Contenu du sommaire : Qu'a-t-on appris sur les institutions ?
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 44, printemps 2003 |
Titre du numéro | Qu'a-t-on appris sur les institutions ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Roger Frydman p. 1-6
- Institution histoire d'une notion et de ses utilisations dans l'histoire avant les institutionnalismes - Alain Guery p. 7-18 L'institutionnalisme fait un usage large et statique de la notion d'institution en reprenant, sans discussion ni exclusion, les définitions diverses des auteurs qu'il regroupe. Jusqu'à la révolution sémantique du XVIIIe siècle, institution est au contraire un mot rarement utilisé, qui a un sens restreint et dynamique. La société traditionnelle repose sur des statuts et des privilèges de personnes qui règlent leurs croyances et leurs m?urs sur des coutumes. Ni les premiers, ni ces dernières, ne sont vécus et pensés comme ayant été institués. La monarchie se perpétue dans un univers de représentations qui la réfèrent à un ordre supérieur, divin, du monde, et non à celui d'institutions qui la feraient relever d'un ordre inférieur, humain. Les premiers usages non théologiques de la notion d'institution, à partir du XVIIe siècle, sont le fait de penseurs qui veulent rendre compte du développement simultané de l'absolutisme monarchique et d'un appareil d'Etat qui ne peut plus être seulement rapporté à l'Etat du roi et du royaume. Ces usages entraînent un isolement des catégories de politique et d'économique dans l'analyse des phénomènes de pouvoir et de richesse jusqu'alors séparés. Mais cette autonomie des deux domaines dans "l'institution de la société" se réalise en sens contraire, la catégorie du politique ayant besoin de l'institution pour régler le pouvoir quand celle d'économie la rejette comme entrave à l'échange se réglant seul. La stabilité recherchée après la Révolution, sur la base de ce qu'elle a institué, ouvre la voie aux premières définitions larges et statiques qui sont encore les nôtres.
- L'émergence de la problématique des institutions en économie - Jean-Jacques Gislain p. 19-50 Pendant les deux derniers siècles, le processus d'émergence de la problématique des institutions en économie a vu s'opposer deux conceptions de la relation entre économie et institution. Dès sa fondation et jusqu'à nos jours, l'économie orthodoxe libérale a cherché à réduire la question des institutions économiques à celle de la conformité entre, en théorie, une bonne économie pure de marché sans institution perturbatrice, et, en réalité, une économie concrète plus ou moins pervertie par les institutions existantes. En revanche, les diverses approches hétérodoxes successives en économie (Sismondi, Saint-Simon, historicistes, Marx, sociologie économique, institutionnalistes) ont, chacune à sa façon, proposé une conception de l'économie instituée. Seuls dans cette dernière voie, Veblen et Commons ont élaboré respectivement un cadre analytique articulant des théories de l'action et de l'institution économiques.
- Institutionnalismes et struçturalismes : oppositions, substitutions ou affinités électives ? - Bruno Théret p. 51-78 L'institutionnalisme et le structuralisme peuvent-ils faire bon ménage ou s'opposent-ils nécessairement ? Cet article tente de répondre à cette question en analysant la structuration de ces deux champs paradigmatiques qui traversent les sciences sociales. Il met en évidence l'existence en économie d'un institutionnalisme structuraliste dont un bon exemple est fourni par l'économie institutionnelle de John R. Commons, ainsi que celle d'un structuralisme institutionnaliste dont la théorie de la régulation développée en France est une illustration. Il montre que, pour une saisie raisonnée et non abusivement réductrice de la complexité des faits économiques, les approches qui articulent de la sorte les deux dispositifs théoriques disposent d'avantages comparatifs par rapport à celles qui ne le font pas. L'article est divisé en trois parties. Dans les deux premières, l'institutionnalisme et le structuralisme sont analysés successivement en tant que champs de forces intellectuelles luttant pour les monopoles respectifs de la définition légitime de l'institution et de la structure. On y montre également que des relations d'affinité élective voire d'interdépendance existent entre ces deux champs. La troisième partie précise les types de relation entre structures, institutions et comportements individuels qui résultent de ces affinités électives quand elles sont mobilisées.
- Les institutions dans la théorie de la régulation - Robert Boyer p. 79-101 Pour la théorie de la régulation les formes institutionnelles correspondent à la codification d'un ou plusieurs rapports sociaux fondamentaux. Elles conditionnent tant le processus d'ajustement économique à court moyen terme (le mode de régulation) que le régime de croissance lui-même largement conditionné par le régime d'accumulation. La théorie s'intéresse principalement aux changements de longue période du capitalisme et développe en conséquence une série d'outils différents selon que l'on étudie une croissance stabilisée, les facteurs de déstabilisation ou encore le rôle des processus sociaux et politiques dans l'émergence de compromis institutionnalisés porteurs de nouveaux modes de régulation. Les recherches récentes en termes de hiérarchie et de complémentarité institutionnelle s'attachent à montrer tant la diversité des formes de capitalisme que leur processus d'évolution. Au passage l'article établit des points de comparaison avec d'autres recherches contemporaines, plaide en faveur d'une définition précise des notions de base d'une économie institutionnelle et conclut qu'une théorie générale des institutions est pour l'instant hors de portée.
- L'approche néo-institutionnelle : des concepts, une méthode, des résultats - Claude Ménard p. 103-118 L'approche néo-institutionnelle, qui a connu des développements considérables au cours des vingt dernières années, constitue un "programme de recherche progressif". Ce programme repose sur un noyau dur de concepts s'appliquant à des objets bien identifiés, les modes de gouvernance, l'environnement institutionnel où ils trouvent racine, et l'interaction qui les anime. Les coûts de transaction jouent un rôle clé dans ce dispositif. L'article examine pourquoi il en est ainsi, aborde des points controversés, et fait état d'un certain nombre de percées récentes de cette théorie en économie, mais aussi en histoire et en sciences politiques.
- Institutions et économie des conventions - Christian Bessy, Olivier Favereau p. 119-164 Les "institutions", comme ensemble préexistant et objectivable de ressources de justification, forment le milieu où puisent les agents économiques, pour gérer leurs problèmes de coordination et/ou leurs conflits de reproduction. Les "conventions" sont des représentations collectives de "monde commun justifié", qui activent les institutions, et légitiment les arrangements locaux, au sein des "organisations", dont la production conjointe de marchandises et de règles va reconstituer ou dégrader le milieu institutionnel de départ. Ce modèle conventionnaliste à trois termes cherche à surmonter les difficultés des autres analyses économiques des institutions. Il pose un agent économique rompu aux défauts de coordination et de reproduction, et impensable hors d'un milieu institutionnel composé au minimum du langage, de la monnaie, et du droit. La pluralité des logiques de justification fonde la diversité empirique des institutions. La dynamique des institutions est étudiée à travers les opérateurs qui font et défont les possibilités de "monde commun" à partir de la "pluralité" : la "concurrence" dans l'espace des prix doit être combinée avec la "critique" dans l'espace des valeurs (normes). L'analyse conventionnaliste du capitalisme remet le projet de Marx à l'endroit en déduisant la théorie de l'exploitation d'une théorie de la justice, plutôt que l'inverse.
- Théorie des jeux et institutions - Bernard Walliser p. 165-179 La genèse des institutions peut être traitée par la théorie des jeux, qui se situe à un niveau de généralité suffisamment élevé, considère des relations directes entre les agents sans institutions préalables et respecte un individualisme méthodologique sophistiqué. Dans ce cadre, si l'on s'intéresse non à la création volontaire d'une institution, mais à l'apparition spontanée d'une institution, cette dernière sera traitée comme une structure émergente du jeu et en pratique assimilée à un état d'équilibre du jeu. Dès lors, la genèse d'une institution est calquée sur la genèse d'un équilibre, soit par un processus éducatif où les agents sont capables de s'y placer par leur seul raisonnement, soit par un processus évolutionniste où elle résulte d'un mécanisme d'apprentissage suivi par les agents.
- Réflexion sur les fondements institutionnels de l'objectivité marchande - André Orléan p. 181-196 Cet article se propose de réfléchir sur le rôle que jouent les "objets" dans la régulation marchande. L'idée centrale est que l'objectivité n'est en rien une donnée naturelle mais est le résultat d'une construction institutionnelle spécifique qui a pour effet de "séparer" les agents économiques. On doit même considérer que ce rôle des médiations objectives est ce qui spécifie le plus précisément le rapport marchand. Deux "objets" jouent un rôle central : les marchandises et la monnaie. Le présent article analyse les processus institutionnels qui conduisent à les rendre objectifs, c'est-à-dire à en faire des médiations. On peut alors montrer que cette objectivité n'est jamais acquise une fois pour toutes et qu'elle peut subir des crises.
- Les connexions entre la tradition autrichienne et quelques développements récents en matière d'analyse économique des institutions - Pierre Garrouste p. 197-209 Dans cette contribution nous développons deux points. D'une part nous étudions la manière dont la théorie autrichienne des institutions s'est développée à partir des thèses de Menger. D'autre part et surtout nous essayons de justifier l'idée que l'analyse économique des institutions s'est pour partie inspirée, de façon plus ou moins explicite, de ces thèses mengeriennes et plus généralement autrichiennes, tout en les amendant pour en déduire le plus souvent des propositions formalisées et testables.