Contenu du sommaire : Musiques dans l'« Atlantique noir »
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 216, 2014 |
Titre du numéro | Musiques dans l'« Atlantique noir » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- « On the Waves of the Ocean » : Des musiques dans l'Atlantique noir - Alice Aterianus-Owanga, Pauline Guedj p. 865-887
- S'approprier l'altérité : Musique afro-caribéenne dans l'État de Quintana Roo, Mexique - Élisabeth Cunin p. 889-917 Hierba Santa, Chan Santa Roots, Korto Circuito, Roots and Wisdom, Escuadrón 16 : ce sont quelques-uns des nombreux groupes de musique afro-caribéenne de l'État du Quintana Roo, au sud-est du Mexique, à la frontière avec le Belize. Alors que la région est traditionnellement associée à une culture maya dominante ou au premier métissage au Mexique, j'étudierai l'apparition et la disparition de la musique afrocaribéenne, tout au long du XXe siècle, afin de mieux comprendre, dans une perspective décalée, les mécanismes socio-historiques d'inclusion, transformation et élimination de la différence. En m'intéressant à la scène musicale locale (musiciens, public, organisation, etc.), j'analyserai la signification d'une « musique noire sans Noirs » et ses conséquences sur la définition du métissage mexicain.Appropriating Otherness. Afro-Caribbean Music in the State of Quintana Roo, Mexico
Hierba Santa, Santa Chan Roots, Korto Circuito, Roots and Wisdom, 16 Squadron : these are some of the many groups of Afro-Caribbean music in the state of Quintana Roo, in the southeast of Mexico, on the border with Belize. While the region is traditionally associated with a dominant Maya culture or with the first mestizaje in Mexico, I will study the emergence and disappearance of Afro-Caribbean music throughout the 20th century in order to better understand socio-historical mechanisms of inclusion, transformation and elimination of otherness. Focusing the research on the local music scene (musicians, public, organization, etc.), I will analyze the meaning of a “black music without Blacks” and its consequences on the definition of Mexican mestizaje. - "Pick Your Afro Daddy" : Neo Soul and the Making of Diasporan Identities - Sarah Fila-Bakabadio p. 919-944 Au début des années 1990, est apparue la néo-soul, définie comme un style/genre « postsoul » dont les principaux artistes (Erykah Badu, Amel Larrieux, D'Angelo ou Jill Scott) rappelaient les slows langoureux de Marvin Gaye autant que le funk de Stevie Wonder. Alors que dans les années 1970, la soul servait à affirmer l'identité noire et à maximiser la différence ethnique (Gilroy 2000 : 252) dans le tumulte social et politique des États-Unis, la néo-soul incarne aujourd'hui l'effort des Africains-Américains de se connecter à un espace plus grand : un monde afro-descendant communément appelé la diaspora africaine. Cet article explore comment les sons, les rythmes et les paroles de la néo-soul reflètent une esthétique globale « afro » qui souligne une appartenance diasporique plus qu'une identité noire et africaine-américaine.In the early 1990s, neo soul appeared as a “post-soul” genre whose leading artists (Erykah Badu, Amel Larrieux, D'Angelo or Jill Scott), recalled Marvin Gaye's languid slows as much as Stevie Wonder's funk. While, in the 1970s, soul meant affirming blackness and maximizing ethnic difference (Gilroy 2000 : 252) in the tumultuous political and social context of the United Sates, neo soul today embodies African Americans' attempt to connect to a larger space : an Afro-descendant world usually named the African diaspora. This paper explores how neo soul sounds, rhythm and lyrics reflect a global “afro” musical aesthetic that stresses a diasporan belonging rather than a black and African American identity.
- « Gaboma », « Kainfri » et « Afropéen » : Circulation, création et transformation des catégories identitaires dans le hip-hop gabonais - Alice Aterianus-Owanga p. 945-974 Le Gabon est devenu depuis le début des années 1990 l'une des plate-formes de la création rap sur le continent africain ; ce genre musical y a donné lieu à diverses créations culturelles et revendications idéologiques, dans la continuité d'une plus longue histoire d'emprunts et d'appropriations musicales dans les villes africaines. Cet article examine les processus de création de catégories identitaires et d'agentivité s'associant à cette réception gabonaise du rap, en analysant la formation de trois catégories identitaires dans son creuset : celles de « gaboma », de « kainfri » et d'« afropéen ». Il démontre qu'elles reposent chacune sur des agencements particuliers de relation à des territoires, des histoires et des imaginaires raciaux germés dans la triangulation Europe-Afrique-Amériques, et il analyse comment leur interrelation et leur plasticité permettent aux sujets qui s'en emparent de circuler de l'une à l'autre au gré de leurs expériences et de leurs mobilités, en articulant leurs positionnements entre les échelles ethniques, nationales et transnationales.“Gaboma”, “Kainfri” and “Afropean”. Circulation, Creation and Transformation of Identity Categories in Gabonese Hip-Hop. Since the beginning of the 1990s, Gabon has become a platform of rap music creation in the African continent ; this musical genre has given rise to various cultural creations and ideological claims, continuing on a longer history of musical borrowings and appropriations in African cities. This article examines the construction of identity categories and agencies developing throughout the Gabonese reception of rap music, analyzing the formation of three identity categories happening in this crucible : the categories of “gaboma”, “kainfri” and “afropean”. It shows that the latters are based on special arrangements of relation to territories, histories and racial imaginaries built in the triangulation between Europe-Africa-Americas, and it analyzes how their relationship and their plasticity allow subjects to move from one to the other, according to their experiences and their mobility, and to articulate their positions among the ethnic, national and transnational scales.
- Moroccan Multiplicities : Performing Transnationalism and Alternative Nationalism in the Contemporary Urban Music Scene - Nadia Kiwan p. 975-997 Plus de vingt ans après la publication de l'ouvrage de Paul Gilroy (1993), L'Atlantique noir : modernité et double conscience, continue à fournir plusieurs points d'entrée utiles concernant le thème de la créativité musicale en général et la scène urbaine des musiques actuelles en particulier. Cet article examine les répertoires culturels et linguistiques des musiciens contemporains au Maroc et explore leurs positions performatives qui privilégient, à la fois, une identité transnationale et une « marocanité » ancrée dans le contexte national. Par le biais d'une discussion de la théorie de Gilroy, et d'une enquête de terrain menée au Maroc en 2007-2008, nous allons suggérer que, tandis que certains éléments du modèle de l'Atlantique noir sont extrêmement pertinents, la tendance de Gilroy de privilégier un cadre d'analyse post-national n'est pas une démarche intellectuelle dépourvue de problèmes dans le contexte musical marocain.Over twenty years after its publication in 1993, Paul Gilroy's book The Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness still provides a number of useful entry points for thinking about Moroccan musical creativity in general and Morocco's contemporary urban music scene in particular. This article examines the cultural and linguistic repertoires of urban musicians in contemporary Morocco and explores their performative stances which simultaneously emphasise a transnational identity and a “marocanité”. It shall be argued that whilst key features of Gilroy's Black Atlantic model are extremely salient, Gilroy's move towards a post-national framework of analysis is not a straightforward one within the Moroccan musical context.
- « Masonic Inborn » : Jazz, sociétés initiatiques et afrocentrisme - Raphaël Imbert p. 999-1026 Le saxophoniste Albert Ayler enregistre en 1969 « Masonic Inborn », une longue et intense improvisation à la cornemuse. C'est, à notre connaissance, le seul titre de l'histoire du jazz faisant ouvertement référence à la tradition maçonnique. Cette rareté ne doit pourtant pas occulter que le fait maçonnique demeure un sujet passionnant et méconnu de l'histoire du jazz. De très nombreux jazzmen d'avant-guerre ont appartenu activement à la maçonnerie noire américaine, dite de « Prince Hall », sans pour autant l'afficher dans leurs œuvres artistiques. Après la Seconde Guerre mondiale, la maçonnerie est délaissée par les musiciens au profit de mouvements jugés plus actifs politiquement. Paradoxalement, l'utilisation de symboles maçonniques — au même titre que toute une mythologie égyptienne, afro-centrique, orientale, contre-culturelle — s'affiche beaucoup plus ouvertement sur les pochettes de disques, affiches, tracts de cette époque. En étudiant des personnalités telles que Duke Ellington, Sun Ra, Cab Calloway, Ayler mais aussi Martin Delany, Lewis Hayden, Prince Hall, nous découvrirons comment les sociétés initiatiques afro-américaines, dont la franc-maçonnerie, ont finalement porté la gestation d'une symbolique afro-centrique primordiale. Fait essentiel, constitutif mais méconnu de l'Atlantique noir, cette symbolique s'affichera, par un phénomène d'extériorisation inédit, sur les scènes musicales américaines avant de devenir le paradigme intellectuel et politique que l'on sait.“Masonic Inborn” : Jazz, Initiation Societies and Afrocentrism
In 1969 the late saxophonist Albert Ayler recorded “Masonic Inborn”, a long and intense improvisation on the bagpipe. As far as we know, this tune is the only one in the history of jazz that clearly mentions the masonic tradition. This rarity should not hide the fact that the masonic occurrence is a fascinating but unknown subject of history of jazz. Many pre-war jazzmen actively belonged to the Black American masonry—called Prince Hall Masonry—but without displaying it in their artistic works. After WWII, masonry is neglected by musicians in favor of some others movements considered more politically active. Paradoxically, in the same time, the use of masonic symbols—just like Egyptian, afrocentric, Eastern, and counter cultural mythologies— appears more openly on album covers, posters and leaflets. While studying such personalities as Duke Ellington, Sun Ra, Cab Calloway, Ayler but also Martin Delany, Lewis Hayden, Prince Hall, this article will analyze how African-American initiation societies—including freemasonry—carried the gestation of a primordial afrocentric symbolism. Key, constitutive but disregarded fact of The Black Atlantic, this symbolism will appear first, by an unusual externalizing phenomenon, on American musical stages before becoming the intellectual and political paradigm we know. - Urban Bachata and Dominican Racial Identity in New York - Deborah Pacini Hernandez p. 1027-1054 La bachata est un style musical centré sur la guitare, caractérisé par ses paroles romantiques et ses chants aux fortes tonalités émotionnelles, qui s'est créé en République dominicaine dans les années 1970. Alors que les fans et les musiciens de bachata étaient initialement de descendance africaine, en raison de l'histoire de répudiation de l'origine africaine de la République dominicaine, la bachata fut considérée comme la musique des classes pauvres plutôt que comme une forme de musique noire. L'identification sociale de la bachata commença à se modifier dans les années 1980 et 1990, quand elle fut transplantée par les migrants dominicains dans la ville de New York où elle s'est débarrassée de son identité de classe pour devenir un puissant symbole sonore de la patrie dominicaine. Dans le même temps, les jeunes Dominicains de New York ont embrassé les musiques hip-hop et R&B qui dominaient le paysage musical urbain, et lorsqu'ils ont commencé à développer leur propre bachata, celle-ci a été influencée de manière notoire par les esthétiques R&B et hip-hop. Ce nouveau style a été distingué de ses antécédents sur l'île par le terme « urban bachata ».Cet article aborde la manière dont les esthétiques R&B et hip-hop de la bachata révèlent — ou éludent — des affinités raciales et/ou culturelles entre les Dominicains de New York et les Afro-Américains. Il interroge également l'influence qu'a exercé le désaveu de la question raciale dans l'histoire dominicaine sur le développement d'une plus large identité diasporique.Bachata is a guitar-centered style characterized by romantic lyrics and a highly emotional singing style that coalesced as a style in the Dominican Republic in the 1970s. Bachata's fans and practitioners were primarily of African descent, but due to the Dominican Republic's history of repudiating its African heritage, bachata was considered poor people's music rather than a form of black music. Bachata's social profile began to change when it was transplanted in New York City by Dominican immigrants in the 1980s and 1990s : in New York, bachata shed its low class identity as it became a powerful sonic symbol of the Dominican homeland. At the same time, young New York Dominicans also embraced the hip-hop and R&B dominating the city's musical landscape, so when they began producing their own bachata, it was notably inflected with R&B and hip-hop aesthetics. The new style was distinguished from its island-based antecedents with the term “urban bachata”. This essay addresses the extent to which urban bachata's R&B and hip-hop aesthetics reveal—or elide— racial and/or cultural affinities between New York Dominicans and African Americans. It also questions the degree to which Dominicans' history of racial disavowal has influenced the development of a broader diasporic identity.
- L'Hymne éthiopien universel (1918) : Un héritage national et musical, de l'Atlantique noir à l'Éthiopie contemporaine - Giulia Bonacci p. 1055-1082 L'Hymne éthiopien universel a été composé en 1918, et deux ans plus tard il devenait « l'hymne de la race nègre », représenté par l'UNIA de Marcus Garvey. Il était par la suite chanté par les membres de la Fédération mondiale éthiopienne (EWF) et par les rastafaris. Cet article contextualise les versions successives de l'Hymne éthiopien universel, et analyse le rôle social de ceux qui les produisent, ainsi que les significations qui lui sont attachées. La diversité des pratiques musicales à l'œuvre dans les interprétations de l'Hymne ne peut dissimuler les continuités fortes qu'elles illustrent. Ainsi, ces versions représentent un héritage simultanément musical et national, circulant entre l'Atlantique noir et l'Éthiopie contemporaine.The Universal Ethiopian Anthem (1918). A National and Musical Heritage, from the Black Atlantic to Contemporary Ethiopia. The Universal Ethiopian Anthem was composed in 1918, and two years later it became the “Anthem of the Negro Race” as represented by Marcus Garvey's UNIA. Later on, it was played by the members of the Ethiopian World Federation (EWF) and by the Rastafari. This paper contextualizes the successive versions of the Universal Ethiopian Anthem. It analyses the social roles of its producers, as well as the meanings given to the Anthem. The diversity of the musical practices of the Anthem cannot conceal the strong continuities it illustrates. These versions represent a musical and a national heritage that circulates between the Black Atlantic and contemporary Ethiopia.
- « Through the Cleansing Medium of Sound » : Black Arts, musique, danse et nationalisme culturel aux États-Unis - Pauline Guedj p. 1083-1113 À travers l'analyse de deux mouvements politiques issus du nationalisme culturel afro-américain, l'US et le mouvement akan, cet article étudie les relations entre pratiques du politique, réafricanisation, rituels, et pratiques musicales et dansées aux États-Unis. En s'ancrant dans des données d'archives et ethnographiques, il démontre comment les relations contrastées de ces deux mouvements à la musique et à la danse rendent compte de rapports particuliers à l'Afrique et à l'ancestralité africaine des fidèles. Si d'un côté, les membres de la US ont fait de l'art une approche complémentaire venant s'associer à une démarche proprement intellectuelle destinée à « réafricaniser » les Afro-Américains des États-Unis, le mouvement akan, un mouvement composé essentiellement de danseurs et de musiciens, a fait de la religion et de la spiritualité le cœur d'une identité africaine recouvrée et reconstruite sur le territoire américain. Ainsi, en cherchant à importer une religion africaine sur le territoire des États-Unis, ces derniers ont accordé à la spiritualité une dimension essentielle de leur terre-mère imaginée élaborant des dynamiques transnationales mobilisant religion, musique, danse et politique.“Through the Cleansing Medium of Sound”. Black Art, Music, Dance and Cultural Nationalism in the United States. Concentrated on the study of two African American political groups grounded in the ideology of cultural nationalism, the US Organization and the Akan movement, this article studies the relationships between politics, rituals, music, dance and re-Africanization in the United States. Focusing on archival as well as ethnographic data, it shows how these movements' relationships with music and dance can be studied as a testimony of the members' commitments towards Africa and their African ancestries. Whereas for the members of US, art, music and dance are considered as a set of practices that are complementing a precise intellectual approach of Re-africanization, practitioners of the Akan religion, a movement composed almost exclusively of dancers and musicians, have placed religion and spirituality at the heart of a recovered African identity that they attempt to recreate in the US. Therefore, by importing an African religion in the US territory, they have credited religion as a central component of an imagined Motherland reactivated through the transnational networks of religion, music, dance and politics.
- The Role of New and Social Media in Tanzanian Hip-Hop Production - Msia Kibona Clark p. 1115-1136 Les artistes de hip-hop tanzaniens recherchent des moyens d'utilisation des médias sociaux et des nouvelles technologies qui leur permettent à la fois de participer à des discours sociaux et de diffuser leur musique. Le recours accru à des alternatives aux médias traditionnels questionne le pouvoir qu'ont les nouvelles technologies et les médias sociaux de soutenir les artistes tentant de contourner les institutions et les barrières établies. De même, elle interroge l'importance des médias sociaux dans la création d'un espace où surviendraient des dialogues panafricains, au travers du hip-hop. L'un des premiers indices signalant que les médias sociaux allaient engranger des changements révolutionnaires dans la dissémination mondiale du hip-hop fut le lancement de Myspace en 2003. Avant 2010, un nombre croissant d'artistes hip-hop de Tanzanie avaient créé leurs pages Facebook, téléchargé des vidéos sur Youtube, et ouvert des comptes Twitter. Cette recherche examine les manières dont les artistes de hip-hop en Tanzanie utilisent les médias sociaux pour toucher leurs publics, l'efficacité de ces stratégies auprès du nombre croissant de Tanzaniens connectés au Net, et comment les médias sociaux aident les artistes à vaincre les obstacles qui pourraient s'opposer aux dialogues panafricains avec des artistes de l'Afrique et de la diaspora.Tanzanian hip-hop artists are finding ways to use social media and technology to both participate in social discourse and to disseminate their music. The increased reliance on alternatives to traditional media tests the power of new technology and social media to allow artists to successfully bypass established institutions and barriers. Likewise, it tests the importance of social media in creating a space for Pan African dialogues to occur, via hip-hop. One of the earliest clues that new and social media would signal revolutionary change in the dissemination of hip-hop worldwide was the launch of MySpace in 2003. By 2010 an increasing number of hip-hop artists from Tanzania had created fan pages on Facebook, uploaded videos on YouTube, and opened Twitter accounts. This research examines the ways in which hip-hop artists in Tanzania use this social media to engage audiences, the effectiveness of these strategies in the face of an increasing number of online Tanzanians, and how social media helps artists bridge barriers to Pan African dialogues with artists across Africa and the Diaspora.
- Analyses et comptes rendus - p. 1137-1166