Contenu du sommaire : Paris - New York
Revue | Villes en parallèle |
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Numéro | no 20-21, décembre 1994 |
Titre du numéro | Paris - New York |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le mythe de la cité globale
- À propos de Paris - New York, les mots et les choses - Guy Burgel p. 11 La comparaison systématique entre Paris et New York n'est pas sans risques. Il fallait choisir quelques filtres permettant d'examiner les visages des deux métropoles mondiales : l'économie, qui les fonde, l'espace social, qui les révèle, la création culturelle, qui les rapproche jusqu'à ces dérives mercantiles, la production architecturale, qui en matérialise les transformations. Le résultat est étonnant, moins par la diversité des processus que par leur interprétation. La légitimation économique de la global city est au moins aussi présente que sa nécessité sociale. La genèse des espaces résidentiels répond autant à la matérialité de la ville qu'aux mentalités individuelles et collectives. L'art-spectacle est aussi une forme moderne de démocratisation de la culture et le monument contemporain dissimule les logiques de fonctionnement politique de la société. Mais c'est aussi dans les configurations géographiques que les deux métropoles restent très différentes : agglomération encore concentrée à Paris, suburbia généralisée à New York. Ne serait-ce pas là un signe d'authenticité urbaine, autant qu'un garant possible dans la capitale française d'une chance supplémentaire de solidarité urbaine à jouer ?Systematic comparison between Paris and New York is not without its dangers. Filters be chosen, to examine the facets of the two world metropolises : economy, upon which they are founded, social space, which reveals them, cultural creation, which brings them closer up to these commercial drifts, architectural production, which reflects the transformations. The result is surprising, less by the diversity of processes than by their interpretation. Economic, legitimization of the global city is at least as present as its social necessity. The origin of residential space corresponds as much to the materialism of the town as to individual and collective mentalities. Art-show is also a modern form of culture democratization, and the contemporary monument conceals the society's political operating logic. But it is also in geographical configurations that the two metropolises remain quite different : agglomeration still concentrated in Paris, generalized suburbia in New York. Is there not a sign here of urban authenticity as much as possible guarantee in the French capital of an extra urban solidarity card to play ?
- Qu'est-ce que la cité globale ? - Marcel Roncayolo répond à Guy Burgel p. 35 Au cours d'un entretien avec Guy Burgel, Marcel Roncayolo aborde les critères de définition et de fonctionnement des «cités globales». Elles sont moins reconnaissables à la masse des activités accumulées, qu'à la valorisation des lieux où les décisions se forment et d'où elles se diffusent. Dans ces pérennités de localisation, les phénomènes culturels prennent autant d'importance que les évolutions et les contraintes techniques et économiques : formation et segmentation des élites, consommation des productions artistiques, montée de la précarité, sont les signes de l'émergence d'un système social incertain. Il reste que les configurations spatiales de ces mégapoles continuent à faire problème ; si, à Paris notamment, la distribution géographique des «beaux quartiers» et des zones ouvrières se brouille, l'hésitation demeure partagée entre un avenir voué à une suburbanisation généralisée à l'américaine et le maintien prolongé d'une agglomération concentrée. En fait, au delà de ces divergences formelles, et des traditions d'assistance de la puissance publique ou de confiance aux régulations propres de la société libérale, de part et d'autre de l'Atlantique, le défi majeur demeure bien la survie de la démocratie dans la cité globale.During a meeting with Guy Burgel, Marcel Roncayolo tackled the criteria of definition and operation of the «global cities». They are less recognisable for the mass of accumulated activities than for the valorisation of the places where decisions are made and spread. In these perennities of localisation, cultural phenomena take as much importance as the economic and technical constraints and changes : development and segmentation of the elite, accomplishment of artistic productions, increased precariousness, are the signs of emergence of an uncertain social system. Added to this, the spatial configurations of these megapolises remain a problem ; if, particularly in Paris, the distribution of the «chic areas» and the working class zones is less clear, one hesitates between a future dedicated to an American-style generalised suburbanisation and prolonged maintainance of a concentrated agglomeration. In fact, beyond these formal differences and traditions of assistance from the authorities or confidence in the laws of the liberal society, on both sides of the Atlantic, the major challenge is clearly the survival of democracy in the global city.
- À propos de Paris - New York, les mots et les choses - Guy Burgel p. 11
La métropole comme économie - monde
- Les villes dans une économie mondiale : le cas de New York - Saskia Sassen p. 55 On peut identifier quatre mécanismes principaux à l'œuvre dans la formation des villes mondiales. Tout d'abord, la dispersion géographique de l'industrie de fabrication, qui a contribué au déclin des vieux centres industriels, a créé une demande pour une plus grande centralisation de la gestion et de la planification des entreprises et pour un accroissement des services spécialisés indispensables à la croissance dans les villes mondiales. Ensuite, la croissance de l'industrie de la finance, et en particulier certains secteurs clés de cette activité ont bénéficié de mesures gouvernementales et de conditions qui ont pourtant nui à d'autres secteurs industriels, surtout à l'industrie de fabrication. L'effet général d'un tel développement, une fois de plus, a été d'encourager la croissance des services spécialisés situés dans les grandes villes et de ronger la base économique d'autres types de localités. Enfin, les conditions et les agencements sous-jacents aux deux premières transformations suggèrent un changement dans les relations économiques entre les villes mondiales, les nations dans lesquelles elles sont situées et l'économie mondiale. Finalement, les nouvelles conditions de croissance ont fourni les éléments d'une réorganisation des classes sociales dans les villes mondiales. La structure professionnelle des plus importantes des activités en expansion, caractérisées par la concentration géographique des plus importants secteurs en croissance dans les villes mondiales, en combinaison avec la structure professionnelle polarisée de ces secteurs, a créé et entretenu le développement de deux classes de salariés, les uns aux salaires élevés, les autres aux bas salaires. La combinaison d'une spéculation intensive avec la multiplicité de petites entreprises qui forment le cœur du complexe des services au secteur de production et des services financiers soulève une question quant à la permanence d'un tel modèle de croissance.Four main mechanisms can be identified in the formation of the world towns. Firstly, the geographic dispersion of the manufacturing industry, which contributed to the decline of the old industrial centres, has created demand for greater centralisation of company management and planning, and for an increase in the specialised services which are indispensable for growth in the world towns. Then, the growth of the finance industry, and in particular some key sectors of this activity have benefited from governmental measures and from conditions which have actually been damaging to other industrial sectors, particularly the manufacturing industry. The overall effect of such development, once again, has been to encourage the growth of the specialised services situated in the large towns and to erode the economic base of other types of localities. Lastly, the conditions and arrangements underlying the two first transformations suggest a change in the economic relations between the world towns, the nations in which they are situated, and the world economy. Finally, the new growth conditions have supplied the elements for reorganisation of the social classes in the world towns. The professional structure of the most important expanding activities, characterised by the geographic concentration of the most important growth sectors in the world towns, in combination with the polarised professional structure of these sectors, has created and supported the development of two salaried classes, those with high salaries and those with low salaries. The combination of intensive speculation with the multiplicity of small companies which make up the centre of the complex of services to the production sector and financial services raises a question regarding the permanence of such a growth model.
- L'industrie parisienne à la recherche de son second souffle - Denis Carré p. 79 Après avoir évoqué à la fois le poids de l'Ile-de-France dans l'industrie française mais aussi le processus de désindustrialisation, processus sans doute à nuancer, il a été souligné le caractère complexe de ce système productif. En effet, l'industrie francilienne ne peut être réduite à des activités et fonctions de commandement. Ce sont aussi des activités de production de biens à fort contenu technologique, des produits de mode et des produits-services satisfaisant un large marché régional. Enfin, toute une série d'activités s'inscrit en complémentarité à la fois du point de vue de la production, de la circulation des biens et du fonctionnement du milieu urbain. Ce système productif articulant de grandes et de petites entreprises n'est sans doute pas aussi performant compte tenu des ressources stratégiques dont il bénéficie. Un ensemble de surcoûts et de déséconomies résulte pour partie au moins d'une certaine surconcentration métropolitaine. La volonté exprimée par une bonne partie des pouvoirs territoriaux de maintenir un système productif dynamique inspire de nouvelles politiques en particulier au niveau local. Là sans doute réside ce second souffle.The Parisian industry represents about 20% of the French industry. It is the first industrial area, but not the first area for industrial employment. This region has participated in the large innovations of the XXth century : car and aircraft as well as cinema or pharmaceutical products. It is common place to mention the desindustrialization of the Parisian area, the development of the service sector and its place amongst the world global capitals. The presence of the headquarters of national and international firms is well-known too. But this description is incomplete. We also underline the economic restructuring of the Parisian region : from the centre to the peripherical area. But here too the transformation of space is more complex. If the horizontal disintegration of the activity — the presence of many headquarters and to a larger extent the localization of many commercial and administrative offices — is a characteristic of this area, many firms are also producers. For example, the small and medium firms represent about 50% of the Parisian industry and 10% of the national industry. A high productivity, an intense economic growth, a producer of added value or an inflationnist area with diseconomies of agglomerations, and an average attractivity, those are the elements of debate. If this region has the greatest number of foreign firms, in relative tenus, other French regions do better ; and for the headquarters of multinational firms, Bruxelles or London are more attractive. The State as well as the Region, the Departments and many cities have the willpower to keep industry in the Parisian area. However, this willpower is not sufficient. The deindustrialization continues and the great debate on territorial development gives rise to questions. Nevertheless two processes of evolution are likely to limit or stop this trend. And last but not least, the local policies appear to us as a useful perspective to reinforce firms and particularly, the small and medium ones. The local policies and the economic powers favour the insertion of those firms in networks to benefit from the important strategy ressources of this region.
- What is New York ? - Robert Fishman p. 109 New York est bien sûr la première «cité globale». Et chacun pense Manhattan, Broadway, le World Trade Center. Pourtant bien peu des 20 millions d'habitants de la région urbaine ont des rapports avec ces symboles de la centralité. La plupart vivent et travaillent dans la Suburbia, qui n'est plus la cité-dortoir d'il y a trente ou quarante ans, mais une nouvelle forme de ville de basse densité, qui unifie toutes les agglomérations américaines, de New York à Chicago, San-Francisco ou Los Angeles. Est-ce donc l'avenir des métropoles mondiales ? En fait, ce n'était pas le futur projeté pour New York, et notamment par le Schéma Directeur de 1929. En 1920, 9 millions des 11 millions de New-Yorkais d'alors vivent dans le noyau de l'agglomération ("core"), et près de 3 millions travaillent à Manhattan, au sud de Central Park. L'industrie la plus importante est celle de la confection, qui occupe dans une multitude d'ateliers urbains les immigrants juifs et italiens, tandis que Times Square concentre les théâtres. Le dessein des urbanistes d'alors est de conserver la suprématie de ce noyau aggloméré, en éloignant l'industrie dans un rayon de trente kilomètres autour de Lower Manhattan, et en construisant un réseau ferré rapide et interconnecté convergeant vers Manhattan, qui n'est pas sans rappeler le réseau RER de Paris d'aujourd'hui. La majorité de la population doit résider dans des immeubles collectifs construits sur des terrains libérés par le desserrement industriel, les maisons individuelles périurbaines restant l'exception, réservées aux cadres très supérieurs, que des trains rapides amèneraient à leurs bureaux de Manhattan. La réalité des années quatre-vingt-dix est loin de ce schéma. Sur 20 millions de «New-Yorkais», 54 % vivent en zone périurbaine («ring») et 51 % y travaillent. Pourquoi cet échec de la prévision urbanistique ? Incontestablement, c'est le résultat de l'impulsion de trois politiques instaurées par le New Deal de Roosevelt : une politique du logement individuel, pour relancer l'économie, une politique de l'automobile et des infrastructures routières, incarnées à New York par la figure emblématique de Robert Moses, une politique de dispersion de l'industrie militaire et stratégique, amplifiée parla deuxième guerre mondiale et la guerre froide. Les résultats dépassent l'intention, d'autant plus qu'elle montre des bouleversements technologiques importants (informatique, télécommunications) et des mouvements profonds de la société américaine : le rêve de ruralité, la montée des Noirs du Sud, qui paupérisent les anciens quartiers blancs proches du centre (Harlem), la progression des femmes actives qualifiées, qui veulent travailler près de chez elles, pour assurer leurs responsabilités familiales. L'auteur termine par l'évocation de l'exemple de Mount Laurel, entre New York et Philadelphie, pour illustrer cette ville hors la ville, faite de suburban dream houses, d'office parks, et de mails commerciaux.New York ranks first among the handful of global cities where the economic future of the world is decided. But the majority of the region's 20 million people have few significant contacts with the New York that the world knows. In 1920, however, the core absolutely dominated the region, and the authors of the New York Regional Plan of 1929 also believed that the dominance of the core would and should continue. New York did not in fact develop in this fashion over the next fifty years. The Great Depression and the reform administration of Franklin D. Roosevelt introduced new government policies : housing policy, automobile policy, defense policy. These three policies favored the outer ring. Similarly, new systems of electronic communications, big social changes (growing black population, return of mothers to the paid work force) have negated the advantages of the core.
- Les villes dans une économie mondiale : le cas de New York - Saskia Sassen p. 55
L'espace, enjeu social
- New York : la ville mosaïque - Sophie Body-Gendrot p. 125 Sur plus de 7 millions d'habitants à New York, plus du tiers sont d'origine étrangère. C'est la population immigrante la plus variée, en composition, de toutes les agglomérations américaines. L'analyse des modes d'insertion des immigrants, des institutions qui les reflètent et de leur expression politique dans la communauté politique américaine, permet d'éclairer la compréhension des phénomènes d'intégration, d'indifférence ou de rejet, qui différencient les différents groupes. Les lieux d'implantation dans les quartiers d'immigration, une ascension sociale, où les déménagements suivent les lignes du métro new-yorkais, un quadrillage ethnique par pâtés de maison, caractérisent la répartition des immigrants. Si on examine leur vitalité économique, ils ont toujours travaillé dans des secteurs ou des entreprises qui servaient de tremplin à leur mobilité économique. La manière dont une ville applique les règlements fédéraux, dans la redistribution des subventions, est variable. La participation politique des «nés à l'étranger», «naturalisés» , dépend de la durée et du lieu d'implantation, de la maîtrise de l'anglais, du groupe ethnique d'appartenance, de la nationalité du conjoint et des questions locales débattues. La concentration territoriale de ces populations leur permet de peser sur les élections. En France, les problèmes sont posés différemment en raison de la conception intégratrice d'une nation laïque et unitaire. L'affaire du voile coranique, qui a déchaîné une tempête, aurait sans doute été abordée différemment au États-Unis.New York, a town of more than 7 million inhabitants, has over a third of its population of foreign origin. In composition it is the most varied immigrant population of all the American agglomerations ; 1/7 of American immigrants live in New York. Analysis of the immigrants' integration modes, of the institutions which reflect them, and their political expression in the American political community, allows the phenomena of integration, indifference or rejection which differentiate the various groups to be understood more easily. Settlements in the immigrant districts, social climbing, where house-moving follows the line of the New York underground, ethnic partitioning by blocks of houses, characterise the immigrant distribution. If we look at their economic vitality, they have always worked in sectors or companies which could act as a springboard to their economic mobility. The public sector offers them jobs, contracts and privileges -13 % work for themselves, some highly sought-after districts are the cause of fighting. Ethnic trading and companies form a micro-society in the image ol the home country. Spatial proximity of groups succeeding in their companies, and groups ageing, or on the edge of poverty, causes the strong antagonisms that New York's history is studded with. The way that a town applies the federal law in the redistribution of grants varies. Examples are described in New York : private partners awarded grants to cany out integration work, Churches, lawyers awarded grants by the federal State, ethnic associations, «self-help» groups, Dominican clubs, Colombian «instrumental» associations, the Pan-American football league, help associations... Political participation of those «born abroad» and «naturalized» depends upon the duration and the place of residence, their mastery of English, the ethnic group they belong to, the spouse's nationality, and local issues. They form support groups Caribbean support committee, New York Mayor, or lobby to support certain bills or fight against the gangs (Chinese), or Latin Puerto-Ricans, who canvass local mandates. Each group must structure itself, define its aims, before starting discussion with the dominant host society. Some groups have understood this, but the question of alliances with the black minority is complex. Territorial concentration of these populations allows them to sway the elections. The success and future of this strategy depends on the desire of the recent immigrants to naturalize, inscription on the electoral rolls, reduction in the number of illegal immigrants, and the capacity to remain united geographically and politically. In France the problems are posed differently, because of the integration policy of a united and age-old nation. The issue of the Koranic veil, which brought a storm of protest, would certainly have been dealt with differently in the United States. The French government funds the 4,000 immigrant associations. There is no fierce fighting between communities, and there is marked divergence between the France and the United States deal with immigration.
- SoHo, ou comment le "village" devint planétaire - Jean-Samuel Bordreuil p. 145 SoHo constitue sans doute l'exemple le plus célèbre et le plus spectaculaire de gentrification. Dans l'imaginaire urbain international il est cette vitrine devant laquelle bien des apprentis pionniers, bien des apprentis spéculateurs, se sont arrêtés pour y entretenir la fantaisie de leurs «coups» et carrières futurs. D'autres aussi, mais ceux-là aux regard aiguisés et réprobateurs, s'y sont attardés, mais cette fois-ci pour y fourbir les "armes de la critique", raconter sous les succès des uns, le déplacement des autres, et dénoncer dans ce processus de dépossession populaire le rôle joué par un artiste «social-traître». Que ce récit dénonciateur dispense celui qui le tient de réelles primes symboliques — il s'y donne à voir comme plus radical — ne suffit pas à garantir sa véracité. C'est ce que montre l'auteur à partir d'un examen serré des données démographiques disponibles depuis l'après-guerre. A cet égard, la leçon de Lower Manhattan et de son évolution — et malgré les politiques incitatives en matière de restauration — c'est que, pour accueillir les professions qualifiées qui affluent dans le sud de l'île, il a été plus facile de les loger dans des espaces on résidentiels, voire d'empiéter sur la mer (Battery Park), que de mordre sur des territoires résidentiels préexistants, surtout s'ils étaient occupés par des populations modestes. Pourtant si le récit de la gentrification se révèle inadéquat, c'est alors sa clef de voûte — la théorie du rent gap — qu'il convient de remettre en question. L'auteur condense sa critique en montrant que ce modèle économiste échoue à penser la dimension territoriale des implantations résidentielles.SoHo is certainly the most famous and most spectacular example of gentrification. In the international urban imagination it is this showcase in front of which many apprentice pioneers, and many apprentice speculators, stopped to boost the fantasy of their «successes» and their future careers. Others also, but with sharp and reproving looks, linger, but this time to hone the «critic's blade», to explain the disappearance of some through the success of the others, and denounce in this popular deprivation process the role played by a «social traitor» artist. The fact that this accusation brings to the narrator real symbolic status — he is seen to be more radical — is insufficient, however, to guarantee his truthfulness. This is what the author shows through close scrutiny of the demographic data available since the end of the war. In this respect, the lesson of Lower Manhattan and its evolution — and in spite of political incitement in terms of restoration — is that to host the professionals who flock to the south of the island it has been easier to house them in non-residential areas, or even to encroach into the sea (Battery Park), than to nibble away at pre-existing residential territories, especially if they were occupied by modest populations. Yet, if the gentrification story turns out to be inadequate, then it is the kingpin —the rent gap theory — which must be questioned. The author concentrates his criticism by showing that this economic model fails to take in the territorial dimension of residential settlements. However, to appreciate SoHo's evolution, it is necessary to leave not only the gentrification story but also its criticism : this still focuses attention on the phenomena of residential replacements, whilst it is due in fact to something quite different. SoHo is not only a «successful hobohemia», it is also an integral — and prosperous — part of the New York hypercenter. The question is, therefore, to know how the artistic professions could control to their advantage the «transition exit» from this "industrial slum". To the negative factors which explain this successful urban breakthrough by a territorial vacancy (no inhabitants already there) or also by indecision of the elite concerning investment strategies in the district, must be added a positive factor which is that of the identity content which this district will assume for a rising generation of artists. Very rapidly, and through vigorous urban struggles throughout the sixties, to value what they are and to value this district will be a single objective. Finally, in a last development, the author attempts to show that this urban breakthrough has, from the outset, taken the importance of a breakthrough in the cultural domain of contemporary art ; and that, as a result, the works of art from the «SoHo moment» bear the «physical» mark of the territory where these young artists tried to engrave their artistic pre-eminence : the history of contemporary art must include SoHo, and bears its mark.
- New York : la ville mosaïque - Sophie Body-Gendrot p. 125
L'art, produit de consommation
- Artistic concentration in Paris and its dilemnas - Pierre-Michel Menger p. 185 La place de de Paris dans le création artistique se situe à l'articulation d'une longue histoire de centralisation de la culture en France et du mouvement contemporain d'internationalisation de la production des biens et des services culturels. Cette évolution se projette d'abord sur fond de demande différenciée de la consommation d'événements artistiques, et culturels. Il existe en France, sauf pour la télévision, un gradient géographique net de décroissance de toutes les consommations, de Paris intra muros, à la petite couronne, à la grande couronne, et enfin à la province. Cette distribution spatiale est assez nettement différente de celle constatée aux États-Unis, où l'ubiquité de l'offre culturelle de haut niveau contraste avec la relative concentration de la culture populaire dans les grands centres, notamment du Sud et de l'Ouest. New York fait d'ailleurs exception dans ce tableau par sa présence remarquable dans tous les types de cultures. Ces processus de concentration se reflètent aussi dans la concentration de la production culturelle : 70 % des artistes vivant en France résident dans la capitale, dont les deux tiers dans Paris intra muros. Cette concentration ne fait que traduire les avantages structurels des grandes métropoles : flexibilité et richesse des contacts, imprévision et indétermination de la créativité, réduction des coûts transactionnels de la production. Mais ces caractéristiques se déroulent en France sur des tendances politiques spécifiques et contradictoires : hymne permanent à la capitale, et idéal de démocratisation conduisant à plus de diffusion géographique. Dans les années quatre-vingt, la décentralisation administrative et le resserrement des dépenses de l'État sur les grands investissements culturels parisiens n'ont fait qu'exacerber ces deux logiques, qui peuvent renforcer la discrimination dans la répartition qualitative et quantitative de la demande. Mais l'internationalisation et la compétition mondiale instaurées désormais dans la production artistique doivent faire relativiser ces iniquités, qui sont aussi sources de profits économiques.Paris' position in artistic creation is situated at the junction of a long history of centralization of culture in France and the contemporary movement for internationalization of production of goods and cultural services. This evolution stands out first of all against a background of the differentiated demand in consumption of artistic and cultural events. In France, apart from television, there is a clear decreasing geographic gradient in all consumption, from the City of Paris, to the «petite couronne», the «grande couronne», and lastly the provinces. This spatial distribution is quite clearly different from that seen in the United States, where the ubiquity of the high level cultural offer contrasts with the relative concentration of popular culture in the large centers, particularly in the South and the West. New York is the exception in this picture through its noticeable presence in every type of culture. These concentration processes are also reflected in the concentration of cultural production : 70 % of the artists in France live in the capital, with two thirds of these in Paris City. This concentration only reflects the structural advantages of the big metropolises : flexibility and richness of contacts, unpredictability and indétermination in creativity, reduction in the transactional production costs. These characteristics, however, occur in France on specific and contradictory political trends : permanent praise to the capital, and an ideal of democratization leading to more geographic diffusion. In the eighties, administrative decentralization and tightening of State expenses on large Parisian cultural investments only served to aggravate these two logics, which can strengthen the discrimination in the qualitative and quantitative distribution of the demand. But the internationalization and world competition established since then in artistic production must relativize these iniquities, which are also sources of economic profit.
- Du temple de l'art au supermarché de la culture - Françoise Choay p. 209 Invention de la Renaissance, le musée d'art connaît sa véritable consécration avec la période des Lumières. Mais une spécificité française apparaît dès l'Ancien Régime, que la Révolution française amplifie : la gestion étatique centralisée, qui s'oppose à la tradition anglo-saxonne, beaucoup plus marquée par le mécénat privé ou princier. Ce modèle, où la vocation pédagogique s'était pourtant effacée devant la délectation esthétique, a fonctionné à peu près inchangé jusqu'aux années soixante, où le bouleversement général des conditions de l'urbanisation a bousculé ces règles de fonctionnement, d'autant plus que les musées français, moins habitués que leurs homologues américains aux relations privées, n'ont pas su, ou pu, résister aux fascinations de l'argent. En prenant appui sur le Centre Georges Pompidou, le musée d'Orsay et le Grand Louvre, l'auteur montre et dénonce le mariage du mécénat d'État et du marketing, où le projet pédagogique et démocratique sert trop souvent d'alibi aux visées mercantiles : lancé comme produit médiatique, le musée devient un monument, qu'il faut visiter, plus qu'un lieu de connaissance et de plaisir. Si la réussite culturelle — bibliothèque, cycles de conférences, surtout à Beaubourg — est quelquefois la bienvenue, la présentation des œuvres d'art et la réutilisation des bâtiments historiques, comme au musée d'Orsay ou au Louvre, sont beaucoup plus discutables. Peut-on dans une société de loisirs de masse, rêver d'un musée qui célébrerait les retrouvailles du temps et de l'espace ?An invention of the Renaissance, the art museum became truly established with the Lumières period. However, a French specificity appeared with the Old Regime, that the French Revolution amplified : centralized State control, in opposition to the Anglo-Saxon tradition, much more marked by private or princely sponsorship. This model, where pedagogic vocation gave way to aesthetic delectation, operated more or less unchanged until the sixties, when widespread upheaval in urbanization conditions upturned the modus operandi, especially since the French museums, less used than their American counterparts to private relations, did not know how to, or could not, resist the fascination of money. Using the examples of the Georges Pompidou Center, the Orsay Museum and the Grand Louvre, the author demonstrates and denounces the union of State sponsorship and marketing, where the pedagogic and democratic project is too often used as an alibi for commercial designs : launched as a mediatic product, the museum becomes a monument, that has to be visited, more than a place of knowledge and pleasure. Whilst cultural success -library, conference series, particularly at Beaubourg -is sometimes welcome, presenting works of art and re-using historic buildings such as the Orsay museum or the Louvre, is much more debatable. Is it possible in a mass and pleasure-driven society to dream of a museum which would pay tribute to the reunion of time and space ?
- Ventes aux enchères publiques et commissaires-priseurs - Jean-Paul Rocquet p. 223
- Le musée d'Art moderne et l'opposition arts majeurs / arts mineurs - Rochelle Gurstein p. 235 Le XIXe siècle avait marqué une rupture avec les traditions de hiérarchie des genres artistiques instaurée par l'Académie. Depuis Gustave Courbet, l'art moderne va s'imposer à la fois comme un mouvement d'autonomie esthétique des goûts et comme une revendication sociale contre les convenances bourgeoises. Mais le problème permanent demeure de l'appréciation de la portée du nouveau, sans tomber dans la bouffonnerie, et sans que l'avant-garde ne tourne en fait à la convention. C'est ce qui semble menacer les musées new-yorkais depuis les années soixante. Comme la réussite économique de l'artiste est devenue un critère esthétique, on fait passer dans les musées la mise en scène avant l'effort de recherche : c'est la consumérisation de l'art, où, par une véritable tricherie, le musée compromet son autorité morale, où l'on vide l'anti-art de son contenu subversif. Dans la culture américaine, qui ne distingue pas le sacré du profane, les musées sont menacés de disparition sous la corruption de la soif de l'argent.The XIXth century marked a break with the hierarchy traditions of artistic genres established by the Academy. Since Gustave Courbet, modern art asserts itself both as an aesthetic autonomy movement of tastes and as a social claim against bourgeois etiquette. But the permanent problem remains appreciating the effect of the new, without being ridiculous, and without the avant-garde actually turning against convention. This is what seems to threaten the museums in New York since the sixties. Since the artist's economic success has become an aesthetic criterion, priority in the museums is given to presentation rather than to the research effort : it is the consumerization of art, where by pure deception, the museum compromises its moral authority, where the anti-art is emptied of its subversive contents. In the American culture, which does not make the difference between the sacred and the profane, the museums are threatened with disappearance under the corruption of thirst for money.
- Artistic concentration in Paris and its dilemnas - Pierre-Michel Menger p. 185
La ville - décor
- Décisions, actions et jeux : le cas des grands travaux parisiens - Philippe Urfalino p. 263 Cette contribution s'attache principalement au lancement des grands travaux du premier septennat de François Mitterrand, de juillet 1981 à mars 1982. Elle a pour objectif de répondre à deux questions. La première résulte d'un étonnement : comment a-t-on pu lancer, en un peu plus de six mois, des opérations aussi complexes ? Quelles sont les conditions qui ont rendu possibles la rapidité et l'efficacité des décisions ? La deuxième question suspend une évidence : qu'est-ce que les grands travaux ? La réponse ne va pas de soi et l'interrogation sur l'identité des grands travaux conduit à préciser, dans l'introduction, les conditions d'une appréhension sociologique de ce type singulier d'action publique. Il apparaît que les deux questions ont une seule et même réponse. Ce qui donne naissance à l'ensemble "grands travaux", en forme l'identité et explique la rapidité de leur conception et mise en œuvre, c'est la façon dont un «paquet» disparate de décisions à prendre et d'idées à poursuivre ou à abandonner, a été «emporté» dans une même logique d'action, et a pu faire l'objet d'échanges entre l'État et la Ville de Paris. Une première partie montre comment les choix relatifs aux grands travaux ont été pris dans une dynamique singulière dont la compréhension nécessite la distinction entre logique de la décision et logique de l'action. Une seconde partie s'inspire librement de la théorie des jeux pour analyser la structure des échanges entre la capitale et la présidence de la République qui a facilité la conception et la réalisation de ces grands travaux.This article examines the birth and genesis of the decisions to launch what is known in France as the grands projets by François Mitterrand during the first septennat, in the period between July 1981 to March 1982. Our ambition is to answer two questions. The first is a result of our surprise, that is, how was it possible, in such a remarkably short time to formulate and launch such a huge and costly operation ? Furthermore what are the conditions required from the outset, to insure that the many decisions linked to a project of this magnitude, be made in a rapid and efficient manner ? The second question leads to a reaxamination of the evidence at hand : or more specifically what is the meaning of the term, grands projets. The answer is not as evident as it would seem. It is our hope that by bringing a sociological approach to the questions we should be able to identify a process of public policy in France. Both questions have the same answer. That which identifies what came to be known as the grands projets, and which also explains the rapidity of its conception and execution is that essentially a «package» of a number of disparate decisions, 1) were swept along in the saine logic of action and 2) by and large became the object of exchange between the Socialist Élysée Palace and the Paris City Hall under Jacques Chirac. In the first part, we wish to demonstrate that the choices connected to the grands projets were made within a dynamic that must be understood from the distinction of a «logic of decision» and a «logic of action». The second part is partially influenced by game theory. Here we analyze the relationship between the mayor of Paris and his staff with François Mitterrand and his entourage. The success of the grands projets required cooperation from the State and the Capital of Paris. Their support was not inevitable because the leaders of the former and the latter were opponents in the national political arena. Cooperation, nonetheless was possible because the grands projets offerred a common interest to both and because of the action of a third player.
- New York, city of artifice - Christine Boyer p. 287 New York n'est pas seulement une global city, avec ses caractéristiques économiques et infrastructurelles objectives, c'est une «communication cyber city», où les visages de la ville se construisent pour transmettre l'illusion, où dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les grands projets urbanistiques, notamment dans les BIDs (Business Improvement Districts ), ont été une immense mascarade, pour dissimuler sous la logique de la rationalité la maximisation du profit privé au détriment de bien collectif. Quatre chantiers emblématiques sont appelés pour dresser ce tableau sans complaisance. À South Street Seaport, dans le Lower Manhattan, à deux pas de Wall Street, c'est la restauration en trompe l'œil d'un quartier d'entrepôts du début du XIXe siècle, reconverti en zone piétonnière. De l'autre côté de la péninsule, sur l'Hudson et les remblais du World Trade Center, c'est le tout nouveau quartier de Battery Park, où les tours, les places intérieures, les promenades avec vues sur la statue de la Liberté, veulent reconstituer les images classiques d'un New York, où l'on vit, travaille, achète et mange. À Times Square, beaucoup plus au Nord, mélange traditionnel du vice (honky-tonk de la 42e rue) et du théâtre de Broadway, il faut compter désormais, sous prétexte d'éradiquer l'un et de sauver l'autre, avec les silhouettes de l'hôtel Maniott, et des tours bureaux. Enfin, plus au Nord encore, dans l'Upper West Side, la "gentrification", à l'œuvre dans les condominiums des bords de l'Hudson, a cassé la mixité économique et ethnique. C'est bien l'image de la fragmentation de la cité que nous projette cet urbanisme de façade et d'artifice, quand jamais l'aspiration à la globalité de la ville ne lut plus nécessaire.New York is not only a global city, with its economic objective and infrastructural characteristics, it is also a «communication cybercity», where the faces of the town are built to transmit the illusion, where, in the seventies and eighties, the major urban projects, particularly in the BIDs (Business Improvement Districts), were an immense masquerade, to dissimulate under the logic of rationality the maximization of private profit at the expense of collective good. Four emblematic building sites illustrate this picture mercilessly. At South Street Seaport in Lower Manhattan, close to Wall Street, is the restoration as trompe-l'oeil of a warehouse district dating from the start of the XIXth century, converted into a pedestrian area. On the other side of the peninsula, on the Hudson and the embankments of the World Trade Center, is the brand new district of Battery Park, where the skyscrapers, inner squares and promenades with a view across to the Statue of Liberty are attempting to rebuild the classic images of a New York to live in, work in, buy in and eat in. At Times Square, much further north, traditional blend of vice (honky-tonk in 42nd Street) and Broadway theater, there are now, under the pretext of eradicating the one and saving the other, the silhouettes of the Marriott hotel and office blocks. Lastly, further north again, in the Upper West Side, the gentrification, at work in the condominiums on the banks of the Hudson, has broken the ethnic and economic blend. This urbanism of facade and artifice clearly shows us a picture of the city fragmentation, at a time when the desire for a global town has never been so necessary.
- Décisions, actions et jeux : le cas des grands travaux parisiens - Philippe Urfalino p. 263