Contenu du sommaire : Création plastique d'Haïti
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
---|---|
Numéro | no 21, 2015 |
Titre du numéro | Création plastique d'Haïti |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier Création plastique d'Haïti
- Introduction - Carlo A. Célius p. 4-21
- La peinture naïve haïtienne d'inspiration chrétienne. Discours, héritages, représentations - Danielle Bégot p. 22-47 Cet article montre comment, au milieu du XXe siècle et au sein de la peinture naïve haïtienne, à l'origine de la reconnaissance du pays par le marché occidental de l'art, l'expression plastique d'inspiration chrétienne a joué un rôle majeur avant de s'effacer devant les arts du vodou. L'iconographie chrétienne d'Haïti est aujourd'hui mieux connue, constituée à la fois des apports modestes de Saint-Domingue et des images pieuses diffusées aux XIXe et XXe siècles par le clergé européen. À l'époque comme aujourd'hui, on retrouve cette puissante imagerie catholique sur les murs des temples vodou. À l'heure actuelle, la peinture naïve d'expression chrétienne se partage entre différents courants : la peinture d'église, réduite à quelques exemples datant des années 1950-1960, la peinture de galerie, achetée par les collectionneurs et par les musées, et les décors des autobus locaux, les tap-tap, qui témoignent de la créativité populaire. Nous mettons ici en évidence les effets, pour la deuxième catégorie, d'un marché de l'art poussant à une fonctionnalité de moins en moins religieuse de la toile et de plus en plus prétexte à une simple rêverie exotique.This article shows how in the middle of the Twentieth Century, as Haiti was emerging within the Western art market thanks to its naïve painting, plastic arts of Christian inspiration played a key role before giving way to voodoo art. We have a better knowledge today of the Christian iconography in Haitian art, which was influenced partly and to a small extent by Saint-Domingue, and partly by the pious images that were distributed in the Nineteenth and Twentieth Century by European clergymen. These powerful Catholic images can still be found today on the walls of voodoo temples. At present, there are different types of naïve painting of Christian inspiration: paintings designed for churches, with only a few examples left from the 1950s and 1960s, paintings made to be sold in galleries, which are bought by collectors or museums, and paintings decorating local buses, the “tap-tap,” which are a sign of the creativity of the people. In this essay, we focus on the second category and analyze the changes within the art market due to the fact that these paintings have less and less religious value and have increasingly turned into a pretext for a mere exotic reverie.
- La diaspora en dialogue : James A. Porter et Loïs Mailou Jones Pierre-Noël, ou comment écrire l'histoire de l'art haïtien - Lindsay J. Twa p. 48-75 Jusqu'à une date récente, les historiens de l'art américains spécialistes de l'art haïtien – collectionneurs et artistes – développèrent leur réflexion en dehors des cercles académiques. Dans un premier temps, l'histoire de l'art haïtien fut donc élaborée dans un cadre intellectuel particulier par des individus dont les goûts et les intérêts personnels déterminèrent la nature des questions qui surgirent du dialogue avec les artistes haïtiens et leurs œuvres. Un exemple remarquable est celui de Selden Rodman, dont les commentaires exubérants sur l'art haïtien, conformes néanmoins au canon primitiviste, dominèrent la discipline pendant des dizaines d'années. Cet article examine les projets de recherche de James Amos Porter et Loïs Mailou Jones Pierre-Noël, artistes et historiens de l'art afro-américains. Leurs archives contiennent des éléments très fructueux permettant de remettre en question les analyses développées au milieu du XXe siècle sur l'art haïtien contemporain. Ils promurent tous deux la diversité des styles haïtiens ainsi qu'une longue liste d'artistes méconnus. Ils contribuèrent ainsi à élargir l'horizon du canon de l'art haïtien et à lutter contre les stéréotypes raciaux qui servaient alors à renforcer le statut inférieur des Noirs et à limiter, de manière générale, les droits des individus d'origine africaine.Until recently, North American scholarship about Haitian art has largely been undertaken at the individualized level by collectors and artists-turned-scholars who operated outside the bounds of the formal academy. This early Haitian art history, therefore, was formed on particular intellectual habits, conducted by individuals whose personal tastes and foci dictated the nature of the questions asked in dialogue with Haitian artists and their works. Selden Rodman, whose exuberant yet primitivising accounts of Haitian art dominated the field for decades, is a prime example. This article examines the research projects of African-American artist-scholars James Amos Porter and Loïs Mailou Jones Pierre-Noël and argues that their archives are fruitful sites for counter-discourses to mid-Twentieth-Century narratives of contemporary Haitian art. Both championed a diversity of Haitian styles and an expansive roster of artists, and argued that Haitian “sophisticates” artists were a legitimate avant garde that was also authentically Haitian. More than just expanding the Haitian art canon, their scholarship was an overt means to combat the ubiquitous racial stereotypes of the mid-Twentieth Century that reinforced Black inferiority and circumscribed the rights of all people of African descent.
- Tina Girouard et l'art des sequins d'Haïti - LeGrace Benson p. 76-103 Les œuvres en sequins réalisées par Tina Girouard sont le fruit de plusieurs années d'une collaboration toute familiale avec les artistes du Bel Air en Haïti. Mais ces pièces, qu'elles aient été créées lors de son séjour là-bas ou plus tard, portent indéniablement la marque de l'artiste. En retour, son influence sur les artistes du Bel Air a eu pour effet de promouvoir leur style personnel, de les encourager à signer leur production et de déployer l'utilisation de l'art des sequins au-delà de sa fonction d'origine, qui était de créer des drapeaux cérémoniels sacrés, tout en permettant à ces œuvres de conserver le savoir-faire et les traits stylistiques qui les caractérisent. Cet article, qui traite des œuvres des années Bel Air de Tina Girouard, se fonde sur des entretiens réalisés avec l'artiste afin de mieux resituer son art dans deux environnements socio-historiques liés entre eux, celui de la Louisiane et celui d'Haïti.Tina Girouard's sequin works evolved during several years of association with the sequin artists of Bel Air in Haiti that was in effect familial; yet the works she created then and subsequently are distinctively hers. Reciprocally, her influences on the Bel Air artists promoted personal styles, encouraged artists to sign their works, and supported developments of sequin arts beyond the original purpose of creating sacred ceremonial flags, all the while retaining characteristic special Bel Air craftsmanship and stylistic features. This discussion of her works from the Bel Air years is based upon interviews with the artist and situates her art in history and in the connected historical and social environments of Louisiana and Haiti.
- Quelques aspects de la nouvelle scène artistique d'Haïti - Carlo A. Célius p. 104-129 De nouveaux types d'œuvres sont apparus dans l'univers de la création plastique d'Haïti depuis les années 1980-1990. Ils participent d'une nouvelle scène dont nous allons tenter de dégager quelques caractéristiques, qui ressortiront davantage en les situant dans le processus historique global de configuration et de reconfiguration du monde artistique du pays. Ainsi apparaîtront les liens et les lignes de démarcation vis-à-vis des courants établis. En outre, l'analyse privilégiera certains aspects, comme la dynamique sociale qui sous-tend ces transformations, les références partagées et les facteurs différenciants tels que l'intérêt pour des problématiques particulières, ainsi que les usages des techniques et des matériaux.Since the 1980s and 1990s a new movement has appeared in Haitian plastic arts. It is characterized by a great diversity both in form and location. But a closer look shows that it is the mere transformation process that has been at work since the 1930s. Indeed subaltern social classes still occupy the same position. Also the interaction between the different fields of creation, which become increasingly visible in Haiti, has not changed. Moreover artists share some common sources and resources (legends, myths, history, iconography) with their predecessors. But the innovation lies in the way artists work with these resources in relation to new issues (the fundamental place of the body, the importance of volumetric works, new relations to spatio-temporal parameters) and to experimental forms when dealing with new techniques and materials.
- Trois capitaines pour un empereur ! Histoires de bizango - Catherine Benoît, André Delpuech p. 130-155 Depuis 2007, d'innombrables statues dites bizango, du nom d'une société secrète en Haïti, ont surgi sur la scène internationale du marché de l'art et des musées sans que leur généalogie ou l'existence d'une culture matérielle de ces sociétés aient été questionnées. À partir de l'acquisition d'une de ces statues par le musée du quai Branly, cet article se propose de retracer l'histoire récente de cette statuaire, les conditions de sa commercialisation et les raisons de son succès. Les bizango ont-ils été à un moment de leur histoire des artefacts utilisés dans des rituels de sociétés secrètes ou relèvent-ils exclusivement d'une démarche artistique et commerciale ? Peut-on réellement tracer une frontière entre objet rituel et objet esthétique ? Que nous disent-ils des tentatives de patrimonialisation et d'institutionnalisation du vodou ? Ne renvoient-ils pas à un imaginaire occidental inépuisable et infatigable quand il s'agit de diaboliser Haïti ?Since 2007, statues called “bizango”, after a Haitian secret society, have suddenly appeared on the world art market and in museums. But nothing is known of their genealogy nor of the secret societies' material culture. The musée du quai Branly has recently acquired one of these sculptures; this article uses this opportunity to trace the history of the “bizango” statuary, the conditions of its marketing, and the reasons for its success. Have these artefacts been used, at one point in their history, in the rituals of secret societies, or have they always been part of an exclusively artistic and commercial approach? Is it possible to draw a clear line between a ritual object and an aesthetic object? What do the bizango tell us about the various attempts at the patrimonialization and institutionalization of voodoo? Should we not see in them as yet another expression of the inexhaustible and tireless imagination of the Western world when it comes to demonizing Haïti?
Études et essais
- Le tatouage samoan et ses agents. Images, mémoire et actions rituelles - Sébastien Galliot p. 156-181 Les Samoans produisent deux tatouages, l'un masculin appelé pe'a, l'autre féminin appelé malu, devenus si emblématiques de leur identité que leurs motifs se retrouvent sur une multitude de médias (maillots de rugby, pagnes, sculptures, châssis de réacteur d'avion). Ces motifs, librement disséminés et commercialisés, contrastent avec les œuvres rituelles produites et contrôlées par une communauté d'experts tatoueurs. Si la technologie du tatouage peut servir de ressource pour la production de sujets politiques, elle renvoie à une image rituelle complexe mobilisant des procédés figuratifs très élaborés dont la mémorisation et la transmission ne reposent pas strictement sur une articulation de l'image à la parole mais de l'image au corps.Samoans practice two forms of tattoos: a masculine one called pe'a, and a feminine one called malu. These have come to embody the Samoan identity to such a degree that their patterns have found their way onto many different media (rugby shirts, loincloths, sculptures, aircraft chassis…). These patterns, which have been distributed and commercialized without any control, stand in sharp contrast with the ritual works that are made and supervised by a community of expert tattoo makers. While tattoo technology can serve to produce political subjects, it also refers to a complex ceremonial image made of very elaborated representational processes that can be memorized and transmitted not only by articulating images and words, but also images and the body.
- Loin de Django, la musique des Manouches de Pau - Jean-Luc Poueyto p. 182-205 Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les Manouches de la région paloise ne jouent pas de « jazz manouche ». Bien au contraire, en famille, on joue de l'opéra italien, de la musique classique romantique, de la bossa nova, de la chanson de variété française et internationale des années 1960 et 1970. Un tel répertoire s'inscrit dans l'histoire de ces familles, depuis leurs séjours en Espagne durant la première partie du XXe siècle jusqu'à leur installation à Marseille à partir des années 1940, puis à Pau il y a une cinquantaine d'années. Nous retrouvons ici, comme dans la plupart des pratiques culturelles observées chez les Manouches, un processus d'appropriation qui consiste à donner un sens singulier à ce qui relève d'un patrimoine populaire commun. Si ces pratiques semblent prendre toute leur force au sein de l'intimité familiale, cela n'empêche pas les mêmes interprètes de se produire avec beaucoup de plaisir et de satisfaction devant un large public non manouche. Le concept d'« artification » nous aidera ici à mieux comprendre comment peut fonctionner cette articulation entre intimité et exposition publique.Contrary to what is commonly believed, the Gypsies (Manouches) who live around Pau do not play “jazz manouche”. Instead, families gather to play and listen to Italian operas, romantic classical music, bossa nova, or French and international 1960s and 1970s pop songs. Such a repertoire is the product of these families' history, from the time when they were living in Spain during the first half of the Twentieth Century, to when they settled in Marseille in the 1940s and then in Pau half a century ago. As in most of the cultural practices that can be observed among the Manouches, this appropriation process consists in endowing a common popular heritage with a specific meaning. If these practices seem to find their fullest expression within the intimacy of family circles, musicians take much pleasure and satisfaction in playing for large non-Manouche audiences. The concept of “artification” will help us understand better the relation between the private sphere and public appearances.
- Le tatouage samoan et ses agents. Images, mémoire et actions rituelles - Sébastien Galliot p. 156-181
Notes de lecture
- « La magie de l'authenticité » : Deux décennies d'exposition et d'étude de l'art haïtien aux États-Unis et en Grande-Bretagne - Edward J. Sullivan p. 206-221
- Par-delà le structuralisme : Maurice Godelier, lecteur matérialiste de Claude Lévi-Strauss - Laurent Berger p. 222-247
Comptes rendus
- Sandra Bornand et Cécile Leguy, Anthropologie des pratiques langagières : Paris, Armand Colin, coll. « Sciences humaines et sociales », 2013 - Julien Bonhomme p. 248-249
- Daniel Fabre, Émotions patrimoniales, sous la direction de Daniel Fabre, textes réunis par Annick Arnaud : Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, coll. « Ethnologie de la France », cahier n° 27, 2013 - Giordana Charuty p. 250-251
- Jean Loup Pivin, Joël Andrianomearisoa et Pascal Martin Saint Léon (dir.), La Chambre de Mario Benjamin / Babacar M'Bow, Philippe Dodard : L'idée de modernité dans l'a - Jean Hérald Legagneur p. 252-253
- Jean-Luc Poueyto, Manouches et mondes de l'écrit : Paris, Karthala, 2011 - Francesca Cozzolino p. 254-255