Contenu du sommaire : Le roman policier dans l'espace germanophone
Revue | Germanica |
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Numéro | no 58, 2016 |
Titre du numéro | Le roman policier dans l'espace germanophone |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - Aurélie Le Née, Elisabeth Kargl p. 7-9
Actualité du roman policier
Le roman policier sous le IIIe Reich
- Georg von der Vrings Die Spur im Hafen. Mord und Detektion im Dritten Reich - Elena Giovannini p. 43-51 En dépit du scepticisme des intellectuels et des dirigeants du parti national-socialiste, la littérature policière jouit d'une grande popularité au sein du Troisième Reich et, pour cette raison, le régime tente de la manipuler à des fins de propagande et d'endoctrinement politique. Le plus fort tirage dans ce genre littéraire est atteint par Die Spur im Hafen de Georg von der Vring, un roman policier dont l'intrigue se déroule au xix e siècle, et dans lequel le lien étroit entre écriture et enquête apparaît aussi bien dans les stratégies narratives adoptées par l'auteur que dans la façon dont le détective mène ses enquêtes. Barbara Korte et Sylvia Paletschek soutiennent que, du fait de son lien étroit avec l'ordre social, la littérature policière offre des informations sur l'époque à laquelle les œuvres sont écrites. Dans Die Spur im Hafen, la représentation des homicides et des techniques d'investigation présente justement des caractéristiques propres à l'époque et au genre littéraire du texte, lesquelles sont influencées par les normes sociales et artistiques du Troisième Reich, alors même que le roman ne présente pas d'éléments clairement rattachés à l'idéologie hitlérienne.In spite of the scepticism of intellectuals and Nazi Party leaders, the crime literature was extremely popular in the Third Reich, therefore the regime aimed to control it with propagandistic and popular pedagogical purposes. The highest number of copies was sold in the National Socialist Germany by Georg von der Vring's Die Spur im Hafen (1936), a crime novel set in the 19th century, in which the close relationship between writing and detection is shown by both the detective's working method and the narrative strategies adopted by the author. Barbara Korte and Sylvia Paletschek claim that crime novels reveal information about the historical moment they are written in, because these literary works are deeply linked to the ways societies are ordered. In von der Vring's text, the detection and murders representation is indeed influenced not only by the literary genre, but also by the German historical situation, so that Die Spur im Hafen mirrors social and artistic principles of the Third Reich, even though the novel doesn't have a clear National Socialist ideological connotation.
- Strogany et le IIIe Reich : la subversion d'un Krimi anodin - Vincent Platini p. 53-65 L'article considère un Kriminalroman en apparence anodin mais au destin particulier : publié sous le IIIe Reich, Strogany und die Vermißten (1941) d'Adam Kuckhoff et Peter Tarin a été largement oublié par l'histoire littéraire. Pourtant, ses auteurs ont appartenu à la résistance allemande et il n'est pas interdit de penser que ce roman relève de la littérature d'innere Emigration. Dès lors, l'effacement de ce Krimi peut être vu comme la conséquence d'une écriture qui ne pouvait se permettre un propos explicite. Afin de juger de la charge subversive de ce texte, nous en examinons les « impertinences » par rapport aux discours en vigueur sous le IIIe Reich et aux logiques internes à l'œuvre. Trois types de tactiques littéraires se dégagent de l'analyse : les oscillations du personnage, le déplacement du cadre spatio-temporel et les foisonnements textuels. Chacune de ces tactiques laisse une marge d'incertitude à la lecture et doit être actualisée par le regard critique du public.
The article deals with an apparently harmless crime novel that has nonetheless experienced a particular literary fate. Published under the Third Reich, Strogany und die Vermißten (1941) has been forgotten by the history of literature. Its two authors belonged yet to the German resistance and it can be supposed that the novel represents a kind of entertaining exilic literature. Thus, its discretness could be considered as a consequence of a style that wasn't allowed to be explicitly critical. In order to assess its subversive potential, the internal as well as the external “faux pas” (in comparison with the nazi discourse or with the inherent logic of the novel itself) are taken into consideration. The analysis makes appear three main literary tactics: the indeterminate characterization of the hero, the shift of the frame and the confusingness of the novel. Every tactic has a part of uncertainty, which allows a room for interpretation, and has to be realized by an acute audience.
- Georg von der Vrings Die Spur im Hafen. Mord und Detektion im Dritten Reich - Elena Giovannini p. 43-51
Le roman policier entre passé et présent
- Die Kriminalromane von Wolf Haas. Ein kritischer Dialog mit Tradition und Gegenwart - Valentina Serra p. 69-80 Plusieurs recherches sérieuses et méticuleuses ont souligné l'extrême nouveauté du processus de création littéraire de l'écrivain autrichien Wolf Haas (1960), en particulier à propos des romans policiers dont le protagoniste est le détective privé Simon Brenner, et de la brillante intuition d'un narrateur omniscient qui parle le dialecte local (Maier 2001) et qui nie toute distinction entre narrateur homodiégétique, hétérodiégétique et autodiégétique (Mußler 2015). Les romans de Brenner sont souvent interprétés comme une critique « régionale » (dans le sens de la littérature « anti-Heimat ») et en même temps « universelle » des problèmes du présent, avec un accent mis sur la xénophobie, le financement de la sécurité sociale, la corruption de l'Église. Dans cet article, on aborde le thème du jeu avec la tradition puisque le mécanisme du roman policier est souvent comparé à une compétition sportive entre le détective et le lecteur (Van Dine 1946). L'opposition manichéenne entre l'enquêteur et le délinquant joue un rôle particulier dans les romans de Wolf Haas et sa ressemblance avec les règles du jeu rappelle les œuvres de Friedrich Dürrenmatt, qui est connu pour avoir développé plusieurs métaphores du domaine du sport (du billard aux échecs). Sans prétendre à l'exhaustivité, nous mettrons ici l'accent d'une part sur certains éléments liés au thème du jeu, dans la direction du remaniement d'un thème « classique » et profondément enraciné dans ce genre littéraire, et d'autre part sur les contrastes flous entre le bien et le mal, l'(auto)-Justice et la culpabilité.Several serious and meticulous critical works emphasize the extremely new creative process of the Austrian novelist Wolf Haas (1960), who penned a series of successful crime novels. These are centered on the private detective Simon Brenner and include a brilliant, divinely omniscient and local-dialect-speaking narrator (Maier 2001), who denies any clear distinction between a homodiegetic, heterodiegetic and autodiegetic narrator (Mußler 2015). The Brenner novels are often interpreted as a particular “regional” (in the direction of anti-Heimatliterature) as well as “universal” view of present day problems, which focus on xenophobia, the financing of public health and the corruption of the Church.
Topic of this paper is the dicussion of the theme of the game in its relation with tradition, since the mechanism of the detective novel itself is traditionally compared to a sports competition between detective and reader (Van Dine 1946). The Manichean opposition between investigator and offender plays a special role in the literal works of Wolf Haas and its resemblance to the rules of gambling recalls the works of Friedrich Dürrendmatt, who famously developed several metaphors from the field of sport (from billiards to chess).
Without any claim to completeness, some elements connected to the act of playing a game are emphasized here in the direction of a rework of “classic” themes deeply rooted in this literary genre, such as the blurred contrasts between good and evil (self) justice and guilt. - Entre quête et enquête : passé et présent dans la trilogie « Selb » de Bernhard Schlink - Ingeborg Rabenstein-Michel p. 81-93 Bernhard Schlink, connu pour le succès international de son roman Der Vorleser (Le Liseur, 1995) avait commencé sa carrière d'écrivain en publiant des romans policiers dont la « trilogie Selb » qui représente une approche particulière du genre du « polar », quelle que soit sa définition. Car au-delà du schéma traditionnel de l'affaire criminelle à résoudre, ces trois policiers relèvent d'un univers fictionnel qui mêle le passé et le présent de son détective – et de l'Allemagne – dans un jeu de miroir troublant. Dans chaque volet de la trilogie, l'affaire initiale mène à des enquêtes secondaires susceptibles de devenir à leur tour la véritable « affaire » du roman. Et toutes convergent et culminent dans l'enquête-quête la plus importante, celle qui touche directement à la vie de Selb qui, magistrat à une époque critique de l'Histoire allemande, revenu – guéri ? – du nazisme après 1945, agit comme une sorte de justicier autoproclamé décidé à combattre « l'insalubrité » du monde par tous les moyens, y compris illégaux. En 1988, Schlink, juriste de formation, avait rappelé que l'un des objectifs de la reconstruction démocratique de l'Allemagne avait été d'empêcher la mise au pas que la justice avait connu sous le Troisième Reich. La réintégration, à partir de 1948, de nombreux anciens juges compromis (Selb évoque cela à plusieurs reprises) avait eu pour conséquence cette implication intergénérationnelle dans laquelle Schlink voit aujourd'hui encore l'impossibilité de faire table rase du passé : la culpabilité, écrit-il, persiste dans l'Histoire, et reste vivante dans le futur. Schlink a créé avec Selb un personnage qui lui permet d'exprimer de manière originale, et dans le cadre d'un genre inattendu, ses doutes sur le passé allemand, les derniers acteurs du nazisme, la transmission de l'Histoire, le fonctionnement de l'appareil judiciaire de l'Allemagne, et plus généralement sur son pays qui, selon lui, se fourvoie dans une culture commémorative plutôt que dans une vraie intégration de son passé.
Bernhard Schlink, best known for his novel's international success Der Vorleser,(The Reader, 1995), had begun his writing career by publishing detective novels, including “Selb trilogy” that represents a particular approach to the thriller genre, whatever its definition. Because beyond the traditional pattern of the criminal case to be solved, the three novels create a fictional universe that combines the past and present of its detective – and of Germany – in an unsettling mirror game.In each part of the trilogy, the original case leads to secondary investigations that may in turn become the true “case” of the novel. And all of them converge and culminate in the most important investigation/quest, the one that directly affects Selb's life. A magistrate at a critical time in German history, recovering – cured ? – from Nazism after 1945, Selb acts like a kind of self-proclaimed dispenser of justice ,determined to fight “the insalubrity”of the world by all means including illegal ,ones.In 1988, Schlink, a lawyer by training, had recalled that one of the objectives of the democratic reconstruction of Germany had been to prevent justice from being brought to heel as it had been the case under the ,Third Reich. The rehabilitation, starting in 1948, of many former corrupt judges (Selb mentions this several times) had led to the intergenerational involvement in which Schlink still sees the impossibility of sweeping away the past: guilt, he wrote, persists in History, and remains alive in the future With Selb, Schlink created a character who allows him to express, in an original way and unexpected genre, its doubts about German history, the last Nazi actors, the transmission of History, the functioning of the German judicial system, and more generally about his country that he considers being misled in a commemorative culture rather than in a real integration of its past.
- Die Kriminalromane von Wolf Haas. Ein kritischer Dialog mit Tradition und Gegenwart - Valentina Serra p. 69-80
Le polar juridique, historique et documentaire
- Im Zeichen des (geschichtlichen) Verbrechens. Zum Phänomen der deutschsprachigen Doku-Krimis - Wolfgang Brylla p. 97-109 Récemment, on peut observer un intérêt grandissant non seulement pour le roman policier historique, mais aussi pour une de ses variantes, à savoir le roman policier documentaire qui décrit des crimes réels. Les romans policiers documentaires s'appuient sur des sources vérifiables et sur des matériaux d'archives. Horst Bosetzky, un des représentants de ce sous-genre, a présenté dans ses romans (Der kalte Engel, Die Bestie vom Schlesischen Bahnhof, Wie ein Tier. Der S-Bahn-Mörder) trois authentiques meurtriers de l'époque de la République de Weimar, du Troisième Reich et de l'Allemagne d'après-guerre. Cependant, les récits de Bosetzky ne peuvent pas être considérés comme des romans policiers. Nous avons plutôt affaire à de nouvelles « causes célèbres » où l'historicité des crimes fusionne avec le caractère fictif du roman. Les meurtres ne sont pas élucidés par des enquêteurs littéraires, l'histoire les a déjà élucidés bien avant la lecture. En cela, les romans de Bosetzky s'approchent plutôt d'un recueil de « causes célèbres » inspiré de François Gayot de Pitival que d'un roman policier.Recently a growing interest of not so much of historical crime novel but of some its variant, namely historical true crime which describes real crimes, can be noticed. Historical true crimes are based on the verifiabled sources and archival materials. One of the representants of this type of literature is Horst Bosetzky, who in his novels Der kalte Engel, Die Bestie vom Schlesischen Bahnhof, and Wie ein Tier. Der S-Bahn-Mörder presented three genuine murders from the times of Weimar Republic, Nazi Germany, and post-war Germany. Bosetzky's texts can though not be called crime novels. One deals here rather with the so-called new Pitavals, in which the crimes' historicism mixes with the novels' fiction. The murders are not solved by the literary detectives, since murders have been, during reading, previously solved by the history. Therefore, Bosetzky's novels are closer to the literary criminal chronicle than to the crime novel.
- Krise in Serie. Der Fall der Weimarer Republik in den Kriminalromanen Volker Kutschers - Sandra Beck p. 111-120 La série des romans policiers historiques de Volker Kutscher se distingue d'autres textes représentant les années de 1929 à 1933 dans la mesure où l'auteur enclave chacun des romans dans un cadre d'interprétation global que les historiens ont caractérisé par l'idée de « crise ». En même temps, Kutscher poursuit le but de présenter ce temps de crise du point de vue de ses contemporains comme une situation tout à fait indécise. Par conséquent, il y a une tension considérable qui résulte du conflit de ce que nous savons de la chute de la République de Weimar et de la simulation d'une contre-plongée contemporaine. On s'aperçoit que ces textes ne cessent de se référer aux nœuds centraux de la macro-narration historique, mais qu'ils cherchent aussi à démontrer par le personnage principal, que les expériences de la dénormalisation suscitent l'espoir maintenu de la normalité, de la stabilité et de la continuité.
In comparison with others texts, for which the Weimar Republic provides the historical setting, Volker Kutscher's historical crime novels stand out, inasmuch as the single novels with their respective criminal cases add up to a series that falls into line with an overarching reading, historiography's narrative of ‘crisis' and decline. At the same time, Kutscher seeks to portray the past through the eyes of its contemporaries as an yet undecided situation. This design leads to a remarkable tension between the readers' knowing hindsight and the simulated lack of knowledge which the characters exhibit. On the one hand, it can be shown that the texts make sure that the historiographical meta-narrative is constantly kept in mind by referring to crucial historical milestones. On the other hand, they demonstrate how the protagonist's experiences of critical denormalisation are detoured into the unbroken hope for normality, stability, and continuity. - L'Allemagne dans la spirale du temps : PolyPlay, roman policier uchronique de Marcus Hammerschmitt - Hélène Yèche p. 121-131 Si le genre du polar a réussi depuis deux décennies au moins à gagner un public de plus en plus nombreux outre-Rhin sous l'impulsion de la vogue nordique qui a envahi l'Allemagne comme le reste de l'Europe, c'est à travers un mélange particulier de suspense psychologique teinté d'enjeux politico-historiques. Ainsi l'enquête du lieutenant Kramer dans PolyPlay – publié en 2002 chez Argument par Marcus Hammerschmitt – tient-elle tout autant du roman noir que de l'uchronie. L'intrigue s'ouvre sur un scénario plus que classique : le quotidien morose et glacé d'un policier enquêtant sur la mort violente d'un jeune garçon. Immanquablement flanqué de son acolyte Pasulke, Kramer est un solitaire au cœur pur, véritable figure pathétique de série B. Mais rapidement, un certain nombre d'indices confrontent le lecteur à une distorsion temporelle sans précédent, qui est aussi le postulat historique de départ de ce roman uchronique : la victoire politique de la RDA sur la RFA et la menace de l'accomplissement posthume du rêve de domination scientifique de l'Est sur l'Ouest. Alors que l'action se situe au matin du 3 avril 2000, « Vopos », FDJ et autres sigles renvoyant au passé révolu de la RDA émaillent le texte. L'enquête policière du lieutenant Kramer sur le meurtre se double de la propre enquête du lecteur désireux de percer le mystère de ce dérèglement de la chronologie, si bien qu'une double enquête se noue dans ce polar uchronique, témoin de l'omniprésence de l'histoire dans la mémoire collective de l'Allemagne unifiée. Roman à l'esprit résolument baroque, comme l'indique le motif du jeu qui est au cœur du schéma narratif, ce cyberthriller se révèle une efficace satire sociale tout autant qu'une réponse aux bouleversements et ruptures de l'automne 1989.
Crime fiction has become more and more popular in Germany over the past 20 years, due to the success of Scandinavian novels in Europe, achieving great suspense while addressing contemporary historical and political issues. With PolyPlay , published in 2002 by Argument Verlag, Marcus Hammerschmitt has written a detective novel as well as the story of an alternate world in which Federal Germany disappears and Germany is united under the banner of the communist GDR.It begins like a classic crime story. Oberleutnant Rüdiger Kramer is a pathetic investigator, who has to solve the murder of a young man slaughtered when playing an old computer game called Polyplay on a cold winter day. But very soon the detective plot is full of strange memories that remind us of another reality: Vopos, FDJ and other ex-GDR-words prove that we live in an alternate history, a fact that testifies to the importance of recent historical context in contemporary German fiction. Both the investigator and the reader are eager to pursue this major chronological disorder.PolyPlay turns out to be a Baroque novel based on the power of game. But this cyber-thriller offers an effective social satire about German history in response to the peaceful Revolution of 1989. - Crimes et Coupables de Ferdinand von Schirach ou les histoires extraordinaires de criminels ordinaires - Hélène Boursicaut p. 133-145 La contribution se propose d'étudier les raisons sociologiques, psychologiques et littéraires pouvant expliquer le succès mondial de Crimes (2009) et Coupables (2010), les deux recueils de l'avocat pénaliste et écrivain Ferdinand von Schirach. On s'intéressera tout d'abord à la question du genre auquel peuvent être rattachés ces deux ouvrages que Schirach, en référence à la tradition anglo-américaine, qualifie de « stories ». Ces histoires qui ne correspondent pas tout à fait aux schémas traditionnels de la littérature policière sont centrées sur d'étranges affaires criminelles que Schirach a traitées au cours de ses activités d'avocat avant d'en faire des récits littéraires. L'étude des personnages montrera ensuite que les héros qui, dans le cas présent, sont les criminels eux-mêmes proposent au lecteur un modèle d'identification il est vrai ambivalent. Car dans ces histoires qui nous entraînent dans les abysses de la nature humaine et sont censées prouver, telle est la thèse de l'auteur, que n'importe qui peut devenir un criminel, il en va finalement de la question philosophique de savoir si, au vu de la frontière floue entre la norme et l'écart par rapport à la norme, voire entre le Bien et le Mal, l'institution judiciaire est véritablement en mesure de distinguer l'innocence de la culpabilité.This paper aims to analyze the sociological, psychological and literary reasons for the worldwide success of Crime (2009) and Guilt (2010), the two collections of short stories written by the lawyer and writer Ferdinand von Schirach. The article first questions the genre to which they belong, Schirach describing the two books as « stories » in reference to the Anglo-American literary tradition. In these stories – which do not really fit into the usual schemes of crime fiction – the focus is on strange criminal cases drawing on Schirach's experience as an attorney. The study of the characters will then show that the heroes who are in the present case the criminals themselves provide the reader with role models, however ambivalent they may be. These stories plunge the reader into the abysses of human nature with a view to proving that anyone can become a criminal – which is the author's thesis – and thus the philosophical question is finally whether the judicial system is able to distinguish between innocence and guilt given the blurred boundaries separating norm and deviation from the norm, good and evil.
- Im Zeichen des (geschichtlichen) Verbrechens. Zum Phänomen der deutschsprachigen Doku-Krimis - Wolfgang Brylla p. 97-109
Détournement du genre et polar régional
- Affirmation oder Dekonstruktion von Provinz. Zwei Grundtypen des Provinzkrimis - Julie Bartosch p. 149-159 Le genre actuellement le plus productif et le plus réussi du roman policier allemand est sans doute le roman policier de la province. Ce genre n'est pas encore systématiquement étudié. Dans cet article, on se propose d'établir un nom générique valide et d'effectuer une approche systématique du genre. Cela conduit à mettre en évidence deux types fondamentaux. Le type 1 affirme l'image stéréotypée de la province, le type 2 la déconstruit. Le type 2 utilise deux stratégies complémentaires de la déconstruction. D'une part, les propriétés provinciales typiques sont reconfigurées et possèdent des connotations négatives sur le plan narratif, d'autre part elles sont remplacées par des éléments atypiques. Dans le type 1, la province est entièrement réalisée alors que, dans le type 2, elle l'est seulement partiellement, on peut parler d'une forme complète et d'une forme réduite de roman policier de la province.The currently most productive and most successful sub-genre of German crime fiction is undoubtedly the province crime novel. This genre is not systematically studied yet. In this paper a valid generic name is drawn up and made an approach to a systematization of the genre. This shows that the genre reveals two basic types. Type 1 affirmes the stereotypical image of the province, type 2 deconstructs it. Type 2 uses two complementary deconstruction strategies. On the one hand typical provincial properties are narratively configured but they have negative connotations, on the other hand typically provincial properties are replaced by anti-provincial ones. As in type 1 the image of province as a constitutive element of the genre is fully embodied, in type 2 but only partially, one can speak of a full form and a reduced form of the province thrillers.
- Vom Brennerpass bis Napoli. Heimat, Fremde, Interkulturalität in Kurt Lanthalers Tschonnie-Tschenett -Romanen - Jürgen Heizmann p. 161-174 Dans l'univers du roman policier germanophone, le régionalisme a le vent en poupe. Le polar régional est devenu un genre littéraire spécifique, avec son propre code, bien qu'une grande partie des livres publiés arborant cette étiquette se révèlent purs articles confectionnés ayant pour seul objectif le placement d'informations touristiques. C'est pourquoi l'auteur sud-tyrolien Kurt Lanthaler fait figure d'exception. Ses romans publiés entre 1993 et 2002 dans une série plus connue sous le nom de « série Tschonnie-Tschenett » ont remporté un franc succès et ont mis les lois du genre sens dessus dessous tout en les faisant évoluer. Cette évolution concerne le lieu de l'intrigue qui, au cours de la série, quitte le Tyrol du Sud pour s'évader à Berlin, en Albanie et dans l'Italie du Sud. Elle concerne aussi le glossaire complet inclus dans chaque roman, offrant aux lecteurs des informations aux caractères historiques, politiques et économiques qui enrichissent la fiction. Au fil de la série, ce glossaire se développe en un rhizome dans le sens de Gilles Deleuze et Felix Guattari. L'évolution du genre concerne aussi les enquêtes du détective, enquêtes qui ne servent guère plus à rétablir l'ordre, mais plutôt à déranger un ordre établi et corrompu, celui de la politique, de l'économie et de la criminalité. Enfin, Lanthaler remplace le caractère touristique imprégnant le roman policier régional par une notion de Heimat complexe et multiculturelle.The “provincial” German detective novel is experiencing a boom. The so-called Regionalkrimi has become a genre in its own right, even though most of the novels published under this label are nothing but ready-made merchandise with the aim to mediate tourist information. Kurt Lanthaler, a well-known writer from South Tyrol, is a noteworthy exception. His five detective novels, published between 1993 and 2002, have seen some success in Germany and are known as the Tschonnie-Tschenett-series. In this article, I show how Lanthaler's novels undermine the rules of the genre and broaden its possibilities. In the course of the series, the setting is not restricted to one region, South Tyrol, but it includes Berlin, Albania, and South Italy. A distinctive feature is how the fictional events are implicated in a complex web of historical, political, and economic facts by means of a large glossary that results in a rhizome-text in the sense of Gilles Deleuze and Felix Guattari. Furthermore, the detective's work does not re-establish order but disturbs a corrupt order which is based on a system of politics, economics, and crime. Finally, Lanthaler replaces the travel-guide notion of Heimat, which rules the common regional detective story, with a complex, multicultural notion of Heimat.
- Der österreichische Kriminalroman betritt die internationale Bühne - Gábor Kerekes p. 175-185 Les romans policiers autrichiens possédaient jusque dans les années 60 un caractère épigonal. Mais dans les années 70/80, une émancipation par rapport aux modèles anglo-saxons commença, si bien qu'avec l'entrée en scène de Wolf Haas en 1996 le roman policier autrichien est devenu exportable hors des pays non-germanophones.
Austrian detective novels were until the 1960s rather copies of Anglo-Saxon patterns and examples. The emancipation of the Austrian detective novel started in the 1970/80s and culminated in the appearance of Wolf Haas, with whom the success of the Austrian detective novels outside the German speaking countries started.
- Affirmation oder Dekonstruktion von Provinz. Zwei Grundtypen des Provinzkrimis - Julie Bartosch p. 149-159
Roman policier, migration et société
- Ich und die Anderen: Kemal Kayankaya auf dem Weg in die Bürgerlichkeit - Stefan Seeber p. 189-197 À la lumière de la théorie de l'espace social de Bourdieu, mon essai analyse l'évolution du détective Kayankaya à travers les romans de Jakob Arjouni. Il est démontré que l'embourgeoisement de ce héros de roman noir conduit à une hybridation complexe des relations entre l'individu et la société, et que le capital constituant la base de l'habitus se convertit en déséquilibre.
This paper analyzes the development of Jakob Arjouni's hard-boiled PI Kemal Kayankaya using Bourdieu's concept of social space: I argue that the hero's efforts to become a member of the middle class lead to a complex hybridization in the connection between the individual and society, and that capital as basis of habitus is thrown into imbalance. - Grenzüberschreitungen: Jakob Arjounis Kayankaya-Romane zwischen hardboiled detective und Migrationsthematik - Robin-M. Aust p. 199-210 Dans cet article, les différents aspects des transgressions poétologiques et thématiques dans les cinq romans policiers de Jakob Arjounis – Happy Birthday, Türke!, Mehr Bier, Ein Mann, ein Mord, Kismet et Bruder Kemal – sont replacés dans le contexte de la vision du monde véhiculée par ces romans, qui articulent une critique envers de la société. Les manifestations centrales de ce principe esthétique sont la transformation de l'architexte, le genre américain de la hardboiled detective story, dans le milieu urbain de Francfort, mais aussi les préoccupations quant à la situation des émigrés et réfugiés en Allemagne. Dans ce cadre, le protagoniste turco-allemand Kemal Kayankaya, un personnage quasi paradoxal, est autant emblématique que la constellation des autres personnages et la division des espaces littéraires, correspondant à la rigidité des structures sociales, qui ne permettent aucune forme d'individualisation.This article puts the different aspects of poetological and thematic transgression of borders found in Jakob Arjounis five crime novels Happy Birthday, Türke!, Mehr Bier, Ein Mann, ein Mord, Kismet and Bruder Kemal in context of the world view that is conveyed in the novels as well at the concomitant social criticism. The central manifestations of this aethetic principle are the transformation of the hardboiled detective architext into the hessian metropolitan milieu of Frankfurt, as well as the engagement with the situation of migrants and refugees in Germany. The nearly paradox literary figure of german-turkish P.I. Kemal Kayankaya is as central as is the arrangement of the other figures and the division of literary spaces, which correspond with the conveyed rigid social structures, which don't faciliate any oppurtunities of individuation.
- „das, was wir beschreiben, ist immer noch weniger schlimm als oft die Realität“ – der aufstörende Charakter von Sebastian Fitzeks und Michael Tsokosʼ Roman Abgeschnitten - Monika Wolting p. 211-225 Dans cette contribution, l'auteure s'interroge sur le caractère perturbant, irritant du roman de Sebastian Fitzek et Michael Tsokos Abgeschnitten (Coupé du monde) de 2012. Ces deux écrivains ont rédigé un texte qui contient, tant au niveau de l'intrigue qu'à celui du discours, des éléments irritants. Il s'agit d'une part de la thématique qui s'attaque au système juridique en vigueur, d'autre part de l'insertion de paratextes fortement corrélés à la réalité, sans parler d'un changement incessant du statut du narrateur.The article puts emphasis on the question of the role for society of the crime novel Abgeschnitten by Michael Tsokos and Sebastian Fitzek (2012). Both authors wrote this volume together which content refers to the plot, but on quite confusing formal esthetical patterns as well. On the one hand it´s the topic attacking the still working legal system, on the other it's the incorporation of para- texts, which allows a quite strong reference to reality.
- Hélène Pierrakos, L'ardeur et la mélancolie. Voyage en musique allemande : Paris, Fayard, « Les chemins de la musique », 2015, 200 p., ISBN 978-2-213-68174-0 - Irène Cagneau p. 227-229
- Ich und die Anderen: Kemal Kayankaya auf dem Weg in die Bürgerlichkeit - Stefan Seeber p. 189-197