Contenu du sommaire : Entre deux mondes - Marges, passage et modernité dans la culture yiddish au XXe siècle
Revue | Germanica |
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Numéro | no 67, 2020/2 |
Titre du numéro | Entre deux mondes - Marges, passage et modernité dans la culture yiddish au XXe siècle |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Avant-propos - Marie Schumacher-Brunhes p. 7-12
- Espaces des marges et dissidence religieuse dans la société ashkénaze - Jean Baumgarten p. 13-32 Les processus qui accompagnent l'entrée des Juifs dans la modernité ont trouvé une expression concrète dans la multiplication de nouveaux espaces. Notre étude porte sur une nouvelle de Isaac Bashevis Singer qui témoigne de la brisure des cadres anciens. L'analyse porte également sur le hegdesh, l'asile de nuit pour les pauvres, les vagabonds, les marginaux, et le kloyz, l'oratoire privé dans lequel priaient et étudiaient des mystiques. La mutation de la société juive traditionnelle se traduit par l'évolution des lieux anciens et l'émergence d'espaces des marges.The processes which accompany the entry of the Jews into the modern world have found concrete expression in the multiplication of new spaces. Our study is founded on a short story by Itzhak Bashevis Singer which shows the breaking of the traditional Jewish society. Our analysis also covers the evolution of the hegdesh, the night shelter for the poor, vagabonds, marginal groups, and the kloyz, the private oratory in which mystics prayed and studied. The transformation of the Jewish community is reflected in the evolution of the traditional institutions and the emergence of new marginal spaces.
- Tłomackie 13 : mythes et réalités de l'Union des Écrivains et des Journalistes juifs à Varsovie - Arnaud Bikard p. 33-48 Le présent article vise à mettre en évidence la signification, pour le monde culturel yiddish, de l'Union des Écrivains et Journalistes juifs, plus souvent désignée par l'adresse qu'elle occupait à Varsovie, Tłomackie 13. Il s'agit de présenter les mythes que l'imaginaire collectif a associés à cette institution afin de mieux comprendre la représentation que les écrivains yiddish se faisaient d'eux-mêmes ainsi que de leur rôle social. Dans l'image de l'auberge, associée à celle de la maison d'étude traditionnelle, ou besmedresh, on reconnaît l'hybridité fondamentale d'un endroit qui, fruit d'aspirations culturelles modernes, reproduit un mode de convivialité hérité de l'organisation communale du shtetl. L'idée d'une « famille des écrivains » apparaît comme une réponse à l'individualisme et à l'anonymat de la métropole et témoigne d'un sentiment d'appartenance organique à un groupe partageant, sinon les mêmes aspirations, du moins les mêmes intérêts professionnels et en l'occurrence la même maison. Ce foyer d'élection, qui remplace souvent le foyer familial, joue également le rôle d'un refuge que les passions politiques et la violence d'une société souvent paupérisée et divisée ne devaient pas affecter. Malgré tout, la recherche de la primauté littéraire fait de Tłomackie 13 un Temple, dans lequel groupes et individualités luttent pour obtenir la domination symbolique. L'institution se révèle cependant capable d'intégrer rapidement les avant-gardes et les forces centrifuges, d'où sa relative stabilité pendant tout l'entre-deux guerres, et l'intense mythification qu'elle a connue après la Shoah.This article aims to analyze the significance, for the Yiddish cultural world, of the Union of Jewish Writers and Journalists, more often referred to by the address it occupied in Warsaw, Tłomackie 13. It presents the myths that the collective imagination has associated with this institution in order to better understand the representation that Yiddish writers had of themselves as well as of their social role. In the image of the inn, associated with that of the traditional study house, or besmedresh, one can recognize the fundamental hybridity of a place which represents modern cultural aspirations but reproduces a mode of conviviality inherited from the organization of the shtetl. The idea of a “family of writers” appears as a response to the individualism and anonymity of the metropolis and testifies to a feeling of belonging to a group that shares, if not the same aspirations, at least the same professional interests and the same house, Tłomackie 13. This chosen home, which often replaces the family home, also acts as a refuge against the political passions and violence that plagued an impoverished and divided society. Nevertheless, the search for literary primacy turns Tłomackie 13 into a Temple, in which groups and individuals fight for symbolic domination. The Yiddish literary institution, as it existed in Poland, was however able to quickly integrate the avant-gardes and centrifugal forces. This explains the relative stability of this Union of Writers throughout the Interwar period and the intense mythification it experienced after the Shoah.
- Prière et crime dans la Pologne de l'entre-deux-guerres : l'agenda musical 1924 du chantre Elias Zaludkovsky - Jeremiah Lockwood, Marie Schumacher-Brunhes p. 49-68 Dans cet article, j'explore la série de concerts donnés par le chantre Elias Zaludkovsky durant l'année 1924 dans la Pologne de l'entre-deux-guerres. Dans les publications dont il fut l'auteur, Zaludkovsky campe une identité conservatrice, fustigeant ses collègues d'alors, à qui il reproche de corrompre la tradition en faisant le jeu de la commercialisation et de la médiatisation de la musique sacrée. Les chantres qui, soucieux de populariser leur art, affranchissaient la musique liturgique de son contexte rituel, notamment en enregistrant des disques mais aussi en se produisant en concert, généraient un tiers espace de culture liturgique dépourvu de règles. Cette visée divertissante mettait en péril la dignité du métier âprement acquise par les chantres professionnels tout au long du XIXe siècle. Alors même qu'il condamnait la propension de ses pairs à populariser et vulgariser la musique cantoriale, Zaludkovsky poursuivit une active carrière de concertiste, se produisant devant des auditoires fournis. L'analyse des coupures de presse rassemblées dans un album constitué par ses soins révèle une image nuancée tant des circonstances dans lesquelles Zaludkovsky pratiquait son art que de la musique qu'il interprétait, et qu'il valorisait donc parce qu'elles constituaient à ses yeux un champ dans lequel il convenait qu'un chantre évolue. Ma thèse est que la carrière de concertiste de Zaludkovsky révèle un équilibriste accomplissant sa mission cantoriale dans ce qu'elle a de sacré mais succombant aussi aux formes de forfaiture culturelle identifiée par ses soins : il s'agissait ce faisant de s'adresser à la multiplicité de tendances présentes dans la communauté juive de la Pologne d'alors sans pour autant désavouer l'éthique cantoriale.In this essay I explore the 1924 concert season of Cantor Elias Zaludkovsky in interwar Poland. In his published writings Zaludkovsky established an identity as a conservative, castigating contemporary cantors for corrupting tradition through excessive commercialization and mediatization of sacred music. Cantors popularizing their work through new technologies and concert performance venues that divorced liturgical music from its ritual context, especially by making records, engendered an unregulated third space of liturgical culture as entertainment that threatened to demean and degrade the hard-earned sense of dignity that professional cantors had struggled for over the course of the nineteenth century. Although Zaludkovsky condemned his peers for popularizing and vulgarizing cantorial music, he himself maintained an active concert career performing for a mass concert audience. Through an analysis of press accounts of Zaludkovsky's concerts that he collected in his scrap book, a nuanced picture emerges of the kinds of performance and musics that Zaludkovsky valued and that he believed to constitute appropriate musical fields for a cantor to pursue. I argue that in his concert career Zaludkovsky walked a fine line between performing the sacred identity of cantor and falling into the forms of cultural crime that he himself had identified, addressing himself to multiple strands of the internally diverse Jewish community of interwar Poland while maintaining his commitment to cantorial ethics.
- Les tiers-espaces dans "La Vie conjugale" de David Vogel - Michèle Tauber p. 69-84 Dans La vie conjugale, roman urbain par excellence de l'écrivain de langue hébraïque David Vogel (1891-1944), les lieux évoqués oscillent dans des entre-deux, des espaces qui relèvent à la fois de l'extérieur et de l'intérieur, des marges et de l'appartenance. Ce sont les « espaces autres » chers à Foucault, le tiers-espace, the Thirdspace, imaginé par E. Soja, dans lesquels les personnages, en l'occurrence de jeunes émigrants juifs de l'Europe orientale, tentent de trouver leur place dans une société normée aux frontières invisibles mais néanmoins réelles. Différents tiers-espaces seront analysés : lieux physiques tels que le célèbre Kaffeehaus viennois, l'hôpital psychiatrique ou l'asile pour les pauvres ; la ville de Vienne, ses rues, ses tramways et sa population, espace à la fois séducteur et repoussant, reflet de la modernité clinquante et quasi-monstrueuse ainsi que de la psyché du personnage ; et enfin sera abordé le tiers-espace que représentent la langue hébraïque et la langue yiddish.In Married Life, the urban novel par excellence of the Hebrew writer David Vogel (1891-1944), the mentioned places sway around in-between places, in spaces that meet the outside and the inside, the margins and the belongings at the same time. These are the “other places” dear to Michel Foucault, as well as the Thirdspace imagined by Edward Soja, in which the characters, here young Jewish emigrants from Eastern Europe, try to find a place of their own in a standardized society that has invisible but yet quite real borders. Different third spaces will be reviewed: at first physical places such as the famous Viennese Kaffeehaus, the psychiatric hospital or the poorhouse. Secondly the city of Vienna as a whole, with its streets, tramways and population, which is in itself a real third place, both seducing and repellent, a reflection of the glitzy and somewhat monstrous modernity as well as of the character's psyche. Lastly will be analysed the Hebrew and the Yiddish languages standing for the ultimate and concluding third place.
- `ibKaffeehausjuden`/ib : Les Juifs de Lemberg/ Lwów et la culture des cafés - Delphine Bechtel p. 85-100 Cet article s'intéresse à la manière dont la Lemberg autrichienne puis la Lwów polonaise de l'entre-deux-guerres se sont approprié la Wiener Kaffeehauskultur et au rôle qu'ont joué les Juifs, second groupe ethnique et religieux de la ville, dans l'adaptation du modèle autrichien, que ce soit en tant que tenanciers, clients ou usagers. Ainsi, nous tentons d'établir une double typologie, celle des lieux mixtes fréquentés par des Juifs et des non-Juifs, et celle de ceux où se réunissent plus particulièrement des cercles professionnels juifs et/ou yiddish, les écrivains notamment, pour en comprendre la fonction dans la vie sociale et intellectuelle des Juifs de Lemberg. Situés au carrefour de la consommation, de la sociabilité et de la culture du loisir, lieu du multilinguisme par excellence, les cafés étaient susceptibles de constituer un creuset essentiel au processus d'acculturation. Cette étude des cafés, qui se conjugue nécessairement avec une subtile étude socioculturelle des milieux juifs et non-juifs de la ville et de leurs interactions au fil des décennies, s'attache également à décrire l'invention d'une culture du divertissement dans laquelle les entrepreneurs juifs jouèrent un rôle de médiateurs entre haute et basse culture et contribuèrent à asseoir la réputation du Juif galitsyaner.This article looks at how the Habsburg Lemberg and then the Polish Lwów of the inter-war period appropriated the Wiener Kaffeehauskultur and the role played by the Jews, the city's second ethnic and religious group, in adapting the Austrian model, whether as owners, customers or users. We attempt to establish a double typology, that of mixed places patronized by Jews and non-Jews, and that of places where Jewish and/or Yiddish professional circles, especially writers, met, in order to understand their function in the social and intellectual life of the Jews of Lemberg. Located at the crossroads of consumption, sociability and leisure culture, a place of multilingualism par excellence, the cafés were likely to constitute an essential melting pot for the acculturation process. This study of the cafés, which is necessarily combined with a subtle socio-cultural study of the city's Jewish and non-Jewish circles and their interactions over the decades, also seeks to describe the invention of an entertainment culture in which Jewish entrepreneurs played the role of mediators between highbrow and lowbrow cultures and helped to establish the reputation of the galitsyaner Jew.
- Dozia – Debora – Dvoyre V(F)ogel : D'une avant-garde à l'autre - Marie Schumacher-Brunhes p. 101-108
- Dvoyre Fogel : Poèmes - Batia Baum p. 109-132
- D'Anvers à Londres. Les villes modernes comme « tiers espaces » d'une assimilation babylonienne chez Esther Kreitman dans "Brilyantn" - Cécile Rousselet p. 133-146 Esther Kreitman publie en 1944 son roman Brilyantn [Le Diamantaire], qui suit l'évolution de Berman et de sa famille entre Anvers et Londres au moment de l'avènement de la Première Guerre mondiale. Lieux de convivialité et de connexion avec le monde abandonné du shtetl principalement investis par les personnages féminins s'opposent aux temples de la spéculation financière et du commerce des diamants, ainsi qu'aux grands magasins, qui constituent une Babylone, antagonisme qu'encourage la thématique filée du carnaval (la kermis ponctue les différents épisodes anversois). La ville est investie différemment selon le sexe des personnages, le yiddish se heurtant à l'intrusion de voix multiples, révélatrices d'un contexte plurilingue où chaque idiome inquiète les autres et presse celui-ci de redéfinir une identité troublée, dans un espace qui se fait « tiers » et « blasphème », au sens qu'en donne Homi Bhabha dans The Location of Culture.Esther Kreitman published in 1944 her novel Brilyantn [Diamonds]. The novel describes Berman and his family between Antwerp and London at the time of the advent of the First World War. Places of conviviality and connection with the abandoned world of the shtetl, mainly invested by the female characters, is opposite to the temples of financial speculation and the diamond trade, as well as the department stores that constitute a Babylon. This thematic is encouraged by the theme carnival run – the kermis punctuates the various episodes in Antwerp. The city is invested differently depending on the gender of the characters, and the mame-loshn is encountering the intrusion of multiple voices, that reveals a plurilingual context where each idiom worries the others and urges Yiddish to redefine a troubled identity. The city in Brilyantn is a space which becomes “third space” and “blasphemy”, in the sense given by Homi Bhabha in The Location of Culture.
- Le rêve d'un lieu idéal chez Yitskhok Bashevis Singer : les lieux publics comme espace de négociation diasporique - Valentina Fedchenko p. 147-166 Cet article présente une analyse du rôle que les tiers-lieux jouent dans les œuvres d'I. Bashevis Singer. Son corpus littéraire bilingue qui inclut des œuvres en yiddish et en anglais est traité dans la perspective de l'hybridité culturelle. L'absence de véritable tiers-lieu est constatée, ainsi que sa compensation par l'apparition d'un tiers-espace construit par l'écrivain immigré aux États-Unis en relation avec son pays d'origine. Tandis que la description de la vie européenne avant la guerre est privée d'hybridité réelle, l'auteur propose la construction d'un tiers-espace (selon la terminologie de Homi K. Bhabha) fictionnel, caractéristique d'un écrivain émigré, et ses œuvres engendrent un espace culturel alternatif situé entre les traditions littéraires juive et américaine et autorisant une troisième couche d'interprétation. Varsovie est transformée en un lieu utopique. Un tel modèle n'existe que dans le contexte européen, car il est intimement lié au monde traditionnel et n'est pertinent que pour les premières générations émancipées, celles qui conservent le souvenir de la tradition inscrit dans leur lieu-même de résidence. Dès que Bashevis transfère l'action de ses nouvelles aux États-Unis, l'idée d'un tiers-espace s'efface. Une telle construction est absente des traductions anglaises de ses œuvres, parce qu'elle s'appuie sur des détails culturels et linguistiques du monde yiddish, ce qui la rend difficilement transmissible à un lectorat non-juif.The article analyses the role of third places in the works of I. Bashevis Singer. His bilingual literary corpus, which includes Yiddish and English works, is treated from the perspective of cultural hybridity. An image of a real third place is missing from Singer's works, and its absence is compensated by the construction of an imaginary third space that reveals the relation of a writer, immigrated to the United States, to the country of his origin. While the description of the European life before the Second World war is deprived of real hybridity, the author proposes to his readership a construction of a fictional third space (according to the terminology of Homi K. Bhabha), and his works generate an alternative cultural space located between the Yiddish (European) and American literary traditions and allowing a third layer of interpretation. Warsaw is transformed into a utopian place. Such a model only exists in the European context, because it is intimately linked to the Jewish traditional world and is only relevant for the first emancipated generations, those who keep in memory the traditions from their first place of residence. As soon as Singer transfers the action of his short stories to the United States, the idea of a third space disappears. Such a construction is absent from the English translations of Singer's works because this idea is based on cultural and linguistic details of the Yiddish world which makes difficult their transmission to a non-Jewish readership.
- Au royaume des arbres. La forêt, tiers-espace dans la poésie yiddish de Rachel Korn - Chantal Ringuet p. 167-182 Dans la littérature yiddish du xxe siècle, l'écrivain Rachel (Rokhl) Korn (1898-1982), occupe une place singulière. En retraçant le tournant qui caractérise son œuvre après son émigration à Montréal, la présence abondante d'arbres vigoureux faisant place à celle d'arbres blessés, jusqu'à la page blanche, cet article explore la façon dont Korn se réapproprie l'univers de la montagne, de manière à ancrer son écriture dans des territoires imaginaires où se côtoient diverses temporalités. En dégageant la modernité urbaine « visionnaire » qui émane de ses textes, cet article révèle que le lien intime avec les arbres et la montagne, tout en évoquant un Yiddishland disparu, fait de Korn une pionnière du nature writing plusieurs décennies avant la popularisation de ce genre littéraire aux États-Unis.Rachel (Rokhl) Korn (1898-1982) occupies a singular position in contemporary Yiddish literature. Focusing on the turning point that characterizes her work after her emigration to Montreal, the rich presence of abundant trees making way for that of wounded trees - up to the white page, this article examines the way Korn reappropriates the mountain as a “Thirdspace” (Soja), while developing imaginary territories where diverse temporalities merge. Discussing the “visionary” urban modernity that emanates from her texts, this article demonstrates that this intimate relation with trees and the mountain evokes the vanished world of Yiddishland and reveals Korn as a pioneer of nature writing, many decades before this literary genre would be popularized in the United States.
- „Berlin Transit“ – Wie "Halb-Asien" dem ‚Westen‘ begegnete - Astrid Starck-Adler p. 183-192 Au tournant du xxe siècle, les immigrants affluent dans les capitales et les métropoles européennes, aboutissement d'un rêve pour certains ou destinations simplement envisagées comme étapes de transit par d'autres. C'est ainsi que pour l'immigration juive yiddishophone de l'Est, en route pour « l'Eldorado » américain (Goldene Medine), Berlin fut un lieu de transit où la « Semi-Asie » (les confins orientaux de l'Autriche-Hongrie selon l'expression de Karl Emil Franzos) se heurta à l'Occident « civilisé ». La topographie en fut modifiée et de nouveaux espaces éphémères et transitoires – les hétérotopies – virent le jour. Une littérature yiddish diversifiée consacrée à ce phénomène se constitue. Elle tente momentanément de stopper ce flux, de mettre l'accent sur les points de contact entre l'Est et l'Ouest, de saisir les identités fluctuantes, d'illustrer le va-et-vient à l'aide des avancées de la technique – les trains et les gares –, qui favorisent ce mouvement en direction de l'Ouest. À la base de la prise de conscience et du caractère toujours moderne du processus migratoire, il y a l'essai de Joseph Roth, Juifs en errance (1927), qui, superbement écrit, émane d'un auteur réunissant en lui, en un facteur d'hybridité dynamique, les deux éléments antinomiques qu'étaient l'Est et l'Ouest.At the turn of the 20th century, emigrants streamed into the capitals and metropolises of Europe, which they considered and experienced to be either the object of their dreams – or way stations. Thus, for Yiddish-speaking Jews from the East on their way to the Goldene Medine (the Golden Land: America), Berlin was a transitional place where « Half Asia » (the Eastern part of the Austrian-Hungarian Empire as referred to by Karl Emil Franzos) met the « civilized » West The result was a changed topography and the creation of new, temporary, transitional spaces. A many-faceted Yiddish literature arises dealing with this phenomenon. It tries, for a while, to delay the tide, to focus attention on the points of contact between East and West, to detect changing identities and, finally, using technical achievement – trains and train stations –, to illustrate the back and forth underlying this westward movement. Point of departure for the perception and the perpetual modernity of the emigration process is Joseph Roth's essay The Wandering Jew (1927) – a masterly depiction by an author who in his own person integrated the antinomic elements East and West into a dynamic hybridity factor.
- „Galizien grenzt an Berlin“ – Jiddische Übersetzungen deutschsprachiger Klassiker als ein Ausdruck selbstbewusster "Jiddischkeit" - Elke-Vera Kotowski p. 193-208 La citation « la Galicie aux portes de Berlin » est tirée de la pièce de théâtre Le Marchand de Berlin (1929) de Walter Mehring, dont l'arrière-fond est la crise inflationniste des années 1920. Le satiriste et observateur à l'œil acéré y dépeint le kaléidoscope qu'était Berlin au milieu des années 1920, creuset de mouvements politiques et culturels les plus variés. Faute d'être une destination rêvée et convoitée, Berlin était dans tous les cas un point de repère pour les nombreux immigrants en provenance de l'est de l'Europe. La capitale de la jeune République de Weimar jouait le rôle d'étape sur le chemin qui menait de l'oppression à la liberté, symbolisant ainsi, en tant que métaphore d'une culture et d'un état d'esprit, le passage de l'existence idéalisée au sein du shtetl à une yiddishkeyt assumée, éclairée, professée d'abord dans les métropoles est-européennes.Il n'a pas fallu attendre le début des années 1920, lorsque Berlin devint l'une des places centrales de l'édition en langue yiddish, pour que les ouvrages classiques mais aussi les bestsellers de la littérature allemande suscitent l'intérêt du monde de la publication. Si c'est dans leur version originale que ces textes, jusque-là, étaient lus à Varsovie, Vilnius, Kiev ou encore Moscou, ici et là, des auteurs d'expression yiddish s'investissaient dans la traduction du Nathan de Lessing, des Livre des chants de Heine, des Brigands de Schiller ou encore du Capital de Marx afin de faire circuler dans la population juive d'Europe orientale les idées, idéaux et idéologies qui sous-tendaient ces œuvres. Le présent article offre un panorama de ce qu'étaient le paysage de la traduction ainsi que l'édition de littérature de langue allemande dans l'espace yiddishophone avant que n'éclate la Deuxième Guerre mondiale.The quote "Galicia borders on Berlin" is taken from the play "The Merchant of Berlin", which Walter Mehring wrote in 1929, with a view to the inflationary period in the mid-1920s. In it, the satirist and keen observer drew a kaleidoscope of the metropolis of Berlin as a reservoir of the most diverse cultural and political movements. In those years, Berlin was not a place of longing but a point of orientation for the many Jewish migrants from Eastern Europe. The capital of the young Weimar Republic served as a stopover on the way from oppression to freedom and, as a metaphor for a culture and attitude of mind, symbolized the transition from a transfigured shtetl existence to a self-confident, enlightened "Yiddishism" that had its origins in the Eastern European metropolises. Not only at the beginning of the 1920s, when Berlin was one of the most important publishing locations for Yiddish language journalism, German language classics and bestsellers became the focus of Yiddish journalism. While these had previously been read in the original in Warsaw, Vilnius, Kiev, Moscow, or Odessa, Yiddish writers here and there set about translating Lessing's Nathan the Wise (Nathan der Weise), Heine's Book of Songs (Lieder), Schiller's The Robbers (Die Räuber), but also Marx's Capital (Das Kapital) and spreading their ideas, ideals, and ideologies within Eastern European Jewry. This article provides an insight into the Yiddish translations of German-language literature up to the beginning of the Second World War.
Actualité littéraire
- Deniz Ohde : "Streulicht" Berlin, Suhrkamp, 2020) - Martine Benoit p. 209-212
Relectures
- Comme une clarté sur le mur, malgré tout. Relecture de la correspondance de Nelly Sachs et Paul Celan - Andrée Lerousseau p. 213-222
Comptes rendus de lecture
- "Les Littératures suisses entre faits et fiction" : sous la direction de Régine Battiston et Daniel Annen, Strasbourg, PUS, coll. Helvetica, 2019, 254 p. - Fanny Platelle p. 223-225
- Ernst Bloch, "La lutte, pas la guerre." "Écrits pacifistes radicaux (1918). Traduction de l'allemand et présentation par Lucien Pelletier" : Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2018, 170 p. - Stephanie Baumann p. 225-227
- Daniel Baric, Ute Weinmann (dir.), Finis Austriae : "La chute de l'aigle bicéphale" : octobre-novembre 1918, Austriaca n° 87/2019, 325 p. - Anne-Marie Corbin p. 228-229
- Gérard Raulet, "Das befristete Dasein der Gebildeten. Benjamin und die französische Intelligenz" : Konstanz University Press, 2020, 283 p. - Françoise Willmann p. 229-232