Contenu du sommaire : Gouverner et administrer les risques

Revue Histoire@Politique Mir@bel
Numéro no 36, septembre-décembre 2018
Titre du numéro Gouverner et administrer les risques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Gouverner et administrer les risques - Alain Chatriot accès libre
    • Entre contrôle social et assistance : la gestion du danger dans la pratique asilaire (seconde moitié du XIXe siècle) - Anatole Le Bras accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le mode de gestion de la folie issu de la loi de 1838, l'état de danger est une notion centrale, qui doit permettre d'identifier les aliénés dont l'internement est nécessaire. Pourtant, cette notion n'est jamais définie et les médecins aliénistes s'affirment incapables d'opérer un partage rigoureux entre dangereux et non dangereux. L'étude des dossiers de patients de plusieurs asiles de région parisienne et de Bretagne laisse apparaître la grande labilité du « danger » – mise au service d'une volonté d'assistance et de protection aussi bien que de défense sociale. L'évaluation du danger putatif représenté par l'aliéné est l'objet de négociations constantes entre les différentes parties prenantes de l'internement, révélant ainsi un mode de gouvernement du risque fondé sur la subsidiarité et la complémentarité entre famille, autorités locales et État.
      The notion of the “state of danger” is central to the manner in which the 1838 law on insanity allowed those who required incarceration to be identified. This notion was never defined, however, and psychiatrists claimed they were themselves unable to rigorously distinguish between dangerous and non-threatening cases. An examination of the files of several asylums in the Paris region and Brittany reveals the constantly changing nature of this “danger”, which was used as a tool to protect and assist the mentally ill as much as it was to defend society. Evaluating the supposed danger presented by the insane was an object of constant negotiation among the various parties to incarceration, thereby revealing a mode of risk governance based on the subsidiarity and complementarity between family, local authorities and the state.
    • La réinvention d'un risque : la lutte de l'administration contre le marché contraceptif (1900-1967) - Cyrille Jean accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Déçus d'une répression qu'ils jugeaient systématiquement trop faible entre 1900 et 1967, les opposants à la diffusion des techniques contraceptives en France ont cherché à inciter différentes administrations publiques à agir en s'efforçant de démontrer les risques que faisaient prétendument courir à la société le contrôle des naissances. Cet article analyse les mutations rhétoriques de ces risques à mesure que les peurs sociales ont évolué : principalement d'ordre moral au début du XXe siècle, les risques supposés de la contraception sont devenus majoritairement géopolitiques après la Première Guerre mondiale et enfin sanitaires à partir de 1960. L'article analyse par la même occasion le succès relatif de ces argumentaires auprès des différents ministères auxquels ils sont destinés.
      Disappointed with a repression they felt had systematically fallen short between 1900 and 1967, the opponents of contraceptive techniques in France sought to incite various public administrations to draw attention to the risks that birth control supposedly represented for society. This article examines the manner in which this risk-based rhetoric was transformed in step with evolving social fears : presented as mainly moral in nature in the early twentieth century, the supposed risks of contraception came to be largely recast in geopolitical terms following the First World War and, starting in 1960, as a health issue. At the same time, the article examines the degree to which these arguments succeeded in persuading the various ministries to which they were addressed.
    • L'indemnisation des accidents du travail à l'épreuve de l'invalidité de guerre en France (1915-1919) - Clément Collard accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 1915, l'afflux croissant d'hommes revenant blessés du front oblige les autorités françaises à réfléchir à l'avenir de ces invalides de guerre. La réintégration professionnelle devient rapidement une priorité. Elle se heurte toutefois à des obstacles. L'un d'eux concerne l'indemnisation des accidents du travail, définie par la loi de 1898, qui est une véritable reconnaissance du risque professionnel. Face à la prévention et la réparation de ce risque, les mutilés de guerre présentent une difficulté particulière ; ils sont immédiatement identifiés, par les juristes, les employeurs et les assureurs, comme un facteur aggravant de ce risque. Cela tient à leur plus grande vulnérabilité face à l'accident, mais aussi et surtout au fait qu'un accident les touchant augmenterait considérablement le coût de l'indemnisation. C'est pourquoi les compagnies d'assurances contre les accidents du travail réclament précocement l'application de surprimes lorsqu'un employeur souhaite embaucher des mutilés de guerre. Ce surcoût financier potentiel menace jusqu'à la réintégration professionnelle des invalides de guerre. Le 25 novembre 1916 est votée une loi qui permet à l'employeur concerné d'être exonéré des surcoûts engendrés par les blessures de guerre antérieures, en cas d'accident du travail impliquant un invalide de guerre. Cet article entend étudier les conditions d'élaboration, la mise en application et la portée de cette loi.
      In 1915, the growing influx of wounded men returning from the front forced the French authorities to consider the future of these disabled veterans. Their reintegration into the workforce rapidly became a priority but faced a number of obstacles. One concerned the issue of workers' compensation as it had been defined by law in 1898 in what was a genuine recognition of occupational risk. These efforts to prevent and compensate risk put those disabled in the war in a difficult position since they were immediately identified by lawyers, employers and insurers as an aggravating factor of risk due to their greater vulnerability to accident and, above all, the fact that any accident to which they fell victim would significantly increase the cost of compensation. This is why insurance companies handling workplace accidents early expressed a desire to apply an additional premium whenever an employer wished to hire a disabled veteran. Until then, the potential for this additional cost had jeopardized the chances for disabled veterans to rejoin the workforce. This is why, on November 25th, 1916, a law was adopted to exonerate employers of the additional costs caused by antecedent war wounds in the event of a workplace accident involving a disabled veteran. This article seeks to study the scope of this law as well as the conditions in which it was drawn up and applied.
    • Les nouveaux risques de « l'ère de l'opulence » : l'inadaptation et les politiques d'action sociale en France (1945-1969) - Giacomo Canepa accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'historiographie a considéré la notion du risque comme intrinsèquement liée au développement des systèmes d'assurance, alors que l'assistance constituerait uniquement une prise en charge ex post. Cet article analyse l'affirmation en France d'un discours visant à fonder le renouvellement des politiques d'aide sociale sur la notion de réadaptation entre les années 1940 et la fin des années 1960. Ces politiques de solidarité nationale, inspirées de modèles étrangers existants, visaient de plus en plus les causes psycho-sociales de l'inadaptation, point commun des multiples interventions concernant des catégories changeantes et très différentes : familles à problèmes, travailleurs migrants, habitants des bidonvilles, ex-délinquants, et plus généralement les populations aux revenus insuffisants. L'article montre comment l'action sociale – de plus en plus coordonnée et directement prise en charge par le ministère de la Santé et de la Population – entrelaçait un traitement individuel et un traitement social de l'inadaptation. D'une part, l'action sociale – de plus en plus coordonnée et directement prise en charge par l'État – s'efforçait de « réadapter » l'individu en intervenant sur les dimensions médicale, fonctionnelle, psychologique et professionnelle et en opérant un lien avec les politiques de main-d'œuvre et la notion de productivité. D'autre part, l'inadaptation sociale était de plus en plus caractérisée comme un risque qui mettant en danger l'intégration des groupes marginaux dans le système social et économique et se transmettant de génération en génération. L'article explique que le dépistage statistique des situations sociales à risque et le refus d'imputer aux inadaptés eux-mêmes les causes conduisaient à la mise en place de politiques d'action sociale globale agissant moins sur les bénéficiaires que sur les milieux de vie et leur participation à la vie publique. L'inadaptation se structurait ainsi en tant que référentiel d'une politique de gestion des populations et du « risque social » lié à la croissance économique, qui visait à corriger par des mesures assistantielles et le service social des conditions socioculturelles de vie censée être préjudiciables à la vie personnelle et sociale du citoyen.
      In the historiography, the notion of risk has been seen as intrinsically linked to the development of insurance systems. Social assistance policies, by contrast, have uniquely been considered as consisting of an ex post facto response. This article examines the rise in France between the 1940s and 1960s of a discourse seeking to revive social assistance policies on the basis of the notion of rehabilitation. Inspired by existing foreign models, these policies of national solidarity increasingly targeted the psycho-social causes of maladjustment, seen as a common denominator of the various forms of intervention affecting what were changing and very different categories of the population : at-risk families, migrant workers, the inhabitants of shanty-towns, former delinquents and more generally low-income groups. The article shows how increasingly coordinated social action, now directly overseen by the state Department of Health and Population, intertwined an individual and social approach to maladjustment. On the one hand, social action sought to “rehabilitate” the individual by intervening in the medical, functional, psychological and occupational domains and linking up with labor policy and the notion of economic productivity. On the other hand, social maladjustment was increasingly described as a form of inter-generational risk jeopardizing the integration of marginal groups within the social and economic system. The article explains how the use of statistics to identify at-risk social situations and the refusal to ascribe blame for their maladjustment to those concerned led to the establishment of policies of global social action that targeted less their beneficiaries than they did the latter's living environments and participation in public life. The notion of maladjustment thus became a reference point in a population-management and “social risk” policy linked to economic growth that sought to employ welfare and social services to correct what were seen as socio-cultural living conditions detrimental to the citizen's personal and social well-being.
    • Quand l'accident survient… Le sauvetage-secourisme du travail, un instrument de gestion des risques au travail ? (1947-1969) - Charles-Antoine Wanecq accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se consacre au développement du secourisme au sein des dispositifs de gestion des risques au travail de la fin des années 1940 au tournant des années 1970. Alors que la prévention donne lieu à une réflexion dense, portée notamment en France par l'Institut national de sécurité, l'enseignement des gestes de premiers secours, relativement marginal, demeure aux mains des associations de secourisme. La Sécurité sociale comme les employeurs ont pourtant un intérêt financier et humain à réduire les risques engendrés par l'accident lui-même. L'article cherche donc à analyser le rôle du monde associatif dans l'élaboration de l'État social à travers l'exemple peu connu du sauvetage-secourisme du travail.
      This article is devoted to the development of first aid as a part of workplace risk-management measures between the late 1940s and the early 1970s. While the issue of prevention was extensively studied – in France, particularly by the National Safety Institute – practical instruction, which was not particularly widespread, remained the responsibility of first aid associations. Yet Social Security and employers had a financial and human interest in reducing the risks associated with accidents. Drawing upon the little-known example of workplace rescue-first aid, the article thus seeks to examine the role played by the associative world in the development of the social state.
    • L'invention ouvrière d'une pratique de précaution ? L'expérience du Carnet d'exposition aux risques professionnels, 1975-1987 - Renaud Bécot accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La traçabilité des expositions des salariés aux substances toxiques est un enjeu central, aujourd'hui, pour accéder aux dispositifs permettant l'indemnisation des maladies professionnelles. Dans le contexte de la conflictualité sociale des « années 68 », cette question fut aussi au cœur de la réflexion de syndicalistes qui inventèrent un « Carnet d'exposition aux risques professionnels ». Ce carnet présentait toutefois une originalité. Propriété du travailleur pendant toute sa carrière, il était un outil individuel pour accéder aux droits à la réparation des maladies professionnelles. Instrument au service des mobilisations collectives, le carnet pouvait aussi servir à recenser des données utiles pour établir des enquêtes épidémiologiques et contribuer ainsi à la transformation des conditions de travail. L'invention de ce carnet nourrit donc une réflexion sur la régulation des risques, en incitant les salariés à devenir promoteurs d'une pratique de précaution face aux risques industriels.
      The traceability of employee exposure to toxic substances is today a central issue in determining eligibility for workers' compensation. With the social conflicts of the late 1960s, labor unionists began to take an interest in this question, devising a “Occupational Hazard Notebook” (Carnet d'exposition aux risques professionnels). Its novelty resided in the fact that it was the worker's personal property throughout his or her career. As such, it supplied an individual tool for accessing workers' compensation rights. As an instrument in the service of collective mobilization, the notebook could also serve as a useful source of data in the context of epidemiological studies, thereby contributing to the transformation of working conditions. The notebook's invention thus fueled discussions of risk regulation, encouraging employees to promote safety practices to reduce exposure to occupational hazards.
  • Varia

    • Histoire de l'enseignement de l'histoire au Japon : autour de la question des manuels scolaires - Nobuko Maeda accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours, l'enseignement de l'histoire fait au Japon l'objet d'une attention particulière de la part des responsables politiques. La volonté de construire un État-nation idéal a eu pour corollaire un contrôle direct de cet enseignement par le gouvernement, continuel, mais d'intensité variable selon les époques. Cet article propose d'analyser l'évolution de cette relation entre la politique et l'enseignement de l'histoire en abordant, en premier lieu, la question du contrôle des manuels scolaires, puis les luttes menées contre l'État par des historiens d'après-guerre désireux de voir transmis aux élèves un savoir historique établi et validé par la recherche scientifique. La question des manuels d'histoire est devenue à partir des années 1980 un problème commun de l'Asie orientale. Nous montrons en dernier lieu comment cette évolution, liée à celle des relations internationales, a favorisé la montée du mouvement » révisionniste » dans l'archipel nippon.
      Between the late nineteenth century and the present, history instruction in Japan has received particular attention from political figures. A corollary of the desire to construct the ideal nation state has been direct and continuous oversight of instruction by the government, the intensity of which has varied from one period to the next. This article examines the manner in which this relationship between politics and history instruction has evolved over time. It does so, first, by considering the issue of textbook oversight. It then considers the postwar struggles of historians to ensure that the state transmits well-founded historical knowledge backed up by scholarly research. Starting in the 1980s, the issue of history textbooks became a widespread problem in East Asia. The article concludes by showing how this development, which is linked to international relations, has favored the emergence of the “revisionist” movement on the Japanese archipelago.
    • « Le poing et la rose », un symbole devenu encombrant ? Retour sur la saga d'un logo (1970-2017) - Frédéric Cépède accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Adopté en 1971, le logo « le poing et la rose » marque l'entrée des socialistes français dans l'ère de la communication politique, enrichit leur univers symbolique d'une fleur et s'accompagne d'un geste – brandir une rose – que la victoire de Mitterrand en 1981 magnifie. Repris par de nombreux PS européens, il a été depuis délaissé, et subsiste comme trace de son impact à travers sa rose rouge encore très présente. Par deux fois depuis les années 2000, le PS a changé de logo, sans pour autant abandonner l'image du poing et de la rose : un choix dicté par la fidélité des socialistes à une histoire, ou par les agences de communication ? Observer le sort que les socialistes réservent à leur symbole peut éclairer leurs difficultés, d'hier à aujourd'hui, à montrer ce qu'ils sont et à tracer le chemin qu'ils veulent emprunter.
      Adopted in 1971, the fist and rose logo marked French Socialists' entry into the world of political marketing, added a flower to their symbolic universe and was accompanied by a gesture – the brandishing of a rose – that seemed magnified by Mitterrand's victory in 1981. Adopted by many European socialist parties, it has since been abandoned, its impact living on only in the still widespread use of the rose. The French Socialist Party has changed its logo twice since the year 2000 without for all that abandoning the image of the fist and the rose. Was this choice dictated by fidelity to their history or by marketing agencies? Examining the fate of this symbol allows one to shed light on the difficulties – past and present – confronting the Socialist Party as it attempts to show what it stands for and the path it wishes to take.