Contenu du sommaire : LGBTQ au travail
Revue | Travail, genres et société |
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Numéro | no 49, 2023 |
Titre du numéro | LGBTQ au travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Parcours
- Youmna Makhlouf, une avocate des libertés sexuelles au Liban - Youmna Makhlouf, Hadrien Clouet p. 5-21 Au cours de cet entretien conduit à Beyrouth, l'avocate et militante libanaise Youmna Makhlouf expose le combat qu'elle mène pour la dépénalisation des rapports sexuels entre adultes consentants, actuellement entravés par le Code pénal libanais qui proscrit les « rapports charnels contre-nature ». Largement utilisé contre les personnes lgbt, cet article est de plus en plus controversé et fait l'objet d'interprétations largement variables et contradictoires, d'une cour à l'autre. Ainsi, en même temps qu'elle détaille les ressorts de la répression anti- lgbt au Liban, Youmna Makhlouf délivre une étude sociologique du droit attentive aux normes des acteurs sociaux qui le formulent et au pouvoir discrétionnaire de certains agents. En outre, elle partage sa stratégie politique de subversion des prétoires, imposant à ses interlocuteur·rice·s de tomber le masque de la neutralité magistrate.During an interview conducted in Beirut, the Lebanese lawyer and activist Youmna Makhlouf presented her fight for the decriminalization of sexual relations between consenting adults, which are currently constrained by the Lebanese Penal Code which prohibits “unnatural carnal intercourse.” This article is widely used against lgbtq people, and has become increasingly controversial, as it is the subject of widely varying and contradictory interpretations from one court to another. Thus, while detailing the mechanisms of anti- lgbtq repression in Lebanon, Youmna Makhlouf offered an insightful sociological study of the law, taking into consideration the norms of the social actors who formulate it and the discretionary power of certain agents. In addition, she shared her subversive political strategy in the courtroom, which forces her interlocutors to drop the mask of judicial neutrality.
- Youmna Makhlouf, une avocate des libertés sexuelles au Liban - Youmna Makhlouf, Hadrien Clouet p. 5-21
Dossier : LGBTQ au travail. Entre discriminations et émancipations
- LGBTQ au travail. Entre discriminations et émancipations - Emmanuel Beaubatie, Sébastien Chauvin, Sophie Pochic p. 23-26
- Existe-t-il un « avantage lesbien » dans les professions dominées par les hommes ? Une analyse intersectionnelle - Tessa Wright, Marion Beaujard p. 27-44 On suggère parfois que les travailleuses lesbiennes bénéficieraient d'un « avantage » par rapport à leurs consœurs hétérosexuelles : elles auraient des salaires plus élevés, seraient perçues comme plus compétentes et seraient moins souvent la cible d'attentions sexuelles non désirées et de harcèlement sexuel. Cet article s'interroge sur l'existence d'un tel avantage en se basant sur des enquêtes qualitatives comparant l'expérience de femmes lesbiennes et hétérosexuelles employées dans trois secteurs à prédominance masculine au Royaume-Uni : les sapeurs-pompiers, la construction et les transports. Parmi les femmes ouvertement lesbiennes qui travaillent dans ces environnements de travail masculins, certaines parviennent effectivement à s'intégrer plus facilement aux cultures masculines et à éviter les interactions sexuelles non désirées. D'autres facteurs viennent toutefois compliquer l'expérience de ces femmes, notamment la génération, la classe sociale et la culture organisationnelle. En outre, ces avantages se limitent aux lesbiennes qui sont à l'aise avec les formes de comportement que l'on peut qualifier de « virilistes », ce qui n'est pas le cas de bon nombre d'entre elles. Ces résultats soulignent donc la nécessité d'adopter une approche intersectionnelle afin de mettre en évidence les relations entre genre, sexualité et classe sociale.It has been suggested that, compared to heterosexual women workers, lesbians may experience an “advantage” in terms of pay, perceptions of work competence and in avoiding the problems of unwanted sexual attention and harassment. This article examines evidence for such an advantage based on research comparing the experiences of lesbians and heterosexual women working in three male-dominated employment sectors in the uk : fire-fighting, construction and transport. While the findings indicate that some open lesbians in these masculine sectors are able to ‘fit in' with male cultures more readily and can avoid unwanted sexualised interactions, their experience is complicated by other factors such as generation, class and organisational culture. Such benefits may also only be available to lesbians who are comfortable with ‘masculine' forms of behaviour, which many were not. The findings point to the need for an intersectional approach to gender in male-dominated work that reveals the relationships between gender, sexuality and class.
- Un mec comme les autres ? Comment les hommes trans' rendent le genre visible au travail - Kristen Schilt, Hélène Windish p. 45-63 Cet article examine la reproduction des inégalités sexuées sur le lieu de travail par le biais d'entretiens approfondis avec des hommes trans'. Avant leur transition de genre, certains ont eu une première expérience professionnelle en tant que femme, ce qui leur donne un point de vue spécifique d'outsider within sur les avantages que les hommes en général tirent de la subordination des femmes. Ils découvrent que, en tant qu'hommes, ils reçoivent plus d'autorité, de récompenses et de respect sur le lieu de travail qu'en tant que femmes, même lorsqu'ils conservent le même emploi. Leurs expériences contribuent à éclairer la manière dont les désavantages structurels des femmes sont reproduits dans les interactions. Elles illustrent également comment le « dividende patriarcal » varie en fonction de caractéristiques telles que la race/l'ethnicité et l'apparence corporelle, car ces avantages sont moins nets pour les hommes trans' racisés et/ou de relativement petite taille.This article examines the reproduction of gendered workplace inequalities through in-depth interviews with trans men. Prior to their gender transition, some of them entered the workforce as women, which gives them a unique “outsider-within” perspective on the advantages men in general gain from the subordination of women. They find that they receive more authority, reward, and respect in the workplace than they did as women, even when remaining in the same job. Their experiences can make the underpinnings of gendered workplace disparities visible and help illuminate how structural disadvantages for women are reproduced in workplace interactions. This also illustrates how men's gender advantages at work—the patriarchal dividend—vary with characteristics such as race/ethnicity and body structure, as these advantages are less clear for trans men of color or short trans men.
- Militer de l'intérieur : les stratégies des réseaux professionnels LGBT - Lisa Buchter p. 65-81 En dépit de l'essor des politiques diversité en France depuis les années 2000, peu d'entreprises et d'administrations se sont saisies des questions de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Fondé sur une analyse textuelle et longitudinale d'archives complétée par des entretiens, l'article examine les stratégies de cinq réseaux internes portés par des « salarié·e·s militant·e·s », engagé·e·s de manière visible pour la cause lgbt sur leur lieu de travail. Ces réseaux internes de grandes entreprises ou d'administrations développent eux-mêmes des ressources et des services de prévention et de sensibilisation, et utilisent comme levier la réputation des employeurs à propos de leur engagement pour la diversité. Ces acteurs peuvent, à mesure qu'ils acquièrent une visibilité et une légitimité dans leur organisation, étendre le champ de leurs revendications et le périmètre de leurs actions, dénonçant de plus en plus vigoureusement l'inaction de leur employeur face aux discriminations à l'encontre des minorités sexuelles et de genre. Même s'ils proposent des actions modérées ou réformistes, ces réseaux participent à transformer de l'intérieur les politiques de ressources humaines.Despite the development of diversity policies in France since the 2000s, few companies and public administrations have taken up issues related to the fight against homophobia and transphobia. Based on a textual and longitudinal analysis of archives, supplemented by interviews, this article examines the strategies of five internal networks made up of “activist employees,” who are openly committed to the lgbtq cause in their workplaces. These networks within corporations or public administrations develop prevention and awareness resources and services, and use their employers' avowed commitment to diversity as leverage. As these actors gain visibility and legitimacy in their workplaces, they can extend the scope of their demands and actions, and denounce the inaction of their employers more and more vocally in the face of discrimination against sexual and gender minorities. Even if these networks propose moderate or reformist actions, they participate in transforming human resources policies from within.
- La diversité est-elle soluble dans la lutte des classes ? Les droits LGBT, un nouveau défi syndical - Estelle Fisson p. 83-101 Bien qu'ils ne soient pas dupes de la rhétorique managériale qu'elles embrassent, les syndicats tentent de se réapproprier les politiques de lutte contre les discriminations en entreprise à partir des années 2000. Le présent article interroge les raisons, modalités et obstacles de la prise en compte des discriminations faites aux personnes lgbt par les syndicats ouvriers en France et en Espagne. Il s'appuie sur une enquête ethnographique menée de 2019 à 2021 au sein de la cgt française et des cc.oo. espagnoles, et sur des archives syndicales et associatives. Ces organisations parviennent-elles à imposer une approche critique du capitalisme sur le terrain de la Gay Pride ou sur celui de la « diversité » au travail ? L'article montre qu'en se saisissant de ces enjeux, elles engendrent un syncrétisme de répertoires d'action et de revendications. La comparaison France/Espagne enseigne que les syndicats espagnols sont mieux intégrés à l'espace de la cause lgbt et que la lutte contre les discriminations y est moins chevillée à la lutte des classes.Although the unions are not fooled by managerial rhetoric, they are trying to reclaim the fight against discrimination by reintroducing a political dimension into it. This article examines the reasons, methods, and obstacles to trade unions considering discrimination against lgbtq people in France and Spain since the 2000s. It is based on an ethnographic survey conducted between 2019 and 2021 within the French cgt and the Spanish cc.oo., and on union and grassroots organization archives. Have trade unions managed to impose a critical approach to capitalism on the ground of Gay Pride or on that of workplace “diversity” ? The article finds that as they have taken up these issues, they have imbued them with their distinctive style, thus generating a syncretic repertoire of actions and demands. The France/Spain comparison shows that, historically, Spanish trade unions have been better integrated into the lgbtq cause and that the fight against discrimination is less tied to the class struggle there.
- Carrière queer et (dés)engagements professionnels : à la recherche d'une radicalité soutenable - Alice Caudron p. 103-120 En anglais le terme queer signifie « bizarre », « louche » mais aussi « pédé » ou « gouine ». Cette insulte est progressivement réappropriée par les personnes visées pour en faire un étendard politique, parfois traduit en France par « transpédégouines ». Cet article propose d'interroger les liens réciproques entre carrière queer (militante et sexuelle) et carrière professionnelle, en étudiant les personnes queers comme des personnes engagées dans des trajectoires sociales dont la soutenabilité n'est pas acquise a priori. L'enquête, fondée sur une soixantaine d'entretiens biographiques, fait émerger trois pôles entre lesquels les queers enquêté·e·s se répartissent, en fonction de leurs caractéristiques sociales : « une radicalité queer coûteuse », où la primauté donnée au mode de vie queer se réalise au détriment de l'emploi ; « faire carrière en queer », où la sphère professionnelle est envisagée comme un lieu de lutte nécessaire (santé, éducation et travail social) ; enfin « mettre à distance la communauté queer pour faire carrière », quand le mode de vie queer s'avère incompatible avec les normes du milieu professionnel.In English, the term queer means “weird” or “suspicious,” but also “fag” or “dyke.” This insult was gradually reclaimed by the people at whom it was aimed, and turned into a political banner – is sometimes translated in French as “transpédégouines.” This article examines the reciprocal links between sexual and activist queer careers and professional careers, by studying queer people as individuals whose social trajectories are not a priori sustainable. The data was collected through biographical interviews and reveals that the queers surveyed can be divided into three groups, according to their social characteristics : “costly queer radicalism,” when the queer way of life is prioritized to the detriment of employment ; “queering one's career,” when one's professional life is seen as a place of struggle to be invested and subverted (health, education, and social work) ; and lastly, “distancing from the queer community for one's career,” when the queer way of life proves incompatible with work environment norms.
Mutations
- Des hommes de qualité. Genre et (dé)qualification dans des formations « féminines » du supérieur - Alice Olivier p. 123-140 Comment le travail des hommes de professions « féminines » est-il qualifié, et quels éclairages cela apporte-t-il sur les liens entre genre et qualification ? L'article explore cette question à partir d'entretiens et d'observations menés en formations de sage-femme et d'assistant·e de service social, en se centrant sur la pratique professionnelle d'accompagnement. Pour accompagner les patientes et usager·e·s, les rares étudiants hommes doivent faire preuve de certaines dispositions dites « féminines ». Souvent supposées comme plus évidentes pour les femmes, ces dispositions sont construites et reconnues comme le résultat d'un travail pour eux, et sont à ce titre distinctives. Ces étudiants sont par ailleurs valorisés pour leur appartenance de sexe par de multiples biais, révélant une qualification de la « nature masculine ». Enfin, ces hommes sont perçus et, surtout, se perçoivent eux-mêmes comme dotés d'un professionnalisme marqué, qui qualifie fortement leur travail et déqualifie celui des femmes.How qualified is the work of men in “feminine” professions, and what insights does this bring into the links between gender and qualification ? This article explores this question through interviews and observations carried out in training courses for midwives and social workers, focusing on the professional practice of support. To support patients and users, the few male students must demonstrate certain so-called “feminine” dispositions. Such dispositions are often assumed to be more self-evident for women, and are constructed and recognized as the result of work for these men, and as such are distinctive. The male students are also valued for their gender through multiple biases, which reveals a “masculine nature” qualification. Lastly, these men are perceived and, above all, perceive themselves as endowed with marked professionalism, which strongly qualifies their work and disqualifies that of women.
- Des mères de famille au chevet des avortantes : une stigmatisation renouvelée dans les centres d'interruption volontaire de grossesse - Laurine Thizy p. 141-160 Cet article s'intéresse à la prise en charge des interruptions volontaires de grossesses telle qu'elle s'effectue dans des centres d'orthogénie de l'hôpital public. L'objectif est de montrer que le contrôle social des avortantes est tributaire du recrutement genré des équipes médicales et soignantes. Les professionnelles de l'orthogénie, presque exclusivement des femmes déjà mères, choisissent cette spécialité délaissée moins par militantisme que pour se rendre davantage disponibles pour leur vie familiale, renonçant de fait à une activité professionnelle plus valorisée. Une telle organisation du travail amène ainsi auprès des avortantes des professionnelles ayant une conception plutôt essentialiste de la maternité et des rapports de genre. La prise en charge proposée se fonde sur un travail émotionnel de care, d'autant plus nécessaire qu'il constitue la principale source de reconnaissance au travail, en l'absence d'une importante technicité. Ce travail de care, faiblement politisé, performe cependant des attentes genrées envers les usagères et contribue paradoxalement à renouveler la stigmatisation de l'avortement.This article focuses on the care for patients seeking abortions in public family planning centers. It aims to show that the social control of abortion seekers depends on the gendered recruitment of the medical and nursing staff. Family planning professionals are almost exclusively women and mothers who choose this neglected specialty less out of activism than to be more available for their family life, thus giving up a more prestigious occupation. Such a work organization puts professionals with a rather essentialist conception of gender relations and motherhood in contact with abortion seekers. The care offered is based on emotional work, which is all the more necessary as it constitutes the main source of the professionals' recognition at work, in the absence of significant technical skills. This weakly politicized form of care work nevertheless performs gendered expectations towards users and paradoxically contributes to renewing the stigmatization of abortion.
- Des hommes de qualité. Genre et (dé)qualification dans des formations « féminines » du supérieur - Alice Olivier p. 123-140
Controverse : Quelles pratiques féministes de la non-mixité ?
- Quelles pratiques féministes de la non-mixité ? - Fanny Gallot, Alban Jacquemart p. 161-164
- Non-mixités féministes et inclusion des personnes trans' : un clivage générationnel ? - Émeline Fourment p. 165-168
- Un groupe femmes non mixte en lycée : retour sur une expérience polémique - p. 169-172
- « À cause des garçons » : la non-mixité des Rosies dans le mouvement social - Youlie Yamamoto p. 173-176
- Organiser la grève féministe en Suisse. La mixité choisie comme levier d'émancipation - Tamara Knezevic, Vanessa Monney, Maria Pedrosa p. 177-181
- Handi-féminisme. La double non-mixité des Dévalideuses - p. 183-186
Critiques
- Nathalie Lapeyre, Jacqueline Laufer, Séverine Lemière, Sophie Pochic et Rachel Silvera (dir.), Le genre au travail : recherches féministes et luttes de femmes, Paris, Éditions Syllepse, 2020, 341 pages et Silvia Federici, Maud Simonet, Morgane Merteuil et Morgane Kuehni (dir.), Travail gratuit et grèves féministes, Genève-Paris, Éditions Entremonde, 2020, 108 pages - Estelle Fisson p. 187-193
- Audrey Benoit, Trouble dans la matière. Pour une épistémologie matérialiste du sexe : Paris, Éd. de la Sorbonne, Collection « Philosophies pratiques », 2019, 359 pages - Pauline Clochec p. 194-197
- Éliane Viennot, La Querelle des femmes ou « n'en parlons plus » : Paris, Éditions IXe, 2019, 122 pages - Catherine Deutsch p. 198-201
- Amélie Le Renard, Le privilège occidental. Travail, intimité et hiérarchies postcoloniales à Dubaï : Paris, Presses de Sciences Po, 2019, 266 pages - Nasima Moujoud p. 202-205
- Emmanuel Beaubatie, Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre : Paris, La Découverte, 2021, 192 pages - Christine Dourlens p. 206-208
Ouvrages reçus
- Ouvrages reçus - p. 209-210