Contenu du sommaire : Juger les fous ?

Revue Les cahiers de la justice Mir@bel
Numéro no 3, 2021/3
Titre du numéro Juger les fous ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Tribune

  • Dossier. Juger les fous ?

    • La folie criminelle entre responsabilité et irresponsabilité - Denis Salas p. 395-397 accès libre
    • La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l'expertise psychiatrique - Vincent Mahé p. 399-415 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pouvant paraître flou pour le non spécialiste de la pathologie mentale, le raisonnement médico-légal de l'expert-psychiatre devrait systématiquement reposer sur des éléments permettant d'évaluer la nature précise de l'interaction entre le niveau d'aliénation éventuelle d'un auteur d'infraction, et le rôle que la pathologie constatée a pu jouer dans la commission de cette infraction. C'est l'analyse de cette interaction spécifique qui permet de conclure à l'existence d'une abolition ou d'une altération du discernement. La question de la responsabilité pénale des auteurs d'infraction usagers de substances psycho-actives s'est invitée de façon de plus en plus insistante dans les débats expertaux. Cette question peut être découpée en quatre questions distinctes, dont trois médicales et l'une ouvrant sur débats juridiques et sociétaux, qu'il n'appartient pas à l'expert psychiatre de trancher. L'adjonction d'une question supplémentaire posée à l'expert psychiatre et interrogeant directement sur le rôle que l'auteur a joué dans l'émergence des symptômes psychiatriques modifiant le discernement et ayant conduit aux faits, pourrait permettre de progresser dans l'adaptation de la réponse pénale apportée à ces sujets.
      While potentially unclear to persons non-specialized in mental pathology, the forensic reasoning of a psychiatric expert witness should be consistently rooted in elements allowing an assessment of the specific nature of the interaction between the possible degree of mental illness of a perpetrator and the role that the observed pathology may have played in the commission of this offense. It is the analysis of this specific interaction that makes it possible to determine whether there is an absence or a deterioration of discernment. The question of the criminal liability of perpetrators using psychoactive substances has become increasingly pressing in expert debates. This question can be divided into four distinct issues, three of which are medical, and one of which involves legal and societal debates, which fall outside the purview of the psychiatric expert witness. The addition of a question posed to the psychiatric expert witness, directly inquiring into the author's role in the emergence of the psychiatric symptoms causing the alteration of discernment and leading to the events, could make it possible to make progress toward determining an appropriate adjustment of the penal response to these subjects.
    • Affaire Halimi. Un arrêt stupéfiant - Charlotte Dubois p. 417-430 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le 14 avril 2021, dans l'arrêt Halimi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation déclare irresponsable pénalement le toxicomane, pris d'une bouffée délirante, qui a défenestré sa victime, animé par des mobiles antisémites. L'arrêt vient trancher un débat ouvert de longue date en consacrant l'indifférence à la faute antérieure de l'agent pour apprécier l'abolition du discernement. Les motifs qui ont conduit à cette décision controversée ne se trouvent pas tant dans l'arrêt, mais dans la littérature abondante qui l'a accompagné.
      On April 14, 2021, in its ruling in the Halimi case, the Criminal Chamber of the Court of Cassation declared that a drug addict driven by anti-Semitic prejudices who threw his victim out of a window in a bouffée délirante (transient psychotic state) was not responsible for his actions. The judgment settled a long-standing debate, treating the agent's antecedent default with indifference in light of the abolition of discernment. The reasoning that led to this controversial decision is to be found not so much in the ruling itself, but in the abundance of literature that accompanied it.
    • Les leçons de l'affaire Halimi sur l'office du juge - Dominique Coujard p. 431-435 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quand l'opinion demande à la psychiatrie de se conformer à ses impératifs moraux, le malentendu paraît à son comble. Certes, on ne juge pas pénalement les fous mais qui décide in fine ? L'affaire Sarah Halimi met le doigt sur une question peu abordée : l'office du juge. Alors que l'expérience de la cour d'assises ne fait que confirmer la montée en force de l'exigence sécuritaire, il paraît évident que la question de la responsabilité ne saurait se réduire à une approche exclusivement médicale. Elle constitue l'office du juge, même si c'est à la loi d'en fixer les contours généraux.
      It would seem that there could be n° greater incomprehension than when public opinion demands that psychiatry bend to its moral imperatives. Certainly, we do not hold the mentally ill criminally responsible for their actions, but who is it that really decides? The Sarah Halimi case puts its finger on a little-discussed question: the role and function of judges. While the experience of the Assize Court only confirms the growing power of security-focused demands, it seems obvious that the determination of responsibility cannot be reduced to an exclusively medical approach. The law determines the general contours in such cases, but it is ultimately part of the role and responsibility of judges.
    • La responsabilisation des malades mentaux criminels - Caroline Protais p. 437-451 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les débats autour de l'affaire Kobili Traoré témoignent d'une tendance à responsabiliser des personnes présentant des troubles psychiatriques aigus sur plus d'un demi-siècle. Nous décrirons cette tendance de la part des experts psychiatres. Nous montrerons ensuite que le traitement qu'ils font de l'usage de « toxiques » inscrit dans une maladie mentale évolutive obéit à la même évolution. Dans le passé, l'évaluation de l'état psychiatrique au moment des faits primait et la consommation de drogue était bien souvent considérée comme inscrite dans le processus pathologique. De nos jours, les experts tendent à dissocier l'usage de la pathologie, pour soutenir la responsabilité du mis en examen malgré ses troubles.
      The debates around the Kobili Traoré case testify to a tendency to evaluate people with psychiatric disorders responsible by the law, over more than half a century. We will describe this trend from expert psychiatrists. We will show that their treatment of the use drugs in acute psychiatric desorders follows the same course. In the past, the evaluation of the psychiatric state during the crime was more important, and drug use was often considered part of the pathological process. Nowadays, experts separate the use of the pathology, to support the responsibility of the accused despite his mental disorders.
    • Les travaux de la mission ministérielle sur l'irresponsabilité pénale - Dominique Raimbourg p. 453-461 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Faut-il modifier l'article 122-1 du code pénal français édictant une irresponsabilité pénale pour les criminels malades psychiques. La mission de réflexion créée par le ministère de la Justice a répondu par la négative à cette question, craignant une excessive pénalisation de la « folie criminelle ». En revanche elle préconise des améliorations de procédure, notamment l'actualisation des expertises lors de l'audience devant statuer sur l'irresponsabilité pénale. Elle prône le renforcement des mesures de sûreté à la sortie de l'hospitalisation sous contrainte qui peut être ordonnée par la juridiction. Enfin elle appelle de ses vœux une profonde réforme de l'expertise psychiatrique.
      Should article 122-1 of the French penal code be amended to enact penal irresponsibility for mentally ill criminals? The working group created by the Ministry of Justice replied negatively to this question, fearing an excessive penalization of "criminal insanity". On the other hand, it did recommend certain procedural improvements, such as bringing expert assessments up to date during hearings called to rule on criminal irresponsibility. It also advocated for the strengthening of security measures upon discharge from any compulsory hospitalization that may be ordered by the court. Lastly, it called for a deep reform of the psychiatric expert assessment process.
    • Juger les fous ou quand le délire envahit le champ de la conscience - Jean-Philippe Pierron p. 463-467 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'expression « juger les fous », si elle est spectaculaire, est toutefois peu claire. Certes elle a le mérite immense de nous rappeler et de nous confronter aux principes fondateurs du droit moderne. Il n'y a pas de droit sans « responsabilité », ou du moins imputabilité. Le droit attend son répondant. Mais s'il y a une grandeur du libre arbitre, elle ne rend guère compte de la liberté en situation, de l'usage d'une liberté non seulement en situation mais par cette situation, laquelle lui donne corps, texte, contexte, l'inscrit dans un milieu. Loin de se confondre avec le libre arbitre, elle est une liberté incarnée avec tout ce qu'implique d'équivoques et d'ambiguïtés cette dimension incarnée. N'est-ce pas là que l'expression « juger les fous » ne contribue pas à éclairer les zones de flou, difficiles, où une liberté humaine tente de se débattre dans le contexte et les déterminations, voire les déterminismes qui font son histoire, au risque de la déterminer jusqu'à l'aliéner ? Ne faut-il pas lui opposer l'acte de juger comme tâche d'élucidation, instruit par les sciences explicatives, qui à chaque fois, rejoue la compréhension d'une responsabilité ou d'une irresponsabilité ?
      The expression "juger les fous" (to judge the insane) though dramatic, is nevertheless somewhat unclear. It certainly has the immense merit of reminding us of some of the foundational principles of modern law and bringing us face to face with them. There can be n° law without "responsibility," or at least accountability. The law attends to its respondent. But while free will may be subject to measure, it can hardly account for freedom in a given situation, or for the use of freedom not only in a given situation but through the situation, which gives it body, text, context, and puts it in a frame of reference. Far from being the same as free will, this is a personified freedom, with all the ambiguities and ambivalence this personified aspect implies. Is it not in that very sense that the expression "to judge the insane" sheds n° light on the vague, difficult areas where a human freedom struggles within the contexts and determinations - even the determinisms - that make up its story, at the risk of determining it out of existence? Should we not oppose to this the act of judgment as a task of elucidation, instructed by the explanatory sciences, which each time reenacts the comprehension of a responsibility or irresponsibility?
  • Chronique

    • Le non-respect des délais de jugement au tribunal criminel spécial du Cameroun - Prosper Nkou Mvondo p. 469-483 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le Tribunal criminel spécial a été mis en place dans le cadre d'une politique de lutte contre la criminalité économique en général et particulièrement contre les détournements des biens publics. Dans cette optique, le législateur camerounais a voulu que les affaires au Tribunal criminel soient jugées dans un délai maximum de six (6) mois. Seulement, l'ambition du législateur va se heurter aux exigences du modèle de justice accusatoire adopté par la procédure pénale camerounaise, dont le respect des principes conduit inéluctablement à des lenteurs judiciaires. Au-delà de cette difficulté, il faut encore prendre en compte les manœuvres des parties elles-mêmes lorsqu'elles veulent que le procès s'enlise. Finalement, rares sont les jugements du Tribunal criminel spécial rendus dans le respect du délai prescrit.
      The Special Criminal Court was established as part of a policy intended to fight economic crime in general, and specifically to fight the misappropriation of public assets. With this in mind, the Cameroonian legislator sought to ensure that cases brought before the Criminal Court would be judged within a maximum of six (6) months. But the legislator's ambition nevertheless came up against the requirements of the inter partes model of justice adopted in Cameroonian criminal proceedings, the principles of which inevitably lead to judicial delays. Beyond this difficulty, it is also necessary to take into account the maneuvers of the parties, who themselves may intend to impede the trial. Finally, only rarely are the judgments of the Special Criminal Court rendered within the prescribed time limit.
    • Biais cognitifs et comportement judiciaire - Mathias Adjaout-Ponsard p. 485-501 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Bien qu'omniprésente aux États-Unis depuis plusieurs décennies, et dans une moindre mesure en Europe, l'étude du comportement judiciaire sous le prisme des biais cognitifs demeure quasiment inexistante en France. Pourtant, une telle grille de lecture a permis d'observer la survenance systématique d'irrationalités dans la prise de décision judiciaire tout en fournissant des pistes permettant de lutter contre ces phénomènes. Dès lors, ce travail a pour vocation, en puisant dans une littérature internationale, de dresser un panorama des biais cognitifs gangrénant le processus décisionnel des juges à travers des études illustrant leur implication.
      Although prevalent in the United States for several decades, and to a lesser extent in Europe, the study of judicial behavior through the prism of cognitive biases remains almost non-existent in France. However, such an approach has made it possible to observe the systematic occurrence of irrationalities in judicial decision making while at the same time providing avenues for dealing with them. Consequently, the purpose of this work is to provide an overview of the cognitive biases influence on the decision-making process of judges through studies of international literature.
    • Quelle équipe autour du magistrat ? - Clément Clochet p. 503-516 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Malgré les ambitions affichées depuis trois décennies, l'équipe autour des magistrats reste aujourd'hui confuse et incertaine. À l'heure du recrutement annoncé de centaines de contractuels destinés à soutenir les magistrats et greffiers dans les juridictions, une réflexion approfondie sur les tâches et les perspectives de chacun s'impose, afin d'apporter des réponses pérennes aux enjeux humains et budgétaires auxquels l'institution judiciaire fait face.
      Despite ambitions expressed for three decades, even today the makeup of the teams accompanying judges and prosecutors remains confused and uncertain. At a time when the hiring of hundreds of contract workers intended to support judges, prosecutors, and clerks in the courts has been announced, an in-depth reflection on the duties and expectations for each of these workers is necessary so as to provide a lasting response to the human and budgetary challenges the judiciary now faces.
    • Que pensent les magistrats de la table de fixation de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant ? - Bruno Jeandidier, Isabelle Sayn p. 517-533 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Une enquête par questionnaires auprès des JAF, confortée par une enquête par entretien auprès de magistrats, permet de connaître ce que les magistrats pensent de la table de référence pour la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants (CEEE). Bien que le recours à la table soit fréquent, les magistrats demeurent critiques, opposant son utilité à la préservation de leur pouvoir d'appréciation. Leurs critiques et propositions d'amélioration témoignent de leur méconnaissance de la note explicative initialement associée à la table, celle-ci ayant été diffusée indépendamment de celle-là. L'usage de cet outil ne semble pas être justifié par l'existence de prétentions d'un montant inhabituel ni avoir de conséquence sur le respect par les magistrats du principe dispositif : ils sont peu nombreux à fixer une CEEE en dehors de la fourchette des propositions des parents, même lorsque ces sommes sont en deçà du montant préconisé par le barème.
      A questionnaire survey of judges in charge of family cases, supported by an interview survey of judges, provides an opportunity to find out what judges think about child support guidelines. Although the use of the guidelines is frequent, judges remain critical, opposing its usefulness to the preservation of their discretion. Their criticisms and suggestions for improvement testify to their lack of knowledge of the explanatory document initially associated with the guidelines, which was distributed independently of the guidelines. The use of guidelines does not seem to be related to the existence of claims of an unusual amount or to on the principle under which the parties delimit the scope of the case : few judges set child support outside the range of supply and demand, even when these amounts are below the amount recommended by the guidelines.
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