Contenu du sommaire : Diversité culturelle et biodiversité
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 187, mars 2006 |
Titre du numéro | Diversité culturelle et biodiversité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Résumés - p. 3
Diversité culturelle et biodiversité
- Introduction : entre cultures et natures - Marie Roué p. 11
- Guérir de l'école par le retour à la terre Les aînés Cris au secours de la génération perdue - Marie Roué p. 19 Comment les peuples autochtones peuvent-ils réagir à une situation de changement qui affecte tout particulièrement les jeunes ? Cet article essaie de comprendre comment les jeunes autochtones, qui aujourd'hui se retrouvent trop souvent en situation de double exclusion, peuvent faire des apprentissages scolaires qui les qualifient dans la société dominante, tout en maîtrisant les savoirs et savoir-faire de leur société. Chez les Indiens cris de la Baie James certains aînés accueillent les jeunes en difficulté ou après une période de délinquance dans leur campement de chasse, et parviennent, en les initiant à la vie « sur la terre », à restaurer leur rapport au monde. Cette expérience exemplaire permet d'imaginer des solutions pour aider les jeunes autochtones à bénéficier pleinement des deux mondes dont ils sont partie prenante. Les anciens, en inventant une thérapie basée sur une initiation à l'environnement naturel et culturel, proposent un chamanisme des temps modernes.
- Les rennes, la neige et la glace : richesse du vocabulaire sâme - Ole Henrik Magga p. 29 L'environnement physique imprime sa marque sur les cultures. La subsistance et la survie dans les régions arctiques et subarctiques font de la connaissance de la qualité de la neige et de la glace une nécessité absolue. Le vocabulaire relatif à la neige et à la glace en sâme du nord, langue parlée dans les régions septentrionales de Norvège, de Suède et de Finlande, concerne essentiellement l'état physique des différentes couches de glace et de neige. Le sens des termes employés évoque également la réaction aux changements de temps et de température. La qualité et la quantité de neige, estimées en fonction des besoins pratiques des êtres humains et des animaux, sont également fondamentales. C'est ce que montre l'auteur à partir des mots concernant l'état de la neige et les couches de neige, les besoins en matière de transport et de pâturage pour les rennes ou encore les divers types de traces dans la neige. Tous ces termes sont des noms. Grâce aux divers procédés de dérivation, on pourrait sans peine obtenir près d'un millier de lexèmes – noms, verbes et adjectifs – pour désigner la neige, la glace, le gel et la fonte. L'analyse de ce vocabulaire nous apprendrait sans doute beaucoup sur l'état de la neige et de la glace dans l'Arctique et sur les conditions de vie des animaux et des êtres humains.
- Biodiversité, systèmes de gestion traditionnels et paysages culturels Exemples fournis par la forêt boréale canadienne - Fikret Berkes et Iain J. Davidson-Hunt p. 39 Il existe une relation entre la conservation de la biodiversité et les pratiques culturelles des peuples autochtones et des sociétés traditionnelles liées à l'utilisation du sol et à l'exploitation des ressources naturelles. Pour conserver la biodiversité, nous devons comprendre comment ces cultures interagissent avec les paysages et comment leur action sur les paysages contribue au renouvellement permanent des écosystèmes. Les auteurs de cet article analysent la signification des savoirs et des systèmes de gestion traditionnels et leur influence sur la biodiversité. Ils présentent d'abord une importante pratique écologique traditionnelle : la gestion par succession, notamment sur brûlis. Ils décrivent ensuite, à titre d'exemple, l'exploitation des écosystèmes de la forêt boréale du Nord canadien par les peuples autochtones et notamment par les Anishnaabe (Ojibwa) du Nord-Ouest de l'Ontario. Les pratiques traditionnelles et les paysages culturels de ces autochtones, qui maintiennent la biodiversité dans le temps et dans l'espace, fournissent des exemples de mécanismes respectueux de la biodiversité. Nous devons nous inspirer des systèmes traditionnels pour nous fixer, en matière de conservation, des objectifs plus généraux, compatibles avec les modes de subsistance durable des populations locales. Le prisme des paysages culturels nous permet de comprendre que la poursuite de plusieurs objectifs (la production du bois et des autres produits de la forêt, la constitution de zones protégées, le tourisme) est nécessaire pour gérer durablement la forêt dans des paysages qui conservent leurs qualités patrimoniales et assurent la subsistance de la population locale. L'application d'une définition plus large et plus ouverte de la conservation et la poursuite d'objectifs multiples et interdépendants pourraient contribuer à concilier la subsistance des populations locales et la conservation de la biodiversité.
- Environnement et sociétés en Guyane française : des ambiguïtés d'application des lois républicaines - Françoise Grenand p. 53 La Guyane est géographiquement une parcelle d'Amazonie à forte diversité culturelle, intégrée politiquement dans l'espace français et européen. Elle est, de ce fait, soumise à la même législation que le reste de la République. Localement, la diversité des cultures et des savoirs induit des perceptions différentes de la gestion durable et de la conservation de la biodiversité. Désormais posées au niveau mondial, ces questions relèvent autant de l'action collective de l'État que de la conscientisation individuelle du citoyen. Dans un contexte pluriethnique, elles doivent en outre prendre en compte les communautés locales, à la fois pour intégrer leurs expériences diversifiées et pour assurer leur bien-être. Or, l'application de règles décidées à Paris ne tient que fort peu compte des spécificités de ce territoire d'Outre-mer.À travers des exemples diversifiés pris dans le champ de l'attribution obligatoire de la citoyenneté française et celui de l'aménagement du territoire, nous aborderons ici les grandes questions environnementales actuellement conflictuelles : le maintien des activités traditionnelles des populations forestières, la valorisation de leurs savoirs et savoir-faire, le développement durable des communes de l'intérieur, la gestion des aires protégées ou encore le projet de création d'un vaste parc national. Enfin, des pistes de réflexion seront proposées pour sortir de l'impasse.
- Malentendus au sujet de la notion de conservation des rizières en terrasses, paysages culturels des Philippines - Rachel Guimbatan et Teddy Baguilat Jr p. 63 La valeur naturelle et culturelle exceptionnelle des rizières en terrasses Ifugao a suscité une attention et des interventions qui ont, directement ou non, soumis ce paysage à des pressions sociales, culturelles, économiques et environnementales. Dans une certaine mesure, la perception qu'a la population locale de leur valeur patrimoniale s'en est également trouvée modifiée, ce qui a créé chez elle une attitude ambivalente à l'égard des mesures imposées de l'extérieur, lorsque celles-ci ont commencé à faire obstacle à la satisfaction de ses besoins. Un facteur important que les tentatives passées de conservation ont négligé est l'aversion des Ifugao pour les restrictions imposées par des étrangers. La hiérarchie Ifugao des valeurs patrimoniales constitue un autre facteur qui n'a pas été parfaitement compris. Toutefois, depuis l'inscription en 2001 des rizières en terrasses sur la liste des sites « en péril », ces facteurs sont pris en compte grâce à une conception de la conservation qui privilégie les savoirs locaux et le renforcement de la coopération entre les Ifugao et les autres parties prenantes. Il s'agit d'un processus en cours, mené à l'initiative d'un groupe de personnes appartenant à la société civile locale, qui s'attache à développer la créativité et la coopération parmi les Ifugao concernés de la génération actuelle. Le présent document traite des problèmes que pose la conservation des rizières en terrasses et donne des informations sur les initiatives en cours pour résoudre les problèmes que signalent les Ifugao participant au travail de conservation. Il ne s'agit pas ici de porter un jugement sur les mesures de conservation infructueuses du passé, mais d'informer le monde extérieur des réalités de la gestion d'un paysage vivant protégé qui se trouve être également une enclave où vit une communauté autochtone, dans l'espoir de mettre au point des méthodes de conservation plus efficaces susceptibles d'être appliquées à d'autres sites d'une valeur comparable.
- Connaître et gérer la biodiversité dans les îles du Pacifique : problèmes posés par la préservation du lagon de Marovo - Edvard Hviding p. 73 Aux Îles Salomon, dans le sud-ouest de l'océan Pacifique, le lagon de Marovo couvre quelque 700 kilomètres carrés et est bordé d'une double chaîne de récifs barrières soulevés unique en son genre, et par les hautes îles volcaniques de l'archipel de Nouvelle-Géorgie. Depuis les années 1980, des sociétés étrangères exploitent les ressources des récifs et des forêts pluviales de Marovo et, dans le même temps, le lagon et les terres environnantes ont acquis une réputation internationale de haut lieu de la biodiversité. Au cours des dernières décennies, les groupes tribaux de Marovo, propriétaires du lagon et des terres en vertu du droit coutumier, ont établi des contacts de multiples manières avec les sociétés de pêche et d'exploitation forestière et les organismes internationaux de protection de la nature, généralement pour conserver les privilèges que donne la maîtrise de ressources exploitées dans le cadre de régimes anciens, mais très adaptables, de propriété des terres et des zones marines. Les chefs et autres notables de Marovo ont également demandé à des spécialistes des sciences naturelles et sociales de faire des recherches dans la région pour recueillir des données sur l'utilisation des ressources, leurs systèmes de gestion et le savoir environnemental traditionnel. L'auteur de la présente étude examine les interactions récentes, dans le lagon de Marovo, entre les programmes locaux de développement et les programmes extérieurs de gestion de la biodiversité, et il préconise une intensification des échanges entre les deux modes (local et scientifique) de connaissance et de classification de la biodiversité. Cette rencontre du savoir local et exogène semble offrir au moins autant de possibilités de convergence que de conflit.
- La race bovine maraîchine, objet de médiation de différentes formes de savoirs - Patrick Steyaert p. 91 La conservation de la biodiversité est-elle seulement affaire de spécialistes ? Les savoirs pratiques des acteurs de la conservation peuvent-ils contribuer, et comment, à concevoir les changements attendus ? Cet article présente une étude de cas ayant trait à la sauvegarde de la Maraîchine, une race bovine à petit effectif des marais du littoral atlantique français. Le point de vue analytique adopté est le suivant : la race est un objet de médiation de différentes formes de savoirs, c'est-à-dire le vecteur d'apprentissages entre acteurs. Elle remplit ce rôle parce qu'elle place les acteurs en situation de dialogue sur sa conservation et en situation concrète d'élevage, ce qui les conduit à changer leur représentation de « l'animal qui convient ». En effet, cette vache rustique, adaptée à l'élevage extensif, les pousse à s'écarter peu à peu du modèle de production intensif auquel ils se référaient. Elle leur permet de repenser la relation entre leur activité, les territoires de marais et les enjeux de conservation de la nature. Elle les conduit à reconstruire des liens entre eux et avec le monde des consommateurs. Ainsi, elle est à l'origine de la reconstruction d'une identité individuelle et collective du monde des éleveurs en zone humide.
- ACBC Affirmation des cultures et conservation de la biodiversité - Sakda Saenmi et Timmi Tillmann p. 101 Organisation autochtone basée à Chiang Mai, l'impect s'emploie à faire reconnaître les droits des populations montagnardes de la Thaïlande du Nord à vivre décemment sur leurs terres, à parler et à apprendre leurs langues et à maintenir leurs cultures. Avec ses programmes éducatifs destinés aux enfants d'âge préscolaire et scolaire et aux jeunes, l'impect fournit aux dirigeants autochtones les moyens qui leur permettront de maintenir en vie les cultures et les savoirs locaux. L'impect abrite aussi le réseau ikap qui soutient des réseaux autochtones dans six pays de l'Asie du Sud-Est continentale. L'impect est le principal soutien des réseaux ethniques de Thaïlande qui participent aux activités de l'ikap. L'ikap a mis en œuvre la conception de l'acbc, à savoir l'affirmation des cultures et la conservation de la biodiversité, apportant ainsi une réplique décisive aux idées stéréotypées de ceux qui, de l'extérieur, accusent les cultures montagnardes traditionnelles d'avoir un caractère destructeur. L'acbc fait connaître les témoignages de praticiens autochtones sur leurs connaissances et leur discernement et défend les valeurs culturelles et pratiques des sociétés montagnardes dans leur gestion de l'environnement. Il ne s'agit pas en l'occurrence d'une nostalgie pour des valeurs d'ores et déjà perdues ; il s'agit du cœur même de la vie humaine, de l'identité, du désir qu'a un groupe de survivre et de donner un sens à sa vie, sens auquel ne sauraient se substituer des cultures ou des langues étrangères. Les efforts du réseau ikap sont au service du savoir autochtone, du patrimoine et des pratiques intellectuels des peuples autochtones qui garantissent et protègent les environnements locaux et la richesse de la biodiversité, non seulement pour les communautés locales, mais encore pour la survie de l'humanité tout entière.
- Productions localisées et indications géographiques : prendre en compte les savoirs locaux et la biodiversité - Laurence Bérard et Philippe Marchenay p. 115 Le débat et les négociations en cours à l'échelle internationale sur la protection des indications géographiques (ig) intéressent directement les produits agricoles et alimentaires locaux, appelés « produits de terroir ». Au-delà de la protection de l'usage du nom, qui en est le fondement, et des considérations juridiques et économiques que ce dispositif implique, des questions nouvelles se posent à propos de ces produits, concernant la diversification de l'agriculture et le développement durable. De plus en plus, et dans un contexte favorable, un autre enjeu de taille se dessine : la diversité biologique et culturelle liée à leur existence. Les questionnements portent alors sur le statut et le devenir de ces ressources locales dans nos sociétés et sur l'aptitude des ig à entretenir cette diversité.Protéger les productions locales et traditionnelles par le système des ig peut en effet contribuer à préserver la biodiversité à différentes échelles : races animales domestiques, variétés végétales, écosystèmes microbiens, paysages. C'est aussi entretenir de façon formelle des savoirs et des pratiques partagés, puisqu'ils sous-tendent la ressource. La prise en compte de ces éléments offre l'opportunité de penser différemment le développement agricole et conduit à proposer une approche innovante des productions locales. Plusieurs exemples pris en France serviront à montrer comment des passerelles peuvent s'établir entre protection des indications géographiques, biodiversité culturelle et savoirs locaux.
- Une éducation enracinée dans deux mondes : les Karen du nord de la Thaïlande - Jonni Odochao p. 123 Dans la culture karen traditionnelle, c'est essentiellement au sein de la famille que s'effectue l'éducation des enfants. Quand, au début des années 1970, Jonni Odochao a noté que ces derniers ne parvenaient plus à communiquer avec les anciens et qu'ils ne les respectaient plus, il a supposé que le problème venait du système éducatif moderne et de son influence grandissante sur les valeurs, les comportements et le mode de pensée de la jeunesse.Soucieux de contrer cette influence, il a mis en place une double stratégie. Inspiré par un vieux dicton karen, il a fédéré un large éventail de personnes aux compétences complémentaires afin de plaider pour une réforme de la législation. En parallèle, il a favorisé une réflexion sur la culture karen qui a connu un renouveau grâce à l'intégration de ses savoirs ancestraux dans le programme des écoles locales. À travers cette démarche, les Karen visent avant tout à mieux se faire comprendre de la société dans son ensemble et à réaffirmer leur rôle de gardiens de la forêt.
- Savoirs agricoles localisés et production vivrière en Afrique subsaharienne - Lazare Séhouéto p. 127 Au Bénin, les savoirs agricoles « localisés » sont produits ou adoptés par les paysans selon des schèmes cognitifs et des logiques sociales qui leur sont propres. Il est donc important de les analyser dans leur complexité. L'analyse du savoir paysan quant aux choix de non-association ou d'association des diverses cultures montre que si les raisons avancées dans le premier cas sont avant tout écologiques (+ de 80% des réponses), celles avancées dans le deuxième sont à la fois économiques et écologiques. Le calendrier agricole n'est pas non plus une simple adaptation aux exigences du temps et du climat. Il est au croisement de logiques liées au politique, à l'économique, au religieux et aux contraintes naturelles. L'auteur propose que, pour promouvoir ces savoirs localisés qui font vivre la majorité des hommes et des femmes au sud du Sahara, les scientifiques rendent plus rigoureuse leur description et interprétation des savoirs localisés, leur évitant ainsi le risque d'un enfermement dans le folklorique ou le merveilleux.
- La complémentarité des connaissances scientifiques et des savoirs autochtones sur l'environnement dans les régions côtières de Mélanésie : incidences pour la gestion actuelle des ressources marines - Simon Foale p. 135 En raison des différences fondamentales existant entre la vision du monde des spécialistes occidentaux des sciences de la mer et celle des pêcheurs des côtes mélanésiennes, les uns et les autres tirent des conclusions très différentes de séries d'observations similaires. La même logique inductive peut amener les scientifiques à conclure, tout comme les pêcheurs autochtones, que les truites de mer, par exemple, se rassemblent à une certaine phase de la lune dans une certaine passe du récif, mais différentes hypothèses établies à partir de visions du monde divergentes peuvent être à l'origine de conclusions très différentes sur les raisons qui amènent ces poissons à se comporter ainsi. Dans certains cas, ces différences ont d'importantes incidences sur la façon dont les ressources sont exploitées et gérées (ou non). J'analyserai ici des exemples de ce que j'appelle des « lacunes empiriques » des connaissances scientifiques comme des savoirs autochtones sur la biologie et l'écologie des organismes qui font l'objet d'opérations de pêche, ce qui entraîne parfois une mauvaise gestion des stocks de ces espèces. Je fais valoir qu'un enseignement scientifique peut compléter les systèmes de savoir autochtones et déboucher ainsi sur une meilleure gestion des ressources, bien que d'aucuns estiment que les savoirs autochtones sont inconciliables avec les systèmes de connaissance scientifiques.
- Les savoirs traditionnels des Moken : une forme non reconnue de gestion et de préservation des ressources naturelles - Narumon Arunotai p. 145 Nous examinerons ici les savoirs traditionnels d'un groupe ethnique de nomades de la mer généralement connus en Thaïlande sous le nom de « Chao Lay ». Les Moken, qui avaient auparavant un mode de vie maritime nomade, ont des savoirs traditionnels et un système de croyances qui se sont forgés au fil des siècles. Leurs connaissances pratiques sont le fruit de leur interaction avec les écosystèmes locaux et de leurs observations et expérimentations quotidiennes. Les Moken ont une connaissance intime de la mer et de la forêt, et ils ont mis au point des techniques de construction navale et d'autres technologies qui leur permettent de tirer leur subsistance de la mer, des zones côtières et des îles. Ces savoirs traditionnels et les pratiques qui s'y rattachent représentent une forme de gestion et de conservation des ressources naturelles, dont les éléments constitutifs sont : 1) des savoirs et savoir-faire fondés sur des technologies simples n'ayant qu'un impact minimal sur le milieu naturel et ses ressources ; 2) un mode de vie nomade caractérisé par une grande mobilité, qui permet aux Moken d'aller chercher leur subsistance en différents lieux et empêche la surexploitation et la dégradation de certaines zones ; 3) la connaissance de nombreuses espèces forestières et marines – de leurs caractéristiques, leur comportement, leurs habitats et leurs niches écologiques –, qui permet aux Moken d'utiliser divers écosystèmes locaux ; 4) un mode de vie de chasseurs-cueilleurs axé essentiellement sur la subsistance, sans véritable accumulation de biens matériels, et enfin 5) une « philosophie » et un système de croyances suivant lesquels les ressources naturelles appartiennent non pas à des individus, mais à la collectivité, sans restrictions d'accès. L'éthique du partage est très forte chez les Moken, et les ressources sont partagées non seulement avec d'autres humains mais aussi avec des êtres surnaturels. Ce système traditionnel de connaissances, de techniques et de représentations n'a jamais été reconnu ni respecté. Plutôt que d'y voir une forme de gestion et de conservation des ressources naturelles, on le considère – à tort – comme participant d'un mode de vie « primitif » et sous-développé, synonyme de dénuement. Aux yeux de la société qui les entoure, le « développement », pour les Moken, implique nécessairement qu'ils renoncent à leur mode de vie « primitif » pour rejoindre la modernité. Mais en empruntant cette voie vers le « développement », ils risquent de perdre les savoirs traditionnels et le mode de vie durable dont dépend depuis des siècles leur bien-être matériel et culturel.
- Biodiversité et pertinence des pratiques locales dans la réserve de biosphère des Cévennes - Capucine Crosnier p. 159 Espace réglementé et habité, le Parc national des Cévennes tente de concilier des enjeux environnementaux et socio-économiques. Il doit composer avec l'ensemble des acteurs du territoire, détenteurs de savoirs vernaculaires, techniques et scientifiques. Cet apprentissage de la cogestion invite au dialogue, à la négociation, voire à la confrontation autour des pratiques locales. Depuis la création du Parc en 1970, l'approche scientifique des savoirs naturalistes locaux a accompagné l'évolution des problématiques sociales et écologiques. Les programmes de recherche ou de conservation apportent de précieux éclairages sur la place qu'occupent les représentations des acteurs locaux dans le cadre des politiques environnementales. Les savoirs et les savoir-faire vernaculaires sont-ils pertinents du point de vue de la préservation de la biodiversité ?
- Berger transhumant sur l'Aigoual : la transhumance ovine et les savoirs du berger - Bernard Grellier p. 169 En Languedoc, le mouton n'est possible que transhumant : climat oblige. Et le mouton est indispensable tant en plaine que sur les hautes terres. La transhumance a donc structuré le paysage, les drailles et les rapports humains. Les savoirs du berger ont, dans ce contexte, prouvé leur efficacité et leur pertinence. Se pose aujourd'hui la question de la transmission de ces savoirs, dans une économie globale qui n'a pas forcément besoin du mouton, mais qui se préoccupe d'une biodiversité induite et sauvegardée par le passage et le pâturage des troupeaux.
Forum
- Peut-on parler de créolisation à propos de l'Afrique du Sud ? Métissage, hybridité ou créolisation : comment (re)penser l'expérience sud-africaine - Denis-Constant Martin p. 173 La société sud-africaine d'aujourd'hui est le résultat d'un long processus de rencontres et de métissages qui a vu des peuples venus d'horizons culturels très différents se mélanger pour produire une culture originale. Plus de trois siècles de racisme et d'apartheid nous ont légué une image de l'Afrique du Sud comme une mosaïque de peuples distincts, avec chacun son langage et sa culture. Ce type de représentations semble ignorer les interactions entre ces peuples qui ont abouti à ce qui est devenu aujourd'hui un écheveau impossible à démêler. Cet article passe en revue les différentes théories des processus de métissage et de créolisation élaborées pour analyser les sociétés d'Amérique du Sud et des Antilles afin de voir si elles peuvent contribuer à une meilleure compréhension de l'histoire de l'Afrique du Sud. Ainsi, les thèses d'Édouard Glissant sur le métissage et la créolisation, parce qu'elles mettent l'accent sur les processus et les relations et considèrent la créolisation comme un processus sans fin, paraissent tout à fait applicables au contexte sud-africain. Toutefois, l'exemple du Brésil montre qu'il ne suffit pas de réinventer le passé pour apaiser les rancœurs nées de la violence et de la ségrégation ; une telle démarche est vouée à l'échec si elle ne s'accompagne pas de mesures économiques et sociales visant à supprimer les inégalités héritées de ce passé.
- Les numéros parus - p. 185
- Peut-on parler de créolisation à propos de l'Afrique du Sud ? Métissage, hybridité ou créolisation : comment (re)penser l'expérience sud-africaine - Denis-Constant Martin p. 173