Contenu du sommaire : Le retournement des choses
Revue | Socio-anthropologie |
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Numéro | no 30, 2014 |
Titre du numéro | Le retournement des choses |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Le retournement des choses
- Introduction - Anne Monjaret p. 9-19
- Le grenier, espace de retournement des choses - Sofian Beldjerd, Stéphanie Tabois p. 21-31 Initialement dédié à la conservation des surplus agricoles périssables, le grenier s'est historiquement autonomisé de sa fonction liée à la seule subsistance pour devenir un espace de relégation et de conservation des biens domestiques. Loin de s'interrompre, l'existence de ces derniers s'y poursuit sur un rythme plus lent, qui ne s'accompagne pas moins de transformations majeures. Consacré aux retournements des choses à l'œuvre dans les greniers, l'article rend compte de différentes formes de recomposition des propriétés et statuts des objets stockés, en scrutant particulièrement quatre processus typiques qui favorisent le renforcement ou l'affaiblissement du droit de cité domestique de ces biens : l'intégration d'un ordre, l'ensauvagement, le déphasage temporel et la destruction déléguée.Originally dedicated to the conservation of perishable agricultural surplus, the attic has gradually lost this function only related to subsistance to become a space where domestic goods are put away and stored. The existence of these goods, far from coming to an end, continues in a slower pace, which nevertheless entails major transformations. This article is about the reversals that occur in the attics. It displays different kinds of reshaping that affect the status and the properties of the stored goods, closely scrutinizing four distinctive processes that strengthen or weaken the domestic relevance of these goods : integration of an order, rewilding, temporal disjunction and delegated destruction.
- Les souvenirs domestiques, un retournement affectif - Véronique Dassié p. 33-46 Les objets domestiques voient leur statut et leur valeur changer selon le regard porté sur eux. Véronique Dassié explore dans cet article les conditions du retournement d'objets a priori anodins et dont le devenir se pose néanmoins de façon cruciale à l'occasion d'un grand tri ménager ou d'un déménagement. Derrière les enjeux affectifs revendiqués se dissimulent des enjeux socio-biographiques que les objets rendent sensibles.The value and the status of domestic objects can change when people look at them differently. In this paper, Véronique Dassié explores the conditions of the reversal concerning harmless objects which could be thrown away during a clearout or when moving house. The objects allow us to see the hidden emotional displays and socio-bibliographic rules.
- Objets bureaucratisés, objets domestiqués ? - Anne Monjaret, Valérie Guillard p. 47-63 Anne Monjaret et Valérie Guillard traitent du passage des objets entre le domicile et le travail, à partir d'une enquête qualitative menée auprès de vingt citadins. Elles montrent que le statut des objets peut changer ou non, selon le lieu où ils échoient, que cette arrivée soit permanente ou temporaire. Certains sont bureaucratisés – objets « du domicile », ils deviennent objets « du bureau » – quand d'autres, à l'inverse, sont domestiqués faisant le chemin contraire. Parfois, ils conservent leur statut. In fine, l'étude de ces mouvements confirme l'existence d'une séparation entre domicile et travail, séparation à deux dimensions. Par assimilation : les objets ne sont plus d'ici et se fondent dans leur nouveau contexte devenant des objets de là-bas. Par conservation : les objets d'ici ne seront jamais des objets de là-bas. Ces résultats permettent de saisir le rôle de la culture matérielle dans la séparation spatiale entre le domicile et le travail.Anne Monjaret and Valérie Guillard deal with the transition of objects between the home and the work, from a qualitative survey of 20 urban people. They show that the status of objects may or may not change depending on where they arrive whatever the permanent or temporary arrival. Some objects are “bureaucratized”: coming from home, they become objects of the office. Conversely, some objects are “domesticated” doing the opposite way. Sometimes they retain their status. Ultimately, the study of these movements confirm the separation between home and work. This separation has two dimensions. Assimilation: the objects are no longer here and blend into their new environment, becoming objects from there. Conservation: the objects “from here” will never become objects “from there”. These results allow to understand the role of material culture in the spatial separation between home and work.
- « Ils se foutaient tous de ma gueule » ou l'objet bricolé comme mise en scène de soi - Véronique Moulinié p. 65-82 Depuis les années 1980, sous l'effet de la crise économique, les sciences humaines, l'ethnologie notamment, n'ont cessé de s'intéresser à l'usine et à ses employés. Elles ont, entre autres, souligné l'importance du bricolage dans le monde ouvrier, proposant des lectures diverses et complémentaires qui n'en épuisent pas le sens. C'est ce que montre Véronique Moulinié, en s'appuyant sur le portrait de quatre bricoleurs un peu différents des autres : loin d'être de grands magiciens des objets, ils semblent se contenter de transposer dans certains de leurs « bidouillages » les gestes et les normes de l'usine. Le grand retournement qui s'opère entre leurs mains expertes n'est pas celui auquel on s'attend : il concerne moins les choses que les bricoleurs eux-mêmes.Since the 1980's, under the effect of the economic crisis, the social sciences, notably anthropology, have not ceased to be interested in factories and their workers. They have, amongst other things, shown the importance of DIY (do-it-yourself) in the working world, delibering diverse and complementary papers without exhausting the subject. This is what Véronique Moulinié shows, supported by the story of four handymen who are a little different from the others: far from being mechanical geniuses, they seem to limit their efforts to the routines and rules of their factory. But their reinventions are not those you could expected: they concern less “things” than the handymen themselves.
- La carte à jouer, support d'écriture au XVIIIe siècle - Claire Bustarret p. 83-98 Plusieurs corpus de brouillons du XVIIIe siècle, tels ceux de Jean-Jacques Rousseau et de Georges-Louis Lesage, révèlent un usage particulier des cartes à jouer, employées comme support d'écriture. Claire Bustarret examine les motivations et les modalités pratiques d'un tel « détournement » – qui du point de vue matériel s'avère plutôt un « retournement ». Le philosophe et le savant empruntent-ils cette façon de faire à d'autres praticiens de l'écrit ? Les occurrences de cartes à jouer utilisées pour écrire recouvrent en fait toutes sortes de pratiques courantes, dont la mieux connue est celle des fichiers de bibliothèque. La carte à jouer retournée préfigurerait donc la fiche, type de support voué à une carrière remarquable dans la gestion de l–information écrite jusqu'à l'avènement de l'écriture électronique.Among several corpora of XVIIIth century drafts, those by Jean-Jacques Rousseau and Georges-Louis Lesage show a peculiar use of playing cards as writing support. Claire Bustarret studies the motives and practical modalities of such a diverted use — which consists, from a material viewpoint, in turning up the cards. Do the philosopher and the scientist borrow this façon de faire from other existing writing practices ? Using playing cards to write appears indeed as a rather common device, used for various purposes, among which library catalogues is the most well known. Hence the reversed playing card used for writing could be considered as a forerunner of the index-card, a kind of support bound to develop into a most important tool for information management up to the electronic turn of writing practices.
- La veste retournée - Manuel Charpy p. 99-118 Manuel Charpy saisit, à travers le marché de la fripe, les manières dont les vêtements sont retournés, convertis, transformés, à la fois sur le plan matériel et sur le plan social. L'observation des pratiques quotidiennes montre que le marché de la seconde main n'est pas le lieu des imitations, du déguisement et du travestissement mais un des lieux de la construction des identités vestimentaires, petites-bourgeoises et surtout populaires. Ces retournements de signes deviennent des formes de contestations sociales et politiques quand elles sont opérées par des groupes marginaux – étudiants, artistes, Apaches, colonisés… Naît ainsi dans le siècle qui invente la confection, une culture, notamment populaire, du vêtement où les signes sont détournés et retournés à des fins sociales et politiques.Manuel Charpy tries to understand, through the secondhand clothing market, how clothes were turned, converted, transformed, physically and socially. The observation of the everyday practices shows that the secondhand market was not the place of imitations, disguises and social dressing-up but one of the places of the construction of fashion identities, petit-bourgeois and over all popular. These reversale of social signs was also a way to contest the social and political orders when they were made by marginal groups — students, artists, Apaches, colonized peoples… Thus, the century which created the clothing industry created also a culture, especially popular, of clothing where the signs were twisted and returned for social and political ends.
- Anamorphoses souterraines. Objets exhumés des égouts - Agnès Jeanjean p. 119-131 Cadavres d'animaux, or, bijoux, préservatifs, rats, fœtus, les choses trouvées au fond des collecteurs d'égouts donnent lieu à de nombreux récits de la part des travailleurs de l'assainissement. Ce qui en est dit ou fait s'articule à des points de vue sur le travail, la ville, les gens, la société, le vivant, le mort, le mort-vivant, le sexe, la peur et le désir. Nous observons des processus narratifs qui induisent des inversions de valeur, des retournements de situation.Dead Animals, gold, jewels, condoms, rats, fishes, feotus, things found in sewers generating numerous narratives by sewer workers. This narratives reflect view on work, city, people, society, life, death, sex, fear and desire. We can observe processes that produce change of value, reversal, turn of events.
- Objets à front renversé. Archéo-anthropologie d'un dépotoir céramique - Thierry Bonnot p. 133-145 Cet article s'appuie sur une enquête de terrain de longue durée dans la région du Creusot et de Montceau-les-Mines, en Bourgogne, menée avec un collectionneur sur l'industrie céramique locale en activité aux XIXe et XXe siècles. Thierry Bonnot montre comment la découverte et la fouille d'un dépotoir industriel d'une entreprise fermée en 1957 vont bouleverser ses relations, son appréhension des objets et ses perspectives méthodologiques. Cette expérience souligne combien le cheminement social et symbolique des choses est indissociable des évolutions des hommes qui se les approprient.This article is based on a long-term fieldwork in the Creusot-Montceau area, in Burgundy, research conduct with a collector on local ceramic industry in 19 and 20th centuries. Thierry Bonnot shows how the discovery and excavation of an industrial garbage dump, behind a factory that closed in 1957, turned upside down his relationships, his vision of the objects and collection, his methodological approach. This experience demonstrates that social and symbolical evolution of things is entangled with evolutions of the persons.
- Ce qui reste, ce qui s'inscrit. Traces, vestiges, empreintes - Laurent Olivier p. 147-153 L'archéologie s'intéresse non pas au passé, mais aux vestiges matériels qui subsistent du passé. Elle intervient non pas seulement sur des monuments, ou des œuvres d'art, mais surtout sur des « choses », qui sont les débris de ce que nous produisons, consommons ou transformons. À ce titre, l'archéologie étudie ce qui subsiste, matériellement, du passé dans le présent. Plutôt qu'à l'histoire, prise dans son sens traditionnel – reconstituer le passé tel qu'il était à l'origine – l'archéologie est davantage confrontée à la mémoire : non pas exactement la mémoire des hommes, mais plus exactement les héritages de formes que transmettent les choses et qui constituent la mémoire des lieux et des objets.Archaeology is focused not on the Past, but on the material vestiges which remain from the Past. Archaeologists study not only monuments, or pieces of art, but rather “things”, which are the residues of what we produce, consume or transform. As such, the archaeological discipline studies what remains, materially, from the Past within the Present. Rather than with History, taken in its traditional meaning — to reconstitute the past such as it was originally — Archaeology is more confronted with Memory: not exactly the memory of the people, but more exactly the inheritances of forms which pass on things and which constitute the memory of places and objects.
- Le sacre du perroquet. Reliques et relectures au musée Flaubert et d'histoire de la médecine de Rouen - Julien Bondaz p. 155-169 Le musée Flaubert et d'histoire de la médecine de Rouen est à la fois une maison d'écrivain et une institution valorisant des collections médicales. Au sein de ce musée mixte, l'un des objets qui rencontrent le plus grand succès est lui-même un hybride conceptuel : il s'agit d'un perroquet empaillé exposé dans la chambre natale reconstituée de Gustave Flaubert, réputé avoir servi de source d'inspiration au grand romancier pour l'écriture d'Un Cœur simple. Cependant, la publication du livre de Julian Barnes, Flaubert's Parrot, en 1984 transforme le statut du perroquet empaillé et le mode de visite du musée. Les visiteurs ne cherchent plus seulement à découvrir « l'atmosphère » dans laquelle a grandi Flaubert, ils s'interrogent également sur l'authenticité du perroquet, qui vole ainsi la vedette à l'écrivain. Ce retournement des choses révèle ainsi les interférences entre la fiction littéraire et la visite muséale ou entre le paradigme du pèlerinage et celui de l'enquête dans la mise en exposition de Flaubert et de son perroquet.The Flaubert Museum and Museum of the History of Medicine in Rouen is both a writer's house and an institution promoting medical collections. Within this joint Museum, one of the objects that meet the greatest success is itself a conceptual hybrid: it's a stuffed parrot exposed in the Flaubert's native room, which is known to have served as a source of inspiration to the great novelist to write A simple heart. However, the publication of the book by Julian Barnes, Flaubert's Parrot, in 1984 transformed the status of the stuffed Parrot and the mode of visiting the Museum. The visitors don't only seek to discover the “atmosphere” in which grew Flaubert, they also question the authenticity of the Parrot, which thus steals the show from the writer. This reversal of things thus reveals the interference between literary fiction and the visit of the Museum, or between the paradigm of pilgrimage and of survey in the Flaubert's display and the exhibition of his parrot.
- La Forêt des choses. Substance mémorielle et correspondances sensibles des objets au musée - Florence Pizzorni Itié p. 171-181 En racontant trois expériences d'objets retournés, vécues comme conservateur au musée national des Arts et Traditions populaires (avant qu'il devienne le MuCEM), Florence Pizzorni Itié interroge la transmission et la représentation de la mémoire par les choses, objets expression de la culture matérielle. Elle croise les approches interdisciplinaires de Charles Baudelaire, Gilles Deleuze, José Luis Borges et Paul Ricœur pour suggérer que mémoire consubstantielle résurrectionniste et correspondances mémorielles participent à la narration du « temps humain » ainsi qu'à la construction et l'esthétique du lien social.Telling three experiments with “returned objects” lived as curator into the National Museum of Popular Arts and Traditions (MNATP in Paris before it became the MuCEM in Marseilles), Florence Pizzorni Itié questions transmission and representation of the memory by the way of things, an expression of material culture. The text crosses interdisciplinary approaches as Charles Baudelaire's, Gilles Deleuze's, José Luís Borges's and Paul Ricoeur's to suggest that memory consubstantial résurrectionniste and memorial correspondences participate in the narration of “human time” as well as the construction and aesthetic of social ties.
- De l'adieu aux choses au retour des ancêtres. La remise par la France des têtes māori à la Nouvelle-Zélande - Mélanie Roustan p. 183-198 Peut-on considérer des têtes tatouées momifiées māori datant du xviiie siècle comme des « choses » ? Comment, d'objets de musée, (re)deviennent-elles restes ancestraux ? Mélanie Roustan rend compte du parcours, physique et symbolique, des dites « têtes māori » (toi moko), remises à la Nouvelle-Zélande après avoir été conservées plusieurs siècles au sein des collections des musées de France. En prenant comme point d'ancrage la cérémonie de restitution qui s'est tenue le 23 janvier 2012 au musée du quai Branly, à Paris, et en retraçant la trajectoire française des toi moko, l'auteur s'essaie à une anthropologie par la culture matérielle de ce « retournement des choses », de la modification de leur statut légal à la ritualisation de leur départ, premier temps d'une réappropriation culturelle, sociale et politique. Le déplacement dans l'espace de ces têtes momifiées et tatouées est aussi un changement de paradigme : de la rhétorique patrimoniale universaliste (française) à l'affirmation des droits autochtones (internationaux). Mais leur prise en charge par le Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa interroge la portée de ce retour en tant que « retournement ».Can we consider māori mummified tattooed heads dating from the eighteenth century as “things”? How museum objects are transformed in ancestral remains? Mélanie Roustan follows the physical and symbolic trajectory of the “māori heads” (toi moko) given to New Zealand after being kept for several centuries in the collections of museums in France. Taking as anchor the restitution ceremony held January 23, 2012 at the Quai Branly Museum in Paris, and by tracing the trajectory of French toi moko, the author addresses this “reversal of things” from an anthropological point of view on material culture: the change in their legal status, the ritual of their departure, as a start to the first time a cultural, social and political takeover. The movement in space of these mummified tattooed heads is also a paradigm shift: from the universalist rhetoric of heritage to the affirmation of aboriginal rights. But the involvement of the Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa questions the scope of this return as “reversal”.
Entretien
- L'historien et les « choses banales » - Daniel Roche, Anne Monjaret p. 201-212
Texte classique
- Chapitre III : Données essentiels sur la Kula (III) - Bronislaw Malinowski p. 215-229
Image
- Déambuler, glaner, inventorier, classer, créer, présenter. Vers une dérive du sens - Marie-France Dubromel p. 223-230