Contenu du sommaire : Education : émancipation ?

Revue Tracés Mir@bel
Numéro no 25, 2013/2
Titre du numéro Education : émancipation ?
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  • Éditorial

  • Articles

    • Rendre l'école obligatoire : une opération de défense sociale ? Les sciences de l'éducation entre pédagogisation et médicalisation - Elsa Roland p. 25-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à contribuer à une généalogie de l'obligation scolaire, articulée autour d'une hypothèse centrale : cette obligation aurait consisté essentiellement dans la mise en convergence de divers modes d'assujettissement traversant, dans la longue durée, les sociétés européennes à la période moderne. Ces modes d'assujettissement, initialement autonomes les uns vis-à-vis des autres, sont mobilisés ensemble au tournant du XXe siècle et trouvent à se conjoindre à l'intérieur de l'institution scolaire dans le contexte du mouvement de la « défense sociale » en Belgique. Au niveau des savoirs, la conjonction de ces rapports assujettissants est alors assurée par le triomphe d'une grille de lecture biologique et médicale de l'objet et des fins de l'action éducative qui dépolitise et naturalise un ensemble de rapports de domination au sein de l'institution scolaire.
      This article contributes to the genealogy of compulsory education by analysing, through the example of the Belgian education system, the convergence process of various modes of subjectification in educational institutions. These modes, which were initially autonomous, coalesced at the turn of the twentieth century around the notion of “social defense”. At the level of knowledge production, a biological and medical approach triumphed, which depoliticized and naturalized a set of relations of domination in the educational institutions in the name of biological necessity.
    • La discipline du choix. De l'orientation scolaire après le bac en Seine-Saint-Denis - Fabien Truong p. 45-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers une approche ethnographique participante et longitudinale, cet article interroge la façon dont les lycéens scolarisés en ZEP en Seine-Saint-Denis effectuent leur orientation post-bac. Il met en évidence la formation d'une discipline du choix, c'est-à-dire d'un ensemble de règles de pondération, de prise d'information et de décision propres à des élèves partageant une condition commune de subalterne et pour qui l'indécision prédomine. L'article interroge ainsi le poids de la stigmatisation territoriale, du rejet de l'université et des bénéfices attendus de l'encadrement scolaire dans des choix d'orientation qui sont des tentatives contradictoires et ambivalentes pour s'émanciper d'appartenances catégorielles illégitimes multiples. Il donne à voir des jeux de reconfiguration entre le possible, le probable, le souhaitable et l'acceptable qui se font à la fois par et contre l'école, et en rappelle ainsi toutes les contradictions internes.
      Through an intensive, participant and longitudinal ethnographic fieldwork, this paper examines the choices in terms of higher education made by high school pupils from so-called priority education zones in Seine-Saint-Denis, North of Paris. It shows the constitution of a discipline of choice, that is to say a set of rules for considering options and deciding between alternatives, as well as finding adequate information to do so. This discipline of choice acts as a common rationale for subaltern students who remain undecided about their future, showing the importance, in choices, of territorial stigma and the rejection of university, as opposed to more closely supervised higher education are valued. This rationale leads to ambivalent and contradictory attempts to escape from multiple categories suggestive of illegitimacy. In this sense, it illustrates how what is deemed possible, probable, desirable and acceptable are brought together in changing patterns which have been produced by and against the school system, underlining its internal contradictions.
    • Personnaliser les parcours scolaires des élèves, un facteur d'émancipation ? Lectures et pratiques enseignantes divergentes - Camille Giraudon p. 65-81 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis les années 1960 et les premiers pas de l'unification du système scolaire, une logique d'adaptation pédagogique a nourri plusieurs réformes visant à gérer l'hétérogénéité des élèves. Affichée comme une « révolution de la personnalisation » par le ministre de l'Éducation Luc Chatel, la réforme des lycées de 2010 s'inscrit dans ce processus, à travers notamment la mise en place du dispositif d'accompagnement personnalisé. Une enquête ethnographique sur la réception de cette injonction à la personnalisation met en évidence un clivage chez les enseignants. Pour certains, la personnalisation est une source d'épanouissement et d'émancipation individuelle vis-à-vis du carcan scolaire. Pour d'autres, personnaliser les parcours scolaires génère des inégalités qui compromettent l'émancipation par rapport à la reproduction sociale. Enfin, l'articulation des représentations et des pratiques face à la réforme révèle une multiplicité des logiques d'action susceptible de fragmenter le corps enseignant.
      Since the 1960s and the first steps towards the unification of the school system, reflections on educational adaptation have fuelled several reforms meant to deal with the heterogeneity of the student population. Presented as a “revolution of personalization” by the Education Secretary Luc Chatel, the 2010 reform of high school is part of this process, particularly through the implementation of the Personalized Support programme. An ethnographic inquiry into the reception of this requirement to personalize teaching reveals a divide among teachers. For some of them, personalization is a source of fulfilment and individual emancipation from the constraints of the school system. For others, personalizing school careers generates inequalities which compromise emancipation from the reproduction of social roles. Finally, the mix of representations and practices in the face of this reform suggests that teachers are guided by a multiplicity of logics that are ultimately likely to create cracks in the teaching profession.
    • À quoi reconnaît-on l'émancipation ? La familiarité contre le paternalisme - Sébastien Charbonnier p. 83-101 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À l'aide d'une lecture croisée de Pierre Bourdieu et de Ludwig Wittgenstein, cet article souhaite expliciter les conditions de fonctionnement pédagogique de tout projet d'émancipation. Comment ne pas répéter l'erreur classique du paternalisme moral, anti-émancipateur par excellence : « Je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi ; si tu ne le vois pas, je ferai alors ton bien malgré toi » ? Le problème est donc le suivant : y a-t-il des pratiques éducatives qui permettent de transformer réellement l'individu (contre les formes scolastiques de l'apprentissage qui demeurent inefficientes, notamment en termes d'émancipation) sans devenir manipulation, c'est-à-dire qui réussissent à créer des dispositifs ouverts quant à la forme et la direction que doit prendre l'émancipation ? Émanciper ne saurait donc consister à proposer une « meilleure solution » par rapport aux déterminations premières dans la vie d'un individu. Cela ne peut que passer par l'expérience du doute, par la capacité à remettre en cause certaines évidences pour soi afin de créer du jeu dans ses croyances, donc dans ses choix pratiques. En prenant en compte les analyses de Bourdieu sur les dérives scolastiques de certaines pratiques scolaires, ainsi que la critique radicale de Rancière sur les dérives dangereuses de la posture émancipatrice, cette contribution voudrait faire fonctionner le concept de « jeu de langage » créé par Wittgenstein pour construire une idée de l'émancipation réaliste dans ses mécanismes concrets, mais qui ne cède en rien sur les ambitions de faire penser le plus grand nombre possible.
      Using the works of Pierre Bourdieu and Ludwig Wittgenstein, this article endeavours to explain the effective conditions of emancipation. How not to repeat the traditional mistake of moral paternalism, which is opposed par excellence to emancipation : « I know better than you what is good for you ; and if you cannot see it, then I will make your good despite yourself » ? So the problem is as follows : do certain educational practices actually transform individuals (as opposed to scholastic forms of teaching, which are inefficient in terms of emancipation) without manipulating them, that is to say succeed in making emancipation possible without predetermining its form and direction ? Emancipating can therefore not consist in offering a « better solution » compared with individuals' primary beliefs. It can only happen through the experience of doubt, the ability to question what had been taken for granted in order to introduce discrepancies within beliefs, and hence within practical choices. Taking into account Bourdieu's criticism of the scholastic viewpoint in school practices, and Rancière's radical criticism of the danger of the emancipating posture, this paper uses the concept of « language-game », created by Wittgenstein, in order to construct a new concept of emancipation, which is realistic in its concrete mechanisms, and with the firm ambition to get as many people as possible to think.
    • La discussion philosophique en classe : une pratique de l'émancipation ? - Anne Herla p. 103-123 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article présente une pratique pédagogique récente dans le domaine de la philosophie à l'école : la discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP). D'après l'auteure, cette pratique se distingue d'une conception plus traditionnelle de l'enseignement de la philosophie en bouleversant trois aspects essentiels de la relation pédagogique : le rapport au savoir, la relation au maître, le rapport au collectif. Pour chacun de ces aspects, il s'agit de montrer, d'une part, comment l'autorité est remise en question et réélaborée, et d'autre part comment les rapports de domination relayés par le système scolaire sont dévoilés et transformés. Plus largement, l'auteure avance que la DVDP, dans sa pratique même, interroge sous un angle nouveau la nature de l'acte philosophique et ébranle les partages établis entre maître et élève, philosophe et non-philosophe, savant et ignorant. Il s'agit dans cet article de mettre en lumière la conception de l'émancipation – indissociablement intellectuelle et politique – qui sous-tend un tel dispositif d'apprentissage de la philosophie.
      This paper presents a recent pedagogical practice in the field of philosophy in schools : Discussion with a Democratic and Philosophical Aim (DDPA). According to the author, this practice differs from a more traditional conception of philosophy teaching by upsetting three key aspects of the pedagogical relationship : the relationship to knowledge, the relationship to the teacher, the relationship to the group. For each of these aspects, there is an analysis of, on the one hand, how authority is questioned and reworked, and secondly, how the power relations relayed by the school system are revealed and transformed. More broadly, the author argues that the DDPA, in its very practice, sheds new light on the nature of the philosophical act and undermines the established partitions between teacher and student, philosopher and non-philosopher, scientist and ignorant. This paper therefore ambitions to highlight the concept of emancipation – inseparably intellectual and political – that underlies such a philosophical learning device.
    • Institution, expérimentation, émancipation : autour de la pédagogie institutionnelle - Charlotte Hess, Valentin Schaepelynck p. 125-146 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce texte s'intéresse à la pédagogie institutionnelle (PI) comme critique interne de l'institution éducative. Elle constitue une perspective particulière au sein des critiques de l'institution scolaire, car elle s'appuie sur une conception non seulement répressive mais instituante du cadre institutionnel. Cela signifie que celui-ci ne saurait se réduire à l'institué de l'ordre établi dans un lieu d'enseignement, mais doit au contraire être envisagé comme un ensemble dynamique, qui peut être contesté et mis en mouvement par des pratiques instituantes. En ce sens et sur la base de cette conception particulière du mouvement qui fait l'institution, la PI permet d'envisager qu'institution et émancipation ne sont pas nécessairement antinomiques, mais peuvent au contraire s'appuyer l'une sur l'autre, dans l'horizon d'une transformation de la relation pédagogique.
      This text focuses on institutional pedagogy (IP) as an internal critique of the educational institution. This is a specific critical perspective within the school system since it is based on an approach of the institutional framework as not only repressive but instituting. This means that the institutional framework cannot be reduced to the established order of a place of education, but should instead be regarded as a dynamic unit, which can be challenged and set in motion by instituting practices. In this sense, on the basis of this specific, dynamic conception of the institution, IP enables to approach institutions and emancipation as not necessarily mutually exclusive, but instead as relying on each other with a view to transforming the pedagogical relationship.
    • L'éducation populaire comme art du possible ? L'émancipation intellectuelle dans les misiones vénézuéliennes - Federico Tarragoni p. 147-166 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers l'observation ethnographique d'un dispositif éducatif en situation d'exclusion sociale, les misiones (missions) au Venezuela d'Hugo Chávez, cet article propose quelques pistes analytiques pour relier une sociologie de l'éducation et une sociologie de l'émancipation. Piliers de l'éducation révolutionnaire du peuple du nouveau gouvernement bolivarien, les misiones, s'adressant en priorité à la génération exclue de la démocratisation de l'enseignement (1950-1970), s'inscrivent dans la tradition de l'educación popular latino-américaine. Si les résultats de cette « école du peuple » en termes d'intégration scolaire des classes populaires sont mitigés ou en tout cas difficilement appréciables, il ressort une forte impression d'émancipation de la part des participants dans les barrios, laquelle entretient cependant relativement peu de liens avec les savoirs délivrés ou les apprentissages scolaires. C'est à partir de trois dynamiques d'émancipation que l'on peut aborder la naissance d'un sujet populaire à partir de l'éducation : création d'un espace d'interconnaissance à partir de la salle de classe tout d'abord, mais aussi dialectique de liberté et invention de soi permises par la spécificité du moment scolaire.
      Through the ethnographic observation of an education programme in a context of social exclusion, the misiones in Venezuela, this article reflects on ways of connecting the sociology of education with a sociology of emancipation. The misiones, a cornerstone of the new Bolivarian programme of revolutionary education, are primarily aimed at the generation who did benefit from the massive extention of education (1950-1970). So they fully belong to South America's tradition of educación popular. The results of the « people's school » in terms of integrating the lower classes into the school system are not obvious, or at least difficult to assess. Still, there is a clear sense of emancipation regarding the attendees in the barrios. However, it has little to do with the teaching delivered in the missiones. Three dynamics of emancipation may be seen as contributing to the emergence of a popular subject through education : first, starting from the classroom, the creation of a space of mutual knowledge ; then the dialectic of freedom and the invention of the self, allowed by the specificity of school time.
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