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Revue | Langages |
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Numéro | no 191, mars 2013 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation : La concordance des temps, vers la fin d'une « règle » ? - Gabrielle Le Tallec-Lloret, Daniel Roulland p. 3-8
- Vers la fin d'une règle légendaire : concordance des temps et non-concordance modale en espagnol moderne - Gabrielle Le Tallec-Lloret p. 9-21 Pour tout hispaniste français la règle de la « concordance des temps » (CDT) est une règle d'or et fait partie de ces « normes » traditionnelles tyranniques, solidement ancrées dans l'enseignement de la syntaxe, alors que leur pertinence au regard de l'histoire de la langue ou de la réalité linguistique de l'espagnol n'a jamais été scientifiquement établie. Dans la tradition grammaticale et linguistique espagnole, l'étude de la CDT est un classement des effets de discours des temps verbaux, assimilant temps verbal et temps vécu, et adoptant une méthode clairement référentialiste. Une autre approche du phénomène est possible avec la nouvelle théorie des modes et des temps de Gilles Luquet, en particulier l'opposition entre un mode actualisant et un mode inactualisant, fondée sur l'observation du signifiant des formes verbales. Au sein du mode inactualisant, la langue espagnole ne contraint à aucun respect ou non-respect de la concordance des temps, mais elle autorise l'alternance en fonction du degré d'inactualité retenu.Towards the end of a legendary rule : sequence of tenses and breach of moods sequence in modern Spanish For most specialists of Spanish in France the “sequence of tenses” (SOT) rule is a golden rule, and belongs in the set of tyrannical traditional “norms” which are deeply rooted in the teaching of syntax, although their relevance in the historical field or in grammatical theory has never been scientifically established. In the Spanish grammatical and linguistic tradition, the study of SOT actually boils down to classifying discourse effects of verbal tenses, always explaining tenses in terms of time distinctions and it systematically applies referentialist methods. Another approach to that phenomenon is possible within the novel theory of moods and tenses by Gilles Luquet, in particular with his opposition between an actualizing mood and an inactualizing mood, based on the observation of the significant of the verbal forms. Within the inactualizing mood, the Spanish language does not constrain any sequence of tenses whatsoever, but it allows for alternating uses on the basis of the degree of inactuality optionally chosen.
- Comprendre la concordance des temps et son évolution comme un phénomène de déflexivité : d'une concordance, élément actif de la syntaxe (italien, français classique) à une concordance en cours de réduction (français d'aujourd'hui) - Louis Begioni, Alvaro Rocchetti p. 23-36 Cet article présente la concordance des temps dans les langues romanes – et plus particulièrement en français et en italien – comme un phénomène en constante évolution depuis le latin classique. Il la replace dans le cadre général de la déflexivité, concept emprunté à la psychomécanique du langage de Gustave Guillaume, pour montrer qu'il est ainsi possible de comprendre non seulement les divers types de fonctionnement mais aussi le passage d'un type à l'autre : une concordance des temps active en italien, en espagnol et en français classique, mais en cours de réduction dans le français d'aujourd'hui, une disparition pratiquement complète de la concordance dans la langue roumaine.Understand the sequence of tenses and its evolution as the phenomenon of deflexivity This paper presents the sequence of tenses as an evolving phenomenon from Classical Latin to Romance languages, especially French and Italian. It aims at defining it in the broader context of deflexivity (a concept borrowed from the psychomechanics of language of Gustave Guillaume). The study accounts for differences between languages, and it also explains how the tense sequence could shift from one pattern to another : the active tense agreement pattern in Italian, Spanish and Classical French, is gradually being reduced in present-day French, and has virtually disappeared from modern Romanian usage.
- Les discordances de la concordance - Anne-Rosine Delbart, Marc Wilmet p. 37-52 La « concordance des temps » est-elle autre chose en français qu'un souvenir de la grammaire latine ? Selon Brunot (1922), le chapitre entier se réduirait à une ligne : « Il n'y en a pas ». Or, les grammairiens du français langue maternelle ou du français langue étrangère lui consacrent toujours des développements parfois importants. Le but du présent article est de montrer qu'une série d'hypothèques pèsent sur les discussions, à savoir 1) le métalangage, 2) la conception des modes, 3) la temporalité du subjonctif, 4) le discours rapporté. Après avoir répertorié les combinaisons possibles, les auteurs concluent à l'absence de contraintes temporelles du verbe matriciel sur le verbe sous-phrastique, mais n'en relèvent pas moins deux circonstances où le premier impose au second un comportement différent de ce qu'il serait en phrase simple.Inconsequences of the sequence of rules Is the “sequence of tenses” in French anything but a mere reminescence of Latin grammar ? According to Brunot (1922), the whole chapter could be reduced to one sentence : “There is none”. Yet grammarians of French, whether native or non-native, keep devoting substantial developments to the issue. This paper seeks to show that the discussion has been hindered by several problems : 1) metalanguage, 2) conception of moods, 3) temporality of the subjunctive, 4) reported speech. After enumerating the different potential combinations, the authors conclude that there are no temporal constraints from the verb of the main clause acting upon the subordinate verb, but they nevertheless highlight two circumstances where the former verb entails in the latter a behaviour different from that which would appear in simple sentences.
- Le roumain : une langue « sans concordance des temps » ? - Romana Timoc-Bardy p. 53-66 Dans le domaine roman, le roumain apparaît comme la langue qui ignore certaines servitudes grammaticales dans l'emploi des temps, celles notamment que l'on regroupe traditionnellement sous le nom de « concordance des temps » : pas de « futur du passé », pas d'imparfait de concordance quasi obligatoire. Notre étude établit un lien entre cette caractéristique syntaxique et la structure même du système verbal roumain, fondé sur la nette séparation entre l'expression du « réel » et celle du « virtuel » et reflétant, dans le cadre du phénomène diachronique de la déflexivité syntaxique, un stade évolutif plus avancé que ceux atteints par les autres langues romanes.Romanian : a language without “sequence of tenses” ? Amongst Romance languages, Romanian is often described as ignoring grammatical servitude in tense usage, especially in the domain of the traditionally called “sequence of tenses” : no “future in the past”, no obligation to use an imperfect tense to express simultaneity. Our paper proposes to explain this syntactic feature of Romanian by the structure of its verbal system, which is based on a clear separation between how “real” and “virtual” are expressed, and reflects a more advanced stage of syntactic deflexivity than the verbal systems of the other Romance languages.
- Concordance temporelle et concordance modale dans l'énoncé breton - Didier Bottineau p. 67-80 Le verbe breton, connu pour la variation de ses conjugaisons au gré de son insertion dans les structures syntaxiques et les rapports interlocutifs, présente des faits de concordance des temps munis d'une double originalité. D'une part, le breton possède deux temps simples, le potentiel et l'irréel, utilisables dans les phrases simples comme dans les phrases complexes en indépendante et en subordonnée, avec des valeurs correspondant à celles du subjonctif et du conditionnel romans ; d'autre part, le temps/mode du verbe subordonné, bien que généralement régi par le sens du verbe de la principale, connaît un mécanisme de fluctuation modale lié à la présence de modalités complémentaires telles que la négation et l'impératif. Le présent article met en évidence l'existence en concurrence d'une concordance modale au présent et d'une concordance temporelle au passé, laquelle tend en breton actuel à s'enrichir à son tour de la concordance modale sous l'effet des possibilités offertes par le système temporel.Tense and mood sequence in the Breton sentence The Breton verb, whose conjugations are notoriously known for the way in which they vary according to the syntactic structures and interlocutive interplays in which they are inserted, displays remarkably original phenomena in the field of tense sequence. Firstly, the Breton verb has two simple tenses, the potential and the unreal, both of which can be used in simple sentences as well as in complex sentences, in the main and/or subordinate clauses, with uses analogous to those of romance subjunctives and conditionals ; secondly, the tense of the subordinate verb, which is usually determined by the meaning of the verb in the main clause, displays a whole range of fluctuations which are determined by the presence of other modal indicators such as negation and the imperative. In this study, it is shown that in classical Breton there is a competition between a modal sequence in present contexts and a temporal sequence in past contexts, with the latter acquiring the variations of modal sequence in present-day Breton on account of the possibilities offered by the tense system.
- La question de la concordance des temps en russe - Christine Bracquenier p. 81-94 Le russe ne connaît pas la « concordance des temps » qui oblige à modifier le temps du verbe subordonné en fonction de celui du verbe régissant. Le présent dans une subordonnée du discours indirect ou dans une complétive autre situe le procès en simultanéité par rapport au moment régissant quel que soit son temps, le futur exprime un procès postérieur et le prétérit, un procès antérieur. Or, l'emploi des formes aspecto-temporelles dans les phrases complexes n'est pas si simple. Le choix de l'aspect joue un rôle non négligeable, s'avérant discriminant pour le passé. Les complétives introduites par čto ‘que' doivent être distinguées des relatives sans antécédent dont le temps « s'accorde » avec celui du verbe régissant ; les complétives des verbes de perception fonctionnent comme des relatives ; celles des verbes de volition sont à un mode virtuel. Dans les phrases conditionnelles, les deux verbes sont soit à la même forme, soit chacun d'eux en accord avec le temps du monde réel. Ainsi, si le temps du verbe régissant n'a pas d'influence sur celui du verbe subordonné, d'une part sa sémantique, d'autre part la nature des relations syntaxiques entre la régissante et la subordonnée sélectionnent la forme du verbe subordonné, et je dirais qu'en russe il s'agit plutôt d'accordance que de concordance.Tense agreement does not exist in Russian as it does in French : the verb tense in the main clause does not influence the tense in the subordinate clause. This question is not quite as simple as it seems, however, and there are some cases where the verbal forms seem to be in competition with each other. Analysis of verb aspect highlights these differences. The noun clauses introduced by čto ‘that' need to be distinguished from the relative clauses in which the verb form is in accordance with the verb of the main clause. The same is true when the main verb is a verb of perception. When the main verb is a volition verb, the subordinate verb is in the virtual mood. In the conditional phrases either verbs are in the same form or else their tenses are chosen in agreement with the real time. In other words, although the tense of the main verb has no influence on the tense of the subordinate verb in Russian, the semantics of the verb and the nature of the syntactic relations between main and subordinate clauses nevertheless determine the form of the subordinate verb. It is a case of “accordance” rather than “concordance”.
- Concordance et discordance des temps en anglais - Daniel Roulland p. 95-109 Les règles de « backshift » en anglais sont particulièrement lâches et ce qui prévaut, derrière une apparente concordance, c'est davantage le repérage de niveaux énonciatifs. Nous montrons d'abord que, dans le cadre logique de Reichenbach (1947), le jeu contextuel des trois repères E, R et S pose de nombreux problèmes. Declerck propose une synthèse de type énonciativiste avec un ancrage absolu dans un « temporal zero-point » t0 qui est la seule référence temporelle, le présent incluant ce point (present time-sphere), le passé (past time-sphere) étant entièrement situé avant lui. Avec les seules relations de simultanéité, d'antériorité ou de postériorité par rapport à t0, Declerck n'explique pas comment ces relations peuvent fonctionner aussi dans le passé, privé de t0 par définition. Du fait de la déixis forte, le passé modal et le contrefactuel sont tenus pour des emplois « exceptionnels » et « métaphoriques ». Nous proposons donc de remettre en question le caractère référentiel de t0, avec un modèle interlocutif où les temps ne figurent pas comme des représentations, mais comme deux configurations opposées de l'acte de parole lui-même.Is there a sequence of tenses in English ? Backshifting rules in English are notoriously loose and what seems to lie behind the SOT relations is more closely related to various levels of enunciation than tense harmony. This paper shows first that in Reichenbach's logical framework (1947), the interplay of the three intervals E, R and S raises many questions. Declerck's enunciation-based synthesis brings in a temporal zero-point t0 which is the one and only reference point : the present time-sphere includes t0 and the past time-sphere lies “wholly before” it. Declerck keeps relations of simultaneity with, anteriority or posteriority to, t0 but gives no explanation as to how such relations can obtain in a past temporal domain which is by definition deprived of a zero-point. Owing to a strong deixis hypothesis, the modal or counterfactual past tense is simply labelled “exceptional” and “metaphoric”. We therefore intend to discuss the referential definition of t0 in terms of interlocutive relations. In this view tenses cannot be defined as relative to actual time spans but as two opposite configurations of the speech act itself.
- L'allemand langue discordante ? À propos de la concordance des temps en allemand moderne - Hervé Quintin p. 111-124 La question de la concordance des temps en allemand, traitée dans les grammaires – le cas échéant – sous les rubriques Consecutio temporum ou Tempuskongruenz, fait rarement l'objet d'analyses systématiques. Visiblement, elle ne constitue pas un axe majeur dans l'analyse de la temporalité, ce qui est interprétable comme une spécificité du discours grammatical allemand. Car il est clair qu'en allemand, diverses contraintes systémiques et contextuelles s'exercent sur le choix des formes temporelles. Ces contraintes ne sont certes pas ignorées des grammairiens ni des linguistes, ce qui implique le recours à d'autres principes explicatifs. Reste que ce relatif silence n'est pas immotivé, le fonctionnement du système verbal dans les énoncés complexes et les textes, tendant en allemand plutôt à la discordance qu'à la concordance. L'objectif sera donc ici d'abord de repérer les constellations susceptibles de concordance des temps, mais aussi celles où cette concordance, envisageable, ne joue pas – donc les facteurs de discordance. Mais il s'agira aussi de comprendre cette faible présence de la problématique ainsi désignée dans la littérature linguistique relative à l'allemand.German clashing language ? About the sequence of tenses in modern German The sequence of tenses in German is rarely dealt with in a systematic fashion, by occasion in the chapter Consecutio temporum, or sometimes Tempuskongruenz. Obviously it is by no means a major axis in the study of tenses, which could be interpreted as a specific feature of the German grammatical discourse. No doubt in German a number of constraints, both systemic and contextual, carry incidence over selections of temporal forms in complex structures. Those constraints are of course observed by grammarians or linguists, which implies that they resort to other types of explanation. But this relative silence may be motivated by some reasons, among which the general tendency to discordance rather than concordance when it comes to verbal systematic relations in complex sentences, or textual structures. The purpose of this study will therefore be first to pick out and list the “constellations” which we can interpret in terms of sequence of tenses, and then those where no concordance relation is to be found, and which can be defined in terms of discordance. But we will also have to account for the absence (or just about) of that question in the linguistics literature about the German language.