Contenu du sommaire : I. Travaux
Revue | Travaux de linguistique |
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Numéro | no 55, 2007 |
Titre du numéro | I. Travaux |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Georges Kleiber, Catherine Schnedecker p. 7-8
- Adjectifs de couleur et gradation : une énigme… « très » colorée - Georges Kleiber p. 9-44 Notre contribution a pour objectif de résoudre le « puzzle » chromatique que représente le comportement des adverbes de gradation et des marqueurs d'intensité avec les adjectifs de couleur. Normalement, si on prend en compte le caractère ontologique des entités qu'elles désignent, on s'attend à ce que les adjectifs de couleur soient des adjectifs graduables. En fait, comme le montre un énoncé tel que [1] :[1] ? Paul a acheté un pullover très bleuil n'en va pas ainsi. Les adjectifs de couleur ne se soumettent à la gradation que dans des cas très restreints comme [2] :[2] C'était le printemps, le ciel était très bleuPour quelle raison les adjectifs de couleur sont-ils difficilement graduables ? Et qu'est-ce qui fait que cette contrainte est levée dans des combinaisons comme [2] ? Notre article essaie d'apporter une réponse à ces deux questions.The aim of this paper is to solve the chromatic puzzle arising from the behavior of adverbs of gradation and markers of intensity with color adjectives. Normally, if we take into account the ontological character of the entities they denote, we expect color adjectives to be gradable adjectives. In fact, as shown by sentences such as [1], this is not the case:[1] ? Paul a acheté un pullover très bleuColor adjectives take gradation only in very limited cases such as [2] :[2] C'était le printemps, le ciel était très bleuWhat explains the problem of color adjectives appearing in graded environments? And what explains that the constraint disappears in the case of combinations such as [2]? This paper tries to give an answer to these two questions.
- Intensification et opposition : l'adjectif intensif à valeur argumentative - Véronique Lenepveu p. 45-60 Partant de l'hypothèse selon laquelle la présence d'un adjectif épithète, en français, est un des facteurs susceptibles d'influer sur la valeur appréciative d'un SN, nous montrons comment la valeur intensive d'un adjectif prend en contexte une valeur argumentative qui consiste à renforcer (de nets progrès), atténuer (un léger retard) ou inverser (une bien maigre consolation) l'orientation axiologique intrinsèque du substantif sur lequel il porte. Dans cette perspective, le fonctionnement de l'adverbe oppositif néanmoins a servi de critère pour déterminer les différents facteurs susceptibles d'influer sur la force évaluative du SN.In this paper, it is hypothesized that, in French, the presence of an attributive adjective influences the appreciative value of the noun phrase. We attempt to show that an adjective with an intensive value in premodifying position has a special role in structuring argumentation in discourse. The adjective can intensify (de nets progrès), weaken (un léger retard) or reverse (une bien maigre consolation) the axiological orientation of the noun phrase in context. In this perspective, the function of the oppositive adverb néanmoins can serve as a test for determining the different factors which influence the axiological value of the noun phrase.
- « Un ciel… gris de chez gris… » : de la construction X de chez X à Adj de chez Adj : du locatif à l'intensif - Catherine Schnedecker p. 61-73 Réputée représentative du « parler jeune » et du français oral, la construction Adj de chez adj (gris de chez gris) est d'autant plus intéressante d'un point de vue strictement linguistique qu'elle est pour le moins inattendue, compte tenu des contraintes syntaxiques du français. Pour en comprendre l'émergence, il est nécessaire de s'interroger sur son histoire de manière à repérer ce qui, à partir d'une construction à fonction de localisation, fortement contrainte au niveau du verbe-recteur et de la nature du complément, a «permis» syntaxiquement l'apparition de l'adjectif et sémantiquement l'expression de l'intensité.Considered representative of “young people” and of Spoken French, the structure adj de chez adj (gris de chez gris) (similar to the English expression : adj as in adj (bad as in bad)) is all the more interesting from a strictly linguistic point of view that it is, at the very least, unexpected taking into account the syntactic constraints of French. To understand its emergence, it is necessary to look at its evolution and to understand how this construction, which initially expressed spatial localization and was strongly constrained by its governing verb and the semantics of its complement, came to allow an adjective to appear after the preposition and a semantics of intensity.
- Intensité et comparaison : étude diachronique des corrélations en si et aussi - Bernard Combettes, Annie Kuyumcuyan p. 75-92 Comment les corrélations en si / aussi… que / comme de l'ancienne langue évoluent-elles pendant la période du moyen français, de façon à aboutir à la distinction progressive entre tours comparatifs et consécutifs, laquelle ne sera vraiment achevée qu'à l'époque classique ? Comme bien souvent, le facteur contextuel s'avère déterminant, et tout particulièrement dans le cas présent la plus ou moins grande actualisation des prédicats concernés par la corrélation. La valeur intensive de si est en effet manifeste dans certains de ces contextes, de sorte qu'il n'est pas exclu que l'activation de ce trait sémantique ait favorisé la réanalyse des énoncés correspondants, contribuant ainsi à la création de structures spécifiquement consécutives, pourvues de marqueurs propres.How do Old French correlative constructions using si / aussi… que / comme evolve during the period of Middle French, resulting in a distinction between comparative and consequence constructions in Classical French? As is very often the case, context proves to be decisive, and particularly, in this case, the actualization of predicates concerned by correlation. The intensive value of si is indeed obvious in some of these contexts, so that it is likely that this semantic component favoured the reanalysis of the corresponding sentences, contributing to the creation of specifically consequence expressing structures.
- Les marqueurs d'intensité et les locutions verbales : quelques réflexions - David Gaatone p. 93-105 Il est généralement admis que les marqueurs de degré beaucoup, autant, tant d'une part, et très, aussi, si de l'autre, sont en distribution complémentaire. Ceux-là peuvent désigner tant la quantité que l'intensité et portent sur les substantifs et les verbes. Ceux-ci ne désignent que l'intensité et portent sur les adjectifs et les adverbes. Cette distribution n'est cependant plus valable dans le cas, parmi d'autres, de certaines locutions verbales, telles que avoir faim, où l'on rencontre plutôt les marqueurs de la seconde série. Ce phénomène n'est pas toujours aisément explicable par le sémantisme de sensation ou état, qui est souvent celui de ces locutions. Il reflète peut-être la tendance des intensifieurs « purs » à évincer, dans divers contextes, leurs concurrents à la fois intensifieurs et quantifieurs. En tout cas, cet emploi doit être noté dans le lexique comme propriété idiosyncrasique pour chaque locution verbale intensifiable.It is widely assumed that the French degree markers beaucoup, autant, tant on the one hand, and très, aussi, si on the other, are in complementary distribution. While the former denote both quantity and intensity and modify nouns and verbs, the latter denote only intensity and modify adjectives and adverbs. However, this distribution does not hold, for instance, in the case of some phrasal verbs, such as avoir faim, where it is more likely to find intensifiers of the second series, instead of the first one, as expected. That phenomenon cannot be easily accounted for by the mere meaning of those phrases (mostly: feelings, states). It might reflect a tendency of the "pure" intensifiers to replace, in various contexts, words which are quantifiers as well as intensifiers. In any case, every intensifiable phrasal verb has to be marked in the lexicon for such idiosyncratic uses of intensifiers.
- Zéro N : l'affirmation d'une absence - Marie-Noëlle Gary-Prieur p. 107-118 Cet article vise à caractériser le sens de zéro lorsqu'il est antéposé au nom dans un groupe nominal (zéro faute, zéro mort). Après avoir distingué interprétation quantitative et interprétation existentielle, on s'attache à préciser le fonctionnement de la seconde. L'idée centrale est que dans un GN de la forme zéro N, on a une prédication positive de non-existence, contrairement à ce qui se passe avec des GN introduits par un déterminant négatif (pas de N, aucun N). Cette valeur prédicative positive donne à zéro N une force discursive qui peut en faire un marqueur d'intensité énonciative, comme le montrent les exemples analysés dans la dernière partie. C'est ce qui explique pourquoi ce type de GN revient avec une fréquence surprenante, actuellement, dans le discours de la presse, de la politique et des jeunes.The goal of this paper is to describe the sense of zéro when it occurs before a noun in an NP (zéro faute, zéro mort). First, a distinction is made between a quantitative interpretation and an existential interpretation; the latter being the focus of this paper. The main idea is that an NP like zéro N includes a positive predicate of non-existence, unlike what is observed in NPs introduced by a negative determiner (pas de N, aucun N). This positive predicative value gives a discursive strength to zéro N which makes it a tool for expressing intensity, as is shown by the data which are analysed in the third part of the paper. This discursive strength explains why the type zéro N is so frequent in newspapers, politics and young people's speech.
- Prédicats superlatifs à l'impératif - Fabienne Martin p. 119-130 Il est bien connu que certains verbes psychologiques, tels que frapper ou méduser, ne peuvent être utilisés à l'impératif (cf. ??Méduse-moi!). Suivant l'explication traditionnelle, le problème vient de ce que l'entité dénotée par le sujet des verbes incriminés n'exhibe pas les propriétés agentives que l'allocutaire d'un impératif est censé manifester. Pourtant, il n'est pas clair que le sujet de tous les verbes psychologiques à Expérienceur objet acceptables à l'impératif (cf. Etonne-moi!) soit plus agentif que celui des verbes problématiques. Par ailleurs, certains verbes d'état sont acceptables à l'impératif (Aime-la!), ce qui remet encore en cause l'idée que l'impératif diagnostique vraiment l'agentivité. L'auteur part de l'observation que les verbes les moins acceptables à l'impératif sont des prédicats superlatifs : ils expriment un événement de très haut degré, et leur participe adjectival est incompatible avec l'adverbe très (cf. *très médusé versus très étonné). Suivant l'analyse proposée, le problème des „impératifs superlatifs“ vient de ce que les prédicats en cause ont un composant expressif qui tend à être interprété dans la portée de l'opérateur illocutoire directif. L'agrammaticalité résulte donc non pas de l'absence d'agentivité, mais d'un conflit entre la valeur expressive des prédicats superlatifs et la force illocutoire directive des impératifs.It is well known that some psychological verbs, like frapper (‘strike') or méduser (‘astound') cannot be used in imperatives (cf. ??Méduse-moi! ‘??Astound-me!'). According to the traditional account, the problem is due to the fact that the entity denoted by subjects of the verbs at hand does not exhibit the agentive properties that the addressee of an imperative is supposed to have. However, it is not clear that the subject of all object Experiencer psych-verbs acceptable in imperatives (cf. Etonne-moi! ‘Surprise me!') is more agentive than the one of problematic verbs. Besides, some stative verbs are acceptable in imperatives (Sois belle!, ‘Be beautiful!'), which casts further doubts on the idea that imperatives really diagnose agentivity. The author of this paper starts from the observation that verbs which are less acceptable in imperatives are superlative predicates: they express an event of a very high degree, and their adjectival participle is not compatible with the adverb très (cf. *très médusé, ‘very astounded', versus très surpris, ‘very surprised'). According to the proposed analysis, the problem of „superlative imperatives“ comes from the fact that superlative predicates have an expressive component which tends to be interpreted in the scope of the directive illocutionary operator. Therefore, ungrammaticality does not result from a lack of agentivity, bur from a conflict between the expressive value of superlative imperatives and the illocutionary directive force of imperatives.
- Verbes préfixés et « intensité » en français et en russe - Denis Paillard p. 133-149 Cet article étudie la notion d'intensité telle qu'elle est exprimée par une série de verbes préfixés en français. Les préfixes sont sur- et contre- pour le français, za-, pere- et na- pour le russe. Ni les préfixes en question ni les bases formées par les verbes simples n'ont a priori de rapports directs avec la notion d'intensité. L'interprétation intensive des verbes concernés est analysée comme le produit d'une interaction complexe entre la base et le préfixe. Cette interprétation intensive varie selon le préfixe et la base. Une série de contraintes sur les constructions syntaxiques dans lesquelles ces verbes entrent montrent que la préfixation doit être considérée au niveau de l'ensemble de la relation prédicative, arguments compris. L'article est divisé en trois parties : 1. présentation des données et des contraintes ; 2. présentation d'un format général de description pour les verbes préfixés ; 3. calcul de la valeur intensive propre aux différentes séries de verbes.This paper deals with the notion of intensity as expressed by a series of prefixed verbs in French and in Russian. The prefixes are sur- and contre- in French, za-, pere- et na- in Russian. Neither those prefixes, nor the bases corresponding to the plain verbs have any relation in themselves with the notion of intensity. The intensive interpretation is analysed as the result of a complex interaction between the base and the prefix and varies according to both of them. A series of constraints on the syntactic constructions at work with these verbs show that the prefixation must be considered within the framework of the whole predicative relation, including its arguments. The article is divided into three parts : 1. Presenting the data and the constraints ; 2. presenting a general descriptive framework for the prefixed verbs ; 3. working out the intensive value specific to the various series of verbs.