Contenu du sommaire : Violence totale
Revue | Inflexions |
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Numéro | no 31, 2016/1 |
Titre du numéro | Violence totale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Hervé Pierre p. 7-9
Dossier
- La violence nazie - Johann Chapoutot, Didier Sicard p. 11-21 Devant l'ampleur et la monstruosité des crimes nazis, collectifs ou individuels, les historiens ont longtemps buté sur leur causalité profonde, faisant basculer leurs auteurs du côté de l'inhumain, du barbare. Ces comportements s'appuient pourtant sur des fondements normatifs et un argumentaire juridique. Philosophes, juristes, historiens, médecins ont en effet élaboré des théories qui faisaient de la race le fondement du droit, et de la loi du sang la loi de la nature qui justifiait tout, notamment la violence totale et l'extermination. Voilà comment tuer un enfant au bord d'une fosse pouvait relever de la bravoure militaire face à l'ennemi biologique.Faced with the scale and monstrosity of Nazi crimes—be they on a collective or individual level—the underlying causality has long been a stumbling block for historians, shifting the perpetrators over to the side of the inhuman and the barbaric. And yet this behaviour is based on normative foundations and a legal argument. Indeed, philosophers, legal experts, historians and doctors have developed theories making race the basis of law, and the law of blood the law of nature that justified everything, notably total violence and extermination. That is how, faced with the biological enemy, killing a child at a pit's edge could fall within the ambit of military bravery.
- Le feu nucléaire : une expression de la violence absolue ? - Jean-Louis Vichot p. 23-28 Tirant son énergie fabuleuse de l'intimité de la matière, l'arme nucléaire est l'arme la plus puissante que l'homme ait jamais conçue. Cette puissance formidable, dévoilée lors des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, a fait d'elle un instrument politique et non plus militaire. L'invention des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, l'impossibilité de les détecter dans l'immensité des océans, dans leur profondeur, rend possible la seconde frappe. S'il met en danger le pays qui possède des snle, s'il le menace dans son existence même, le pays rival doit accepter le risque de représailles épouvantables, sa destruction peut-être, un risque inacceptable qui provoque la retenue, qui favorise la paix entre les nations. Les marins qui mettent en œuvre les snle participent en conscience à la dissuasion. Tous volontaires, ils savent que leur résolution et leur expertise sont des instruments de paix.Drawing their incredible energy from the innermost part of matter, nuclear weapons are the most powerful weapons ever designed by man. This formidable power, revealed during the Hiroshima and Nagasaki bombings, has meant that they are now no longer a military instrument, but a political one. The invention of nuclear-powered ballistic missile submarines, and the fact that it is impossible to detect them due to the vastness and depth of the oceans, makes a second strike possible. If the opposing country places the country owning ssbns in any danger or threatens its very existence, then the former must accept the risk of horrific reprisals and maybe even its own destruction—an unacceptable risk that leads to restraint and promotes peace between Nations. The seamen deploying ssbns are consciously playing a role in deterrence. All very determined, they know that their resolution and expertise are instruments of peace.
- Tu massacreras tes frères ! - Hervé Pierre p. 29-39 Centrafrique, 3 décembre 2014. Point d'orgue de trois journées d'affrontements intercommunautaires, un commando de « jeunes musulmans » attaque, en représailles, une trentaine de chrétiens. Les assassins font grand cas de n'utiliser leurs armes à feu que pour blesser : une fois à terre, hommes, femmes et enfants sont mutilés vifs à l'arme blanche. Or les victimes de ce quartier chrétien intégré de longue date dans la communauté musulmanne connaissent parfaitement leurs bourreaux : à Bambari, en ce mois de décembre 2014, des hommes massacrent d'abord et surtout des proches, leurs voisins. Le décalage observé entre cette proximité et la barbarie avec laquelle les actes sont commis ne manque pas d'interroger sur les ressorts de cette violence. Contre toute intuition et toute idée reçue, la proximité semble en effet engendrer la rage plutôt que la tendresse et la ressemblance bien plus que la différence susciter la violence.Central African Republic, 3 December 2014. The culmination of three days of cross-community clashes, a commando of “young Muslims” attacked around thirty Christians in retaliation. The murderers made much of the fact that their firearms were only used to wound people: once on the ground, men women and children were mutilated alive with knives. And yet the victims of this Christian neighbourhood, who have long been integrated in the Muslim community, knew their torturers very well indeed: in Bamabari in this month of December 2014, men first and foremost massacred close friends, their neighbours. The discrepancy observed between this proximity and the barbarism with which the acts were committed certainly calls into question the motivation behind this violence. Against all instinct and any common preconception, proximity seems in fact to generate anger rather than affection, and similarity stirs up violence far more than difference.
- Et la foule crie « à mort ! » - Patrick Clervoy p. 41-46 Les foules portent en elles une violence aveugle. L'actualité comme l'histoire nous montrent que dans les temps de violence, ceux qui constituent cette foule sont privés de la capacité à discerner la cruauté des comportements dans lesquels ils sont entraînés. Pourquoi est-ce si difficile pour un individu de voir le mal qu'est en train de commettre le groupe auquel il appartient, alors qu'il est apparemment si évident de le repérer après ? Que s'est-il passé dans ce groupe ? C'est l'effet Lucifer, un phénomène universel et mal connu parce qu'il est difficile d'en percevoir les mécanismes inconscients mais aussi parce que nous préférons ne pas le voir. C'est comme une tâche aveugle de notre conscience morale. Pour beaucoup d'entre nous, il est plus facile de penser qu'il y a des individus mauvais qui ont entraîné ce groupe. Ce n'est hélas pas totalement vrai.Indiscriminate violence is inherent to crowds. Past and current events show that, during episodes of violence, those forming this crowd are deprived of the ability to discern the cruelty of the behaviour into which they become embroiled. Why is it so difficult for an individual to see the evil committed by the group to which he belongs, when afterwards it is apparently so obvious to identify? What happened within this group? It is called the Lucifer effect: a universal phenomenon that is relatively unknown due to the fact that not only are its subconscious mechanisms difficult to perceive, but also because we prefer not to see it—like a blind spot in our moral conscience. For many of us, it is easier to think that this group was influenced by bad individuals. Sadly, this is not entirely true.
- La violence, une fin ou un moyen pour l'État islamique ? - Wassim Nasr p. 47-53 Violence à outrance, attentats kamikazes, exécutions collectives, égorgements, décapitations, mises en scène macabres sur grand écran avec des productions dignes des films d'action américains sont devenus la marque de fabrique de l'État islamique. Quelles sont les principales articulations de cette propagande et pour quelle finalité ?Excessive violence, suicide bombings, collective executions, throat-slitting, decapitation, and macabre performances on the big screen with a production worthy of an American action movie have become the trademark of Islamic State. What are the main lines of this propaganda and what is its aim?
- La médiatisation de la violence totale en Centrafrique : récit par les images, récit par les mots - Bénédicte Chéron p. 55-63 « La limite pour l'historien, comme pour le cinéaste, pour le narrateur, pour le juge, est […] dans la part intransmissible d'une expérience extrême », écrit Paul Ricœur. Qu'en est-il des récits construits chaque jour par les médias d'information, qui plus est lorsque la mise en images n'est pas seulement celle de la guerre légale, mais celle d'une violence qui déborde le cadre légitime d'exercice de la force ? Le cas du conflit centrafricain est à ce titre très révélateur. Avec un glissement bien réel du traitement de ce conflit : alors que les Centrafricains étaient les victimes et les bourreaux du récit médiatique, ce sont peu à peu les militaires français, d'abord spectateurs impuissants du drame en cours, qui ont endossé ces deux rôles.“The limit for a historian, like a film director, a narrator and a judge is […] in the non-communicable part of an extreme experience”, Paul Ricœur writes. What of the accounts constructed each day by the news media when, furthermore, the visual presentation is not only that of legal war but of a violence exceeding the legitimate framework of the use of force? As such, the case of the Central African Republic conflict is extremely revealing. With a very real shift in how this conflict was treated: whilst the Central Africans were the victims and the torturers of the media account, little by little it was the French military—who were initially powerless spectators of the ongoing drama—who took on both of these roles.
- Regain de violences ? - Robert Muchembled, Hervé Pierre p. 65-71 Les siècles passés nous ont légué une double conception de la violence, légitime lorsqu'elle est mise en œuvre par des institutions, illégitime si elle s'exerce individuellement. La violence, en particulier extrême, serait donc d'abord une perception graduée par le commentateur en fonction de référents culturels. Pour autant, force est de constater que les actes brutaux n'ont tendanciellement pas cessé de décroître dans le monde occidental depuis le Moyen Âge, avec des différences notables, en particulier à considérer les cas japonais, européen et américain. À la lumière de cette perspective, les attaques les plus récentes – dont l'attentat contre Charlie Hebdo – seraient moins l'expression d'un regain de violence « historique » que celle de l'inquiétant échec d'un modèle qui, in fine, ne parviendrait plus à supprimer sinon à éviter de trop criantes inégalités.The past centuries have left us with a dual notion of violence; legitimate when carried out by institutions, illegitimate when exercised individually. And so, as a result, violence—and extreme violence in particular—is first of all a perception graduated by the commentator based on cultural references. Even so, it must be noted that brutal acts have been on a downward trend in the West since the Middle Ages, with some notable differences to be taken into consideration, in particular the cases of Japan, Europe and America. In light of this perspective, the most recent attacks—including the one against Charlie Hebdo—would be more an expression of the worrying failure of a model which, in fine, is no longer capable of suppressing or avoiding flagrant inequalities than an expression of an increase in “historical” violence.
- Révolution française et « violence totale » - Jean-Clément Martin p. 73-79 Malgré les apparences, les événements survenus pendant la Révolution française en métropole ne peuvent pas être rangés dans la catégorie de la « violence totale », même en ce qui concerne les guerres de l'Ouest. Des limites aux dévastations sont clairement repérables. Ce sont d'autres situations, notamment dans l'île de Saint-Domingue, qui pourraient recevoir cette qualification avec plus de justesse, même s'il s'agit là de phénomènes perpétuant des habitudes anciennes. C'est alors dans la perspective ouverte par Carl Schmitt, autour de l'État total, que les mutations de la conduite de la guerre entraînées par la novation révolutionnaire peuvent être comprises comme les prémices des temps nouveaux, mobilisant les populations dans leur totalité et réquisitionnant toutes les énergies. Dans ce cadre limité, la période révolutionnaire participe alors à l'instauration de pratiques que l'Empire et les guerres coloniales consacreront.Despite appearances, the events that occurred during the French Revolution in mainland France cannot be categorised as “total violence”, even with regard to the wars of the West. Limits to the devastation are clearly identifiable. It was other situations, in particular on the island of Santo Domingo that could be more fairly qualified as such—even if there it was a question of phenomena perpetuating old traditions. Therefore, according to Carl Schmitt's concept of the total state, changes in the way the war was conducted—brought about by revolutionary innovation—can be understood as being premises of new times, mobilising populations in their entirety and requisitioning every energy. Within this limited context, the revolutionary period therefore contributes to the establishment of practices that will then be sanctioned by the Empire and the colonial wars.
- Illégitime violence - Jean-Philippe Immarigeon p. 81-94 Crise intérieure et guerre au Levant, la France semble brutalement prise entre deux feux et précipitée dans ce monde post-2001 dont elle avait cru pouvoir s'abstraire lors d'une guerre d'Irak qui fut présentée d'emblée comme les prémices d'un conflit de civilisation. Pressée de toute part, elle se croit obligée de s'aligner sur les dérives sécuritaires déjà à l'œuvre outre-Atlantique. C'est une erreur qui risque de lui être fatale. Toute son histoire, si particulière, s'est construite, par-delà les guerres et les révolutions, sur une réflexion philosophique très équilibrée et sur l'édification patiente d'un état de droit et d'une légalité qui ont fait sa force, mais dont on cherche aujourd'hui à la persuader qu'ils sont non seulement périmés mais qu'ils fragilisent dans un monde de nouveau régi par l'arbitraire. Sauf que la rhétorique sur un monopole de la violence qui caractériserait l'État moderne oublie une chose : le peuple souverain reste toujours, in fine, seul dépositaire de la violence légitime, et seul juge de son emploi.With a domestic crisis and war in the East, France suddenly seemed to be caught between a rock and a hard place, and was thrown into this post-2001 world from which it had believed it could isolate itself during an Iraq war that was presented from the outset as the premise of a clash of civilisations. With pressure coming from all sides, France felt obliged to conform to the security excesses that were already at work across the Atlantic. It was a mistake that risked proving fatal. France's entire and very distinctive history—above and beyond wars and revolutions—has been built on very balanced philosophical thought and on the patient construction of a state of law and a legal system which have been its strength. Today, however, there is an attempt to convince France that these foundations are not only out-of-date but weaken her in a world one again governed by arbitrary rule. Except that the rhetoric about a monopoly of violence characterising the modern State forgets one thing: the sovereign people still remains, in fine, sole custodian of legitimate violence, and sole judge of its use.
- Justifier la violence extrême ? - Monique Castillo p. 95-103 Comment comprendre que soient tenues pour légitimes des pratiques extrêmes et déshumanisantes de la destruction d'autrui ? Une illimitation de la haine quand elle est érigée en droit ? La conversion du révolutionnarisme en un compassionnalisme complaisant ? Ou bien l'incapacité de retrouver la force de s'opposer à la violence ?How is it possible to understand that extreme and dehumanising practices aimed at the destruction of others are considered legitimate? Boundless hatred established as the rule of law? The conversion of revolutionary thinking to indulgent compassionism? Or the inability to find the strength to oppose violence?
- Force et violence - Pierre de Villiers p. 105-115 Dans la dialectique de la force et de la violence, la force militaire doit se démarquer de la violence qu'elle combat : lorsque celle-ci est un abus, une haine de l'autre, la force qui vise à la canaliser devra, elle, être raisonnée, mesurée, légitime et tournée vers le bien commun. Face à la violence guerrière et terroriste, et à sa surenchère de cruautés, les risques de dévoiement de la force par la violence renvoient à l'importance de la dimension morale du métier militaire. Gardien de la force, c'est le commandement, le chef, qui, en incarnant et en promouvant valeurs et éthique, fait en sorte que la violence ne s'insinue pas dans la force. Combattre la violence est aussi une question de forces morales.In the dialectics of force and violence, military force must differentiate itself from the violence it is fighting: when the latter is excessive, involving the hatred of the other, the force aiming to channel it must itself be well-reasoned, measured, legitimate and in the interests of the common good. Faced with the violence of war and terrorist violence, and their escalation of brutality, the risks of corrupting force by violence emphasises the importance of the moral dimension of the military profession. As keeper of the force, it is the command or the leader who-by personifying and promoting values and ethics-ensure that violence does not insinuate itself into force. Fighting violence is also a matter of moral strength.
- Kakanj 1992 : les sapeurs découvrent la violence - Jean-Luc Cotard p. 117-129 Cet article relate la progressive prise de conscience de la violence de l'environnement par une équipe de commandement engagé en 1992-1993 en Bosnie-Herzégovine et composé de trois cent vingt-sept personnes et de façon plus large par l'ensemble d'un micro bataillon du génie. Il souligne en filigrane l'importance des savoir-faire et savoir-être dans ce type de situation.This article recounts the gradual realisation of the violence of their environment by the command team and, on a more general level, by all members of a micro-battalion of engineers, comprising 327 people who enlisted in 1992–1993 in Bosnia-Herzegovina. It implicitly underlines the importance of expertise and interpersonal skills in this type of situation.
- Le processus homicide. Analyse empirique de l'acte de tuer - Brice Erbland p. 131-139 Comment anticiper la réaction psychologique d'un tir à tuer ? Quels sont les pièges moraux qui attendent le soldat ? Comment gérer émotionnellement un homicide ? À partir de son expérience personnelle, l'auteur décrit un processus dans la gestion psychologique de l'homicide, depuis la préparation morale jusqu'à sa digestion. Il y dresse une cartographie du tir à tuer, permettant de prévoir l'intensité de la réaction émotionnelle associée en fonction de l'environnement du tir.How do we anticipate the psychological reaction of a shoot-to-kill? What are the moral traps awaiting the soldier? How can homicide be handled on an emotional level? Based on his personal experience, the author describes a homicide process, from moral preparation to its psychological digestion. In it he draws up a shoot-to-kill mapping, making it possible to predict the intensity of the associated emotional reaction depending on the shooting environment.
- Quand tuer blesse. Réflexions sur la mort rouge - Yann Andruétan p. 141-153 Le problème de la violence guerrière se pose pour le psychiatre à travers sa conséquence : le trauma psychique. Or ce qui traumatise n'est pas toujours la confrontation à l'horreur qui se dévoile, mais l'idée d'avoir tué un être humain auquel on peut en partie s'identifier. Un point demeure mystérieux : qu'est-ce qui régule ou promeut la violence qui conduit à l'acte homicide et finalement pour certains au trauma ? L'être humain est-il un singe tueur ou un Homo Sapiens pacifique ? L'acte de tuer à la guerre est possible grâce à des stratégies qui ont à voir avec le langage. Elles échouent justement lorsque l'autre devient autrui. Quand l'ennemi prend de l'épaisseur et que l'individu découvre chez sa victime quelque chose d'identique à lui. Tuer, c'est un peu se tuer soi-même.For psychiatrists, the problem of the violence of war arises through its consequence: psychological trauma. What traumatises is not always the confrontation with the horror that is unfolding, but the idea of having killed a human being with whom one can, in part, identify oneself. One point remains a mystery: what regulates or promotes the violence that leads to the homicidal act and eventually, for some, to trauma? Is the human being a killing monkey or a pacifist homo sapiens? The act of killing in war is possible thanks to language-related strategies; in actual fact they fail when the other becomes the other person. When the enemy gains in substance and the individual discovers, within his victim, something that is identical to himself. To kill is in a way to kill oneself.
- Le lien à la violence des commandos Marine - Jacques Brélivet p. 155-161 Les commandos Marine forment une élite dont l'histoire comme l'actualité montrent leur engagement dans les opérations les plus sensibles. On conçoit aisément leur exposition à la violence de la guerre comme leur capacité à la délivrer en professionnels accomplis. Mais leur lien à la violence s'arrête-t-il à l'espace-temps des opérations extérieures ? Les psychologues marins en charge de leur sélection et de leur suivi psychologiques sont les témoins privilégiés de la place du thème de la violence au sein de la subjectivité de leurs investissements, de leurs représentations et de leurs vécus professionnels. Sans être jamais tout à fait le même, ce lien existe pour chaque commando Marine tout au long de son parcours institutionnel.The marine commandos are an elite force whose past and present show their commitment during the most sensitive operations. It is easy to perceive their exposure to the violence of war and their ability, as consummate professionals, to be rid of it. But does their link to violence stop at the space-time of external operations? The naval psychologists in charge of their selection and psychological follow-up are the privileged witnesses of the place of the theme of violence within the subjectivity of their investments, performance and professional experiences. This link, without ever being exactly the same, exists for each marine commando throughout his institutional career.
- « Messieurs les insurgés, tirez les premiers ! » - Yohann Douady p. 163-174 Cet article traite des incidences des règles d'engagement (Rules of engagement ou roe) qui régissent aujourd'hui le combat du soldat dans des opérations extérieures. Il n'y est jamais question de violence. Mais entre les lignes, on pourra y lire celle, discrète et subtile, que peut ressentir le combattant français depuis les années 1980 en raison des contraintes que ces règles, estime-t-il, font peser sur sa liberté d'action face à l'ennemi qui le menace. Car ces règles, déduites du droit des conflits armées, de la Charte des Nations unies et des résolutions de son Conseil de sécurité lorsque celles-ci régissent l'engagement de nos troupes, peuvent varier selon le contexte d'engagement ou des logiques nationales. Et si le droit international et humanitaire les légitime, et que tout commandement peut prendre la responsabilité de les interpréter en fonction des situations, il reste qu'en face, belligérants, taliban, rebelles, djihadistes jouent d'elles, qu'elles leur offrent une large gamme de ruses de guerre. Ce sont de telles situations, nourries de son expérience du combat, qu'évoque le sergent-chef Douady dans cet article.For a given mission, the rules of engagement define “the principles governing the use of force, beyond legitimate defence, by units engaged in an external operation”. Staff sergeant Douady, a hardened marine, denounces an excess that would do violence to the situation of the French soldier engaged in a fight to death faced with an adversary who, for his part, is not burdened with any rules. Whilst the Rules of engagement (roe) are essentially aimed at legally protecting the soldier, as a result he believes that instead they ceaselessly complicate his task on the ground; like the cutting-edge technology developed to gain the upper hand, they could even reveal themselves to be a real traitor.
- La violence nazie - Johann Chapoutot, Didier Sicard p. 11-21
Pour nourrir le débat
- Le rebelle et le soldat : quelle éthique ? - Monique Castillo p. 175-181 Le rapport éthique au rebelle est en train de se transformer ; les événements récents ont montré que la rébellion pouvait se faire impérialiste plutôt que résistante, qu'elle pouvait se massifier et se dresser contre sa propre population au nom d'une idéologie hostile à la liberté et à l'humanisme, si ce n'est à l'humanité elle-même. Pour essayer de comprendre en quoi cette transformation touche notre relation historique à la rébellion politique, trois figures simplifiées peuvent servir de référence : la figure du rebelle identifié à un héros, qui lutte pour la liberté ; celle du rebelle identifié à une victime, qui lutte pour la reconnaissance ; et, enfin, celle du rebelle s'érigeant en agresseur inconditionnel dans une guerre du sens. Quelle éthique ou quelle contre-éthique gouverne le mode d'action de chacune de ces catégories de rebelles ?The ethical relationship with the rebel is in the process of transforming itself: recent events have shown that rebellion could become imperialistic rather than resistance-based, that it could accumulate and rise against its own population in the name of an ideology hostile to freedom and humanism, if not humanity itself. In order to try to understand how this transformation affects our historical relationship with political rebellion, three simplified figures can be used as a reference: that of the rebel identified as a hero, who fights for freedom; of the rebel identified as a victim, who fights for recognition; and finally that of the rebel rising up as an unconditional aggressor in a war of reason. What ethics or counter-ethics govern the course of action of each of these categories of rebels?
- L'armée et le maintien de l'ordre lors de l'application des lois laïques (1902-1906) - Xavier Boniface p. 183-191 Le maintien de l'ordre public fait partie des missions de l'armée au XIXe siècle : elle intervient lors des rébellions et des révoltes, puis lors des grandes grèves ouvrières et des manifestations viticoles au tournant du siècle. À la Belle Époque, les soldats sont également requis pour la mise en œuvre des lois laïques – lois contre les congrégations religieuses (1901 et 1904) puis de séparation des Églises et de l'État (1905). Or ces missions ne laissent pas indifférents les cadres de l'armée dont une majorité partage les convictions des fidèles. Elles posent ainsi le double problème de leur exécution et de leur répercussion. Les modes d'action pour l'application des lois laïques diffèrent-ils de ceux d'autres formes de maintien de l'ordre ? Par ailleurs, comment les militaires font-ils face à cette obligation qui peut heurter leurs convictions ? En 1921, la création de pelotons mobiles de gendarmerie libère l'armée de ces missions, qui ont longtemps pesé dans sa mémoire.Maintaining public order was part of the army's mission during the 19th century: it intervened during rebellions and revolts, then during the major workers' strikes and the wine-growers' demonstrations at the start of the century. During the Belle Époque, soldiers were also required to implement the secular laws—laws against religious congregations (1901 and 1904), and the separation of Church and State (1905). These missions did not however leave the army officers—a majority of whom shared the beliefs of the faithful—indifferent. As a result they posed the dual problem of their execution and their repercussions. Do the modes of action for the application of secular laws differ from those used for other types of maintaining order? Moreover, how do the military cope with carrying out this duty when it may go against their convictions? In 1921, the creation of mobile police patrols freed the army from these missions, which had long weighed on their mind.
- Le rebelle et le soldat : quelle éthique ? - Monique Castillo p. 175-181
Translation in English
- Can extreme violence be justified? - Monique Castillo p. 193-203 Comment comprendre que soient tenues pour légitimes des pratiques extrêmes et déshumanisantes de la destruction d'autrui ? Une illimitation de la haine quand elle est érigée en droit ? La conversion du révolutionnarisme en un compassionnalisme complaisant ? Ou bien l'incapacité de retrouver la force de s'opposer à la violence ?How is it possible to understand that extreme and dehumanising practices aimed at the destruction of others are considered legitimate? Boundless hatred established as the rule of law? The conversion of revolutionary thinking to indulgent compassionism? Or the inability to find the strength to oppose violence?
- Force and violence - Pierre de Villiers p. 205-214 Dans la dialectique de la force et de la violence, la force militaire doit se démarquer de la violence qu'elle combat : lorsque celle-ci est un abus, une haine de l'autre, la force qui vise à la canaliser devra, elle, être raisonnée, mesurée, légitime et tournée vers le bien commun. Face à la violence guerrière et terroriste, et à sa surenchère de cruautés, les risques de dévoiement de la force par la violence renvoient à l'importance de la dimension morale du métier militaire. Gardien de la force, c'est le commandement, le chef, qui, en incarnant et en promouvant valeurs et éthique, fait en sorte que la violence ne s'insinue pas dans la force. Combattre la violence est aussi une question de forces morales.In the dialectics of force and violence, military force must differentiate itself from the violence it is fighting: when the latter is excessive, involving the hatred of the other, the force aiming to channel it must itself be well-reasoned, measured, legitimate and in the interests of the common good. Faced with the violence of war and terrorist violence, and their escalation of brutality, the risks of corrupting force by violence emphasises the importance of the moral dimension of the military profession. As keeper of the force, it is the command or the leader who-by personifying and promoting values and ethics-ensure that violence does not insinuate itself into force. Fighting violence is also a matter of moral strength.
- Can extreme violence be justified? - Monique Castillo p. 193-203
Comptes rendus de lecture
- Comptes rendus de lecture - p. 215-223