Contenu du sommaire : La marche
Revue | Hermès (Cognition, Communication, Politique) |
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Numéro | no 91, 2023/1 |
Titre du numéro | La marche |
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- Introduction - Vincent Liquète, David Le Breton p. 11-19
- Soliloque sur un quai de gare à Meudon - Brigitte Munier p. 21-24
Partie I : La marche dans nos sociétés : approches politique et historique
- La Longue Marche du Parti communiste chinois, une métaphore de l'effort démesuré - Olivier Arifon p. 27-30 La Longue Marche du Parti communiste chinois de 1934-1935 va créer un mythe où espoir du communisme, discipline de l'armée et coercition du PCC se structurent en un processus symbolique. Elle deviendra un mythe et doit son succès à l'usage des médias, à l'évitement des combats et à son coût en vies humaines. La Longue Marche, chargée de forces pleines d'imaginaire, reste dans l'histoire chinoise et collective comme la métaphore d'un effort démesuré. L'utilisation de cette métaphore continue d'ailleurs aujourd'hui, preuve de sa sédimentation dans l'imaginaire collectif.
The Long March of the Chinese Communist Party (CCP) from 1934 to 1935 created a myth or hope for communism, in which the discipline of the army and the coercion of the CCP became structured as a symbolic process. It became a myth that owes its success to its use by the media, its avoidance of combat, and its cost in human lives. Imbued with the force of imagination, the Long March remains in both Chinese and human history in general as the metaphor for disproportionate effort. That this metaphor continues to be used today is proof that it has become sedimented into our collective imagination. - Des pas pour le dire - Danielle Tartakowsky p. 31-35 La marche est constitutive de toute manifestation politique ou revendicative, rassemblements statiques et occupations exceptées. En France, ce terme n'est toutefois employé que rarement pour désigner les « défilés », « cortèges » ou « processions » tels que nommés avant 1914 et, plus généralement, les « manifs ». Cet article se focalise sur celles des manifestations qui se qualifient de « marches » et analyse ce que leurs organisateurs entendent signifier quand on ils le préfèrent à d'autres ?
Marching is constitutive of all political demonstrations and protests, other than static rallies and occupations. In France, however, the term “marche ” is only rarely used to designate political “processions,” as they were called before 1914, and which are now referred to as “défilés,” “cortèges,” and, especially, “manifs .” This article focuses on the demonstrations that can be called “marches,” analyzing the meanings that are implied when organizers prefer to name them with one term rather than the others. - Face tragique - Joanna Nowicki p. 36-38
- L'itinérance d'un trafic humain : les marches de la mort nazies et la (non-) communication d'une catastrophe - Simone Gigliotti p. 39-46 Un spectacle de souffrance et une mise à l'écart de la société : l'horreur ambulante des marches de la mort nazies qui se sont déroulées au cours de la dernière année de la Seconde Guerre mondiale est de mieux en mieux connue des spécialistes et du public. Parcourant des centaines de kilomètres dans des conditions de violence et dans un environnement hostile, les victimes des camps de concentration ont symbolisé une catastrophe humanitaire ambulante. Cet article examine comment les chercheurs n'ont pas encore pleinement interprété la persécution mobile et l'impact de ces marches.
A suffering spectacle and distanced from society: The walking horror of the Nazi death marches that occurred during the last year of the Second World War is increasingly well known to scholars and the public alike. Marched hundreds of kilometers under violent and environmentally bitter conditions, former concentration camp victims symbolized a walking humanitarian catastrophe. This article probes how scholars are yet to fully interpret the mobile persecution and impact of these marches. - Femmes sans-abris : l'itinérance comme mode de survie - Berenice Penafiel p. 47-53 Être une femme sans abri, « habitante de la rue » comme on dit en Amérique latine, est une obligation de marcher sans trêve pour la moindre activité. Ces femmes n'ont pas les moyens de payer les transports en commun, alors elles marchent pour se rendre aux services administratifs, aux associations, aller manger, se rendre sur les lieux où elles font la manche, là où elles stockent leurs affaires, ou aller là où elles dorment. Elles marchent parfois une partie de la nuit ou la nuit tout entière pour ne pas s'exposer aux agressions. Vivre à la rue est une contrainte permanente de marcher.
Being a homeless woman – or, to cite the Latin American term, “habitante de calle ” (“street dweller”) – means always having to walk, ceaselessly, in order to accomplish anything. Walking is the only way to get around. Because homeless women are not able to pay for public transportation, they have to walk to obtain public services, visit associations, find food and places suitable for begging, store their belongings, and sleep. Sometimes, they must walk through part or all of the night to avoid being harassed or attacked. Living on the street means being constantly coerced into walking. - La marche comme résistance - David Le Breton p. 54-58 La marche est une résistance aux tendances du monde contemporain qui dépossèdent chacun d'une part de souveraineté et du plaisir d'être soi, elle prend à contrepied cette tendance à l'immobilité et à la subordination aux techniques. Célébration du corps, des sens, de l'insouciance, de la lenteur, de l'affectivité, de la curiosité, présence active au monde, elle remet en contact avec soi et avec la sensation d'exister. En reprenant pied dans son existence, le marcheur redécouvre son corps sous un autre jour en baignant dans le plein vent du monde, sans effort, presque par jeu. La marche est une valorisation paradoxale de la lenteur.Walking is a form of resistance to the tendencies of the contemporary world, which strip each of us of both a part of our sovereignty and the pleasure of being ourselves. It is a way of marching to a different beat, one that counters the trend toward immobility and subordination to technique. Walking celebrates the body, meaning, lightheartedness, slowness, openness to our emotions, curiosity; it is an active presence to the world that puts us back in touch with ourselves and the sensation of existing. By regaining a footing in their own existence, walkers rediscover their bodies in a different way, bathing effortlessly in the outside world, almost as if they were playing. Walking is a paradoxical appreciation of slowness.
- Lève-toi et marche - Lina Zakhour p. 59-60
- La marche militaire : quand les corps font corps - Céline Bryon-Portet p. 61-67 La marche militaire est une manœuvre collective et contraignante. Loin des approches hédonistes où vagabondage rime avec jouissance de l'espace et du temps, éveil sensoriel au monde et lâcher prise, la discipline qui soumet les soldats au pas cadencé possède une raison d'être propre. La marche militaire est à la fois un impératif tactique, un moyen de dressage, un habitus dont la dimension symbolique révèle l'état d'esprit du soldat, un facteur de cohésion et une pratique culturelle identificatoire ayant des conséquences opérationnelles.
The military march is a collective and constraining maneuver. Far from hedonistic approaches where wandering rhymes with enjoyment of space and time, sensory awakening to the world and letting go, the discipline that subjects soldiers to the cadenced march has its own reason for being. The military march is at the same time a tactical imperative, a means of training, a habitus whose symbolic dimension reveals the state of mind of the soldier, a factor of cohesion and an identifying cultural practice with operational consequences. - Parader dans la ville : rencontre avec l'altérité - Gaëtan Rivière p. 68-73 Parader dans la ville est une tentative de communication que les entreprises de cirque pratiquent afin d'agir directement sur les habitants. Les artistes tendent vers une communion avec les spectateurs en direction du chapiteau. L'ambiance festive comme le rythme de la marche appellent le spectateur à intégrer ce mouvement. Une communauté se forme, parfois remise en cause par ses membres.
Circus parades represent a means by which circus companies seek to communicate with and act directly on the inhabitants of a city. Circus performers strive to enter into communion with the spectators they are leading to the tent. The festive atmosphere, like the rhythm of the march, invites the spectator to join the parade. A community forms, one that, at times, is called into question by its members. - Le marcheur, figure de la contestation environnementale - Thierry Libaert p. 74-76
- La Longue Marche du Parti communiste chinois, une métaphore de l'effort démesuré - Olivier Arifon p. 27-30
Partie II : Les esthétiques communicationnelles de la marche
- La marche funèbre et ses figures de rhétorique cheminatoire - Carlo Grassi p. 79-84 La marche funèbre dessine une rhétorique cheminatoire dont les figures visent à produire une communication théâtralisée au plus haut niveau qui est finalisée à transfigurer le statut impur du corps décédé : à le purifier, à le transmuer en une entité bénéfique, ainsi que, en même temps, à préserver les membres de la société du contact avec ce qui lui arrive.
The funeral march traces a rhetorical pathway whose figures seek to produce a communication that is theatrical at the highest level. This communication is completed by transfiguring the impure state of the body of the deceased, which it purifies and transmutes into a beneficent entity, while also, simultaneously, protecting the members of society from coming into contact with what befalls it. - Une nouvelle façon de marcher : La forme balade dans quelques films Nouvelle Vague - Antoine de Baecque p. 85-89 Pour Gilles Deleuze, la crise de « l'image-action » traditionnelle se marque, notamment, par la « forme-balade ». La promenade, la balade, l'errance, toutes ces figures du déplacement pédestre envahissent les films de la modernité, depuis le néo-réalisme jusqu'à la Nouvelle Vague. En prenant des exemples chez Jean-Luc Godard, Éric Rohmer ou Jean Rouch, ce texte s'intéresse aux caractéristiques de la marche au cinéma.For Gilles Deleuze, the crisis of the traditional “image-action” is marked, in particular, by the “forme-balade”. The walk, the stroll, the wander – all these figures of pedestrian displacement invade the films of modernity, from neo-realism to the New Wave. Taking examples from Jean-Luc Godard, Éric Rohmer and Jean Rouch, this text looks at the characteristics of walking in cinema.
- Dérive urbaine - Thierry Paquot p. 90
- Édifier en cheminant, ou le message condensé de Ferdinand Cheval - Daniele Zappalà p. 91-95 Chef d'œuvre de l'art brut, le Palais idéal du facteur Cheval est un condensé symbolique colportant des idéaux esthétiques, écologiques, éthiques. Par son message, l'artefact exhibe sa pleine cohérence avec l'expérience de la marche, à l'origine du projet. En tant que machinerie communicationnelle, l'œuvre s'avère une immortalisation du potentiel de la marche, poussé par Cheval jusqu'à l'extrême.
The Palais idéal, a masterpiece of naive art created by the French postal carrier Ferdinand Cheval (1836-1924), is a symbolic condensation of aesthetic, ecological, and ethical ideals. Through its message, this artifact displays its complete consonance with the experience of walking, which presided over its construction. As a machine of communication, the palace immortalizes the potential of walking, which Cheval himself pushed to its extreme. - Regards anthropologiques sur les métamorphoses d'un chemin - Paul Rasse, Vincent Lambert p. 96-100 L'anthropologie permet de prendre de la hauteur, du recul, pour éclairer et mettre en relief nos pratiques contemporaines écrasées par l'uniformisation de nos modes de vie hypermodernes. Nous nous proposons de le faire ici à partir de l'histoire d'un chemin de randonnée devenu aujourd'hui l'une des principales voies d'accès du parc naturel régional de Préalpes d'Azur. Pour l'avoir très régulièrement parcouru sur une soixantaine d'années et recueilli ici et là des témoignages plus anciens encore, nous nous efforcerons de montrer comment dans l'évolution de ses usages on peut lire quelques-unes des grandes mutations de nos sociétés.Anthropology allows us to take a step back, to shed light on and highlight our contemporary practices, crushed by the standardization of our hypermodern lifestyles. We propose to do this here, based on the history of a hiking trail that has become one of the main access routes to the Préalpes d'Azur regional nature park. Having walked it regularly for some sixty years, and having collected testimonies here and there from even earlier times, we shall endeavour to show how the evolution of its uses reflects some of the major changes in our societies.
- De la flânerie - Thierry Paquot p. 101-105 Le flâneur serait typiquement parisien, si l'on en croit Balzac, Huart, Hugo et d'autres observateur de la « capitale du xix e siècle », comme Walter Benjamin désigne Paris. Ce piéton, à l'affût du moindre spectacle que la rue lui offre, réclame pour exercer son regard urbain le trottoir, le passage couvert et le boulevard. Là, il est chez lui. Avec l'éclatement de la ville en ses diverses banlieues traversées par d'infranchissables infrastructures routières et ferroviaires, la flânerie est-elle encore praticable. Il semble que non…
If we are to believe Balzac, Huart, Hugo, and other fine observers of the city that Walter Benjamin called “the capital of the nineteenth century,” the flâneur was a typically Parisian figure. The flâneur cast his urbane gaze upon the city's sidewalks, covered passageways, and boulevards, on the lookout for even the slightest spectacle that its streets could provide. This is where he was at home. Now that the city has been fractured into a diversity of suburbs traversed by impassable road and railway infrastructures, is flânerie still possible? It seems not…. - Des documents dans la marche : guides, supports et traces - Gérard Régimbeau p. 106-111 Au fil d'une approche documentologique de documents par intention, faisant intervenir l'observation participante et les récits de voyage, l'article interroge les usages et les valeurs de quelques types de supports ordinaires que le marcheur emporte avec lui : la carte, le guide, le carnet de route, et un nouveau porte-documents, le smartphone. Cette incursion documentaire dans nos mobilités nous rappelle les fonctions épistémiques, entre information et communication, de nos outillages mémoriels.
This article employs a document-based approach to “documents par intention ” – documents produced with the aim of communicating, such as participant observations and travelogues – to explore the uses of and values attached to several everyday objects that walkers tend to carry: maps, guidebooks, travel diaries, and, the newest form of briefcase, smartphones. This documentary incursion into mobility reminds us of the epistemic roles, between information and communication, played by the toolkit of our remembering. - Tintin pas à pas : La marche dans Tintin, entre (levée de l') incommunication et ironie de l'objet - Pascal Robert p. 112-117 L'article, d'une part, revient sur ce moyen de déplacement corporel qu'est la marche parmi les moyens de transport techniques utilisés par Tintin. Nous dresserons alors une possible typologie de la marche dans Tintin, puisqu'on y marche aussi bien sur la lune que sous l'eau, dans le désert comme dans la montagne ; mais pour quoi faire ? D'autre part, nous verrons comment cette marche se réarticule avec la question de la communication relationnelle (à l'instar de Tintin au Tibet, album de l'ascension qui est aussi l'album de l'amitié), celle de l'incommunication (puisque la marche peut également déboucher sur le gag qui repose sur la méprise et brouille les relations) sans oublier l'ironie de l'objet (et même de l'environnement/décor) qui, même dans Tintin au Tibet, montre que la marche n'est pas exempte de pièges qui se retournent parfois contre le marcheur.
One part of this article takes up walking as a corporeal means of movement, which is one of the technical means of transportation used by Tintin. We present a possible typology of walking in the Tintin stories: it occurs on the moon as well as under water, and in the desert as well as on mountains. For what purpose, however, do the characters walk? The other part of this article shows how this walking is related to questions concerning relational communication (with reference to Tintin in Tibet, a volume about climbing and friendship), incommunication (since walking can also lead to gags involving misunderstandings and confused relationships), and the irony of the object (and even of the setting and decor), which, in Tintin in Tibet, shows that walking is not free of traps that sometimes turn against the walker. - L'amble du Tôkaidô - Augustin Berque p. 118-124 Liant nature et culture, une consubstantialité s'établit entre caminante et camino, cheminant et chemin. Des exemples en sont pris au Japon, où la tradition veut que les « pieds volants » qui jadis étaient chargés du courrier entre Edo (Tokyo), Kyôto et Namba (Ôsaka), aient marché à l'amble, dans une gestuelle propre au Tôkaidô, le « Chemin des mers de l'Est ». Le Japon s'est considéré comme une « culture du chemin », dont les « jardins promenades » de l'époque d'Edo, comme le Kôrakuen, sont l'une des plus remarquables expressions.By linking nature and culture, a consubstantiality is established between caminante and camino, between the traveler and the path that is traveled. Examples of this are found in Japan, where tradition holds that hikyaku couriers, the “flying feet” who were once charged with delivering mail between Edo (Tokyo), Kyoto, and Namba (Osaka), would amble when they walked, moving and gesturing in a manner specific to Tōkaidō, the “Eastern sea road.” Japan is thought of as a “culture of the path,” one of the most remarkable expressions of which is the “walking gardens” of the Edo period, such as Kōraku-en.
- La marche funèbre et ses figures de rhétorique cheminatoire - Carlo Grassi p. 79-84
Partie III : Les témoignages et expressions de soi par la marche
- Retour sur Terre - Jean-Paul Kauffmann p. 127-132
- Canal Marches - Patrice Spadoni p. 133-134
- Rencontre avec Bernard Ollivier - Bernard Ollivier p. 135-139
- Bouger, mobiliser, ralentir en psychiatrie - Audrey Erpelding, Cristina Lindenmeyer p. 140-144 Qu'elle soit explicitement convoquée ou qu'elle s'invite par le biais de la pathologie (déambulation, désorientation, errance), la question de la marche se pose dans le travail psychiatrique. Dans cet article nous évoquons comment elle peut être envisagée comme outil de médiation thérapeutique, car par sa capacité à faire ressurgir les éléments sensoriels présents dans la construction soma-psychique du sujet elle se révèle un support au travail de soin psychique.
Whether mentioned explicitly or implied by the terminology of psychopathology (restlessness, disorientation, wandering), the question of walking is germane to psychiatric work. In this article, we will explore how walking can be conceived of as a tool of therapeutic mediation; its ability to bring to the surface sensorial elements present in the subject's embodied/psychical construction reveals how it can reinforce the work of psychological care. - Marcher autour de la ville - Yvan Detraz p. 145-149
- Un sentiment cosmologique - David Le Breton p. 150-154 Le sentiment d'une continuité entre l'environnement et soi se retrouve dans maintes sociétés humaines. Les ethnologues du début du siècle, à l'image de Lévy-Bruhl, parlaient de « participation ». Pour maintes sociétés humaines l'environnement est une enveloppe vivante dotée d'éléments différents mais sans ruptures ontologiques entre les uns et les autres. Ce sentiment que le paysage témoigne d'une vie intense et dissimulée où des forces invisibles et inaudibles se mêlent hors de l'attention humaine est une disposition anthropologique que maints marcheurs (ou montagnards, marins…) continuent à éprouver. Ils retrouvent cette intuition ancienne en le restaurant dans son unité.
The feeling that there is a continuity between the environment and the self is found in many human societies. At the beginning of the century, ethnologists followed Lucien Lévy-Bruhl's lead in speaking of “participation.” For numerous human societies, the environment is a living envelope endowed with elements that, while differing from one another, do not produce ontological ruptures with each other. The feeling that the landscape bears witness to a hidden and intense life, where invisible and inaudible forces commingle beyond human awareness, is an anthropological disposition that many walkers (or mountaineers, or sailors…) continue to experience. They recover this ancient intuition by restoring the unity of such a feeling. - Les quartiers nantais à quinze minutes : marche et communication politique - Simon Citeau, Thibault Guiné p. 155-162
- Nietzsche et la marche : un esprit sain dans un corps sain… - Céline Bryon-Portet p. 163
- Tomber à la renverse. Vers une écologie de l'attention - Tim Ingold p. 164-167 Cet article explore la relation, dans la marche, entre subir et faire. Il situe la source de l'attention dans l'étirement de l'un par rapport à l'autre. Cependant, l'attention a deux facettes, l'exposition et l'accord. Chaque pas commence par la soumission de l'exposition, libérant le corps pour qu'il tombe, et se termine par la maîtrise de la syntonie, lorsqu'il trouve un point d'appui. La première étape est un moment d'aspiration, la seconde de préhension. En tombant à la verticale, l'homme est toujours en avance sur lui-même, ouvrant un espace pour l'histoire.
This essay explores the relation, in walking, between undergoing and doing. It finds the source of attention in the stretch of one over the other. Yet attention has two sides, of exposure and attunement. Every step begins with the submission of exposure, setting the body loose to fall, and ends with the mastery of attunement, as it finds a footing. The first is a moment of aspiration, the second of prehension. Falling upright, humans are always ahead of themselves, opening up a space for history. - Homme qui marche d'Alberto Giacometti, une icône pour la revue Hermès - Franck Renucci p. 168-174 Homme qui marche d'Alberto Giacometti est une icône du xx e siècle. Celle-ci serait-elle aussi celle d'une humanité, de la communication et des incommunications telles que la revue Hermès les discute ? Ne montrerait-elle pas ce qui échappe à la communication pour qu'elle puisse exister ? Cette œuvre rappelle un désir de vivre inaltérable. Comme dans l'art égyptien, Homme qui marche témoigne d'une vérité, d'une idée de la vie qui traverse le temps et l'espace : debout, marcher, être la figure d'une absolue liberté.
Alberto Giacometti's sculpture Homme qui marche is an icon of the twentieth century. Could it also be viewed as an iconic representation of humanity, communication, and incommunication, as these are explored in Hermès ? Does it not reveal what evades being communicated, which is also what enables communication to exist? Giacometti's work calls to mind a steadfast and unalterable desire to live. As in Egyptian art, Homme qui marche bears witness to a truth, to an idea about life that transcends time and space: standing tall, striding forward, the figure of a freedom that is absolute. - Rencontre avec Bernard Plossu - Bernard Plossu p. 175-180
Partie IV : Les phénomènes contemporains de la marche au prisme de la communication
- Du slow play aux walking sims : les enjeux expressifs et narratifs de la marche dans les jeux vidéo - Sébastien Genvo, Esteban Giner p. 183-188 Peu de travaux issus des sciences de l'information et de la communication portent directement sur le fait même de « marcher » dans un jeu vidéo, alors que de nombreux jeux contemporains font de cette allure un élément incontournable de leur game design. Comme nous le montrerons, cet éclairage communicationnel permet de mettre en évidence que la marche y vise la construction d'un certain rapport au monde fictionnel, aux croisements d'enjeux narratifs et expressifs.
The field of communication studies has produced little direct research into the implications of walking in video games, even though this ability is an essential element of video game design. As we will show, exploring its communicational dimension allows us to highlight how walking in video games seeks to construct a certain relation with the fictional world, at the crossroads where narrative and expressive issues meet. - Un pyrénéisme numérique peut-il exister ? - Frédéric Chose p. 189-193 La marche de loisir s'est développée à rebours de la transformation technique et urbaine de nos sociétés. En tant qu'expérience de soi et du monde dans la durée, son association récente avec les outils numériques (GPS, applis) peut étonner. Ce paradoxe est ici traité en étudiant la compatibilité de l'idée romantique du pyrénéisme et de la rationalisation due à l'information.
Recreational walking has developed in a way that is at odds with the urban and technological transformation of our societies. Because it involves an experience of the self and the world over time, its recent association with digital tools (GPS, apps) may seem surprising. We examine this paradox by exploring the compatibility of the romantic idea of pyreneism with the rationalization that arises from information. - Pèlerinages de jeux vidéo : poétique de l'itinéraire amoureux - Agnès Giard p. 194-198 En 2008, l'expression « pèlerinage » se répand au Japon pour désigner une pratique de marche propre aux fans de mangas ou de jeux vidéo qui visitent des lieux en lien avec leur œuvre favorite, calquant leurs périples sur le modèle des circuits bouddhiques. Au fil d'un cheminement ritualisé, il s'agit pour ces fans d'entrer en dialogue non seulement avec des êtres invisibles (les personnages de fiction), mais avec les autres fans (la communauté des initiés) ainsi qu'avec un monde social globalement hostile. La recherche s'appuiera sur le pèlerinage d'Atami initié par la firme créatrice du jeu LovePlus.
In 2008, the expression “pilgrimage” spread throughout Japan, designating a practice of walking that is specific to fans of manga and video games, who visit places connected with their favorite work, on the model of Buddhist pilgrimage and circumambulation. In following a ritualized path, these fans enter into a conversation not only with invisible entities (fictional characters) but also with other fans (the insider community), as well as with a social world that is generally hostile. This article explores the Atami pilgrimage started by Konami, the firm that created the LovePlus game. - Communiquer et se communiquer en faisant ses courses : Parcours sensibles autour de nos déambulations alimentaires - Pascal Lardellier p. 199-204 Faire ses courses, c'est encore marcher, la plupart du temps. Marcher, d'ailleurs, au supermarché, ou au marché. Or, cette démarche est particulièrement signifiante, s'inscrivant toujours dans une perspective communicationnelle. Le choix des créneaux de courses, des enseignes, des produits et des marques, des stratégies d'achat, tout cela communique des informations sur qui nous sommes, et peut même ressembler en un « système des courses ». Cet article en esquisse les contours.
Grocery shopping still involves walking, at least most of the time; we walk at supermarkets or at farmers' markets. Indeed, the walking we do in these settings is particularly meaningful and always involves a perspective informed by communication. Every aspect of shopping – the stores one visits, the products and brands that are purchased, one's buying strategies, and so on – is a choice that communicates information about who we are. All of these can be brought together into a “grocery shopping system,” the outlines of which will be sketched out in this article. - La marche en temps de confinement. Communiquer autrement avec son environnement naturel - Jocelyn Lachance p. 205-209 Pendant les épisodes de confinement, la marche est devenue plus que jamais une activité hautement réflexive ; si certains individus en furent pratiquement privés, ou parfois condamnés à errer entre les immeubles de leurs quartiers, d'autres prirent soudainement conscience du luxe que représentait le parc à proximité de leur demeure. En nous appuyant sur le récit d'adolescents et de jeunes adultes, nous défendrons l'hypothèse selon laquelle la marche en temps de confinement a révélé différentes manières de communiquer avec l'environnement naturel, et que ces différentes manières de communiquer fondent ce que certains auteurs nomment une « sensibilité environnementale ».
During the periods of confinement, walking became, more than ever, a highly reflective activity. While some people were effectively denied all possibility of walking outdoors and others were limited to wandering among the buildings in their neighborhoods, still others suddenly became very aware of what a privilege it is to have a garden in proximity to their home. Referring to accounts of the experiences of adolescents and young adults, we argue that walking during periods of confinement reveals different ways of communicating with one's natural environment, Further, these ways become the basis for what certain authors have called an “environmental sensibility.” - Sacraliser la marche sur Instagram : les chemins de Compostelle - Christophe Alcantara p. 210-215 Cet article interroge la communication sur Instagram initiée par les pèlerins de Compostelle. Il montre l'évolution de la marche vers Compostelle dans notre société sécularisée où le sanctuaire de l'apôtre Jacques n'est plus l'objectif du pèlerinage. L'auteur montre que le chemin, initialement moyen de circulation, devient le but du voyage avec l'expression d'une sacralité en ligne.
This article explores the Instagram communication of people making the pilgrimage to Santiago de Compostela. It shows how the walk to Compostela has developed in our secularized society, in which reaching the shrine of the apostle Saint James is no longer the goal of the pilgrimage. The author argues that with the expression of a form of sacredness on line, the Way, which initially served as a means of transit, has itself become the aim of the journey. - « Puissances du pèlerinage » - Bernard Valade p. 216-219 La marche à des lieux sacrés est un fait universel. Dans le monde chrétien, elle trouve principalement à s'illustrer avec les pèlerinages de Jérusalem, de Rome, de Lourdes. En tant que visite à des lieux saints, la démarche pèlerine a été documentée par de nombreuses études descriptives et folkloriques. En en faisant une « démarche d'accomplissement », Alphonse Dupront a mis en évidence la dimension vitale que lui donne la concupiscence de charges sacrales qui s'y exprime. L'attitude de l'Église a varié au cours des siècles à l'endroit de ces pratiques religieuses que d'aucuns qualifient encore de superstitieuses. L'importance de la pastorale populaire du pèlerinage a été cependant rappelée par les autorités vaticanes, notamment par le pape Jean-Paul II.Walking to sacred places is a universal phenomenon. In the Christian world, it is best illustrated by pilgrimages to Jerusalem, Rome and Lourdes. As a visit to holy places, pilgrimage has been documented by numerous descriptive and folkloric studies. Alphonse Dupront's description of pilgrimage as a “process of fulfillment” highlights the vital dimension that the concupiscence of sacred offices expresses. The Church's attitude to these religious practices has varied over the centuries, and some still describe them as superstitious. However, the importance of popular pilgrimage ministry has been reiterated by Vatican authorities, notably Pope John Paul II.
- Les accessoires du marcheur de la gare : entraves et ressources - Pauline Detavernier p. 220-224 Le marcheur de la gare n'est définitivement pas un marcheur urbain comme les autres : c'est aussi un marcheur obligé, encombré et augmenté. Quels impacts ces caractéristiques ont-elles sur les modalités communicationnelles, sur le ballet des marcheurs qui qualifie la gare ? Augmenté dans sa pratique, le smartphone en devient alors un outil à part entière. La duplicité entre cheminement physique et digital pose la question de l'existence d'une zone virtuelle au sein de la gare, de son impact sur la marche et sur la communication des individus entre eux.
Pedestrians walking in train stations are not at all like other urban wayfarers: their walking is required, crowded, and augmented. What influence do these qualities have on both the modes of communication and the ballet of foot traffic that are characteristic of a train station? In this context, the smartphone, as a practice involving augmentation, becomes a tool in its own right. The doubling of the physical and digital journey raises a question about the existence of a virtual zone within train stations and its potential impact on both walking and the communication among individuals. - De la marche à la marchabilité des espaces publics urbains - Jérémy Gaubert p. 225-230 À partir de l'expérience de la marche dans ses traits fondamentaux, la marchabilité revêt un nouveau sens : celui d'une hospitalité des espaces publics. Ce soin envers le piéton nous conduit à passer d'une logique de l'aménagement à celle du ménagement que nous décrivons comme un accueil et une invitation à la déambulation pédestre. La marchabilité relève alors d'une éthique et d'une esthétique des espaces urbains qui vise la richesse sensorielle, la dynamique spatiale et le lien à l'altérité.
Starting from the fundamental characteristics of the experience of walking, walkability takes on a new meaning: the hospitality of public spaces. Concern for pedestrians leads us to replace an approach based on layout and organization with a focus on thoughtfulness, which can be described as welcoming and encouraging perambulation. Walkability thus takes part in an ethics and aesthetics of urban spaces that seek sensory splendor, spatial dynamics, and a link with otherness.
- Du slow play aux walking sims : les enjeux expressifs et narratifs de la marche dans les jeux vidéo - Sébastien Genvo, Esteban Giner p. 183-188
Conversation avec…
- « On a besoin de médiateurs… j'essaie d'ouvrir des portes, de créer du désir » - Benoît Peeters, Brigitte Chapelain p. 233-238
Diagonales
- À l'hôtel d'Isadora sur les hauteurs de Meudon - Michel Lallemand p. 241-244 C'est dans ce qui fut l'hôtel particulier de la danseuse Isadora Duncan à Meudon-Bellevue, alors fréquenté par le sculpteur Rodin, que le CNRS implanta un ensemble de laboratoires au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un petit groupe de jeunes chercheurs qui y travaillaient s'organisèrent en auto-enseignement avec pour thème les nouveaux développements de la physique statistique du non-équilibre de l'école de Bruxelles. Baignés par l'ambiance de l'école de danse d'Isadora ils remplirent les tableaux de la salle du conseil des labos de graphes synthétiques et esthétiques jusqu'à un point de blocage de leur compréhension. C'est par la vision fugitive et polissonne d'un dessin esquissé par Rodin qu'ils pourront reprendre leurs recherches.
It was in what was once the private mansion of the dancer Isadora Duncan in Meudon-Bellevue, then frequented by the sculptor Rodin, that the CNRS set up a group of laboratories in the aftermath of the Second World War. A small group of young researchers who worked there organized themselves in a self-teaching program with the theme of the new developments of the statistical physics of the non-equilibrium of the Brussels school. Bathed in the atmosphere of Isadora's school of dance, they filled the tables of the board room of the labs with synthetic and aesthetic graphs to the point of blocking their understanding. It is through the fleeting and light vision of a drawing sketched by Rodin that they will be able to resume their research. - Communication politique au Togo : contexte, enjeux et perspectives - Kadidja Traore p. 245-249 Les définitions de la communication politique appliquées au Togo ne concordent pas avec les réalités qu'on y lit. Périodique, elle se résumerait plus à une simple propagande électorale qu'à un processus basé sur une stratégie de communication. Au Togo, on ne communique pas réellement pour gagner une élection, on communique pour répondre à la norme conventionnelle de faire campagne avant une élection. La notion « d'incommunication » de D. Wolton s'invite ici, pas dans le sens de la l'incompréhension et de la cacophonie, mais plus dans le sens de l'absence de communication et surtout du refus de communiquer de la part des autorités politiques togolaises. Cette situation prend sa source dans la réalité démocratique et engendre une non-professionnalisation du métier de communicant politique.The definitions of political communication applied in Togo do not match the realities we read about. In Togo, political communication is not really about winning an election, it's more about electoral propaganda than a process based on a communication strategy. In Togo, we don't really communicate to win an election, we communicate to meet the conventional norm of campaigning before an election. D. Wolton's notion of “incommunication” comes into play here, not in the sense of incomprehension and cacophony, but more in the sense of the absence of communication and above all the refusal to communicate on the part of Togo's political authorities. This situation is rooted in the reality of democracy, and has led to the unprofessionalization of the profession of political communicator.
- À l'hôtel d'Isadora sur les hauteurs de Meudon - Michel Lallemand p. 241-244
Lectures
- Anne Longuet Marx, Le Soleil et l'envol. À la rencontre de Simone Boisecq et Karl-Jean Longuet, sculpteurs, L'Atelier contemporain, 2022. - Brigitte Chapelain p. 251-252
- Armen Khatchatourov, Olga Avenati, Pierre-Antoine Chardel, Isabelle Queval (dir.), Corps connectés. Figures, fragments, discours, Paris, Presses des Mines, 2022, 200 p. - Brigitte Munier p. 252-254
- Delsol C., Nowicki J. (dir.), La vie de l'esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945. Dictionnaire encyclopédique, Les éditions du Cerf, 2021. - p. 254-255
- Bruno Raoul, Le Territoire à l'épreuve de la communication. Mutations, imaginaires, discours, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020, 388 p. - Daniele Zappalà p. 255-257
- Jean-Luc Hees, Ces ondes merveilleuses. La radio a cent ans, BakerStreet, 2021. - Brigitte Chapelain p. 257-258
- Jean Corneloup, La transition récréative. Une utopie transmoderne, préface de Bernard Kalaora, Rouen, PURH, 2022, 496 p. - Éric Dacheux p. 258-260
Hommages
- Martine Segalen, ethnologue de la famille et du chez soi - Martine Segalen, Thierry Paquot p. 263-268