Contenu du sommaire : Création fiction
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 20, 2014 |
Titre du numéro | Création fiction |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier Création fiction
- Introduction : comprendre la création, entendre la fiction - Daniel Fabre p. 4-21
- La fable d'une fabrique — Ponge et son pré - Jean-Charles Depaule p. 22-47 La publication, en 1971, de La Fabrique du pré dans la collection « Les sentiers de la création » des éditions d'art Skira répond chez Francis Ponge au désir d'ouvrir son « atelier » et d'offrir la possibilité au lecteur d'assister, après coup mais comme au présent, à la fabrication de ses textes, en l'occurrence « Le pré »,paru quelques années plus tôt. Restituer l'histoire de son écriture à travers ses brouillons successifs impliquait des aménagements et, notamment, certains « artifices de la mise en page » – mais « sans tricherie » – pour emmener le lecteur en le prenant « par le bras ». Dans le cas de La Fabrique du pré, le projet d'expliciter, en acte, un art poétique aboutit à un bel objet éditorial qui semble échapper à son auteur, même s'il a été associé à sa réalisation. On y voit en particulier se dessiner – à son insu ? – une esthétique de la rature.The publication, in 1971, of La Fabrique du pré in the Skira art publisher's collection “The Paths of Creation” met Francis Ponge's need to open the doors of his atelier and offer readers the opportunity to witness, after the fact but also as it were in the present, the making of his texts, in this case Le pré, which had been published a few years earlier. Devising the story of its writing through the succession of drafts nonetheless involved some arrangements with the actual process of writing, in particular certain “tricks” of layout – but “without cheating” – to guide the reader. In the case of La Fabrique du pré, Ponge's intent to clarify a poetic art through its own practice resulted in a beautiful editorial object that seems to slip out of the author's grasp. What we see taking shape – perhaps unwittingly- is an aesthetics of deletion.
- Marcel Proust en mal de mère. Une fiction du créateur - Daniel Fabre p. 48-83 À l'automne de 1913, alors que Marcel Proust est plongé dans l'écriture de la Recherche du temps perdu, une jeune villageoise languedocienne, Céleste Albaret, devient la servante qui l'accompagnera jusqu'à la mort. Dans la relation quotidienne de ces deux êtres, aussi dissemblables que fascinés l'un par l'autre, s'énonce avec une puissance inégalée une fiction du créateur réalisée dans une « forme de vie ». Elle engage, chez Proust, une existence à l'envers à la fois proche et distincte de celles des écrivains de son époque, une explicitation très contrôlée de son androgynat et, surtout, une relation avec la mère dont l'écrivain désire ardemment et dérobe violemment le pouvoir d'engendrer son œuvre.In the fall of 1913, while Marcel Proust was absorbed in the writing of La Recherche du temps perdu, Céleste Albaret, a young village girl from the Languedoc region in southern France, became his servant, staying with him until his death. Out of the daily relationship between these two persons, as different from one another as they were fascinated by each other, a fiction of the Creator expressed as a “form of life” emerges with unequalled power. This fiction drew Proust into an inverted type of existence, similar to and yet very unlike that of other writers of his time; it also involved a highly controlled version of Proust's androgynous nature, and above all a relation to a Mother whom the writer passionately desires while violently appropriating her power to generate his creation.
- Le menuisier et l'enfant - Dinah Ribard p. 84-108 Le supposé menuisier poète Adam Billaut et le petit de Beauchasteau, à la Lyre précoce, constituent deux fictions de la création liées à une configuration historique particulière, dans le premier cas la politique des lettres du cardinal de Richelieu, dans l'autre la cour du jeune Louis XIV. Tous deux donnent à voire le don poétique comme effet d'un contact avec la grandeur politique : un don inculte, présocial, miraculeusement apparu là où on ne pouvait l'attendre. Au xviie siècle les bergers sont la figure attendue de la créativité naturelle de l'homme, ce n'est le cas ni des ouvriers ni des enfants. L'événement fictionnel est donc ici un événement historique : le menuisier et l'enfant ont contribué à dissocier la création du travail.The alleged carpenter poet Adam Billaut and the little boy from Beauchasteau, he of the precocious Lyre, constitute two cases of creative fiction linked to a specific historical context: in the first case, the Cardinal de Richelieu's arts and letters policy, and in the second, the court of the young Louis XIV. Both present the poetic gift as the result of a contact with political greatness: an uncultivated, pre-social gift, which miraculously appears where it is least expected. In the 17th century, shepherds normally represented man's natural creativity, not workers or children. Consequently, the fictional event here is also a historical event: the carpenter and the child played a role in dissociating creation from work.
- Les trois anges de Séraphine de Senlis - Giordana Charuty p. 108-137 Les formes de singularisation qui, depuis un siècle, qualifient Séraphine de Senlis comme créatrice « inspirée », indemne de toute éducation artistique, convoquent une pluralité d'imaginaires esthétiques et religieux, historiquement situés, qu'il convient de distinguer. Attentive aux lieux de leur énonciation, l'écriture cinématographique résout leur articulation conflictuelle dans un montage de points de vue sur des états de corps au travail, dont la coprésence relance les « mystères de la création » et l'épiphanie du tableau peint.Over the last century, the ways of singularizing Séraphine de Senlis as an “inspired” creator, untouched by any form of art training, summon up a number of aesthetic and religious fantasies, historically situated, which need to be differentiated. Attentive to the places where they were expressed, the cinematographic writing resolves the conflictual nature of their manifestation in a montage of different points of view on the states of the body at work, the co-presence of which revivifies the trope of the “mysteries of creation” and the epiphany of the painting.
- Le double drame de la création selon Le Mystère Picasso (1956) d'Henri-Georges Clouzot - Michèle Coquet p. 138-167 Le Mystère Picasso (1956) d'Henri-Georges Clouzot est la matérialisation cinématographique de la rencontre entre deux créateurs en pleine maîtrise de leur art. Dans ce film ambigu et contradictoire, fruit d'un délicat compromis entre cinéma et peinture, l'exécution des tableaux par le peintre se trouve mise en scène et enchâssée dans un récit de fiction sur la création élaboré par le cinéaste. Clouzot dresse de Picasso un portrait complexe où se mêlent différentes représentations stéréotypées de l'artiste, à la fois illusionniste et génie, pour lui adjoindre celle du héros créateur aux prises avec son œuvre et engagé dans un combat dont l'issue peut toujours être fatale. Dans la fiction de Clouzot, et sous l'œil de la caméra, s'invitent l'accident ou la catastrophe, autant de réalités événementielles constitutives de tout procès de production d'une œuvre.Henri–Georges Clouzot's Le Mystère Picasso (1956) is the cinematographic outcome of the meeting of two creators in full command of their art. In this ambiguous and contradictory film, the result of a delicate compromise between cinema and painting, the works produced by the painter are staged and set in a fictional narrative on creation developed by the film-maker. Clouzot draws up a complex portrait of Picasso that combines different stereotypical representations of the artist, both a magician and a genius, and also a creative hero struggling with his work and engaged in a combat whose outcome could always prove fatal. In Clouzot's fiction, and under the eye of the camera, an accident or catastrophe is always ready to break in, reflecting the reality of the unpredictable creative process.
- Pasolini l'Africain - Alessandro Barbato p. 168-191 L'œuvre de Pier Paolo Pasolini pose des problèmes très spécifiques pour qui s'intéresse à l'étude du processus créateur. D'une part, elle contient tous les genres d'écriture, d'autre part elle appartient à part égale au cinéma. L'article s'applique à une étude de cas, celui d'une fiction qui introduit la période de passion africaine de Pasolini, correspondant aux années 1960. Il montre comment ce texte – matrice d'un scénario jamais tourné – réitère une expérience advenue presque vingt ans plus tôt, alors que Pasolini était professeur dans le Frioul. Un procédé de pliage superpose et renouvelle moments vécus, narrations romanesques et engagements publics dans une politique pédagogique. De façon plus générale, l'œuvre-vie de Pasolini est d'autant moins décomposable qu'elle propose côte à côte des ouvrages achevés qui se répondent à travers le temps et d'autres « non finis » qui offrent une chronique de la création en acte émanant du corps, exalté ou sacrifié, de l'auteur.Pier Paolo Pasolini's work raises some very specific issues for those interested in the study of the creative process. On the one hand, it comprises all types of writing, and on the other, it also belongs in equal part to the film industry. This article is based on a case study, that of a work of fiction that launched Pasolini's 1960 period of “African” passion. It shows how the text – the matrix of a scenario that was never filmed – reiterates an experience that had occurred nearly twenty years earlier, when Pasolini was teaching in the Frioul. A pliage technique is used to superimpose and renew past experiences, fictional stories and public commitments in educational policy. More generally, Pasolini's creations are all the harder to decompose in that it contains both completed works that echo each other across time and other “non–finished” ones, which provide a chronicle of the creative process rooted in the body - exalted or sacrificed - of the author.
- Savoirs et romans : Entretien de Daniel Fabre avec Philippe Dagen - Daniel Fabre, Philippe Dagen p. 192-203
- « Mes fictions sur les peintres sont des mensonges, mais il faut les croire. » À propos de l'œuvre de Pierre Michon - Giordana Charuty p. 204-217
Études et essais
- L'œuvre en double de Luc de Heusch - Damien Mottier p. 218-240 L'anthropologue belge Luc de Heusch est l'auteur d'une vingtaine de films. Relativement détachée de ses préoccupations de recherche, cette filmographie plurielle (documentaires, fictions, films surréalistes et ethnographiques) peut être considérée comme une œuvre en double, qui complète et éclaire l'évolution de son rapport à l'anthropologie. Fête chez les Hamba, réalisé au cours d'une mission au Congo (1953-1954), offre l'occasion de revenir sur sa relation au terrain et de mieux comprendre certaines des raisons qui l'ont conduit à renoncer à l'ethnographie du lointain, dans laquelle il avait projeté un horizon d'attente surréaliste, au profit de l'anthropologie structurale.The Belgian anthropologist Luc de Heusch is the author of some twenty films. Relatively removed from his research concerns, this wide-ranging filmography (documentaries, fiction, surrealist and ethnographic films) can be considered as a twin work, which complements and clarifies the development of his relationship with anthropology. Fête chez les Hamba, produced during a mission in the Congo (1953-1954), offers an opportunity to look back on his relationship with fieldwork and to better understand some of the reasons that led him to give up the ethnography of remote societies, on which he had projected surrealist-inspired expectations, in favor of structural anthropology.
- L'ivresse et le flacon. Collections ethnographiques et histoire de la culture matérielle du boire en Éthiopie (XVIe - XXe siècle) ? - Thomas Guindeuil p. 242-266 De nombreux objets, conservés aujourd'hui dans les musées et parfois vieux d'un siècle et demi, permettent d'écrire l'histoire du mobilier domestique en Éthiopie. Ces objets « ethnographiques » devenus objets historiques font rarement partie des matériaux mobilisés par les historiens. À travers l'analyse des corpus de récipients destinés à la consommation d'alcool, berellē et wanč̣̣a, déposés au musée du quai Branly et à l'Institute of Ethiopian Studies d'Addis-Abeba, cette étude propose de mêler histoire des manières de boire et histoire des collections ethnographiques éthiopiennes. Il pose les bases d'une intégration à la fois plus complète et plus critique des corpus ethnographiques aux sources de l'histoire matérielle et économique de l'Éthiopie.Many objects, preserved today in museums and sometimes dating back a century and a half, allow us to trace the history of household items in Ethiopia. These “ethnographic” objects, which have become historical objects, are rarely a part of the material drawn on by historians. By analyzing berellē et wanč̣̣a, a corpus of recipients used to consume alcohol, and stored at the musée du quai Branly and the Institute of Ethiopian Studies in Addis-Abeba, this study proposes to combine the history of drinking habits and customs with that of Ethiopian ethnographic collections. It lays the foundations for an integration that is more comprehensive and, at the same time, more critical of the ethnographic corpus used as a source for Ethiopia's material and economic history.
- L'œuvre en double de Luc de Heusch - Damien Mottier p. 218-240
Notes de lecture
- D'aujourd'hui à avant-hier. Un évolutionnisme bien tempéré - Gérard Lenclud p. 268-279
Chronique scientifique
- Camille Mazé, Frédéric Poulard et Christelle Ventura (dir.), Les Musées d'ethnologie. Culture, politique et changement institutionnel : Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2013 - Julien Bondaz p. 280-281
- Bonniol, Jean-Luc (éd.), Un miracle créole ? : Dossier publié dans L'Homme, n° 207-208, 2013 - Mathieu Claveyrolas p. 282-283