Contenu du sommaire : Les transformations du  champ administratif européen (2015-2021)

Les agencements institutionnels et les processus effectifs de la coordination des affaires européennes de la France illustrent au mieux le fonctionnement de la « monarchie républicaine » française. Plus même, le développement croissant de l'UE comme niveau de gouvernement ne cesse de renforcer la logique profonde de la Ve République : au cœur de l'exécutif, l'hyper-puissance présidentielle se combine avec l'influence de quelques très hauts fonctionnaires, « policistes » des « administrations d'état-major », dans une relation symbiotique qui marginalise le Parlement national et court-circuite, plus ou moins, le Premier ministre.

Les institutions européennes et les personnes qui travaillent pour elles sont souvent considérées comme repliées sur elles-mêmes et leurs ambitions : la Commission européenne est dépeinte comme une technocratie distante, et le Secrétariat du Conseil est considéré comme secret et renfermé. Cet article soumet ces hypothèses à un test empirique et va à leur encontre. S'appuyant sur deux jeux de données originaux, il cartographie les pratiques d'interaction avec les acteurs extérieurs pour ces deux parties de l'administration de l'UE. Il montre non seulement que la Commission européenne et le Secrétariat du Conseil sont en contact permanent avec des acteurs extérieurs, mais aussi que leurs préférences en termes de gouvernance sont affectées par ces contacts, quoique dans des mesures différentes.

Cet article porte sur une analyse statistique des directeurs et directrices de l'administration du triangle institutionnel européen et des agences. Quels sont les profils des directeurs et directrices, en quoi diffèrent-ils et que nous disent-ils plus largement des structures sociologiques du pouvoir administratif au sein des institutions de l'Union européenne ? Pour le comprendre, l'article analyse le profil de 95 directeurs d'administration européenne au prisme de différentes variables socio-biographiques (âge, sexe, nationalité) et liées aux types de carrières et à la formation. On procède enfin à une analyse par correspondance multiple pour construire la cartographie de cette fraction administrative du champ de l'eurocratie.

Nommée à la Cour des comptes européenne en 2014, pour un mandat de 6 ans qui clôturait ma vie professionnelle, je rejoignais l'institution après trente ans de magistrature à la Cour des comptes française et dans les chambres régionales. Je savais toutefois que cette expérience ne me serait que partiellement utile dans une institution comparable par les missions et les modalités d'exercice professionnel, mais originale parce qu'européenne. Même si j'avais assidûment fréquenté la Cour de Luxembourg dans l'exercice de mes cinq années de directrice des relations internationales rue Cambon, il me restait à découvrir l'institution de l'intérieur et à mieux comprendre, à travers elle, l'Europe.

La crise financière de 2007-2009 survient dans un contexte de ralentissement des recrutements du personnel de la Banque centrale européenne (BCE) en comparaison des périodes précédentes marquées par son déploiement institutionnel. De par son ampleur mondiale et son intensité, elle suscite un accroissement considérable de la charge de travail de son personnel et conduit l'institution à accroître sensiblement le rythme de ses recrutements. L'analyse des profils recrutés donne à voir un espace social spécifique, préfigurant notamment l'un des changements institutionnels majeurs qu'est l'ajout de la surveillance bancaire en 2014.

Cet article esquisse une sociologie politique du personnel du Secrétariat général du Conseil de l'Union européenne (SGC). Après avoir montré que le personnel du SGC représente une déclinaison singulière du fonctionnariat européen façonnée par un triple processus d'identification, on se demande dans quelle mesure les réformes néomanagériales lancées en 2016 érodent la singularité identitaire qui caractérisait les fonctionnaires du Conseil jusqu'à présent. L'hypothèse défendue ici est que les transformations en cours s'inscrivent dans un double mouvement : un mouvement de dédifférenciation semblable à celui qui s'est opéré à la Commission et qui, à sa façon, poursuit la remise en jeu de l'autonomie partielle conquise par le champ bureaucratique européen (Georgakakis, 2019 et sa contribution dans le no 180 de cette revue) ; et un mouvement de désingularisation qui tend à remettre sociologiquement en cause la spécificité du Conseil comme institution de type diplomatique et au service de la présidence.

Depuis près de 15 ans, l'Union européenne (UE) ne cesse d'être confrontée à des périodes de turbulences (crise des subprimes en 2008, crise des finances publiques à partir de 2010, crise sanitaire depuis 2020). Les institutions européennes ont dû réagir en conciliant à la fois les contraintes imposées par le budget communautaire et la nécessité d'intervenir rapidement et efficacement à l'échelle européenne pour faire face à la crise économique. Pour 2021-2027, l'intervention publique communautaire se caractérise par des instruments d'intervention publique innovants qui viennent compléter le cadre financier pluriannuel, à savoir le plan de relance Next Generation EU et le programme InvestEU qui se financent principalement auprès des marchés européens des capitaux.

À travers l'exemple de la gestion européenne des crises en République centrafricaine, cet article vise à saisir les enjeux plus généraux de la division du travail de gestion de crise et de l'articulation entre acteurs intervenant dans une pluralité de secteurs des relations internationales (diplomatie politique, sécurité collective, développement, aide humanitaire) mis en tension par les attentes de coordination, de cohérence, d'approche intégrée. L'article montre ainsi que les gestionnaires de crises sont pris dans des dynamiques de coopération concurrentielle pour le contrôle et l'allocation de ressources publiques. La labellisation d'une situation comme « crise » ouvre des habilitations, des opportunités d'actions et de revendications, tout en soulevant potentiellement d'intenses enjeux de coordination.

Le mandat de Jean-Claude Juncker a débuté avec l'ambition d'accroître la transparence dans l'Union européenne. En quoi cette annonce et les mesures qu'elle engage constituent-elles une inflexion par rapport à ce qui était déjà largement fait ? Quelles sont les conséquences de cette nouvelle politique de transparence ? Cet article vise à répondre à ces deux questions. Pour cela, il revient d'abord sur la diversité des politiques de transparence précédemment mises en œuvre et montre comment la politique de Juncker parvient à faire tenir ensemble une pluralité de mesures : lisibilité des processus décisionnels, accès à l'information et participation des citoyens sont synthétisés dans l'impératif de publicisation. Dans un second temps, l'article examine les conséquences qu'induit pour l'administration européenne cette nouvelle politique de transparence. Il montre ainsi que les mesures mises en œuvre dans le cadre du programme « Mieux légiférer » pour accroître la publicité des informations et des processus renforcent le poids du capital bureaucratique des agents administratifs comme des représentants d'intérêts qui évoluent au sein du champ de l'eurocratie. La transparence renforce ainsi la bureaucratie européenne.

Le médiateur européen, né il y a tout juste trente ans, est un organe profondément hybride, à la fois parlementaire et judiciaire, sans pour autant relever entièrement d'aucune de ces deux catégories. Il est à la fois doté d'un pouvoir de contrôle similaire à celui d'un parlement, sans être un organe législatif, et d'une capacité de contrôle judiciaire, sans bénéficier des pouvoirs décisionnels contraignants. Sa nature unique ne l'a cependant pas empêché de connaître une évolution marquée par l'accroissement continu de ses pouvoirs et de son influence sur les institutions, organes et agences de l'Union européenne. Cette dynamique s'est d'ailleurs accélérée depuis la décennie 2010 et a été sanctionnée par la réforme de son statut, votée par le Parlement européen en 2021, qui entérine, entre autres, de nouveaux pouvoirs d'enquête d'initiative, notamment l'enquête stratégique, redoublant ainsi l'indépendance de la Médiatrice européenne. Toutefois, l'officialisation de ces nouveaux pouvoirs n'a pas entraîné mécaniquement leur effectivité complète. C'est justement une analyse de ce découplage que le présent article vise à fournir, à travers l'étude d'une enquête stratégique menée en 2017-2019 par la Médiatrice européenne sur l'une des agences les plus controversées de l'Union : l'Agence européenne des médicaments.

Le volet planification stratégique et programmation de la réforme Kinnock a induit de nombreux changements sur les pratiques et la culture de la Commission. Les instruments de gestion introduits par cette réforme permettent d'aborder le processus de centralisation, les relations administratives et l'importance des contrôles. Elle permet de comprendre l'évolution des paradigmes et de la culture de la Commission européenne ainsi que les liens entretenus entre la gestion et le politique.

Créé par la loi de 2010, le dispositif des communes nouvelles a connu un succès relativement important et reste promu par l'Association des maires de France. Les études permettant de comprendre cette dynamique restent encore rares aujourd'hui. L'analyse de 12 fusions ou projets de fusion permet de tester différentes hypothèses explicatives (financières, institutionnelles, géopolitiques). Il apparaît alors que la motivation financière n'est pas déterminante et que des caractéristiques géographiques, historiques, symboliques ou la capacité de mobilisation des acteurs sont tout aussi essentielles.