Contenu du sommaire : Revue OFCE n° 102 Numéro spécial 25 ans
Revue | Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques) |
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Numéro | no 102, été 2007 |
Titre du numéro | Revue OFCE n° 102 Numéro spécial 25 ans |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- La revue de l'OFCE a 25 ans - Jean-Paul Fitoussi p. 7
- La création de l'OFCE - Jean-Marcel Jeanneney p. 11
- Théorie macroéconomique pour une économie moderne - Conférence Nobel - Edmund S. Phelps p. 15 Là où elle fut adoptée complètement, « l'économie moderne » a bien engendré une transformation profonde des nations, mais pas tellement de l'analyse économique. Dans l'analyse néo-classique, l'accent est mis, non pas sur les êtres humains et leurs comportements, mais sur les prix et les quantités. J'ai toujours voulu pour ma part mettre de l'humain dans les modèles économiques, de l'analyse de la détermination du chômage à l'étude de la fabrique de la croissance. Dans les économies modernes, caractérisées par l'accessibilité du changement endogène, l'innovation et la découverte influencent largement le degré de participation et le degré de récompense. Ainsi apparaît la question de la « bonne économie », c'est-à-dire l'économie qui génère et favorise la stimulation, le défi, l'engagement, la maîtrise, la découverte et le développement intellectuel, qui constituent la bonne vie.This article is a revised version of the lecture Edmund S. Phelps delivered in Stockholm, Sweden, on December 10, 2006, when he received the Bank of Sweden Prize in Economic Sciences in Memory of Alfred Nobel. The modern economy, where fully adopted, has been transformative for nations — but much less so for economics. In neoclassical economics, the object of the theory is often not human endeavor as we know it — only « prices and quantities ». Trying to put people into economic models became my project, from the analysis of the determination of the unemployment rate to the study of the business of growth. In modern economies, marked by the feasibility of endogenous change, innovation mechanism and discovery largely shape the experience and the rewards of participating in the economy. Thus emerges the question of the good economy, i.e. an economy that produces the stimulation, challenge, engagement, mastery, discovery, and development that constitute the good life.JEL Classification: E24, E50, E6, O10, O11, O43.
Macroéconomie : théories et politiques
- Vers une macroéconomie fondée sur des agents autonomes et intelligents - Peter Howitt p. 55 L'article discute du programme de recherche dont Axel Leijonhufvud s'est fait l'avocat pour étudier le processus de coordination dans une économie de marché décentralisée. La recherche utilise une modélisation fondée sur le comportement des agents, une approche qui suppose des règles exogènes pour un comportement adaptatif. Cette hypothèse assure, effectivement, leur autonomie aux agents, en leur permettant d'agir sans la supervision du modélisateur. Par opposition, les agents du modèle d'équilibre avec anticipations rationnelles ont besoin d'être informés de certaines caractéristiques de leur environnement, avant d'être capables d'agir. L'article soutient aussi qu'une approche fondée sur le comportement des agents confère à l'individu plus d'intelligence que ne le fait l'approche classique en termes d'optimisation. Ceci parce que dans des situations où les individus manquent de l'information qui leur permet de former des anticipations rationnelles, des règles simples sont plus robustes et permettent une adaptation plus rapide que les règles impliquées par la théorie bayésienne standard, qui sont fixées sur la base de croyances préalables. L'analyse met l'accent sur le rôle des firmes comme agents de coordination qui organisent les activités d'échange. Leur rôle dans l'analyse est analogue à celui du commissaire-priseur de l'analyse néo-walrasienne, mais ici ils font face à de réels coûts en ressources et opèrent en situation de vraie incertitude. Les simulations montrent qu'un réseau d'entreprises spécialisées dans le commerce peut émerger de l'autarcie quand les individus suivent de simples règles myopes. Les interactions entre entreprises commerciales et ménages donnent lieu à un processus de multiplication entraîné par la faillite des entreprises commerciales, qui peut parfois se produire en cascade. Enfin, l'analyse peut également être utilisée pour illustrer de possibles effets déstabilisateurs d'une flexibilité excessive des prix et des salaires ; en effet, quand l'économie est affectée par la faillite d'une entreprise commerciale, les ajustements de prix et de salaire sont de peu de secours pour rétablir un état coordonné, ce qui requiert l'entrée d'une nouvelle firme et la création de nouvelles relations commerciales, et non des ajustements de prix.This paper discusses a research agenda that has been advocated by Axel Leijonhufvud for studying the coordination process of a decentralized market economy. The research used agent-based modeling, an approach that assumes exogenous rules for adaptive behavior, thereby endowing agents with an autonomy that is impossible in a rational-expectations-equilibrium approach. The paper argues that this approach also endows people with more intelligence than would a standard optimizing approach. The analysis focuses on the role of business firms as coordinating agents who organize trading activities. Computer simulations show that a network of specialist trading enterprises can emerge from autarky when people follow simple myopic rules. The interactions between trading enterprises and households results in a multiplier process which can be shown to mimic time-series behavior of detrended real GDP in the United States. The analysis can also be used to illustrate the possibly destabilizing effects of excessive wage/price flexibility.JEL Classification: B4, D50, D58, D83.
- Croissance et finance - Philippe Aghion p. 79 De nombreuses et récentes contributions ont cherché à expliquer pourquoi des différences de productivité persistaient entre les pays riches et les pays pauvres et pourquoi certains pays s'éloignent de la frontière technologique mondiale, que ce soit en termes de PIB par tête ou de croissance, tandis que d'autres au contraire la rejoignent.Dans cet article, nous analysons l'impact des imperfections du marché du crédit sur la performance relative de croissance d'un pays et sur la convergence ou la divergence des économies, suivant l'observation de Lucas selon laquelle les flux de capitaux ne vont pas des pays riches vers les pays pauvres alors que le rendement marginal du capital est plus élevé pour ces derniers. Nous analysons également l'interaction entre les imperfections du marché du crédit et les politiques macroéconomiques.Nous montrons que l'interaction entre le développement financier et les variables macroéconomiques comme la productivité ou la volatilité macroéconomique dans des régressions reliant croissance et finance est riche en conclusions empiriques, par exemple sur la convergence et la divergence ou sur les effets sur la croissance des politiques macroéconomiques contra-cycliques.Various attempts have been made recently at explaining why productivity differences persist between rich and poor countries, and why some countries diverge from the world technology frontier in terms of their per capita GDP levels or growth rates, while other countries manage to catch up with the world frontier. We explore the role of credit market imperfections in explaining cross-country growth performance and cross-country convergence and divergence, following Lucas's observation that capital does not flow from rich to poor countries even though the marginal return to capital is higher in the latter. We also analyse the interplay between credit market imperfections and macroeconomic policies. We show that interacting financial development with macroeconomic variables such as average productivity or output volatility in growth and finance regressions generates a rich set of new empirical predictions, e.g. on convergence and divergence, and on the growth effect of countercyclical macroeconomic policies.JEL Classification: F21, F30, F4, F5, G1, O14, O16, O4.
- Que devrions-nous entendre par "politique de croissance" ? - Robert M. Solow p. 101 Pour diverses raisons, la théorie de la croissance moderne, néo-classique, a centré son attention sur une croissance exponentielle à l'état stationnaire. La fonction principale d'un modèle semble être alors de déterminer ou d'« expliquer » le taux de croissance de long terme. À cette fin, des hypothèses particulières sont introduites dont le seul but réel est de garantir l'existence d'un ou plusieurs états stationnaires exponentiels. La raison originale en est rapidement oubliée et l'hypothèse introduite pour des raisons de commodité devient standard. Ce schéma d'analyse est inutile et, plus grave encore, source d'erreurs pour à la fois la théorie et la politique économique. Il semble plus naturel de définir comme « politique de croissance » tout ce qui élève de façon permanente le sentier de croissance corrigé du cycle de l'économie, même s'il ne s'agit que d'ajouter un pourcentage constant au sentier existant. Le point le plus important est qu'une fois la théorie économique émancipée du besoin de générer des sentiers de croissance exponentiels et des moyens d'en accroître plus encore la pente, alors la voie est ouverte à des choix plus discriminants d'hypothèses, guidés davantage par la pertinence empirique que par des artifices de commodité.S'il existe une leçon générale pour la théorie macroéconomique dans ces considérations, ce n'est pas que les hypothèses simplificatrices doivent être évitées. Ce serait la fin de tout raisonnement systématique sur l'économie. La leçon serait plutôt que les hypothèses simplificatrices doivent être choisies avec grande attention. Bien sûr, elles doivent être commodes et simplificatrices ; mais il est également important qu'elles n'aient pas pour effet involontaire de déformer la théorie en excluant d'importantes possibilités ou en dirigeant l'attention sur des cas particuliers arbitraires. La mobilisation de la théorie économique dans l'intérêt de la politique économique suppose la recherche d'un équilibre délicat entre réalisme et abstraction.For various reasons — empirical, technical and casual — modern (neo-classical) growth theory has centered its attention on steady-state exponential growth. When the models are intented to serve as a guide to policy, the tacit presumption is that the goal of growth policy is to increase the long-term growth rate. It seems more natural to define as « growth policy » anything that permanently lifts the cyclically-corrected trend path of the model economy, even if it only adds a constant percentage to a pre-existing path. The deeper point is that once growth theory is freed of the need to generate exponential paths and ways to tilt them, the way is open to a more discriminating choice of assumptions, governed more by empirical validity and less by artificial convenience. If there is a general lesson for macroeconomic theory in these considerations, it is not that convenient simplifications should be avoided. It is rather that convenient simplifications have to be chosen with care.JEL Classification: E60, O11, O40, O43.
- Le rôle des institutions et des normes sociales dans la détermination des politiques économiques - Jean-Paul Fitoussi p. 109 Un certain nombre d'hypothèses — structurelles, institutionnelles, macroéconomiques — ont été avancées pour expliquer les différences de performance économique entre l'Europe et les États-Unis dans le dernier quart de siècle. Cet article fait retour sur le sujet, en l'abordant sous un angle différent, comme on contourne un problème pour tenter ensuite de mieux l'affronter. Ce ne sont pas les performances qu'il s'agit de comparer, mais l'action de gouvernements confrontés à des problèmes similaires. Comment comprendre, en effet, la différence systématique de stratégies macroéconomiques de part et d'autre de l'Atlantique ? Pourquoi les politiques macroéconomiques ont-elles été, depuis au moins deux décennies, si actives aux États-Unis et si passives en Europe ? Pourquoi les gouvernements européens acceptent-ils depuis si longtemps, avec une apparente résignation, un niveau de chômage aussi élevé et une croissance aussi « molle » ?Après avoir passé en revue les différentes réponses théoriques que j'ai moi-même avec d'autres auteurs tenté d'apporter à ces questions et évoqué les travaux qui les contredisaient, l'article tente de tester une nouvelle hypothèse : supposons, en effet, que les normes sociales aient changé « la révolution conservatrice », et que les nouvelles normes exigent un degré plus élevé d'inégalité dans la société ; alors les politiques macroéconomiques doivent être actives là où ce degré plus élevé d'inégalité a été atteint et passives là où il ne l'est pas encore, de manière à l'atteindre.L'article est structuré en quatre parties. La première démontre dans le cadre d'un modèle d'équilibre général qu'un plus grand consentement social aux inégalités conduit généralement au chômage et à une pression forte sur les systèmes de protection sociale là où ils existent. La seconde montre en quelle mesure ce changement affecte à son tour les politiques macroéconomiques, en les incitant à être structurellement restrictives. La troisième évoque l'hypothèse alternative des rigidités, et la possibilité d'une justification autonome des réformes structurelles. Enfin la quatrième partie montre, à partir d'un modèle d'Akerlof révisé pour la circonstance, comment au sein « du club européen », des considérations de réputation incitent à des comportements dits « vertueux », c'est-à-dire restrictifs.The main purpose of this paper is to understand the course of macroeconomic policy in Europe in the light of several theories which have shown that it was barely adapted to the different shocks that have hinted the European economy in the last two decades. As a result, the performance of the EU economy in general and the Euro area economy in particular have been poor. The mainstream diagnosis of this situation is the structural « sickness » of the European economy, and more specifically of its « big » continental countries. This diagnosis certainly contains bits of truth, and even if it contains also a lot of rhetoric, it has become a common belief. Common beliefs, whatever their theoretical and empirical underpinning, act as social norms. I thus put forward the working hypothesis that a change in social norms may explain the course of macroeconomic policies in Europe — their non reactivity to unemployment and/or soft growth — if we admit that their implicit aim is to show that the only way out are structural reforms to adapt to the new social norm.JEL Classification: D50, E12, E24, E61, E65, H55.
- La fin de l'histoire (économique) - Jean-Paul Fitoussi p. 125 Certains articles, pour des raisons qui demeurent en partie obscures, laissent une trace durable dans l'histoire intellectuelle. C'est le cas de celui de John Maynard Keynes, « Perspectives économiques pour nos petits-enfants ». Une explication possible de ce succès est la justesse des prédictions quantitatives de Keynes, à un siècle de distance, quant au niveau de vie des habitants des pays développés. Une autre réside dans la nature-même des questions qu'il pose : le fonctionnement du système capitaliste pourrait-il aboutir à la résolution du problème économique et, partant, conduire à la fin du capitalisme lui-même ? À quoi pourrait ressembler la vie des gens dans un monde où le problème économique aurait disparu ?Les réponses apportées par Keynes à ces questions peuvent être diversement appréciées. Si nous sommes effectivement aujourd'hui huit fois plus riches qu'il y a un siècle — comme son arithmétique des intérêts composés le prévoyait — la résolution du problème économique est toujours devant nous. C'est que Keynes annonçait que la fin de l'histoire économique adviendrait lorsque les besoins « absolus » de l'homme seraient satisfaits. C'est une analyse naïve des besoins humains fondée sur une interprétation erronée des travaux de Freud qui le conduisit à une telle conclusion (la névrose du capitalisme). De même, c'est une espèce de communisme des élites qu'il préconise comme mode de vie une fois l'humanité débarrassée de l'urgence économique.Ce qui est remarquable dans « Les perspectives économiques », c'est la puissance de l'intuition de Keynes, et ce qui l'est encore plus, c'est la nature des questions qu'il pose. Tous les économistes devraient s'efforcer de répondre à la question des finalités du système économique et de sa fin possible. Sans doute porteraient-ils alors sur leur discipline un regard différent. Ce qui est décevant, c'est la naïveté avec laquelle Keynes traite des besoins humains et ce qui l'est davantage encore, c'est son arrogance et la morale pour le moins discutable qui l'accompagne.Some papers, for reasons which remain partially obscure, leave a persistent trace in intellectual history. Such is the case with Keynes' « Economic Possibilities for our Grandchildren » and its central questioning: Could the very functioning of the capitalist system lead to the solution of the economic problem and hence to the end of capitalism itself? This paper sustains that the answers given by Keynes to this question are grounded on three elements: arithmetic, the neurosis of capitalism and the communism of the elites. On the first element, Keynes is right; one may even argue that his reasoning anticipates Solow's growth model. The second element is rooted in the context in which Keynes was writing and grounded on a false interpretation of Freud's work which led him to a simplistic analysis of human needs. The third element unveils his aristocratic view of society. What is remarkable in « the economic possibilities » is the powerful intuition of Keynes and even more remarkable the nature of the questions he poses. What is deceptive is the naivety with which Keynes deals with human needs and even more deceptive his arrogance and the questionable moral which goes with it.JEL Classification: A13, D11, D63, E12, E21, O47, P17.
- Vers une macroéconomie fondée sur des agents autonomes et intelligents - Peter Howitt p. 55
Globalisation et gouvernance mondiale
- Le "Shadow G8" 2007 - Joseph E. Stiglitz p. 139 Un groupe pluraliste de citoyens engagés venant du monde entier (comprenant notamment d'anciens hauts fonctionnaires et d'éminents économistes) s'est réuni le 9 février 2007 à l'Université de Columbia, sous le patronage de l'Initiative for Policy Dialogue, de la Fondation Friedrich Ebert et de Erlassjahr (le mouvement allemand pour l'annulation de la dette), afin d'envisager les principales questions qui se posent aujourd'hui à l'échelle planétaire et d'examiner comment les responsables du G8, qui se rencontraient à Heiligendamm du 6 au 8 juin 2007, pourraient progresser dans leur traitement et leur résolution. Ce groupe, baptisé « Shadow G8 », se réunissait pour la première fois. Ses membres ont en particulier étudié le programme de l'initiative « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale » (« Growth and Responsibility ») annoncé par la Présidence allemande, ce qui pourrait ou devrait y figurer, et ce qu'ils estimaient être leurs ambitions minimales — le niveau d'exigence que devaient se fixer les dirigeants mondiaux dans la réalisation de ce programme. Le texte qui suit est la synthèse de leurs débats et propositions.A diverse group of concerned citizens from around the world (including former government officials and leading economists) met at Columbia University on February 9 2007, under the sponsorship of the Initiative of Policy Dialogue, the Friedrich Ebert Foundation, and Erlassjahr, to consider the major issues facing the world today, and how the leaders of the G-8, meeting in Heiligendamm on June 6-8, 2007, might most effectively make progress in addressing those issues. This was the first meeting of this « Shadow G8 ». Participants considered the announced agenda « growth and responsibility », what might or should be included in that agenda, and what they considered to be the minimum aspirations — the bar that the leaders should set for themselves in advancing this important agenda. The following is the Chairman's summary of the debates.JEL Classification: F13, F35, O19, O2.
- De la première à la seconde globalisation - Michel Aglietta et Jacques Le Cacheux p. 155 À partir du milieu du XIXe siècle et jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, le monde a vécu une première globalisation dont les caractéristiques sont profondément différentes de celle entamée à la fin du siècle dernier. Comme les États-Unis aujourd'hui, le Royaume-Uni était alors la puissance économique, monétaire et financière dominante, mais le cœur de l'économie mondiale qu'elle constituait avec quelques autres pays européens dégageait une épargne nationale importante et exportait massivement capitaux et main-d'œuvre vers le reste du monde. Le régime de croissance qui s'est mis en place à l'échelle mondiale à cette époque, même s'il n'était pas exempt de crises, était sous-tendu par des flux internationaux et des mécanismes monétaires stabilisants. Au contraire, parce que les États-Unis épargnent peu, la seconde globalisation en cours facilite l'accumulation des déséquilibres, notamment financiers, engendrant des crises récurrentes.Conçu pour analyser les interactions entre évolutions démographiques et flux économiques et financiers dans le monde du XXIe siècle, caractérisé entre autres par un vieillissement démographique qui gagne successivement les différentes régions du monde, et par des progrès techniques naissant dans les économies les plus avancées et se diffusant dans le reste du monde, engendrant ainsi des phénomènes de rattrapage économique, le modèle INGENUE est un outil destiné à l'exploration de scénarios cohérents d'évolution de l'économie mondiale au cours des décennies à venir. Il permet de déterminer les flux internationaux de biens et de capitaux, les rythmes de croissance des grandes régions du monde, les taux de rendement du capital, etc., qui sont compatibles avec les changements démographiques et avec des hypothèses plausibles de diffusion technologique. Il permet également d'étudier les modifications induites par des changements dans le rythme de rattrapage des grandes régions — notamment la Chine et l'Inde — ou par des réformes de certaines institutions clés influant sur les comportements d'épargne des ménages, telles que les régimes publics de retraite par répartition.The current globalization process contrasts with the first globalization, in the second half of the XIXth century, with respect to international flows of production factors and to monetary arrangements: during the first globalization, Great Britain, the then dominant power, was a high saving, high population country, exporting capital and labour, and maintaining a stable, coherent international monetary system, the gold standard; in the first decade of the XXIrst century, the US is a low saving economy, and demographic dynamism is mostly in the rest of the world. With the US a net importer of capital, and international monetary arrangements not conducive to equilibrating evolutions, the current globalization is unsustainable. With the help of the OLG-CE, world model INGENUE, we explore a sustainable world growth regime based on equilibrating capital flows, from rich and ageing countries to poorer and demographically more dynamic regions.JEL Classification: C68, D91, F21.
- Echange international et distorsions internes - Comment gouverner la globalisation ? - Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno p. 205 La concurrence des pays émergents de la taille de la Chine ou de l'Inde fait resurgir avec force le débat qui oppose partisans et adversaires du libre-échange au sein même des pays développés. Pour les premiers, la croissance du commerce international est forcément bénéficiaire pour tous. Pour les seconds, elle est la cause de tous les maux et en particulier du chômage. Les choses sont pourtant bien différentes et beaucoup moins simples. Les changements dans le commerce international, comme d'ailleurs le progrès technique, créent inévitablement des distorsions qui perturbent le fonctionnement de l'économie. Ces distorsions ne sont pas réductibles à des dysfonctionnements des marchés des biens ou du travail. Elles ne peuvent donc pas être éliminées ab initio en choisissant des institutions optimales. Pour autant, des restrictions au commerce international ne sont pas une solution car elles risquent de créer d'autres distorsions qui viennent s'ajouter aux premières. Des distorsions avant tout intérieures appellent des solutions intérieures. Pour explorer ces solutions, il faut retenir une analyse conçue pour étudier, non les propriétés des positions d'équilibre avant et après l'ouverture à l'échange, mais les caractéristiques d'un processus de transition dont le succès n'est pas assuré. Ce type d'analyse permet de mettre en évidence la nécessité d'introduire une forme d'inertie dans les mécanismes d'ajustement. Si une relative flexibilité des salaires est encore possible quand l'intensité du changement est limitée, une certaine viscosité est requise dans le cas contraire, et un accès facilité aux ressources financières externes est nécessaire. Ce résultat pourrait aider à formuler les choix institutionnels et organisationnels à mettre en œuvre dans les économies qui veulent tirer avantage du commerce international et de la globalisation.Changes in the pattern of international trade inevitably create distortions that perturb the functioning of the economy. These distortions may not be reduced to malfunctioning goods or labour markets, and hence cannot be eliminated by simply choosing the optimal institutions. Domestic distortions call for domestic solutions. To explore these solutions it is useless to analyze the properties of equilibria before and after the opening to trade. Rather, we need to build an analytical framework suited to investigate the characteristics of a transition process whose success is not guaranteed ex ante. it appears that wage rigidity and an easy access to external financial resources are necessary in presence of fast pace of change, while if change is sufficiently slow the standard recipe of wage flexibility may be appropriate. These results may help in the institutional and organizational choices to be implemented in economies willing to profit from international trade and globalization.JEL Classification: F16, F41.
- Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation : pour quoi faire ? - Etienne Wasmer et Jakob von Weizsäcker p. 223 Le tout nouveau Fonds européen de mondialisation (FEM) représente une tentative de partager les bénéfices de l'ouverture aux échanges au niveau européen, en ciblant des aides sur les travailleurs perdant leur emploi dans le processus de délocalisations. Nous montrons que les effets de ces délocalisations représentent un choc de revenu important, même si d'autres travailleurs perdant leur emploi pour d'autres raisons souffrent de pertes de revenus de niveau similaire. En dépit de cela, il existe une rationalité à la création d'un outil centralisé au niveau de l'Europe, dans la mesure où la politique commerciale est aussi décidée au niveau européen. Nous plaidons pour réduire le niveau de discrétion des règles du FEM et de limiter son usage à deux mesures actives sur le marché du travail, une assurance salariale et une aide forfaitaire aux salariés qui changent de région.The recently established European Globalization Fund (EGF) is an attempt to better share the benefits of globalisation at the EU-level, targeting workers who loose their job due to trade-induced mass lay-offs. We find that the typical income shock for trade displaced workers is a serious one. However, workers displaced not through trade suffer a similar income shocks. We argue that the trade focus and the centralization at EU level may be justified on political economy grounds because trade policy is also decided at the EU level. But current EGF rules leave too much room for discretionary decisions. Therefore, we propose that the EGF focus on two simple active labour market schemes: a wage insurance scheme and lump-sum mobility allowances.JEL Classification: F00, F16, J62.
- Le "Shadow G8" 2007 - Joseph E. Stiglitz p. 139
Les politiques de l'Europe
- Politiques et performances macroéconomiques de la zone euro - Institutions, incitations, stratégies - Jérôme Creel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux p. 249 L'économie européenne, et en particulier celle de la zone euro, affichent des performances macroéconomiques visiblement moins bonnes que celles des autres régions du monde, alimentant le sentiment du déclin de l'Europe et les discours sur la nécessité de réformes structurelles et d'allégement des coûts du travail et de la protection sociale, afin de rendre à l'Union européenne sa compétitivité. Si le bien-fondé du diagnostic n'est guère discutable, du moins dans ses grandes lignes et surtout pour la zone euro, l'identification des causes du mal et les remèdes proposés le sont, quant à eux, bien davantage. En effet, les institutions et les règles mises en place dans la zone euro pour gérer la monnaie unique et encadrer le maniement des politiques budgétaires nationales apparaissent clairement inappropriées. Les autorités monétaires sont trop exclusivement préoccupées par la stabilité monétaire, dans une acception particulièrement étroite de la notion, et la politique monétaire apparaît donc insuffisamment réactive aux ralentissements et trop rapidement restrictive en cas de reprise. Cela renforce les biais procycliques contenus dans le Pacte de stabilité, en tout cas tel qu'il était interprété avant la réforme du printemps 2005. Cette règle budgétaire comporte en outre des incitations peu favorables aux politiques de croissance durable. Et le policy mix qui émerge spontanément des stratégies adoptées par les différents acteurs en réponse à ces institutions et règles engendre des évolutions du taux de change de l'euro qui poussent les gouvernements nationaux des États membres à privilégier les stratégies non coopératives, notamment la « désinflation compétitive » et la concurrence fiscale et sociale, en outre souvent encouragées par les instances européennes, par la composition même de l'UE, de plus en plus dominée par un nombre important de « petits pays » qui trouvent leur compte dans ces stratégies, et par les procédures communes. Ces tendances à des comportements nationaux opportunistes sont dommageables à l'Union dans son ensemble, et ne pourraient être contrées que par l'institution de meilleures règles du jeu macroéconomique, ou simplement par une interprétation des traités plus favorable à l'émergence de stratégies coopératives.Economic performance has been feeble in the Euro area since the monetary union process was put in motion in the early 1990s. While the cause for this under-performance remains subject to debate, we argue in this paper that the rules and institutions governing the Euro area are clearly not conducive to high coordinated growth policies. Because monetary authorities are too much concerned with price stability, the pro-cyclical bias of fiscal policies is reinforced and member states are even more pressured to pursue social disinflation policies by the misalignment of the exchange rate of the Euro. A more balanced interpretation of the European treaties should remedy the current predicament and foster macroeconomic policies oriented toward high sustainable growth and the preservation of social justice.JEL Classification: E42, E58, E61, F31, N14.
- Normes sociales et politiques européennes - Jean-Paul Fitoussi et Francesco Saraceno p. 283 Cet article reconsidère les arguments qui pèsent en faveur et en défaveur du « Pacte de stabilité et de croissance » signé par les pays de la zone euro. Nous montrons que le débat théorique n'est pas concluant, dans la mesure où les arguments d'externalité comme ceux de crédibilité pourraient tout aussi bien être utilisés pour atteindre des conclusions opposées, mais également plausibles. Nous soutenons aussi qu'il n'existe que peu de preuves empiriques en faveur d'une règle telle que le Pacte. Nous émettons alors l'hypothèse que le Pacte de stabilité est une norme sociale publique, et que l'adhésion d'un pays à cette norme découle en réalité du besoin de préserver sa réputation auprès des autres membres de l'Union européenne. À partir de cette hypothèse peu conventionnelle mais plausible, nous élaborons un modèle simple, similaire dans son esprit à celui développé par Akerlof sur les normes sociales, et nous démontrons que les considérations de réputation peuvent aboutir à l'émergence d'un équilibre stable, mais inférieur à celui qui aurait autrement prévalu.Nous démontrons de plus que, suite à l'élargissement, c'est-à-dire à l'entrée dans le club d'un grand nombre de pays soucieux de démontrer leur « bonne gestion », les problèmes posés par le Pacte devenu norme sociale risquent fort de s'aggraver.This paper reviews the debate on the Stability and Growth Pact. Both empirical and theoretical arguments in favour of the Pact are weak, to warrant a different and plausible (even if extreme) hypothesis: We suggest the view that the Stability Pact is a public social norm, obeyed by countries because of the fear of reputation losses. Our simple model shows that reputation issues may cause the emergence of a stable but inferior equilibrium. Within this framework, the enlargement to more undisciplined countries may worsen the problems posed by the Pact.JEL Classification: D63, D71, E62, E63.
- Comment expliquer les disparités économiques dans l'UEM ? - Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak p. 315 Depuis le lancement de l'euro, les économies de la zone euro ont connu des disparités persistantes et souvent croissantes. Ces disparités sont sources de tensions en Europe ; elles rendent difficile la mise en œuvre de politiques économiques communes, tant structurelles que conjoncturelles. L'article présente un panorama des divergences en termes de croissance et d'inflation et de la persistance de certains déséquilibres (chômage, déficit extérieur). Quatre explications sont présentées et discutées : les avantages donnés par la monnaie unique aux pays en rattrapage ; les défauts de l'organisation de la politique économique dans la zone euro ; le caractère non coopératif des politiques économiques nationales qui aurait entraîné trop de compétition et pas assez de coordination et aurait particulièrement nui aux pays les plus grands ; enfin la crise du modèle continental face à la mondialisation. Quatre stratégies sont discutées : la flexibilisation des marchés ; la marche vers l'économie de la connaissance préconisée par l'Agenda de Lisbonne ; la renationalisation des politiques économiques ou une nouvelle organisation de la politique économique européenne plus orientée vers la croissance.Since the launch of the Euro, persistent and even rising disparities among Member States have made it difficult to implement short-term or structural common economic policies. The article gives an overview of Euro area disparities in terms of growth and inflation and imbalances, mainly unemployment and current accounts. Four explanations are considered: the benefits of the single currency for catching-up countries, the weaknesses of the euro area economic policy framework; the implementation of non-cooperative domestic policies which have induced excessive competition and insufficient coordination and hurt mainly the larger economies; the crisis of the European Continental model in a global world. Four strategies are discussed: increasing market flexibility; moving towards the knowledge society of the Lisbon Agenda; re-nationalising economic policies; introducing a more growth-oriented policy framework.JEL Classification: E61.
- Concurrence et innovation en Europe - Le dilemme de la compétitivité - Jean-Luc Gaffard p. 353 La compétitivité des entreprises et encore plus des nations est difficile à établir dans la mesure où elle n'est pas réductible à l'existence de règles et d'institutions favorisant la concurrence et assurant les incitations nécessaires à une innovation elle-même réduite à l'acquisition de nouvelles technologies. L'innovation est un processus de destruction créatrice qui implique que firmes et nations engagées dans un tel processus doivent surmonter des difficultés incarnées dans des chutes temporaires de performance avant de pouvoir tirer avantage de leurs choix. Dans cette perspective, la capacité à innover, c'est-à-dire les conditions de viabilité de l'évolution, comptent autant sinon plus que les incitations à innover. Les pratiques monopolistiques et l'acceptation de dérives temporaires du taux d'inflation ou des budgets, loin de constituer systématiquement un obstacle, deviennent une condition de cette viabilité.Il appartient, alors, aux autorités, dans les différents domaines de l'intervention publique, de faire les arbitrages nécessaires entre des objectifs ou des intérêts divergents, voire opposés. Il leur appartient de dire quelles pratiques sont acceptables et quand elles le sont, de dire quand il faut réduire le taux d'inflation et quand il faut le tolérer. Il en résulte qu'il n'y a pas de règles d'institutions optimales, mais des règles et des institutions qui garantissent l'existence de ces arbitrages face aux conséquences des changements structurels. Ces considérations devraient pouvoir alimenter la réflexion sur la nature des réformes institutionnelles dont l'Europe a besoin pour mieux piloter les choix conjoncturels comme les politiques structurelles.Competition among firms as well as among countries is one of the main innovation engines. In this perspective, growth policy should be understood as the formulation and enactment of the rules that assure full competition. However, things are much more complex in reality. Innovation is a creative destruction process that implies the disruption of a given productive structure, and the construction of a new and different one. This process can succeed or fail. It brings about co-ordination problems, not only at the innovating firms' level but also in relation with the environment. Focusing on the co-ordination conditions of the out-of-equilibrium process stirred by the choice of a given technology rather than on the incentives determining this choice has paramount analytical and policy implications. Monopolist practices as well as active macroeconomic policies thus appear as necessary means to guarantee the viability of the process of change. This view calls for trade-offs between conflicting objectives.JEL Classification: L1, L03, L04.
- La stratégie environnementale de l'Union européenne - Jean-Paul Fitoussi, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux p. 381 L'économie de l'environnement entremêle les questions économiques et d'économie politique les plus complexes en théorie et les plus retorses en pratique : la justice entre les générations, la production et la préservation des biens publics, la gestion des externalités au niveau national et international, la cohérence temporelle des politiques publiques ou encore l'action collective globale et régionale. Supposer un arbitrage entre croissance économique et préservation des ressources naturelles est une façon naïve de poser le problème, lorsque l'on sait que, pour l'essentiel, les outils ont été inventés par l'homme pour transformer la nature. Les véritables arbitrages portent sur les différents modes de développement durable et les moyens pratiques de les mettre en œuvre. La politique environnementale est en effet un art d'exécution : tout est affaire de moyens et de méthodes dès lors que les fins font, sur l'essentiel, l'objet d'un consensus. Ainsi, les États européens sont-ils parvenus à s'accorder sans trop de mal en mars 2007, sous la vigoureuse impulsion de la Présidence allemande, sur l'objectif de réduire unilatéralement de 20 % d'ici à 2020 leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. Mais le problème demeure entier : comment ? Comment faire pour que le projet d'une Europe durable ne devienne pas « un agenda de Lisbonne » bis, une immense ambition aux moyens minuscules ?L'analyse économique passe en plein milieu du problème environnemental ainsi défini : elle ne peut guère se prononcer, en amont, sur la validité du consensus scientifique qui s'est construit sur le changement climatique et encore moins, en aval, sur les qualités technologiques respectives des méthodes de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Elle peut en revanche à la fois offrir son expertise sur la pertinence des modèles utilisés pour calculer les effets de moyen et long terme du changement climatique sur les modes de vie et trancher le problème de l'efficacité potentielle des systèmes d'incitation envisagés pour atteindre des objectifs environnementaux donnés. La contribution de cet article porte sur ce dernier point. Nous tentons de répondre à la question : l'Union européenne dispose-t-elle du meilleur système institutionnel pour mener à bien sa stratégie environnementale ? Après avoir montré pourquoi tel n'est pas le cas, nous proposons de l'améliorer en instituant une Communauté européenne de l'environnement, de l'énergie et de la recherche dont nous détaillons les objectifs et les instruments.Environmental policy is an art of execution. Hence the fact that European Union member states have recently managed to agree on targets of emissions to fight climate change leaves open the question of how they will meet them. Economics can not but embrace the scientific consensus on climate change and can not say much about the efficiency of alternative technologies. Yet, its expertise is valuable to calculate economic effects and fairness of policies and to assess the relevance of incentives structures and effectiveness of institutions put into place to convert scientific consensus into action. This article is concerned with this latter point: does the EU have the right institutions to fight climate change? We claim that such is not the case, and offer to institute a « European Community of Environment, Energy and Research » to go forward.JEL Classification: F59, O52, Q48, Q54, Q58.
- Politiques et performances macroéconomiques de la zone euro - Institutions, incitations, stratégies - Jérôme Creel, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux p. 249
Inégalités, justice et solidarités
- Questions sans réponse à propos de l'augmentation des inégalités aux Etats-Unis - Robert J. Gordon et Ian Dew-Becker p. 417 Cet article propose une analyse de la croissance des inégalités. Nous concluons que l'évolution de la part des salaires dans le revenu national n'a joué aucun rôle dans l'augmentation des inégalités de revenus du travail : la part des revenus du travail était pratiquement la même au milieu de 2007 que dans les années 1950. Dans les 90 % inférieurs, comme le montrent les données de l'enquête annuelle sur la population, les évolutions du ratio 50-10 sont compatibles avec le rôle déclinant des syndicats pour les hommes et la baisse du salaire minimum réel pour les femmes. Il y a peu de preuves du rôle des importations, et la littérature est ambiguë à propos des effets de l'immigration. En ce qui concerne le biais de qualification du progrès technique, nous soutenons l'hypothèse d'une polarisation des emplois en trois catégories, plus plausible pour expliquer les changements des différentiels de salaire et l'externalisation. Pour expliquer le rétrécissement de la distribution des revenus au sommet de l'échelle, nous introduisons une distinction entre l'effet superstars découlant du mécanisme de marché associé à l'amplification de la diffusion des œuvres, un effet lié aux mécanismes marchands concernant les professions juridiques et les banquiers d'affaire, et un troisième effet concernant le sommet de la hiérarchie des entreprises. Notre examen des débats relatifs aux dirigeants des entreprises met l'accent, à égalité, sur les mécanismes de marché liés à la diffusion des gains de capital par les stocks options et sur l'hypothèse d'un pouvoir arbitraire du management, fondée sur de nombreux aspects non marchands. L'article conclut que les données sont trop fragiles pour permettre des conclusions fermes sur les inégalités de consommation, et il propose une explication des différences entre pays fondée sur un mélange de facteurs institutionnels et de mécanismes de marché.This paper provides a comprehensive survey on six aspects of rising inequality in the US: changes in labor's share, inequality at the bottom, inequality at the top, labor mobility, inequality in consumption as contrasted to inequality of income, and international differences in inequality, particularly at the top. We conclude that changes in labor's share play no role in rising inequality of labor income. Within the bottom 90 percent as documented by CPS data, movements in the 50-10 ratio are consistent with a role of decreased union density for men and of a decrease in the real minimum wage for women, particularly in 1980-86. There is little evidence on the effects of imports, and an ambiguous literature on immigration which implies a small overall impact on the wages of the average native American, a significant downward effect on high-school dropouts, and potentially a large impact on previous immigrants working in occupations in which immigrants specialize. The paper concludes that data on consumption inequality are too fragile to reach firm conclusions, and offers a perspective on international differences that blends institutional and market-driven explanations. JEL classification: D31, D33, I32, O33.
- Mérite et justice - Amartya Sen p. 467 La rétribution du mérite et le concept même du mérite dépendent de la manière dont nous voyons la bonne société et les critères sur lesquels nous nous appuyons pour juger des succès et des échecs de cette société. La « perspective incitative » sur le mérite est en compétition avec la perspective en termes de « propriété de l'action ». La présence d'inégalités, ou d'autres inconvénients, peut alors provoquer des tensions psychologiques, en particulier quand la rétribution du mérite n'est pas directement valorisée par l'approche incitative. Même si les arguments en termes d'incitation ont tendance à être, en principe, acceptés comme le principal registre de justification d'un système de récompenses, certains plaidoyers « méritocratiques » apparaissent inutiles et même, quelquefois, en contradiction avec la perspective incitative. Les caractéristiques ajoutées communément sont : (1) le fait de confondre le mérite d'une action avec celui de la personne (et potentiellement de tout un groupe d'individus) ; (2) de perdre de vue le caractère instrumental d'une argumentation en termes d'incitation et de considérer les récompenses comme intrinsèquement dues ou méritées ; et (3) d'exclure arbitrairement les considérations distributives de la fonction de choix social à partir de laquelle est définie le mérite.The rewarding of merit and the very concept of merit itself depend on the way we see a good society and the criteria we invoke to assess the successes and failures of societies. The « incentive view » of merit competes with the view of merit based on « action propriety ». The presence of inequality and others drawbacks can lead to some psychological tension, especially since the rewarding of merit is not directly valued under the incentive approach. Even though the incentive-based argument for rewarding merit tends to be, in principle, accepted as the main justification for such a reward system, the main interpretations of the meritocracy are unnecessary and inconsistent with the incentive approach. The common additional features include: (1) confounding merit of actions with that of persons (and possibly of groups of people), (2) overlooking the instrumental nature of the incentive argument and seeing the rewards of merit as intrinsic entitlements or deserts, and (3) ad hoc exclusion of distributional concerns from the objective function in terms of which merit is characterized.JEL Classification: D63, I2, I3.
- Perception des inégalités économiques et sentiment de justice sociale - Michel Forsé et Maxime Parodi p. 483 L'analyse de sondages d'opinion réalisés dans huit des pays participant à l'International Social Survey Programme, dont l'enquête était en 1999 centrée sur le thème des inégalités, montre que les interviewés ont plutôt tendance à sous-estimer les très grandes inégalités de revenu et à se croire davantage dans la moyenne qu'ils ne le sont effectivement. Ils fondent leur sentiment de macrojustice sur leur estimation de l'ampleur des écarts entre les inégalités qu'ils perçoivent et celles qu'ils jugent acceptables et, de ce point de vue, le sentiment dominant est partout que ces inégalités sont trop fortes. Ce n'est cependant pas au nom d'un égalitarisme absolu qu'elles sont critiquées. Une certaine hiérarchie des salaires, à condition d'être plus resserrée, n'est pas rejetée. Cette application non stricte du principe d'égalité se retrouve lorsqu'il s'agit d'apprécier la justice de sa situation économique personnelle. Leur sentiment de microjustice est en effet lié à une frustration relative « solidaire » et au degré de réduction souhaitée des inégalités. Au total, le principe d'équité, qui autorise sous certaines conditions une différenciation salariale selon des mérites ou efforts individuels, n'est pas contesté. Mais la rémunération effective de ces mérites par le jeu insuffisamment corrigé du marché aboutit aux yeux des personnes sondées à une inégalité trop grande qui doit être réduite pour aller vers une situation plus juste.The analysis of the 1999 International Social Survey Programme opinion polls in 8 of the participating countries shows that the interviewees tend to underestimate the largest income inequalities and consider themselves closer to the average than they really are. Their macro-justice feelings are based on the gap between what they think the inequalities are and what they ought to be. They do not demand absolute equality. The income hierarchy is accepted, providing it is reduced. Their micro-justice feelings are linked to a « solidaristic » relative deprivation and to the degree to which they wish to decrease macro-inequalities. The principle of equity is not rejected but the salaries-by-merit as a mere result of the market lead to too strong inequalities which, according to them, should be reduced to obtain more justice.JEL Classification: D 63.
- Combattre les inégalités entre les femmes et les hommes - Idées simples, réalités complexes - François Milewski p. 541 La définition des politiques publiques destinées à favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes, qu'elles se situent au niveau national ou européen, suppose que soit discutée la cohérence des objectifs et leur articulation. Elle suppose aussi que soit tracé le lien avec les évolutions du marché du travail et de la protection sociale. L'objet de cet article est de poser quelques questions sur ces relations, à partir d'un rappel des objectifs européens et d'une analyse des évolutions récentes de l'insertion des femmes sur le marché du travail, qui met en lumière les évolutions contrastées de ces dernières années.Si les objectifs sont simples à définir — promouvoir l'égalité —, l'agencement des politiques publiques révèle certaines contradictions, tant en Europe qu'en France, et soulève des difficultés qui ne sont pas toujours faciles à résoudre. Entre l'écueil qui consisterait à diluer la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes dans celle qui concerne l'ensemble des relations sociales — par exemple en combattant la précarité en général, sans comprendre que la précarité des femmes a des causes globales et des causes spécifiques — et l'écueil qui limiterait l'action à des objectifs immédiats sans s'attaquer aux causes profondes, les politiques publiques en faveur de l'égalité méritent encore d'être débattues.Public policies aimed at promoting gender equality should not be elaborated without making sure that their goals are consistent. Among a number of factors, such policies must crucially take into account labour market conditions and social protection dynamics. This paper deals with the importance of these factors and begins with an overview of European objectives in terms of gender equality. It then offers an analysis of the contrasted trends in the recent evolution of women's integration in the labour market. It is shown that public policies adopted in the EU and in France reveal inner contradictions that can threaten their efficiency. On the one hand, when the effort to promote gender equality is only a part of the wider effort against social precariousness, the specific cause of woman precariousness can be neglected. On the other hand, when only immediate goals are considered without attending to deep rooted causes, gender inequalities remain untouched. Further debate is thus needed on the issue of gender equality policies' efficiency.JEL classification: D63, I3, J16, J21, J71, J78.
- Protection sociale et solidarité en France - Evolutions et questions d'avenir - Mireille Elbaum p. 559 Les mécanismes de solidarité qui caractérisent le système de protection sociale français ont connu depuis vingt-cinq ans des évolutions diverses et parfois contradictoires. Les théories post-welfaristes de la justice sociale et les « nouvelles théories du marché du travail » ont mis l'accent, de façon assez contestable, sur la responsabilité individuelle et les effets pervers des prestations sociales. L'enchevêtrement des instruments et de logiques s'est accru : à l'« hybridation » des prestations a répondu une diversité croissante de composantes et d'acteurs (organismes de protection complémentaire, collectivités décentralisées), qui suscite des problèmes d'équité et de régulation. Les questions de coût du travail et de financement n'ont cessé de polariser l'attention, alors que le sous-emploi et la fragmentation des statuts remettaient en cause l'efficacité même de la couverture sociale. Les possibilités de transferts d'assiette étant désormais limitées suite aux exonérations bas salaires, il faut surtout réfléchir à la nécessité d'un financement solidaire des dépenses sociales à mutualiser. L'impact du vieillissement sur les dépenses est à cet égard inéluctable, mais ce sont avant tout les choix collectifs qui en détermineront l'ampleur, notamment pour la santé et la dépendance. Les incitations financières mises en avant pour « responsabiliser les assurés » en matière de retraites, de santé ou de minima sociaux tendent à faire peser sur eux l'essentiel des ajustements, alors qu'ils n'ont souvent pas de réelle liberté de choix, en l'absence de responsabilisation réciproque des autres acteurs du système (entreprises, professionnels de santé...). Enfin, les questions d'universalité ou de ciblage des prestations d'une part, d'individualisation ou de familialisation du système socio-fiscal d'autre part, ont pris une nouvelle actualité avec les prestations en faveur du handicap et de la dépendance, l'idée de moduler les remboursements maladie en fonction du revenu, les perspectives de réforme des avantages conjugaux et familiaux liés à la retraite, et les projets visant à favoriser l'autonomie des jeunes.The French Welfare state has experienced important changes in the last 25 years, with contrasted and even opposite consequences in terms of solidarity. Individual responsibility has been emphasized, as well as the potentially negative effects of social expenditure. The institutional framework of the social protection system has become more complex, with an extended role of additional insurances and local authorities. The problems of finances and labour cost have constantly been on the agenda, while unemployment and part-time or short-term labour contracts have made social protection less effective. Ageing now implies new collective choices, especially in terms of funding, in order to preserve solidarity in the face of social risks. Yet, the financial incentives implemented in the fields of retirement, health or minimum income are neither fair nor effective, when benefit recipients have no real capacity of choice, and when financial responsibility is not extended to other actors such as firms or health care providers. The paper also focuses on the issues of universal versus targeted benefits and individualisation of the tax-benefit system.JEL Classification: H50, H51, H53, H55, I0, I8, I30.
- Questions sans réponse à propos de l'augmentation des inégalités aux Etats-Unis - Robert J. Gordon et Ian Dew-Becker p. 417