Contenu du sommaire : Politiques de gentrification

Revue Métropoles Mir@bel
Numéro no 31, 2022
Titre du numéro Politiques de gentrification
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Politiques de gentrification - Anne Clerval, Mathieu Van Criekingen accès libre avec résumé
      Quelles relations existe-t-il entre politiques publiques et processus de gentrification dans les villes contemporaines ? Plutôt qu'à l'analyse des effets de politiques ou de projets urbains sur le peuplement d'espaces populaires, ce dossier thématique s'attache à une analyse de la gentrification (qu'elle soit résidentielle, commerciale, touristique, productive, etc.) comme stratégie de politique urbaine. Les six textes qui le composent analysent plusieurs projets de reconversion d'anciens espaces industriels et ouvriers, des politiques de régulation d'un marché populaire, des projets de street art ou encore un projet d'équipement conjuguant pratique du culte et activités culturelles. Ces dispositifs d'action publique apparaissent comme autant de constructions sociales situées, singulières à plusieurs titres et non dénuées d'ambiguïtés, mais qui gagnent néanmoins à être pensées ensemble, dès lors que chacun participe à des stratégies locales de gentrification. En ce sens, ces textes confortent à nos yeux la pertinence analytique de la catégorie de « politique de gentrification », définie comme une configuration d'action publique qui entend répondre à des problèmes politiques associés à des espaces populaires par un répertoire de projets y créant de facto des conditions favorables au déploiement de processus de gentrification.
    • Action publique, gentrification et compromis sociaux de production urbaine : une comparaison de deux anciens quartiers industriels au Havre et à Leipzig - Antonin Girardin accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à interroger le lien entre stratégies politiques de transformation de deux anciens quartiers industriels – Saint-Nicolas au Havre (France) et Plagwitz à Leipzig (Allemagne) – et formes matérielles et sociales du processus de gentrification. Marquées par des modalités historiques très différentes d'intervention de la puissance publique et une dissemblance des acteurs impliqués dans les transformations urbaines, les deux villes ont mis en œuvre, depuis le début des années 2000, des projets de reconversion de leurs anciens quartiers industriels dont les stratégies semblent à première vue opposées : stratégie d'aménagement revanchiste planifiée par les pouvoirs publics en lien avec des promoteurs privés à Saint-Nicolas contre série de réaménagements plus opportunistes fondés sur une stratégie de mobilisation des populations locales selon des modalités politiques plus « social-démocrates » à Plagwitz. Pourtant, ces oppositions apparentes, dont les modalités sont interrogées ici, sont les deux faces d'une même pièce, car ces deux stratégies ont donné lieu à une intensification résidentielle et à la réappropriation de ces anciens espaces populaires par des populations aisées, qui aboutissent au même constat de transformations élitistes et inégalitaires des anciens quartiers industriels.
      This article aims to examine the link between political strategies for transforming two former industrial districts—Saint-Nicolas in Le Havre (France) and Plagwitz in Leipzig (Germany)—and the material and social forms of the gentrification process. Marked by different historical modalities of interventions by public authorities and a dissimilarity of actors involved in urban transformations, the two cities have implemented, since the beginning of the 2000s, reconversion projects of their former industrial districts leveraging strategies that seem at first opposed: a revanchist development strategy planned by public authorities in connection with private promoters in Saint-Nicolas, against a series of more opportunistic redevelopments based on a strategy to mobilise local populations following more ‘social-democratic' political modalities in Plagwitz. However, these apparent oppositions, which are questioned here, are two sides of the same coin because both strategies have led to residential intensification and the appropriation of former working-class spaces by well-to-do populations, which result in a common observation: the elitist and unequal transformation of former industrial districts.
    • La gentrification comme politique(s) : ambivalences et (in)capacités du renouvellement urbain par grand projet dans les agglomérations de Lille et Hambourg - Clément Barbier accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Issue d'une recherche de sociologie croisée retraçant leur genèse, cet article explique en quoi deux grands projets de renouvellement urbain dans les agglomérations de Lille et de Hambourg peuvent relever de politiques de gentrification, de manière à mettre à l'épreuve cette catégorie analytique. Si les projets de l'Union et de l'IBA Hamburg reposent sur le tri social et symbolique des entreprises et populations légitimes à occuper les territoires qu'ils ciblent, les coalitions d'acteurs qui se mobilisent pour faire de ces « quartiers à problèmes » les emblèmes de « l'attractivité métropolitaine » sont pourtant loin de mener une action cohérente, omnipotente et guidée par des intentions univoques. Les processus de relégation et de (dé)valorisation immobilière à l'œuvre au fil de la conception et de la mise en œuvre de ces grands projets urbains sont autant le fruit d'actions concertées de ces coalitions public-privé que le résultat de leur inaction et de leur impuissance (relative) à effectivement gouverner les flux de personnes et de capitaux. Dès lors, les (in)capacités des pouvoirs locaux à évincer les populations et activités économiques de ces territoires ou à en accroître la valeur marchande et symbolique dépendent de l'encastrement social et économique de ces politiques.
      Built on a cross-national sociological research that retraces the genesis of two large-scale urban renewal projects in the urban areas of Lille and Hamburg, this article shows to what extent they might be considered as gentrification policies and as a way to question this analytical category. Even if both—Union and IBA Hamburg—projects imply the social and symbolic triage of firms and populations that are legitimate to occupy the targeted neighbourhoods, the coalitions of actors who try to turn these “problem areas” into symbols of “metropolitan attractiveness” are far from acting in a coherent, omnipotent and unequivocal way. The processes of eviction and of real estate value-creation or -destruction throughout the design and implementation of these large-scale urban projects are the result of the action of these public-private coalitions as well as the consequence of their inaction and their (relative) incapacity to actually govern people and capital flows. Therefore, the (in)capacities of local governments to remove populations and businesses from these districts or to enhance the market and symbolic value of these spaces depends on the social and economic embeddedness of these policies.
    • La gentrification par projet : politiques publiques et revalorisation des quartiers péricentraux, le cas du Campus MIL à Montréal - Violaine Jolivet, Chloé Reiser accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse aux impacts des grands projets urbains développés dans des espaces péricentraux, traditionnellement ouvriers et immigrants, de la ville de Montréal. À travers l'exemple du projet du campus MIL qui s'inscrit dans une logique de revitalisation et de rayonnement de la métropole montréalaise à l'échelle internationale, l'objectif est de montrer comment le développement de ces nouveaux espaces verts et créatifs sur d'anciennes friches industrielles accélère la gentrification. L'argument est alors de qualifier la gentrification de « projet » mis en œuvre par des politiques et financements publics. L'article débute par une mise en contexte des espaces péricentraux en montrant comment d'espaces « entre » et désinvestis dans les années 1970-80, ces derniers deviennent de nouvelles centralités métropolitaines à Montréal. Par la suite, l'article examine le rôle des différents acteurs publics dans la mise en œuvre d'un projet de revitalisation urbaine et montre comment le projet urbain du MIL accélère la gentrification des quartiers péricentraux d'immigration comme Parc-Extension. Le rôle de l'université comme acteur public spécifique est interrogé dans cette étude de cas autour de l'implantation d'un nouveau campus. Enfin, l'article démontre comment les principes de l'urbanisme durable et de la ville créative participent à une forme de légitimation de la gentrification par les politiques publiques.
      This paper focuses on the impacts of major urban projects developed in traditionally working-class and immigrant inner suburbs of Montreal. Through the example of the MIL campus project, which is part of a revitalisation and international marketing plan, the objective is to show how the development of new green and creative spaces on former industrial brownfields accelerates gentrification. Our argument is that gentrification is seen as a “project” driven by public funding and policies. The paper begins by contextualising pericentral spaces, showing how they have shifted from ‘“in-between” and disinvested spaces in the 1970s and 80s to new metropolitan centralities in Montreal. The paper then examines the role of different public actors in the implementation of this urban revitalisation project and demonstrates how the MIL project accelerates the gentrification of pericentral immigrant neighborhoods such as Parc-Extension. Then, the role of the university as a public actor is questioned in this specific case study around the implementation of the new campus. Finally, the paper demonstrates how the principles of sustainable urbanism and the creative city, widely promoted by public actors, contribute to the legitimisation of gentrification by public policies.
    • Action publique et gentrification commerciale : la régénération contestée d'un marché municipal à Londres - Marie-Pierre Vincent accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le quartier londonien de Hackney fait face à une gentrification rapide dont la municipalité, bastion du parti travailliste, est considérée comme partie prenante par le tissu associatif local. Les critiques de celui-ci sont particulièrement acerbes dans le cas d'un marché de rue dans le centre de la municipalité – le marché de Ridley Road – et ont pour origine des mobilisations en faveur de la préservation du caractère local du marché et la lutte contre la gentrification commerciale et/ou résidentielle du quartier. Pourtant, dans ses discours, la municipalité va jusqu'à représenter ses actions comme faisant barrage à la gentrification commerciale. Un décalage apparaît alors entre le discours politique municipal et la perception des actions de la municipalité par les associations militantes locales. Si la municipalité a mis en place une série d'actions pour régénérer ces marchés locaux, cet article mettra en relief l'ambiguïté de son action. Les politiques municipales encourageraient indirectement le processus de gentrification. Entre autres, le déplacement des commerçant.es seraient accéléré par la régénération du marché à laquelle ils et elles ne seraient pas invité.es à prendre part.
      The London Borough of Hackney—a large Labour stronghold—faces a sweeping gentrification and is often accused of catalysing gentrification by community groups. Such criticism is characteristically harsh when it comes to a council-managed street market in the centre of the Borough: Ridley Road Market. It originates in campaigns that aim to save the local character of the market or to fight against commercial and/or residential gentrification. However, discursively, the council goes as far as depicting its actions as a resistance to commercial gentrification. This reveals a discrepancy between the council's political discourse and its actions as perceived by campaign activists. While the council has implemented a range of actions to regenerate the market, this paper questions the ambiguity of its actions when it comes to the gentrification process which threatens the market. The council's policies would indirectly foster the gentrification process. Among other things, the eviction of the tradespeople would be hastened by the regeneration of the market in which they are not invited to participate.
    • De l'art pour changer la rue ? Étude du rôle de la norme de gentrification dans la construction de projets de street art à Bruxelles et Marseille - Anton Olive-Alvarez accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Face à la multiplication récente des projets municipaux utilisant des fresques de street art, la littérature sur le sujet a développé l'idée d'une récupération de cet art par les politiques publiques dans une optique de gentrification. Le présent article entend déplacer la focale en proposant une analyse de la dimension gentrificatrice de ces politiques du street art non pas à travers leurs effets (réels ou fantasmés) mais en documentant leur constitution. Il se fonde sur la comparaison de deux projets de street art, respectivement dans des quartiers centraux de Bruxelles et de Marseille. Il apparaît à l'analyse que ces projets sont portés par des coalitions d'acteurs hétéroclites réunis malgré des intérêts divergents autour d'un discours commun faisant du street art un outil efficace pour redorer l'image des quartiers populaires et stimuler l'arrivée de nouvelles populations. Le partage de ce discours ne vaut toutefois pas adhésion unanime à une rationalité gentrificatrice. Il se développe surtout car il offre une plateforme de rencontre à différents acteurs (commerçant.es, artistes, élu.es…), chacun impliqué dans son espace propre et tous intéressés à la réalisation de ces projets. En détaillant les ressorts variés de cette souscription à une norme de valorisation urbaine par le street art, il est alors possible de comprendre la variété des résultats qui peut émerger de ces projets construits sur des bases pourtant relativement similaires.
      In recent years, city projects using street art murals have flourished all over Europe. For many scholars, these projects can be considered as an appropriation of a subversive subculture for gentrification purposes. The present article aims to discuss the perspective of street art policy as a means of gentrification by looking at the constitution of street art projects, rather than at their effects. In order to do so, two projects are investigated in central neighbourhoods in Brussels and Marseille respectively. The paper shows that street art policies are driven by very heterogeneous coalitions of actors (artists, storekeepers, city representatives…). These actors manage to unite despite their differences because they share a common language that presents street art as a tool to increase the attractiveness of working-class neighbourhoods for new categories of inhabitants. However, these various actors do not necessarily fully subscribe to that gentrification norm. Rather, they refer to it because it offers them retributions in the specific fields in which they are engaged. The analysis of the formation of each of these coalitions by replacing every actor in the logic of his own field helps to understand the variety of results that can emerge from projects that are similar in type.
    • Encadrer le religieux : une politique de gentrification ? Le cas de l'Institut des Cultures d'Islam de Paris - Víctor Albert-Blanco accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse le rapport entre la gouvernance du religieux et les politiques de gentrification. Il se focalise sur le cas de l'Institut des Cultures d'Islam, conçu par la municipalité parisienne dans les années 2000 et installé au cœur du quartier de la Goutte d'Or. Si cet équipement culturel/cultuel peut être appréhendé comme une nouvelle modalité de gestion de la pluralité religieuse (et de l'islam en particulier) mise en place par les autorités locales françaises, il est dans le même temps un symbole du renouvellement urbain du quartier mis en œuvre par les pouvoirs publics. Au travers de ce cas concret, l'article montre l'importance de la relation dialectique entre le religieux et l'urbain, aspect pour l'instant peu abordé dans la littérature sur la gentrification et les politiques qui la promeuvent.
      This article analyses the intersection of religious governance and gentrification policies. It focuses on the case of the Institute of Islamic Cultures, designed by the Paris city-council in the 2000s in the heart of the Goutte d´Or neighborhood. While this cultural / religious space can be read as a new variation of religious diversity management (of Islam in particular) implemented by French local authorities, it is also an instrument in line with the urban renewal of the district, as promoted by the public authorities. Through this concrete case, the article shows the importance of the dialectical relationship between religious and the urban spaces, which has so far been little addressed in the literature on gentrification and its policies.
  • Varia

    • Des jeunes de milieu populaire face à la gentrification à Pantin : une dialectique entre présent et avenir - Jeanne Demoulin, Claudette Lafaye accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête empirique et participative centrée sur la ville de Pantin, limitrophe du 19e arrondissement de Paris, cet article propose une réflexion sur la manière dont la jeunesse de milieu populaire fait face aux processus de gentrification. Comment les jeunes de ces milieux réagissent-ils à l'arrivée de populations plus aisées ? Selon quelles modalités leurs pratiques de la ville évoluent-elles avec les transformations de l'environnement urbain et social ? Parviennent-ils à s'approprier ces transformations dans leurs discours comme dans leurs pratiques et, si oui, de quelle manière ? Après avoir retracé les mutations de la ville de Pantin et les caractéristiques du processus de gentrification en cours, cet article documente et analyse l'ambivalence qui caractérise les discours et les pratiques des jeunes de classes populaires. Il montre que cette ambivalence est moins ancrée dans l'attachement au passé que dans l'incertitude que l'avenir leur réserve. Si par leurs pratiques les jeunes tirent certains bénéfices de la gentrification au moment de l'enquête, ils s'interrogent aussi sur la place qui peut être la leur dans cet espace à moyen et à long terme. Leurs discours sur la gentrification constituent alors un analyseur puissant de leur manière de se construire et de se projeter dans un espace urbain, et par extension, dans une société, qui les marginalisent.
      Based on an empirical and participatory research conducted in Pantin, east of Paris, this article offers an analysis of how young people from working-class backgrounds face gentrification processes. How does working-class youth react to the arrival of socially affluent populations? How do their practices of the city evolve with the transformations of the urban and social environment? Are they able to appropriate these transformations in their discourses as well as in their practices, and if so, in what way? After tracing the changes in the city of Pantin and the characteristics of the ongoing gentrification process, this article informs and analyses the ambivalence that characterises the discourses and practices of the working-class youth. It shows that this ambivalence is less rooted in attachment to the past than in the uncertainty that the future holds for them. While young people derive, through their practices, certain benefits from gentrification, they also wonder about their place in the city in the medium and long term. Their discourse is a powerful analysis of their self-construction process and how they project themselves into an urban space, and by extension into a society that marginalises them.
  • Débats, engagements, critiques

    • De la « contestation » de la métropole en France : interprétation à partir d'un regard décentré - Cynthia Ghorra-Gobin accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article discute la thématique de la « contestation » de la métropole, telle qu'elle est étudiée dans les articles du dossier de Métropoles no 28, à partir d'un regard décentré et ancré dans l'expérience métropolitaine de Lyon et de Minneapolis. La réflexion sur (1) le sens attribué à la métropolisation par les acteurs et les chercheurs, (2) les modalités de l'institutionnalisation de la métropole par l'État et (3) le répertoire de ses compétences est ici construite sur le mode du comparatisme. Elle reconnaît les spécificités de la scène métropolitaine en France propice aux mouvements sociaux métropolitains tels qu'ils ont pu être observés sans toutefois valider l'hypothèse de la pertinence de la métropole comme échelle de la mobilisation politique.
      This article discusses the theme of the "contestation" of the metropolis, as studied in the articles in the dossier of Metropolises #28, from a decentred perspective rooted in the metropolitan experience of Lyon and Minneapolis. The reflection on (1) the meaning attributed to metropolitanisation by actors and researchers, (2) the modalities of the institutionalisation of the metropolis by the State, and (3) the repertoire of its competences, is constructed here in a comparative perspective. It recognises the specificities of the metropolitan scene in France, conducive to metropolitan social movements as they have been observed without, however, validating the hypothesis of the relevance of the metropolis as a scale for political mobilisation.
  • Recensions