique de couleur. Nommer la blancheur s'avère aussi un moyen de proposer une perspective critique de l'ordre social.
      This article investigates ethnoracial categorizations designating the majority in a minority language and their uses and meanings in everyday interactions to grasp the dynamics of racialization from the perspective of minorized people. The investigation focuses on the varieties of the language called Businenge Tongo locally or Eastern Maroon Creoles spoken by Maroon populations resident in French Guiana and Surinam.We first examine the different terms used to refer to whiteness such as bakaa, weti and poyte from a historical perspective on the basis of historical documents, before examining their uses in contemporary conversational recordings. The analysis in the final part focuses on interactions at the hospital of Saint-Laurent-du-Maroni. It combines two approaches: the sociology of social relations and social approaches to language rooted in ethnography. The distinction between bakaa and weti makes it possible to imagine race as a power relation, where the evidence of the biological marker of color disappears. Naming whiteness is also a way of providing a critical perspective of the social order.
    • Patrimonialisation du marronnage : usages et pratiques au Suriname - Jean Moomou p. 93-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article a d'une part pour objet de rendre lisible l'utilisation par les élites politiques créoles du Suriname de l'histoire des groupes marrons pour renforcer la construction d'un sentiment national et d'une conscience historique. Il dépeint d'autre part la manière dont le discours politique des nationalistes anticolonialistes de Paramaribo, dans les années 1950 et 1970, a produit des effets, à court et à long terme, dans la vie des descendants de Marrons businenge que sont les Saamaka, les Dyuka, les Kwinti, les Matawai, les Boni-Aluku et les Pamaka. Il s'agit de mesurer l'impact qu'a provoqué la « nouvelle histoire » (indépendance politique du Suriname depuis 1975), de voir la façon dont les générations de Businenge des années 1950 et 1980, ainsi que les nouvelles (depuis 1990), se sont approprié progressivement ces données urbaines (politiques mémorielles, culturelles) pour produire une mémoire historique, des pratiques culturelles et politiques nouvelles. L'étude s'appuie pour l'essentiel sur l'inscription de la mémoire de l'esclavage et du marronnage dans le tissu urbain de Paramaribo (monuments et noms des rues et des places).
      The aim of this paper is—on one hand—to give an understandable view of how the creole political elite of Surinam used the history of groups of Maroons to reinforce the construction of a sense of national identity as well as historical awereness.On another hand, this paper portrays how the political discourse of Paramaribo's anticolonialist-nationalists of the 1950's and the 1970's has impacted – on both short and long-term scales – the life of descendants of Businenge maroons such as Saamaka, Dyuka, Kwinty, Matawai, Boni-Aluku and Pamaka.The analysis is mainly based on the inclusion of the memory of slavery and maroonage within Paramaribo's urban web (monuments as well as streets and squares names).
    • Quand les politiques environnementales attisent les tensions interculturelles en Guyane française - Théo Jacob, Marianne Palisse, Catherine Aubertin p. 113-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article montre à partir de trois entrées comment les politiques environnementales menées en Guyane française, en tentant de composer avec la diversité culturelle locale, tendent à ethniciser les rapports sociaux. Le Parc amazonien de Guyane, qui apparaît comme une réaffirmation de la présence de l'État dans le sud de la Guyane, expérimente des modes de gouvernance qui favorisent la concurrence interethnique. La mise en place des accords de partage des avantages liés aux ressources biologiques prévus dans le protocole de Nagoya a introduit un différentiel entre certaines catégories de la population, qui doivent être consultées, et d'autres, qui ne le sont pas. Enfin, l'angle mort de ces politiques est constitué par les populations issues de l'immigration exclues des dispositifs d'accès aux ressources, et non considérées comme porteuses de connaissances sur la biodiversité.
      This paper shows, from three perspectives, how the environmental policies in French Guiana, trying to deal with the local cultural diversity, tend to ethnicize social relations. The Guiana Amazonian Park, which seems to be a reaffirmation of the state's presence in the southern French Guiana, experiments modes of governance which increase inter-ethnic competition. The implementation of the Nagoya Protocol on Access to Genetic Resources and the Fair and Equitable Sharing of Benefits Arising from their Utilization has introduced a difference between different categories of the population : some of them must be consulted whereas the others mustn't. Finally, people from immigration are a blind-spot of these policies. Migrants do not have any facility to access to the resources of the land, and are not considered as biodiversity knowledge holders.
    • Lutter ensemble contre la Montagne d'or. Les mobilisations anti-extractives à l'épreuve des fractures ethno-raciales - Chloé Baumes Malfant p. 133-152 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine les divisions et tentatives d'alliances ethno-raciales mises au jour dans le cadre de l'espace des mouvements sociaux en Guyane française. Il se focalise en particulier sur le mouvement d'opposition à l'industrie minière dans ce territoire d'outre-mer au sein duquel se mêlent politisation des questions ethniques et reproduction des rapports sociaux inégalitaires et coloniaux. S'appuyant sur une enquête ethnographique de trois mois, l'analyse se concentre sur les tentatives de rapprochement qui se sont déployées entre collectifs locaux anti-extractifs à majorité blanche issus de « métropole » et groupes noirs marrons et amérindiens. L'article explique comment ces tentatives se sont heurtées à la reproduction de rapports de domination au sein du mouvement et au manque de politisation de ces questions de la part des groupes anti-extractifs locaux. Il montre aussi combien le mouvement d'opposition au projet de mine industrielle « Montagne d'or » laisse entrevoir la fracture entre une élite créole, attachée à un développement du territoire par l'industrialisation minière, et des groupes militants amérindiens lui opposant une vision alternative, anti-extractive, et valorisant leur autochtonie.
      This article explores the ethno-racial divisions and cooperation taking place within social movements in French Guiana. It particularly focuses on the opposition movement to the mining industry in this French overseas territory, where politicization of ethnic questions and reproduction of unequal and colonial power relations intertwine. Basing itself on three months of field work, the analysis highlights the attempts in creating alliances across ethno-racial lines, between environmentalist groups – mostly white and from the French “metropole” –, indigenous and maroon groups. The article explains how these attempts were complicated by the reproduction of systems of power within the movement, and by the lack of politicization of such questions from anti-extractive groups. Furthermore, the opposition movement to the gold mine “Montagne d'or” gives us a glimpse of the deep divide between the creole elite – attached to the “development” of the Guianese territory through mining operations and industrialization –, and indigenous activist groups, standing up for an alternative vision, resolutely anti-extractive and based on the valorization of their indigeneity.
  • Études

    • La crítica de la colonialidad del poder en cuestión: Dilemas, obstáculos epistemológicos y horizontes problemáticos - Sergio Pignuoli Ocampo p. 155-172 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article évalue théoriquement les concepts fondamentaux de la critique de la colonialité du pouvoir. À cette fin, l'architecture théorique de ce programme de recherche est reconstruite et son élaboration diagnostique et alternative programmatique, sa proposition épistémique/épistémologique d'une connaissance non eurocentrique et sa catégorie centrale de “colonialité du pouvoir” sont examinées. L'hypothèse suggère que cette théorie critique présente un ensemble de problèmes comme des dilemmes programmatiques dans son diagnostic et alternative, des obstacles épistémologiques dans sa proposition d'une connaissance non eurocentrique et des horizons problématiques dans son unité d'analyse. Pour la reconstruction et l'analyse, la perspective systématique des programmes de recherche est prise en compte.
      This current contribution proposes a theoretical evaluation of the Critical Theory of Coloniality of Power. Once the theoretical architecture of this research program is reconstructed, analytical focus places on its diagnostic elaboration and programmatic alternative, its epistemic/epistemological proposal of a non-Eurocentric knowledge and its central category of “coloniality of power”. A main hypothesis is suggested, this critical theory presents a set of problems as programmatic dilemmas in its diagnosis and alternative, epistemological obstacles in its proposal of a non-Eurocentric knowledge and problematic horizons in its unit of analysis. For reconstruction and analysis, the systematic perspective of research programmes is assumed.
    • Genèse et réappropriation du « développement alternatif » (à la coca) en Bolivie et au Pérou. La fabrique « par le bas » d'un concept onusien - Marie-Esther Lacuisse p. 173-192 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article revient sur la genèse, en Bolivie et au Pérou, du « développement alternatif », concept promu par les Nations unies comme nouvelle stratégie pour lutter contre les drogues au moyen du renforcement de l'aide au développement dans les pays producteurs de plantes servant à la fabrication des drogues illicites. Il rend compte, dans ce cadre, de la fabrique d'un concept international « par le bas » et d'un processus de réappropriation « par le haut » qui renouvellent l'approche top-down de la production de la politique internationale de lutte contre les drogues et la théorie sur la circulation des normes. Ce texte montre que le développement alternatif a émergé dans les territoires de la coca en termes de politique sociale pour contrer les effets indésirables d'une politique de lutte prohibitive contre les drogues sous l'impulsion d'acteurs du Sud ; puis sa transformation controversée en instrument de réduction de l'offre, sous l'influence des États-Unis et de leur « guerre contre les drogues ».
      This article explores the origins of “Alternative Development” in Bolivia and Peru, a concept promoted by United Nations, in 1998, as a new strategy to fight illicit drugs through a reinforcement of rural development aid in supply countries. In this framework, this article examines the bottom-up dynamic of an international concept and a re-appropriation process at an international scale, as a renewal of the top-down view of the production of the international drug control policy as well as the theory of norms circulation. This text shows, firstly, that “Alternative development” is concept carried by actors from South and it has emerged in coca growing territories in terms of social policy for contesting and proposing an alternative to the prohibition perverse effects. Secondly, it shows the instrumental re-appropriation that ultimately turned the concept into a controversial tool in terms of supply reduction, under the influence of the United States and their “War on Drugs”.
  • Lectures