Contenu du sommaire : Marges et marginalisations dans l'histoire de la psychologie

Cet article définit le spectre concerné par la science de l'âme en Allemagne du XVIe au XVIIIe siècle. Il montre que ce spectre ne se limite pas aux débats universitaires et que les débats et conflits confessionnels y jouent un rôle prédominant. La question « qu'est-ce que l'âme ? » renvoie de suite aux questions « quel est le statut de l'âme en tant qu'image divine ? » et « quels sont les liens entre l'âme et le corps ? ». Il n'y a donc pas de science de « l'âme pure ». Au fil du temps, l'identité de l'homme est toutefois de plus en plus qualifiée par l'âme, voire le cerveau humain. Mais les incertitudes sur le statut divin de l'âme et sur des phénomènes qualifiés plus tard de « parapsychologiques » (visions, spectres, etc.) ne disparaissent pas lorsque la « psychologie » en tant que discipline universitaire se forme autour de Christian Wolff, dans la première moitié du XVIIe siècle. Les « marges » de la psychologie naissent en même temps que la science elle-même, au point de lui sembler consubstantielle.

Au XVIIIe siècle, avant même que l'on mette systématiquement en œuvre le genre de pratiques d'observation et d'expérimentation supposées propres à la « psychologie scientifique », il existe un discours méthodologique et des débats sur la méthode qui fonctionnent comme mécanismes constitutifs de la discipline, façonnent une image de ce qu'elle doit être, définissent des idéaux épistémiques et suggèrent des démarches et des voies à suivre. Ces discours, qui se font jour spécialement en Allemagne à partir des années 1750, portent sur différentes questions, notamment sur la possibilité de créer une psychométrie, sur l'opportunité de réaliser des expérimentations psychologiques et, principalement, sur les méthodes elles-mêmes, leur utilité relative, leurs limites et leur apport au progrès de la psychologie empirique.

À la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, né de profonds bouleversements théorique et pratique, un nouveau regard se porte sur l'homme et sur ses maladies, qu'elles soient organiques, nerveuses ou mentales. En même temps que la révolution clinique et que la nouvelle vision de l'aliéné, Franz Anton Mesmer invente le « magnétisme animal » qu'il met en pratique en Autriche puis en France. En 1784, lors d'une magnétisation, Amand Marc Jacques de Chastenet, marquis de Puységur, met au jour de façon inattendue le « somnambulisme magnétique » que le docteur Braid nommera en 1843 « hypnose ». Dans cet état modifié de conscience et peut-être grâce à lui, des maladies sont guéries et des médecins, et non des moindres, s'intéressent à ce type de cure. Pourtant, le somnambulisme magnétique est condamné en 1837 par la médecine académique après que le magnétisme animal l'avait été en 1784. Je me demanderai à travers un cas, celui d'une petite fille âgée de 11ans, prénommée Estelle et soignée du 15 juillet 1836 au 30 juin 1837 par le Dr Antoine Despine dans l'établissement thermal d'Aix-les-Bains qu'il dirige, si cette mise à l'écart fut le signe de l'inefficacité de cette thérapie ou si elle fut liée à d'autres causes. Je proposerai des réponses après avoir cherché à comprendre la manière dont le somnambulisme magnétique était conçu dans ces premières décennies du XIXe siècle.

Le succès et la popularité du spiritualisme et de la parapsychologie ont conduit, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des scientifiques à s'occuper des phénomènes paranormaux afin de juger de leur réalité et de leur véracité conceptuelle. C'est le cas de l'Espagne où un fort mouvement spiritualiste et des associations et activités parapsychologiques ont existé. J'examine les réactions de deux médecins et psychologues positivistes (Mira et Estrany), d'un jésuite psychologue (Palmes) ainsi que celle d'un astronome célèbre (Comas). Bien que partageant tous les quatre une approche critique de la parapsychologie, ils adoptèrent des méthodes différentes et aboutirent à des résultats différents quant à leur évaluation du paranormal.

La « psychologie coloniale » est un objet non identifié de l'histoire des sciences sociales dans l'entre-deux-guerres. Cette science éphémère est paradoxale : une psychologie sans psychologue dont les tenants sont géographes, sociologues, administrateurs coloniaux et surtout romanciers. Elle accorde un crédit particulier à l'explication par le milieu et à la création littéraire. En effet, un régime de complémentarité original, entre le roman et la psychologie coloniale s'est instauré dans les années 1920-1930. Des savoirs et des méthodes semblables circulent entre culture savante et romans populaires, entre psychologie de terrain des amateurs et psychologie de cabinet des universitaires.

La psychologie des peuples du XIXe siècle, entrant dans les zones de positivité scientifique qui se constituent alors en psychologie comme dans les autres sciences humaines, est héritière des philosophies de l'esprit et de caractère collectif, historique, national. Confrontée à la question des relations entre l'individuel et le collectif en ses différentes formulations : hérédité de race, de race historique, de peuple, d'ethnie, de culture, de mentalité, caractère, personnalité, identité..., reflets des époques de savoir qu'elle traverse, et des préoccupations politiques et idéologiques du moment, elle ne va pas échapper aux idéologies racialiste et raciste d'une part, et d'autre part elle tentera d'élaborer des hypothèses heuristiques sur des modes de relation moins directs pour essayer de sortir des dangereuses fusions entre l'ordre du collectif et l'ordre de l'individuel, en s'appuyant sur les concepts et méthodes nouveaux qu'élaborent les disciplines de sciences humaines et sociales auxquelles elle se réfère. À ce double titre elle doit d'autant moins être ignorée que ces questions, sous des formulations nouvelles, sont encore actuellement traitées et quelquefois encore aujourd'hui les réponses proposées ne savent pas échapper aux dérives anciennes.

L'article vise à démontrer que la marginalité n?est paradoxalement pas un phénomène marginal : elle est au coeur de toutes les activités scientifiques. Cette hypothèse est vérifiée en référence à la psychanalyse, et dans ce cadre, au cas de Wilhelm Stekel. L'un des premiers disciples de Freud, Stekel fut aussi un des premiers à tomber en disgrâce auprès du maître. Il est chassé du mouvement psychanalytique en 1912. En dépit de ses tentatives il ne sera jamais réintégré. L'objectif de l'article n'est pas de fournir une biographie de Stekel mais de comprendre son oeuvre et son influence en tant que marginal.

Henri Ey incarna en France une figure de « rassembleur » au sein de la psychopathologie française. En s'appuyant sur les concepts de J. H. Jackson, il tenta de subsumer les maladies mentales sous une théorie de la conscience, notablement inspirée de la tradition philosophique spiritualiste, et de la méthode pathologique de Th. Ribot et P. Janet. Même si Ey ne s'est jamais revendiqué comme psychologue, il est tout à fait justifié de se questionner sur le peu de diffusion de sa doctrine « organo-dynamique » dans le champ de la psychologie. En parcourant un choix de textes théoriques jusqu'au livre La conscience (1963, collection « Initiation Psychologique », P.U.F.), nous essayerons de problématiser la marginalisation de l'« organo-dynamisme » à partir des années 1960, telle qu'elle se manifeste dans les fascicules rédigés par les collaborateurs de Ey au Traité de Psychiatrie de l'« Encyclopédie Médico-Chirurgicale ». Nous proposons alors de resituer l'« organo-dynamisme » dans les marges de la psychologie, où restèrent confinées, à plus long terme, les analyses d'inspiration phénoménologique, ou l'analyse existentielle de Binswanger, auxquelles Ey adhéra.

Cet article compare les trajectoires d'un objet, l'« intelligence animale », dans les contextes français et américain, au début du XXe siècle. En comparant les travaux de primatologie du zoologiste français Louis Boutan et du psychologue américain Robert Yerkes, il montre comment les études sur l'intelligence animale furent influencées par des facteurs intellectuels, institutionnels, sociaux et politiques. En France, Boutan, en s'intéressant aux liens entre langage et pensée abstraite, renforça la barrière du langage entre l'homme et l'animal et contribua à l'émergence de la psychologie de l'enfant. Aux États-Unis, l'application des théories évolutionnistes à l'étude de l'esprit animal conjuguée à la mise à l'épreuve du laboratoire des théories freudiennes conduisit à la mise en évidence d'une intelligence chez les singes. Enfin, cet article examine les implications sociales et politiques des études sur l'intelligence simienne. Aux États-Unis, de telles études s'inscrivirent dans une politique eugéniste visant au contrôle des recrues militaires et des immigrants à travers des tests d'intelligence, tandis qu'en France les études comparées sur des singes et des enfants reflétèrent un eugénisme républicain et lamarckien.

Tantôt écartée et réfutée, tantôt redécouverte comme précurseur des sciences cognitives et de la psychologie phénoménologique, l'école de Würzburg présente un cas exemplaire de la réception sélective des idées psychologiques en fonction de leur utilité pour les débats ultérieurs. Au centre de l'analyse se trouve la méthode de l'introspection sur laquelle se fondait le dispositif de recherche à Würzburg. Dans un premier temps, ce dispositif est présenté et la critique, formulée aussitôt par Wilhelm Wundt, est rapportée et discutée. Dans un deuxième temps, il sera montré que la controverse autour de l'introspection en cache une autre, souvent oubliée, concernant l'objet de la psychologie. Au lieu de supposer que les phénomènes psychiques fonctionnent à l'intérieur de la conscience, que ce soit d'une manière non consciente, réfléchie ou connaissable, Karl Bühler (1907, 1908) notamment, affirme que leur existence est à rechercher dans des relations que le sujet pensant entretient avec le monde, ou comme il le dit aussi, dans une pensée présente ou actuelle du monde.

Cet article s'appuie sur des entretiens avec des ouvriers qui travaillent chez un équipementier automobile. Il décrit la dégradation générale des conditions de travail dans l'usine et le bouleversement de la vie des salariés hors travail après l'instauration d'un nouveau régime temporel : travail posté à raison de trois, voire quatre équipes, travail le week-end et annualisation qui exige du salarié d'être toujours sur le pied de guerre pour reprendre le travail. Une fois ce régime instauré, la lutte syndicale s'est considérablement affaiblie. La fonte du carcan du temps, qui fait partie d'un processus global de liquéfaction des matrices, des codes et des règles, signifie la confiscation du temps, mais aussi la dissipation d'un savoir-faire accumulé dans les luttes du mouvement ouvrier durant plus d'un siècle où le temps fut un enjeu de pouvoir.

Si enseigner implique pour chaque professeur de donner un sens spécifique aux contenus scolaires, il est possible d'analyser le métier à partir d'une problématisation du rapport aux savoirs scolaires chez les enseignants. Le propos de cet article vise à poser les jalons d'une nouvelle approche sociologique du métier d'enseignant en s'attachant à analyser cette expérience particulière que vivent les professeurs stagiaires en formation à l'IUFM. Issus pour la plupart de l'Université et devant se socialiser à des pratiques pédagogiques qu'ils doivent partiellement inventer, étant à la fois professeurs et « apprenants », ces enseignants vivent un « passage » qui les oblige à élaborer et à travailler des contenus à enseigner, mais aussi à donner un sens spécifique aux savoirs scolaires. Si la finalisation des savoirs est une manière d'atténuer les résistances des élèves à l'égard des apprentissages, elle laisse apparaître des différences entre les professeurs tenant aux effets d'une histoire biographique — scolaire et sociale —, histoire qui subsume la vision de l'école et de ses missions. À terme, la problématique du rapport aux savoirs pourrait éclairer les choix et les pratiques pédagogiques des enseignants.